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1. L’INFLUENCE DES CONTEXTES SUR L’ÉLABORATION DES POLITIQUES ÉDUCATIVES

1.5 La multiplicité des acteurs du développement

En cohérence avec la GAR et la Déclaration de Paris, ce qui ressort fortement de l’analyse est le processus participatif déployé pour élaborer les politiques éducatives. Il apparaît que les participants à ce processus, lorsqu’ils sont nommés, sont variés, mais se classent essentiellement en quatre grands groupes : les ministères sectoriels, les ministères partenaires, les PTF et les partenaires sociaux.

L’implication des différents ministères qui œuvrent dans le secteur éducatif est mentionnée dans les cas qui disposent de plus d’un ministère dans le secteur. Nous trouvons des explications dans le cas de la Côte d’Ivoire, où trois différentes raisons sont avancées pour justifier l’implication des différents ministères concernés par l’éducation : 1) leur interdépendance ; 2) l’existence de problématiques communes ; et 3) une enveloppe budgétaire à partager. D’ailleurs, dans les cas du Congo et de la Guinée, l’on note la mise en place respectivement d’un comité technique interministériel dans une perspective de coordination des ministères sectoriels et d’un Comité interministériel de pilotage de la préparation du Programme sectoriel de l’Éducation. En Côte d’Ivoire, une “cellule technique de coordination et de suivi des politiques et plans stratégiques”, dénommée la Task Force, a également été mise sur pied dans cette optique.

Quant aux ministères n’œuvrant pas directement dans le secteur de l’éducation, il s’agit essentiellement des ministères « qui sont concernés par le financement d’ensemble du secteur et les options prises pour sa gestion » (Guinée, PME, p. 11). Ils font explicitement partie du processus dans les cas du Bénin, du Congo, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée. Dans le cas de Madagascar, il est prévu de consolider les cadres de concertation, notamment avec les autres ministères, « en encourageant leur implication dans l’élaboration prévue de la politique sectorielle » (Madagascar, PME, p. 39), car

assurer la cohérence de la politique de l’éducation nationale avec la politique générale de l’État nécessite de pouvoir bénéficier de la collaboration de tous les départements concernés (ministère de la décentralisation, ministère des Finances et du Budget, ministère de la Fonction publique et ministère de la Santé publique) (Madagascar, PME, p. 39).

Dans d’autres cas, les autres ministères ne semblent pas avoir été impliqués directement, mais ne gravitent pas très loin du processus. Par exemple, dans le cas de la Côte d’Ivoire, la Task Force doit « appuyer la préparation des dossiers de requête et de plaidoyers en liaison avec les ministères en charge de l’économie et des finances » (Côte d’Ivoire, PME, p. 9).

En ce qui concerne les PTF, ils peuvent être nombreux, mais ils ne sont pas nommés de manière exhaustive dans tous les cas. À bien des occasions, “État et partenaires techniques et financiers” constitue un groupe nominal en soi, sans précision de l’identité des derniers, ainsi qu’en témoigne l’extrait suivant : « grâce aux efforts engagés par le gouvernement, les partenaires techniques et financiers et les autres acteurs intervenant dans l’éducation [...] » (Bénin, PME, p. 30). Il est néanmoins possible de trouver des indices ici et là quant à l’identité des PTF, mais il est évident que le portrait présenté dans les documents analysés est incomplet. D’ailleurs, dans les documents du Burkina Faso et du Mali, il y a très peu de détails sur l’identité de ceux-ci.

Sur le plan bilatéral, la France, via l’AFD, représente le bailleur le plus nommé dans les cas. Outre la France, les pays les plus cités sont le Japon (JICA), les États-Unis (USAID et/ou le

Millenium Challenge Corporation) et l’Allemagne (GIZ ou KFW). Nous retrouvons également

Tableau 12. La coopération bilatérale

Coopération bilatérale Cas Total

de cas France (AFD) Bénin, Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire,

Gabon, Guinée, Madagascar, Niger, RDC, Sénégal 11 Japon (JICA) Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Madagascar, Mali,

