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2. LES FONDEMENTS DES POLITIQUES ÉDUCATIVES

2.1 La vision nationale

2.1.2 Les études prospectives

Les études prospectives, communes à tous les cas, semblent plutôt méconnues des acteurs nationaux34, et à notre connaissance, il n’existe pas de recherche récente discutant de leur relation

avec l’élaboration des politiques publiques, et particulièrement dans le secteur éducatif. Pour ces raisons, nous avons approfondi les recherches pour mieux comprendre leur émergence, leur rôle et leur influence dans le processus.

34 Pour le cas du Burkina Faso, la recherche de Savadogo (2009) montre que les résultats de l’étude prospective ont été partagés aux directeurs généraux et centraux du ministère de l’Économie et des Finances seulement cinq ans après la sortie des résultats, et que plusieurs acteurs concernés ne savaient même pas en quoi consistait l’étude prospective. De plus, afin d’en apprendre davantage sur ces études prospectives, nous avons contacté quelques acteurs nationaux de manière informelle, et sur les personnes contactées, deux ont répondu. Pour l’un de ceux-ci (Bénin), l’étude prospective représente un plan national de développement élaboré par les ministères nationaux du Plan et de Développement, et s’apparente à un DSRP, mais soutenu par le PNUD (informations obtenues lors d’un échange le 20 août 2018). Cette réponse a soulevé l’hypothèse d’une compétition entre les institutions de Bretton Woods et le PNUD. Pour une autre personne (Cameroun), la réalisation de ces études s’inscrit dans une propension à revenir à un système de planification articulant le global et le sectoriel, et les autorités camerounaises considèrent l’étude prospective et le DSRP comme étant complémentaires (informations obtenues lors d’un échange le 28 juillet 2018). Les nuances entre ces deux réponses ont soulevé la nécessité d’approfondir la question des études prospectives, puisque dans plusieurs cas, les politiques éducatives devraient normalement être élaborées pour concrétiser la vision issue de ce processus.

C’est lors de la Conférence des ministres chargés du Plan à Lomé en 1988 que l’idée de réaliser des études prospectives sur le plan national a été lancée. Cette idée a été renforcée par les recommandations issues de la Conférence de Maastricht sur l’Afrique, tenue en juillet 199035, qui

s’appuyait sur la conclusion suivante : « le développement n’est pas possible si les transformations des comportements et des structures socio-démographiques, culturelles et politiques ne sont pas associées aux mesures purement économiques, organisées selon une vision partagée et inscrite dans le temps » (République du Bénin, 2014, p. 42). À ce moment, le PNUD a reçu le mandat de créer le projet Futurs Africains, responsable de développer une méthodologie pour la réalisation de ces études. Ayant été directeur exécutif de ce programme du PNUD entre 1997 et 2003, Alioune Sall a plus tard (2003) fondé l’Institut des futurs africains (IFA), à Pretoria, en Afrique du Sud, un

think tank panafricain, dans le but de poursuivre la réalisation de ces études prospectives, et ainsi,

« pérenniser la démarche hors des institutions »36. Le PNUD est effectivement associé à la

réalisation des études prospectives dans neuf cas (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar, Mali et RDC). Dans le cas du Cameroun, il est question exclusivement de l’IFA, qui a aussi été impliqué dans le cas du Congo. D’autres institutions sont associées à la réalisation des études prospectives avec le PNUD, dont la Banque africaine de développement (BAD) en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali et en RDC, l’UNICEF au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, la Commission économique pour l’Afrique (CEA) en Guinée, la France en RDC, la Banque mondiale au Congo et le Projet d’appui au renforcement de la gouvernance

35 Auparavant, des études prospectives avaient été réalisées, mais à des niveaux régional ou continental. Par exemple, en 1977, l’Institut des Nations unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR) réalisait des études sur le thème de “l’Afrique et la problématique du futur” (République du Bénin, 2014). L’idée d’études prospectives à long terme pour le continent était également au cœur du Plan d’action de Lagos pour le développement économique de l’Afrique (1980), et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) a publié, en 1983, une étude prospective pour le développement de l’Afrique (La CEA et le développement 1983-2008). La Banque africaine de développement (BAD) et le Club du Sahel de l’OCDE ont aussi réalisé, en 1994, une étude sur les perspectives à long terme pour la région d’Afrique de l’Ouest, connue sous le nom de West Africa Long Term Perspective Studies (République du Bénin, 2014). Ce faisant, la principale nouveauté apportée dans les discussions de la Conférence des ministres chargés du Plan de 1988, consolidée lors de la Conférence de Maastricht, est la nécessité de réaliser ce type d’étude à l’échelle nationale.

36 Entrevue réalisée avec Alioune Sall disponible à l’adresse suivante : < http://www.rfi.fr/hebdo/20150515-afrique- emergence-pas-horizons-temporels-precis-alioune-sall-afrique-sud >.

économique au Burkina Faso37. Dans les cas du Niger et du Sénégal, les documents ne signalent pas la contribution d’acteurs externes, et le processus est attribué au ministère du Plan au Niger, et au ministère de l’Économie, des Finances et du Plan au Sénégal.

