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1. L’INFLUENCE DES CONTEXTES SUR L’ÉLABORATION DES POLITIQUES ÉDUCATIVES

1.2 La légitimité de l’agenda mondial pour l’éducation

L’Éducation pour tous est à l’origine de l’agenda mondial actuel pour l’éducation. Deux événements internationaux ont impulsé le mouvement de l’EPT, soit la Conférence de Jomtien (UNESCO, 1990) et le Forum de Dakar (UNESCO, 2000). Dans les années 1990, le contexte « plus optimiste, dans les échanges entre gouvernements des pays pauvres et organismes internationaux de financement et d’aide technique dans le domaine de l’Éducation » (Sénégal, EPT, p. 4) a favorisé la tenue de ces événements et l’engagement des pays envers le mouvement. Le consensus autour duquel s’est construit le mouvement de l’EPT est celui d’assurer le droit à l’éducation. En observant les motifs avancés quant à l’adhésion à l’EPT dans les documents nationaux analysés, nous constatons qu’ils se situent toutefois à un autre niveau. Bien qu’ils varient d’un cas à l’autre, et que les justifications ne soient pas systématiques dans les documents analysés, elles sont présentes dans huit rapports EPT (tableau 7).

Tableau 7. Les motifs d’adhésion à l’Éducation pour tous

Motifs Cas Unités de sens

Faiblesse des indicateurs Burkina Faso indice africain de développement EPT Côte d’Ivoire indicateurs clés

Recherche de soutien Niger « chercher les voix et moyens pour […] juguler [les obstacles] » (Niger, EPT, p. 8)

Mimétisme Burundi

Sénégal « à l’instar de tous les pays du monde » (Burundi, EPT, p. 6) « À l’instar de la communauté internationale » (Sénégal, EPT, p. 4)

Engagement international Cameroun Congo Madagascar

« la communauté internationale a pris l’engagement » (Cameroun, EPT, p. 7)

« les pays du monde entier ont dans leur grande majorité pris l’engagement » (Congo, EPT, p. 1) « Conformément à la recommandation du Cadre d’action de Dakar » (Madagascar, EPT, p. 7)

Il apparaît que la majorité des cas ayant justifié l’adhésion du pays à l’EPT, les motifs se rapportent surtout à des motivations externes. Si le motif des engagements internationaux peut témoigner des pressions subies pour adhérer, celui du mimétisme peut pour sa part signifier une compréhension limitée de l’EPT, possiblement en raison des pressions externes pour se rallier au consensus mondial de l’EPT.

En effet, en ce qui a trait à la compréhension de l’EPT, elle n’est pas conçue de la même manière dans tous les cas. Dans deux cas (Burkina Faso, Congo), l’EPT est présentée en tant que concept dans une section destinée à définir les termes employés ; dans le cas de la Guinée, l’EPT est considéré comme une problématique, et dans celui de la RDC,

[l]e cadre EPT se définit comme l’ensemble des actions mises en œuvre pour promouvoir et financer l’EPT, depuis la définition précise des objectifs et des modalités de l’EPT en 2000, jusqu’au cadre de coopération et de financement mis en place : coordination internationale des initiatives, coordination locale des bailleurs (harmonisation, alignement...), nouvelles structures de financement telles que l’Initiative de Mise en Œuvre Accélérée (ou Fast Track, devenue Programme Mondiale pour l’Éducation) et ses procédures (analyse sectorielle, plan sectoriel crédible, cadre indicatif...) (RDC, EPT, p. 50).

Cette dernière conception de l’EPT considère donc le PME comme étant partie intégrante de l’EPT. Pourtant, dans les documents élaborés dans le cadre du PME, l’atteinte des objectifs de l’EPT n’est pas l’argument central. Certes, l’engagement des pays envers l’EPT est signalé dans la plupart des stratégies sectorielles (Burkina Faso, Burundi, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Madagascar, Sénégal), mais l’atteinte des objectifs de l’EPT pour justifier l’élaboration d’une stratégie sectorielle de l’éducation est plutôt diluée. Il est possible que ce lien soit devenu implicite au fil du temps, ou que le lien entre le PME et l’EPT soit pris pour acquis. Cependant, nous remarquons aussi qu’au-delà d’une association de l’EPT à un engagement, lorsqu’il y a une référence à l’EPT dans les stratégies sectorielles, elle sert généralement d’argument pour appuyer une priorité, dont l’engagement des acteurs externes, en référence à l’article 10 du Cadre de Dakar

(Burkina Faso, Madagascar), la qualité (Bénin) et l’équité de l’éducation (Sénégal). Dans tous les cas, voyons quels arguments justifient l’élaboration des plans sectoriels.

La nature des documents élaborés dans le cadre du PME présente quelques divergences se répercutant sur les discours légitimant leur existence. Huit documents sur les douze retenus ont été conçus pour une durée moyenne de dix ans et représente des plans sectoriels de l’éducation. Toutefois, dans quatre cas, ils couvrent plutôt deux à trois années (Bénin, Guinée, Madagascar et Mali). Dans le cas du Bénin, il s’agit de la troisième et dernière phase d’un plan décennal initié en 2006, et dans celui de la Guinée, de Madagascar et du Mali, ce sont des plans intérimaires, c’est- à-dire qu’ils se veulent transitoires. Même si la troisième phase du plan décennal béninois était prévue dès son lancement (2006) pour la période de 2013-2015 (République du Bénin, 2006), le document indique que « [l]’actualisation du PDDSE a été jugée nécessaire » (Bénin, PME, p. 8) en raison des dysfonctionnements du système éducatif révélés par deux études. Quant aux plans intérimaires, les documents de Madagascar, du Mali et de la Guinée signalent des éléments contextuels pour justifier cette transition (instabilité politique, contexte post-conflit, etc.). Outre ces particularités propres à la nature des contextes et des documents PME, plusieurs motifs communs se dégagent de l’analyse relativement à l’existence de ces plans (tableau 8). Nous relevons que pour un même motif, plusieurs sens peuvent être accordés, parfois même au sein d’un même cas.