Niger, Sénégal 7

États-Unis (USAID/MCC) Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée, Niger, RDC, Sénégal 6 Allemagne (KFW, GIZ ou GTZ) Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée, RDC, Sénégal 5 Union européenne Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar 5 Koweït (Fonds Koweitien de

développement) Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée 3

Chine Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée 3

Arabie Saoudite (Fonds saoudien

de développement) Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée 3

Danemark (Danida) Bénin, Niger 2

Belgique (Coopération technique

belge) Burundi, RDC 2

Suisse Bénin, Niger 2

Luxembourg (LuxDev) Niger, Sénégal 2

Norvège Burundi, Madagascar 2

Canada (ACDI) Sénégal 1

Corée du Sud (Koica) Cameroun 1

Italie Sénégal 1

Pays-Bas Bénin 1

Royaume-Uni (DfID) RDC 1

Nous constatons qu’il y a divers programmes ou projets entrepris par des agences de coopération bilatérale. Ceux-ci sont rarement discutés dans les documents analysés, mais quelques-uns sont parfois évoqués. L’un de ceux-ci, et qui est commun à plus d’un cas, est le Contrat de désendettement et de développement (C2D) de l’AFD. Grosso modo, conçu dans les suites de l’Initiative PPTE du FMI et de la Banque mondiale, le C2D vise à redonner sous forme de don le montant de la dette remboursé par les pays afin de financer des programmes de lutte contre la pauvreté (AFD, s.d.). À l’instar de l’Initiative PPTE, les principaux critères d’admissibilité sont le niveau de pauvreté et un niveau d’endettement très élevé. De plus, tout comme les autres programmes de ce type, « [l]a remise de dette s’inscrit dans la durée : les échéances des prêts s’étalent souvent sur une vingtaine d’années. Le plus souvent, ils prennent la forme de plusieurs C2D successifs, conclus chacun pour une durée de trois à cinq ans » (AFD, s.d.,

n.p.).Sept pays sur les 13 retenus dans cette étude sont éligibles au C2D : le Burundi, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, la Guinée, Madagascar et la RDC. Parmi ceux-ci, quatre soulignent le C2D dans leur stratégie sectorielle (Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée et RDC). Dans le cas de la Côte d’Ivoire, qui fait état des contributions externes selon les bailleurs pour la période allant de 2017 à 2020, le C2D correspond d’ailleurs à 59 % des financements extérieurs prévus.

De manière plus ciblée, nous trouvons d’autres types de projets où certains bailleurs bilatéraux occupent une place importante. Par exemple, dans le cadre du Programme régional d’appui au développement de l’éducation de base au Niger, un projet intitulé “Soutien aux initiatives communales d’eau et d’assainissement scolaires dans le Département de Boboye” a été attribué à LuxDev, l’agence de coopération bilatérale du Luxembourg. Un autre exemple qui pourrait illustrer le rôle joué par la coopération bilatérale dans des projets précis est le projet BRIGHT au Burkina Faso, qui s’intitule plus précisément Burkinabé Response to Improve Girls’

Chances to Succeed, ou en français, l’Initiative burkinabè pour l’amélioration des chances de

réussite des filles. Il s’agit d’un projet qui vise l’amélioration des résultats scolaires des élèves au Burkina Faso, particulièrement des filles, et qui a été réalisé en deux phases. La première (2006- 2008) a été mise en œuvre par les partenaires suivants : Plan international, Catholic relief services, Forum des femmes éducatrices Africaines et l’Association Tin Tua, et donc essentiellement des ONG. Quant à la deuxième phase (2009-2012), elle a principalement été assurée par USAID, sur financement du Millennium Challenge Corporation (MCC), un fonds américain institué par le président Bush en 2004 dans le but de stimuler la croissance économique dans des pays qui font montre de performance dans l’action publique (bonne gouvernance, environnement favorable au secteur privé et investissement de l’État dans le secteur social). Cet exemple montre ainsi la place occupée par USAID dans le projet, mais également que les différents partenaires techniques et financiers peuvent être appelés à changer selon les différentes phases d’un même projet.

