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1. L’INFLUENCE DES CONTEXTES SUR L’ÉLABORATION DES POLITIQUES ÉDUCATIVES

1.4 L’influence de la Déclaration de Paris

Les principes énoncés dans la Déclaration de Paris apparaissent comme étant déterminants de l’élaboration des politiques éducatives. L’adoption de ces principes est une orientation explicite du PME (PME, 2019). L’analyse réalisée permet de mieux comprendre la manière dont ils

influencent l’élaboration des politiques éducatives. Comme le montre le tableau 10, seulement cinq cas ont établi une référence explicite à la Déclaration de Paris (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Sénégal), et elle est généralement associée à des aspects différents d’un cas à l’autre. Cependant, certains de ses principes sont identifiés dans toutes les stratégies sectorielles analysées, sans toutefois être associés explicitement à la Déclaration de Paris. C’est le cas notamment de l’appropriation, de la logique partenariale, de l’adoption de la GAR et de la conception du DSRP en tant que cadre unique de référence.

Tableau 10. Les références à la Déclaration de Paris Éléments associés explicitement à la

Déclaration de Paris Bénin Burkina Faso Burundi Cameroun Sénégal

L’institution d’un fonds commun x x

Le passage d’actions bilatérales à une

dynamique multilatérale x

Les cinq principes devant régir le cadre

partenarial entre l’État et les pays donateurs x

L’engagement de la communauté

internationale à soutenir les “plans crédibles” x

L’adoption de la GAR x

DSRP : cadre unique de référence x

L’alignement des partenaires sur les

procédures nationales x

L’alignement de l’aide au budget de l’État x

Nous décelons toutefois des variations dans la manière d’interpréter ces principes. Les discours autour de l’appropriation illustrent bien les divergences d’application de la notion qui peuvent se présenter entre les cas. Le tableau suivant présente quelques exemples de ces applications.

Tableau 11. L’opérationnalisation de la notion d’appropriation

Cas Qui Quoi Comment Pourquoi

Bénin Les agents responsables du suivi/évaluation de la mise en œuvre de la stratégie sectorielle Procédures de gestion standardisées

Formations Pilotage effectif par les résultats

Burkina

Faso Comité de gestion des établissements scolaires

Association des mères éducatrices Association des parents d’élèves La gestion des structures éducatives Renforcement des capacités opérationnelles Favoriser la mobilisation sociale dans le processus éducationnel

Burundi Les autorités La stratégie

sectorielle La mise en place d’un fonds commun

(non précisé) Cameroun Les acteurs de

l’Inspection générale des enseignements Les indicateurs de résultats définis dans la stratégie sectorielle

(non précisé) Soutenir l’extension de l’initiative “Gestion locale de la qualité des apprentissages” Développer une culture de suivi et d’évaluation Guinée Les partenaires

techniques et financiers

La stratégie

sectorielle Implication dans l’élaboration de la stratégie

sectorielle

Soutien financier et appui technique Madagascar Acteurs, bénéficiaires

et partenaires Le plan intérimaire de l’éducation

(non précisé) Assurer leur adhésion dans sa mise en œuvre

La Guinée est le seul cas où le rôle d’appropriation est attribué exclusivement aux partenaires techniques et financiers. Dans les autres cas, la tendance est à l’appropriation par des acteurs nationaux, parfois de manière ciblée à un groupe d’acteurs, et d’autres fois, s’appliquant à tous les acteurs impliqués dans l’éducation. Cela reflète l’ambiguïté qui entoure sa définition présentée au premier chapitre à savoir à qui revient le rôle de l’appropriation. De plus, lorsque l’objet de l’appropriation est précisé, il est généralement associé à des aspects de gestion par les résultats ou encore à la logique partenariale, tous deux des principes forts de la Déclaration de Paris. De cette manière, même si cette dernière prétend vouloir favoriser l’appropriation des

politiques et des stratégies de développement dans leur globalité, l’on perçoit plutôt que les objets de l’appropriation sont ciblés et concernent des orientations précises promues par des organisations internationales.

