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2. LE SECTEUR ÉDUCATIF SOUS LA GOUVERNANCE MONDIALE

2.3 L’Éducation pour tous et l’aide au développement

La Conférence de Monterrey sur le financement du développement (2002) a donné lieu à l’Initiative pour la mise en œuvre accélérée de l’EPT (IMOA-EPT), en 2002, aussi connue sous le nom de Fast Track Initiative (FTI), afin d’accélérer le progrès des pays en développement dans la

réalisation des objectifs de l’EPT. Sa création s’appuyait essentiellement sur l’article 10 du Cadre de Dakar. L’initiative était conçue dans une logique partenariale, et impliquait plusieurs bailleurs bilatéraux (Menashy, 2019). Elle a été créée dans le but de contourner les processus d’aide standards, jugés trop longs et bureaucratiques, pour que les pays capables de démontrer leur capacité à bien utiliser les fonds obtiennent plus rapidement des financements (Williams, 2015). À ses débuts, l’IMOA-EPT était exclusivement administrée par la Banque mondiale (Menashy, 2017 ; Steiner-Khamsi, 2007 ; Williams, 2015). Une évaluation mi-parcours réalisée par Cambridge Education, Mokoro et Oxford Policy Management (2010) a été déterminante pour réorienter l’IMOA-EPT. Les principales critiques adressées à l’initiative étaient la prédominance des bailleurs de fonds dans le processus décisionnel et dans l’organisation de l’IMOA-EPT, et sa dépendance à la Banque mondiale. Ces conclusions ont conduit à l’élargissement des partenariats afin d’impliquer les pays en développement dans le processus décisionnel et à la mise en place d’une nouvelle structure de gestion plus indépendante de la Banque mondiale (Menashy, 2019 ; Williams, 2015). C’est dans cette perspective qu’en 2011, cette initiative est devenue le Partenariat mondial pour l’éducation (PME), qui occupe une position importante dans l’atteinte des objectifs 2015-2030 (PME, 2016a). Parmi les pays actuellement bénéficiaires de ce programme, 40 sur les 73 pays admis sont des pays de l’Afrique subsaharienne. Il existe différents niveaux d’éligibilité au PME. Tous les pays en développement sont admissibles à devenir membre du partenariat, mais les critères se resserrent selon les types de financements, que sont essentiellement : les financements pour la préparation de plans sectoriels de l’éducation (ESPDG), les financements pour la mise en œuvre de programmes sectoriels de l’éducation (ESPIG) et un accès au Fonds à effet levier (ou fonds à effet multiplicateur) (voir figure 1). Ces critères se fondent sur le niveau de pauvreté, sur la vulnérabilité et la fragilité de l’éducation, et aussi sur la capacité à mobiliser des ressources financières supplémentaires. Par exemple, pour accéder au Fonds à effet multiplicateur, le pays doit « mobiliser au moins 3 dollars de financement extérieurs nouveaux et supplémentaires pour 1 dollar provenant du fonds à effet multiplicateur du PME » (PME, s.d., n.p.).

Figure 1. Les niveaux d’égibilité au PME Source. PME, 2017a

Avant 2015, l’UNESCO représentait le seul coordonnateur de l’agenda mondial pour l’éducation, mais avec l’avènement du Cadre d’action de l’Éducation 2030, il a été souligné que « le Partenariat mondial pour l’éducation constitue un pôle de financement multipartite de l’éducation à l’appui de la mise en œuvre de l’agenda, selon les besoins et les priorités des pays, nous recommandons qu’il fasse partie de ce futur mécanisme de coordination mondial » (UNESCO, 2015b, p. vi). Pourtant, l’UNESCO et le PME n’ont pas nécessairement les mêmes orientations.