En plus de la coopération bilatérale qui opère par le biais des institutions gouvernementales, nous trouvons également des entreprises ou des ONG qui sont impliquées. Ceux-ci peuvent être nationaux ou régionaux comme la présentation du projet BRIGHT au Burkina Faso l’a illustré, mais peuvent également provenir des pays de la coopération bilatérale. Par exemple, Counterpart

International, une ONG américaine, est nommé dans les cas du Cameroun et du Sénégal en relation avec les cantines scolaires. Dans le cas du Sénégal, c’est l’Association pour la promotion de l’éducation et de la formation à l’étranger située en Belgique qui est intervenue; dans celui du Cameroun, c’est la Société française de réalisation, d’études et de conseil; etc. Il y a également des confessions religieuses et diverses fondations. Par exemple, dans le cas Côte d’Ivoire, la Fondation Jacobs (Suisse) et la Fondation Mohammed VI (Maroc) sont nommées. Celles-ci peuvent également détenir des programmes spécifiques. En effet, dans ce dernier cas, nous apprenons que la Fondation Jacobs, suivie par d’autres partenaires, dont des entreprises de cacao et de chocolat comme Nestlé, a lancé le programme “Transformer l’éducation dans les communautés de cacao” (TRECC).

Sur le plan multilatéral, les agences de l’ONU et la Banque mondiale représentent, sans surprise, les PTF qui sont les plus nommés (tableau 13). À leurs côtés se trouvent par exemple la Banque africaine de développement (BAD), l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA) ou encore des organismes à vocation politico-culturelle, telles que la Banque islamique de développement (BID) ou l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Là encore, divers programmes ou projets spécifiques sont associés à un ou des bailleurs en particulier et ceux-ci sont rarement discutés dans les documents analysés, mais uniquement nommés. Puisque la Banque mondiale fait la promotion de l’approche programme afin de limiter la prolifération des projets, il est étonnant de constater qu’elle chapeaute la poursuite de projets réalisés parallèlement aux stratégies sectorielles. En effet, nous trouvons par exemple le Projet d’appui à l’éducation de base dans le cas du Congo ou les projets Éducation de qualité pour tous I et II dans le cas du Sénégal qui sont mis en œuvre de pair avec la Banque mondiale. Nous trouvons également d’autres documents qui sont associés au PME. Par exemple, dans le cas du Burkina Faso, deux documents ont été élaborés dans le cadre du PME : un programme de développement stratégique de l’éducation de base (PDSEB) et un programme sectoriel de l’éducation et de la formation (PSEF). Dans ce dernier, qui a été retenu pour l’analyse, l’on peut lire que « Le PSEF a été élaboré à partir du PDSEB » (Burkina Faso, PME, p. 15), mais ces deux programmes couvrent la même période,

soit 2012-202132 et sont donc exécutés simultanément. Nous identifions également le Projet de

soutien à l’éducation de base (PROSEB) dans le cas de la RDC, et qui est aussi supporté par le PME.

Tableau 13. La coopération multilatérale

Coopération multilatérale Cas Nombre

de cas

UNICEF Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Congo,

Côte d’Ivoire, Guinée, Madagascar, Mali, Niger, RDC, Sénégal

12 Programme alimentaire mondial

(PAM) Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée, Madagascar, Niger, RDC, Sénégal

11 UNESCO Bénin, Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire,

Guinée, Madagascar, Niger, RDC, Sénégal 10

PNUD Cameroun, Côte d’Ivoire, Madagascar, Niger,

Sénégal 5

Fonds des Nations unies pour la

population (FNUAP) Cameroun, Côte d’Ivoire 2

Organisation des Nations unies pour le développement industriel

(ONUDI)

Côte d’Ivoire, Sénégal 2

Haut-Commissariat des Nations

unies pour les réfugiés (UNHCR) Congo 1

Banque mondiale Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire,

Guinée, Madagascar, Niger, RDC, Sénégal 9 Banque islamique de développement

(BID) Bénin, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée, Madagascar, Niger, Sénégal 8 Banque africaine de développement

(BAD) Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar, Sénégal 6 Agence de coopération culturelle et

technique (ACCT)/

Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

Bénin, Burundi, Cameroun, Sénégal 4

Banque arabe pour le développement

économique en Afrique (BADEA) Cameroun, Côte d’Ivoire, Madagascar, Niger 4 Association pour le développement

de l’éducation en Afrique (ADEA) Burkina Faso, Cameroun, Gabon 3

32 Le terme indiqué sur le document PDSEB est de 2012-2021, par contre, dans le PSEF analysé, on peut lire qu’il a été adopté en 2010. Cela témoigne possiblement de délais encourus dans les processus de validation, d’évaluation et de révision.