Tableau 8. Les motifs d’élaboration des plans sectoriels

Motifs Sens Unités de sens (exemples) Nombre

de cas Engagements

politiques La conformité « Tenant compte des engagements pris par le Bénin au plan international, le PDDSE a planifié [...] » (Bénin, PME, p. 11) « conformément aux engagements nationaux et internationaux du pays, notamment en faveur du cadre d’action “Éducation 2030” » (Côte d’Ivoire, PME, p. 30)

4

L’expression d’une volonté « l’adoption des programmes tels que : le PSEF, le BIG PUSH28 (la

grande poussée) dans le seul but de rendre plus concret son engagement ferme à atteindre l’objectif qu’il s’est fixé à savoir la qualité de l’éducation » (Niger, EPT, p. 64).

2

L’opérationnalisation « précise [les engagements du Gouvernement] de façon plus opérationnelle » (Guinée, PME, p. 37)

« matérialiser [d]es engagements internationaux » (RDC, EPT, p. 8),

6

Vision

holistique La relation entre le système éducatif et les objectifs économiques

« La nouvelle stratégie [...] repose sur une vision holistique et cohérente des politiques du secteur de l’éducation en étroite relation avec l’ambition du Cameroun de devenir un pays industrialisé à l’horizon 2020 » (Cameroun, EPT, p. 9)

2

La cohérence et la continuité

dans le système éducatif « Ce programme qui a une vision holistique de l’éducation, permettra de mettre en cohérence les différents segments du système (du préscolaire jusqu’au supérieur) » (Niger, EPT, p. 66)

5 L’approche programme « Les États, les gouvernements et les partenaires ont pris conscience

que les programmes sectoriels doivent rompre avec l’approche projet et s’inscrire dans une approche holistique » (Sénégal, EPT, p. 4)

1

28 L’Initiative “big push”, lancée en mars 2013, représente un cadre d’accélération 2013-2015 de l’EPT pour les pays de l’Afrique subsaharienne. Elle est basée sur un partenariat entre différentes institutions (ADEA, ANCEFA, CONFEMEN, FAWE, UNESCO, UNICEF, FNUAP). Parmi les pays retenus pour l’étude, à part le Niger qui signale son adhésion dans les documents analysés, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, Madagascar, la RDC et le Sénégal auraient également adhéré à cette initiative.

Motifs Sens Unités de sens (exemples) Nombre de cas Adaptation aux

changements Évolution des contextes et/ou des engagements « Cette nouvelle orientation imposait une actualisation de toutes les stratégies sectorielles, dont celle de l’éducation élaborée en 2006 » (Cameroun, EPT, p. 9).

3 Les changements

institutionnels passés « Ces changements impliquent une révision profonde du scénario de financement à moyen et à long terme du PSDEF ainsi qu’une évolution de la gouvernance du secteur » (Burundi, PME, p. 8).

2 Continuité avec

le passé La consolidation des acquis « Le programme intérimaire permettra de consolider les acquis engrangés dans le cadre de la mise en œuvre des Plans d’investissement sectoriel de l’éducation (PISE) I, II et III » (Mali, PME, p. 9)

3

Le maintien des acquis « Il n’aurait pas été possible de laisser le secteur éducatif évoluer spontanément sans cadrage des politiques et détermination des priorités. Ne pas renouveler en 2014 les documents de

programmation du PSE aurait mené à la perte des acquis de la démarche sectorielle » (Guinée, PME, p. 9)

2

Admission au

PME La conformité « le processus participatif de préparation a pris en compte les différents critères fixés par le PME pour permettre l’endossement de la stratégie par le groupe local des partenaires » (RDC, PME, p. 16).

Outre le motif de l’admission au PME, il ressort donc que, contrairement à l’adhésion à l’UNESCO, les motifs avancés pour élaborer un plan sectoriel dans le cadre du PME soient surtout internes, et nous observons même que l’argument de la nécessité est avancé dans plusieurs cas pour justifier l’élaboration de ce document. Nous percevons cependant les forces externes à l’œuvre. Si plusieurs engagements internationaux ont été signalés comme étant significatifs pour élaborer les politiques éducatives, ceux-ci ont possiblement été souscrits sous une pression coercitive indirecte. L’adoption d’une terminologie convergente, sans pour autant que le sens accordé ne soit le même, offre un indice de l’influence de l’environnement institutionnel sur l’élaboration des politiques éducatives. De plus, l’argument de la considération des changements initiés précédemment montre à quel point les décisions passées sont déterminantes des nouvelles, mais que ces changements peuvent aussi profondément déstabiliser le système. Par exemple, au Bénin, les mesures de gratuité scolaire et le reversement des enseignants communautaires et contractuels locaux en agents contractuels de l’État ont « eu de fortes conséquences sur l’accès, la qualité et les conditions d’enseignement, et également sur l’effort budgétaire global de l’État », et c’est dans ce contexte qu’ « une actualisation du PDDSE est devenue nécessaire » (Bénin, PME, p. 8). À part les cas du Burkina Faso et de Madagascar qui l’avance en lien avec l’EPT, aucun cas ne réfère à la mission officielle du PME, qui est de fournir des ressources financières additionnelles, pour justifier l’élaboration d’un plan sectoriel. Au contraire, c’est plutôt la conformité avec ses exigences qui est relevée. La prochaine section présente la dynamique spécifique qu’il a été possible de dégager quant à la relation entre l’EPT et le PME.