Malgré quelques nuances et variations méthodologiques, la structure de réalisation de ces études est globalement la même d’un cas à l’autre. Elles comportent généralement trois grandes étapes : la constitution d’une base de données et l’analyse de celle-ci, la construction de scénarios prospectifs et d’une vision, et la formulation de stratégies de développement. La constitution d’une base de données se décline elle-même en diverses étapes, dont une enquête sur les aspirations de la population, une analyse rétrospective, qui mène à identifier par exemple les tendances lourdes, les invariants, les opportunités, les menaces, les forces, les faiblesses, les incertitudes et les germes de changement, etc., selon les pays, et une analyse structurelle, qui repose sur une analyse du système et des jeux d’acteurs. Ces analyses donnent lieu à l’établissement de divers scénarios sur les futurs possibles du pays. La sélection d’un scénario (ou deux dans une minorité de cas) laisse place à une vision, qui elle, est opérationnalisée en stratégies de développement. L’un des objectifs qui lui sont accordés est celui de parvenir à un consensus sur le futur souhaité du pays, et une adhésion à la vision formulée, afin de « vaincre les éventuelles résistances ; car il est possible que certains compatriotes soient encore sceptiques face à cet exercice et hésitent à s’embarquer dans la nouvelle épopée » (République du Bénin, 2014, p. ii). En ce sens, elle exige la “participation de tous”38. La perspective long terme en est une caractéristique centrale, et le choix de la durée est

attribué au fait qu’elle représente l’horizon d’une génération dans les cas du Burundi, Cameroun, du Mali et du Sénégal. En bref, la réalisation d’études prospectives est fondée sur « la nécessité d’une vision partagée, la participation de la population, l’importance de l’anticipation du futur grâce à la planification par scénarios en vue de l’action et la gestion stratégique du développement national » (République du Bénin, 2014, p. 44).

37 Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un programme de coopération technique du Département des affaires économiques et sociales des Nations unies.

38 La “participation de tous” est qualifiée d’« expression fétiche dans tous les projets de développement » dans l’étude prospective du Burkina Faso (Burkina Faso, 2014, p. 1).

Bien que les études prospectives revêtent dans leur ensemble un immense intérêt pour comprendre ce qui est susceptible d’influencer le processus d’élaboration des politiques publiques dans les cas étudiés, une composante a davantage retenu notre attention en relation avec la formulation d’une vision nationale : l’élaboration des scénarios. Selon les cas, il y a entre deux et cinq scénarios élaborés par pays, découlant des analyses effectuées dans le cadre de l’étude prospective. Souvent exprimés en allégorie inspirée de la culture du pays, ou en un mot tiré d’une langue nationale dans les cas du Bénin et du Burundi, ces scénarios font état de différents futurs possibles. L’analyse de ceux-ci mène à en choisir un ou à une combinaison de plusieurs (cas de Madagascar, et dans une moindre mesure, du Bénin), et de constituer les fondements de la vision. Ces divers scénarios se situent sur un spectre, et nous retrouvons généralement un scénario catastrophe (ou pessimiste), un scénario tendanciel et un scénario vertueux (ou optimiste). Dans la plupart des cas, c’est le scénario « à la fois probable et souhaitable pour le pays » (République du Cameroun, 2009, p. 2) qui est retenu. Bien que des variations dans le choix des thèmes retenus pour élaborer les scénarios et dans le traitement de ceux-ci existent entre les cas, des écarts notables se présentent entre les scénarios situés aux extrémités du continuum. Par exemple, sur le thème des mutations du contexte géopolitique, le scénario catastrophique du Burkina Faso présente une mondialisation ultralibérale et déferlante et une cessation de l’aide au développement, alors que dans le scénario idéal et sélectionné, il est question d’une mondialisation à visage humain et d’une “marshalisation” de l’aide”39 (Burkina Faso, 2014). En dépit de ces différences importantes, un

seul scénario est sélectionné dans la majorité des cas, et celui-ci oriente l’élaboration des politiques publiques. Dans l’exemple présenté, c’est donc en considérant un contexte géopolitique caractérisé par une mondialisation à visage humain et une “marshalisation” de l’aide que les politiques sont élaborées. Or, en ne sélectionnant qu’un seul scénario pour formuler la vision du pays, une panoplie de possibilités est évacuée du processus, faisant fi des contraintes identifiées et des évolutions potentielles anticipées.

39 En référence au plan Marshall, la “marshalisation” de l’aide est considérée, dans l’étude prospective du Burkina Faso (2014), « dans l’optique de la réalisation d’un partenariat d’échanges francs et porteurs pour les pays pauvres, notamment africains » (p. 10), mais il n’y a pas de détails supplémentaires sur les caractéristiques attribuées à ce type d’aide.

Ainsi, en amont du processus d’élaboration des politiques publiques, une vision nationale est formulée. Les politiques publiques, incluant celles du secteur éducatif, devraient donc être élaborées pour concrétiser cette vision, qu’elle soit issue de l’autorité politique ou d’une étude prospective. Dans ce dernier cas de figure, l’horizon d’une génération est privilégié pour y parvenir. La sélection d’un scénario pour formuler la vision nationale contribue à réduire la portée analytique de l’étude prospective, pour ne retenir que ce qui est souhaité et souhaitable pour le pays. Pour mieux comprendre la traduction de la vision en actions, la prochaine section présente les plans de développement considérés dans le processus.