En ce qui concerne les autres bailleurs, trois cas nomment l’Initiative des Nations unies pour l’éducation des filles (Congo, Côte d’Ivoire, Sénégal). De plus, nous relevons par exemple le Projet d’appui à l’enseignement franco-arabe au Niger, financé par la Banque islamique de développement (BID) et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA). Dans le cas du Cameroun, la BID finance un projet pilote pour l’amélioration de la qualité de l’éducation de base. Quant aux organismes axés sur la francophonie, ils interviennent particulièrement dans des projets liés à l’introduction des langues nationales et à la formation des enseignants.

Concernant les partenaires sociaux, ils peuvent également être nombreux. Par exemple, dans le cas du Cameroun, c’est la “communauté éducative nationale” qui est évoquée, et celle-ci se réfère aux acteurs suivants : « ONG, organisations de la société civile, syndicats, APEE [Association des Parents d’élèves et d’enseignants], représentants des minorités et acteurs publics et privés du secteur de l’éducation et de la formation » (Cameroun, PME, p. 17). Très semblablement, dans le cas de la Côte d’Ivoire, les partenaires sociaux sont des « représentants des ONG nationales et internationales, des syndicats d’enseignants, des associations de parents d’élèves et d’étudiants » (Côte d’Ivoire, PME, p. 16).

Au regard de ce portrait, force est de constater que les acteurs intervenant dans l’élaboration des politiques éducatives nationales des pays étudiés sont nombreux et variés. Il est néanmoins difficile de préciser le rôle de chacun dans le processus. Par exemple, la Côte d’Ivoire fait état des contributeurs à l’élaboration de la stratégie sectorielle :

L’élaboration de ce document de stratégie sectorielle est le fruit d’un travail collectif et coopératif qui a connu, à chacune de ses étapes, l’implication de toutes les parties prenantes sous la coordination de la Task Force et avec l’appui constant et multiforme des Partenaires techniques et financiers particulièrement l’Agence française de développement, l’Ambassade de France, la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale, la Fondation JACOBS, l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), le Programme alimentaire mondial

(PAM), le Partenariat mondial pour l’Éducation (GPE), l’IIPE Pôle de Dakar de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et le Fonds des Nations unies pour l’Enfance (UNICEF) (Côte d’Ivoire, PME, p. 11). Toutefois, les interventions de chacun d’eux ne sont pas détaillées. De même, nous constatons qu’en dépit d’une approche programme privilégiée, l’approche projet demeure courante, et ce, même de la part d’acteurs qui font la promotion de l’approche programme, comme la Banque mondiale et le PME. La mention de projets réalisés parallèlement aux stratégies sectorielles témoigne de la complexité des influences qui façonnent les différents systèmes éducatifs en dehors de l’encadrement du PME.

Cette multiplicité d’acteurs représente dans certains cas un risque susceptible de nuire à l’exécution de la stratégie sectorielle, et semble concerner davantage les acteurs nationaux. Cela est lié à une certaine redondance dans les actions ; cette dernière étant attribuable à « l’implication d’acteurs multiples ayant les mêmes rôles et responsabilités comme par ailleurs dans d’autres programmes et projets du secteur de l’éducation » (Mali, PME, p. 51). Toutefois, en ce qui concerne la gestion des partenariats avec des PTF, les changements apportés par la logique inhérente à la Déclaration de Paris sont considérés comme étant positifs :

L’intervention des PTF a connu une évolution positive et dans l’esprit de la Déclaration de Paris nous sommes passés des actions bilatérales vers une dynamique multilatérale qui prévient les interventions redondantes et facilite leur coordination. Le plan vise l’amélioration de la concertation des PTF, le cadre partenarial et permet de renforcer la visibilité de leurs interventions (Bénin, PME, p. 70).

De cette manière, la Déclaration de Paris semble induire une meilleure gestion des nombreux PTF impliqués dans l’élaboration des politiques éducatives, mais se préoccupe moins de la dynamique nationale, où l’importante quantité d’acteurs aux rôles et responsabilités similaires est identifiée comme un risque à l’exécution de la stratégie. Puisque la Déclaration de Paris est conçue pour améliorer l’efficacité de l’aide, cela va de soi. Toutefois, cette pratique ne contribue pas à favoriser l’autonomie et les capacités nationales, et augmente plutôt leur charge gestionnaire.