En ce qui concerne l’introduction de la GAR, au regard de la place accordée aux résultats dans les stratégies sectorielles, et de ses effets sur les financements obtenus, tout laisse croire que la GAR vise davantage l’efficacité de l’action publique pour l’aide au développement, et moins pour le système éducatif en tant que tel. D’une part, « la réalisation de performances du système, mesurées à l’aide d’indicateurs précis retenus dans le cadre des financements acquis à travers la coopération internationale pèse lourdement sur la balance par rapport aux autres arguments » (Sénégal, PME, p. 145). Les indicateurs en question sont imposés par les bailleurs de fonds, puisque leur principale préoccupation est la performance de leur investissement. D’autre part, les résultats obtenus sont déterminants des financements accordés. En effet, depuis 2014, le financement alloué par PME est scindé en deux parties, soit une part fixe et une part variable (Antoninis, 2015). La part variable, qui représente 30 % du financement accordé, est celle qui est conditionnelle aux résultats obtenus, « portant sur des indicateurs particulièrement choisis pour témoigner de transformations profondes du système éducatif » (RDC, PME, p. 128).

L’introduction de la GAR semble toutefois se buter à des difficultés. D’abord, elle peut présenter une rupture marquée avec le mode de gestion antérieur, ce qui nécessite alors la mise en œuvre de changements institutionnels et structurels importants. Par contre, ces changements servent davantage des préoccupations liées à l’efficacité de l’aide au développement qu’à améliorer l’éducation. En d’autres termes, la production de données pour se conformer aux exigences des bailleurs se voit accorder une place plus importante que l’atteinte des objectifs de l’EPT. Par ailleurs, puisque ces indicateurs sont fortement déterminés par les bailleurs, ils sont susceptibles de ne pas refléter les besoins réels des pays. Ensuite, étant une exigence externe, les pays deviennent responsables d’opérationnaliser ce nouveau mode de gestion. L’une des tendances qui se dessinent en relation avec la production des données est la mise en place d’un système d’information et de (pour la) gestion de l’éducation (SIGE). Il est particulièrement discuté dans six cas (Bénin, Burundi, Cameroun, Congo, Madagascar, RDC) et souligné, mais non discuté, dans

deux cas (Côte d’Ivoire, Niger). Les motifs pour introduire ou renforcer le système de production des données via le SIGE s’articulent essentiellement autour de ceux-ci : « les retards récurrents dans la production, la fiabilité et l’exhaustivité de données » (Bénin, PME, p. 79). Par contre, en raison des capacités limitées, la mise en place du SIGE nécessite constamment l’apport d’intervenants externes. Dès lors, les changements à introduire ne tiennent pas compte des capacités nationales, mais renforcent plutôt la nécessité envers l’aide au développement, pour laquelle les acteurs nationaux doivent régulièrement préparer des requêtes.

L’application des principes de la Déclaration de Paris tend ainsi à diluer le pouvoir des acteurs nationaux dans l’élaboration et la conduite des politiques éducatives, notamment en ne tenant pas compte des capacités nationales. Rappelons que la Déclaration de Paris est une initiative de l’OCDE visant à encadrer l’aide bilatérale. Cependant, il apparaît qu’elle contribue visiblement à renforcer une dynamique multilatérale, principalement à la faveur de la Banque mondiale. En effet, si l’État doit « [s]’investir du premier rôle dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs stratégies nationales de développement » (OCDE, 2005, p. 4), il est toutefois spécifié que « [par] “stratégies nationales de développement”, on entend les stratégies de lutte contre la pauvreté et autres stratégies globales au même titre que les stratégies sectorielles ou thématiques » (OCDE, 2005, p. 4). La Déclaration de Paris accorde donc une position centrale aux DSRP, et dans la majorité des cas, le DSRP est conçu en tant que cadre unique de référence pour l’élaboration des politiques publiques, dont celles élaborées dans le secteur éducatif.

L’institution d’un fonds commun représente un autre exemple de la reconfiguration des relations de pouvoir induite par la Déclaration de Paris. Cette modalité est attribuée à un principe de la Déclaration de Paris dans les cas du Bénin et du Burundi, et la prévision d’en créer un ou son existence est signalée dans d’autres cas, dont le Burkina Faso, la Guinée et le Niger. La Côte d’Ivoire et la RDC ne mentionnent pas directement la création ou l’existence d’un fonds commun, mais des procédures qui lui sont associées se retrouvent également dans leur stratégie sectorielle. Pour le Burundi, le fonds commun est considéré comme « une modalité proche de l’appui budgétaire sectoriel, à ceci près qu’elle permet plus de traçabilité de la dépense » (Burundi, PME, p. 43). Cette question de contrôle fiduciaire et de transparence est toutefois soumise aux exigences