Lorsque nous comparons les contenus de l’Éducation 2030, du plan stratégique du PME et de la stratégie de la Banque mondiale pour l’éducation (Banque mondiale, 2011) (Annexe C), nous relevons certains écarts dans les orientations poursuivies. Dans les trois cas, il est question de renforcer les systèmes éducatifs et de miser sur la qualité et l’apprentissage. Alors que l’Éducation 2030 mentionne la nécessité d’intégrer les instruments normatifs internationaux de l’ONU aux

politiques nationales (déclarations, conventions, protocoles), le PME et la Banque mondiale ne s’y réfèrent point. De plus, alors que la cible 4.7 de l’Éducation 2030 prévoit que l’une des dimensions d’une éducation de qualité renvoie aux

connaissances et compétences nécessaires pour promouvoir le développement durable, notamment par l’éducation en faveur du développement et de modes de vie durables, des droits de l’homme, de l’égalité́ des sexes, de la promotion d’une culture de paix et de non-violence, de la citoyenneté mondiale et de l’appréciation de la diversité culturelle et de la contribution de la culture au développement durable (UNESCO, 2015b, p. vi),

aucune mention du développement durable, de la citoyenneté ou de la diversité culturelle n’est observée dans les plans stratégiques soutenant le financement de l’Éducation 2030. En effet, dans les plans stratégiques des deux bailleurs de fonds, les critères portent plutôt sur l’efficacité et l’efficience des systèmes éducatifs16, et sur les résultats d’apprentissage.

En lien avec les recommandations de l’évaluation mi-parcours (Cambridge Education et al., 2010) et l’adhésion du PME aux principes de la Déclaration de Paris (OCDE, 2005), il s’agit, depuis 2011, d’un vaste partenariat qui implique désormais une multitude d’acteurs, où sont représentés : des pays en développement, des donateurs bilatéraux, des entreprises privées, des fondations philanthropiques, des organisations de la société civile, des associations d’enseignants, des banques de développement et des organisations internationales (dont l’UNESCO, l’UNICEF et la Banque mondiale qui siègent au conseil d’administration). Néanmoins, il est indéniable que la Banque mondiale continue de jouer un rôle central au sein de ce partenariat (Menashy, 2019). D’abord, étant l’entité fondatrice, la Banque mondiale héberge le Secrétariat et le site Internet du PME et est l’employeur officiel des employés du PME (Menashy, 2019). Ensuite, l’organisation écrit qu’elle est responsable de la supervision des financements accordés dans le cadre du PME.

16 Pour distinguer les notions d’efficacité et d’efficience, Sall et De Ketele (1997) signalent que l’efficacité se concentre sur les effets visés, alors que l’efficience « relève de “l’ordre de la programmatique” (et donc des ressources, coûts, planification, etc.) » (p. 119).

Elle ajoute que « cela comprend la signature d’accords de subvention avec des partenaires des pays en développement, le transfert des fonds et le suivi de la mise en œuvre des programmes d’éducation par le gouvernement » (Banque mondiale, 2014a, n.p.). À l’époque de l’IMOA-EPT, l’élaboration d’un DSRP était une conditionnalité pour être éligible au PME (Altinok, 2004 ; Kaboré, 2003). Depuis 2011 toutefois, rien ne laisse entendre que cette conditionnalité ait été maintenue.

L’approche programme préconisée par le PME s’actualise par le biais d’un plan sectoriel, que les pays doivent rédiger, et lorsque celui-ci est approuvé par le PME, au regard de sa “crédibilité”, les donateurs fournissent un appui à un ou plusieurs éléments du plan sectoriel. Toutefois, les données de l’OCDE quant à l’aide dispensée au secteur éducatif dans la région de l’Afrique subsaharienne montrent que l’approche projet représentait 68,80 % en 2015 (Annexe B, tableau 29), et donc, qu’elle serait privilégiée pour l’aide au développement dans le secteur éducatif (Garnaud et Rochette, 2012 ; Niño-Zarazúa, 2016). Par contre, Riddell et Niño-Zaraúta (2016) soulignent que la base de données de l’OCDE possède certaines limites17 dans la catégorisation

des types d’aide et que, dans cette perspective, il n’est pas impossible que l’aide aux projets ait contribué aux programmes. Cela peut également être lié au fait que les programmes sectoriels