de la Banque mondiale. Par exemple, lorsqu’il est question du fonds commun dans la stratégie sectorielle du Niger, nous pouvons lire que « les procédures de la Banque mondiale s’appliqueront pour les questions de contrôle fiduciaire (avis de non-objection, audits, rapportage financier) » (Niger, PME, p. 32). Dans le cas de la Guinée, l’exécution des financements via le fonds commun est « conforme aux exigences de la Banque Mondiale » (Guinée, PME, p. 89). De cette manière, si cette modalité est censée améliorer la gestion de l’aide reçue en concentrant l’apport de divers bailleurs vers une seule enveloppe, elle accorde un pouvoir et un contrôle plus important à l’institution. Nous comprenons que la question de la traçabilité des dépenses exigée par la Banque mondiale nécessite que le fonds commun soit géré séparément du budget national, restreignant par le fait même le contrôle de l’État dans l’exécution budgétaire. Cela semble toutefois contraire aux prescriptions de la Déclaration de Paris, puisque les apports d’aide devraient normalement s’ajouter au budget national selon le principe de l’alignement (OCDE, 2005, p. 11). À ce jour, ce ne sont pas tous les financements extérieurs qui sont gérés via le fonds commun lorsque celui-ci existe. En effet, dans le cas du Bénin, il est précisé que des financements externes sont apportés au fonds commun, mais il y a aussi d’autres appuis qui « sont comptabilisés à part pour des raisons d’harmonisation avec le modèle de simulation financière » (Bénin, PME, p. 74). Cette situation laisse croire à une incompatibilité entre les principes d’alignement et d’harmonisation de la Déclaration de Paris. Cependant, tel qu’on peut le voir dans le document du Burundi, ce fonds est susceptible d’occuper une place grandissante au fil des années : « En 2012, le FCE représente environ 34 % des appuis extérieurs. De 2013 à 2015, en y ajoutant le don espéré du PME, ce pourcentage passera à 57,42 % » (Burundi, PME, p. 42). De plus, il est considéré comme « l’instrument d’avenir pour la gestion des appuis sectoriels extérieurs » dans ce cas (Burundi, PME, p. 42). Dans les autres cas, il n’y a pas de précision sur la place occupée par le fonds commun, mais dans la mesure où les modalités qui encadrent l’aide au développement sont dictées par les mêmes instruments dans tous les cas, nous serions portée à croire à une tendance potentielle en la matière.

L’AFD est aussi souvent mise en relation avec le fonds commun. En plus d’y être une contributrice décisive, elle semble y jouer un rôle important, ainsi que le cas du Bénin en témoigne :

Le secteur bénéficie depuis avril 2008 d’un Fonds commun budgétaire alimenté principalement par l’AFD, les Pays-Bas, Danida [Danemark], et la Kfw [Allemagne], dont le chef de file est assuré par l’AFD (Bénin, PME, p. 70).

D’ailleurs, dans le cas de la Guinée, alors que la Banque mondiale avait retiré son financement lors du plan précédent, pour diverses raisons sur lesquelles nous reviendrons, l’AFD était apparemment le seul bailleur qui avait maintenu sa contribution au fonds commun à ce moment.

En bref, les principes promus par la Déclaration de Paris font partie intégrante des politiques éducatives. Ces principes placent la gestion de l’aide au développement au cœur de l’élaboration des politiques éducatives, ajoutant de ce fait la responsabilité des changements préconisés entre les mains des acteurs nationaux. Cela place l’attention sur des priorités qui s’éloignent des objectifs de l’EPT, mais soulève aussi l’enjeu des capacités nationales. Dans cette perspective, la mobilisation de l’aide au développement pour soutenir le renforcement des capacités est accrue, alimentant de cette façon une dépendance envers les acteurs externes. Par ailleurs, nous constatons que la Déclaration de Paris est une transposition des orientations de la Banque mondiale portée par le Cadre de développement intégré (1999b), et de fait, laisse une place importante aux orientations de cette institution, entre autres en plaçant le DSRP comme cadre unique de référence pour l’élaboration des politiques éducatives et en imposant ses normes pour encadrer l’exécution du fonds commun. Si la Banque mondiale et la France représentent des acteurs particulièrement engagés en ce qui a trait aux modalités entourant l’efficacité de l’aide, l’élaboration des politiques éducatives mobilise la participation de multiples acteurs.