17 À propos des limites associées à la base de données de l’OCDE, il convient de préciser que les données qui en sont issues servent à illustrer la part importante de l’aide publique au développement attribuée au secteur de l’éducation, sa distribution et les principaux donateurs. Les données présentées en annexe B ont été générées à partir de cette base de données en avril 2017. Au moment de réviser le présent document (février 2019), elles ne correspondent plus aux données présentées dans la base de données de l’OCDE. Les variations observées s’appliquent pour toutes les données présentées, incluant les différentes périodes visées, c’est-à-dire qu’autant les données de 1995 que celles de 2015 ont été modifiées entre 2017 et 2019. Par exemple, pour l’année 2015, l’aide publique au développement attribuée au secteur de l’éducation pour la région de l’Afrique subsaharienne était de 3 159,224 US $/millions en prix courant, alors qu’actuellement, le montant présenté sur la base de données s’élève à 3 223,589 US $/millions. Lorsque nous comparons les deux documents générés, nous relevons deux facteurs explicatifs de ces changements. D’une part, certains montants ont été révisés, et d’autre part, des donateurs ont été ajoutés. Dans le cas de l’aide publique au développement attribuée au secteur de l’éducation pour la région de l’Afrique subsaharienne en 2015, le changement observé s’explique par une révision à la baisse de l’engagement de la France (-0,654 US $/millions) et par l’ajout de l’Arabie saoudite parmi les donateurs non membres du CAD (65,000 US $/millions). Dans ce contexte, il convient de considérer les données présentées à titre illustratif uniquement, et non comme un fait absolu, vu les manipulations qui s’effectuent ponctuellement sur celles-ci.

combinent l’approche projet et l’approche programme (Kaboré, 2003). Il est donc possible que des orientations alternatives influencent les systèmes éducatifs par l’entremise de projets.

En ce qui concerne l’organisation partenariale du PME, la recherche effectuée par Menashy (2017) montre les limites d’une gouvernance multipartite telle qu’adoptée par le PME. Rassemblant plusieurs acteurs aux points de vue divergents, l’auteur met en évidence, à la suite d’analyses documentaire et de données d’entrevues, l’absence de débat qui en résulte – sur le sujet de l’enseignement privé dans ce cas-ci –, par crainte de déstabiliser le partenariat. Or, dans la mesure où l’adhésion de tous les partenaires chapeaute l’importance des partenariats (Charton, 2017), l’évitement du dialogue sur les questions ne faisant pas consensus est ainsi susceptible de laisser une marge de manœuvre importante à la Banque mondiale, vu qu’elle est la principale responsable de la supervision des subventions attribuées et des suivis de mise en œuvre (Menashy, 2017). Cela témoigne des relations de pouvoir inégales dont sont empreints les partenariats établis dans le cadre de l’aide au développement (Navarro-Flores, 2009).

Quant aux principes de la Déclaration de Paris (OCDE, 2005), ils régissent les modalités de l’aide au développement qui se déroule dans le cadre du PME. Les enjeux sont globalement les mêmes que ceux exposés dans la section précédente. Par exemple, sur la question de la reddition des comptes mutuelle, Cerqua (2015) présente un exemple où la Banque mondiale a eu recours à un argument fondé sur la recherche pour identifier une “mauvaise pratique” et ainsi justifier le retrait de son financement à un projet. Or, il n’existe pas de mécanisme équivalent pour les pays qui reçoivent le financement, où ils pourraient se retirer de la relation pour un motif quelconque (Atrouche, 2012). Le principe de la Déclaration de Paris qui pourrait affecter plus spécifiquement le secteur éducatif est celui de l’appropriation. Rappelons que l’appropriation se traduit par la volonté de l’État à mettre en œuvre des politiques privilégiées par les bailleurs qui se définissent en tant qu’experts du développement, mais aussi sur les liens entre le développement et l’éducation. Dans le secteur de l’éducation, les organisations internationales ne restreignent pas leur champ d’expertise au développement, mais se disent spécialistes de l’éducation également. L’UNESCO représente sans doute l’organisation la plus légitime à se proclamer spécialiste de l’éducation. Par contre, l’UNESCO subirait la concurrence des organisations économiques à ce

niveau (Capron, 2010; Cussó, 2007). Ces dernières se sont avérées plus efficaces pour établir des diagnostics et produire des statistiques sur l’éducation, « plus adaptés à notre époque notamment parce que mieux reliés au développement économique » (Capron, 2010, p. 182). Or, les organisations économiques ne sont pas des spécialistes de l’éducation, mais bien de l’économie (Capron, 2010). Cela contribue nécessairement à réduire la portée du secteur éducatif à des enjeux économiques.

2.4 Les organisations internationales et la production de connaissances en éducation