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2. LE SECTEUR ÉDUCATIF SOUS LA GOUVERNANCE MONDIALE

2.1 Les fondements coloniaux des systèmes éducatifs de l’Afrique subsaharienne

La période coloniale a instauré des changements importants dans l’histoire de l’éducation africaine, notamment en l’institutionnalisant. Cela est crucial pour comprendre les systèmes éducatifs actuels dans des pays de l’Afrique subsaharienne dans la mesure où ceux-ci évoluent sur une base qui leur a été imposée. À l’époque précoloniale, l’éducation était informelle, c’est-à-dire qu’elle avait lieu hors d’un cadre institutionnel et se référait aux expériences quotidiennes qui permettaient aux individus d’acquérir des connaissances et une compréhension du monde par le biais d’interactions sociales (Pinar, Reynolds, Slattery et Taubman, 1995). La principale caractéristique du système éducatif alors effectif était la prise en charge éducative des enfants par toute la collectivité (Moumouni, 1967). L’éducation se réalisait par transmission orale de la culture à travers les rituels, la danse, les démonstrations, les initiations et les cérémonies. Les contenus concernaient l’histoire, les légendes, les poèmes, les proverbes locaux et les habiletés pratiques de

12 Cette mission constituait le leitmotiv de la colonisation, et elle a plus tard été encouragée et institutionnalisée au sein de la Société des Nations (1920), ce qui légitimait par le fait même la poursuite de la colonisation (Constantini, 2008 ; Rist, 1996).

l’agriculture, de la pêche, de la cuisine, de l’artisanat et de la danse (Omolewa, 2007 ; Pinar et al., 1995).

L’arrivée des colonisateurs a bouleversé cette structure éducative et a introduit l’école, donc l’institutionnalisation de l’éducation (Ndoye, 2003). Dans les colonies françaises, la formation d’élite était en fait la seule fonction de l’école et l’encyclopédisme était l’approche privilégiée (Dembélé et Ndoye, 2003). Dans cette perspective, l’école était conçue comme un outil de domination coloniale (Labrune-Badiane, de Suremain et Bianchini 2012 ; Pourtier, 2010). Les contenus de formation étaient ainsi conformes aux finalités relatives à l’administration coloniale, fidèles à la culture française, et l’éducation se déroulait en français (Ndoye, 2003). De fait, la valorisation des différentes cultures au sein des colonies n’a pas été une priorité, et la suprématie du modèle français a surplombé la diversité culturelle au nom de la “mission sacrée de civilisation”. Cette réalité était moins observable dans les colonies anglaises ou belges. La Grande- Bretagne a privilégié l’autonomie des populations quant à l’organisation de leur système éducatif (Brock-Utne, 2000). Cela a favorisé, dans ces pays, le développement « de modèles plus variés, plus décentralisés, plus ouverts aux besoins du contexte local et plus adaptés aux ressources des pays » (Ndoye, 2003, p. 19). Du côté de la Belgique, les colonisateurs ont préféré laisser l’éducation aux soins des missionnaires. En observant les expériences ailleurs sur le continent, les Belges auraient conclu que les Africains éduqués n’étaient qu’une source de problèmes, et ont adopté le principe “pas d’élites, pas d’ennuis” (Ewans, 2003).

Lors de la décolonisation qui s’est réalisée sur le continent africain au cours des années 1960, l’éducation s’est présentée pour les États comme un moyen pour lutter contre le sous- développement et retrouver une identité qui avait été profondément ébranlée par la colonisation (Bonini, 2003 ; Plante, 2003 ; UNESCO, 1961). En ce sens, les autorités nationales ont placé beaucoup d’espoir dans l’éducation formelle afin de contribuer à la croissance économique et au développement social et culturel de leur pays (Bonini, 2003 ; Brock-Utne, 2000 ; Henaff, 2003 ; Labrune-Badiane et al., 2012 ; Pinar et al., 1995 ; Pourtier, 2010 ; Williams, 2015). Ayant décrété que l’éducation était un droit fondamental en 1948, l’ONU, par le biais de l’UNESCO, s’est ralliée à la cause du renouvellement de l’éducation et a organisé une série de rencontres

intergouvernementales, dont la première représente sans doute la Conférence des chefs d’État d’Addis Abeba (UNESCO, 1961). Dès lors, les préoccupations soulevées renvoyaient aux contenus des systèmes éducatifs, jugés désuets en raison de l’européocentrisme des programmes (Brock-Utne, 2000 ; Ndoye, 2003), et de la massification de l’éducation (Pourtier, 2010 ; UNESCO, 1961). Les États se sont ainsi engagés à se réapproprier leur système éducatif, en adaptant les contenus de l’éducation à leurs contextes locaux et en rendant l’éducation accessible à tous. La réalisation des indépendances ne marque pas nécessairement un changement immédiat par rapport aux modèles coloniaux, mais c’est plutôt dans les années 1970 que s’opère un mouvement de réformes important dans plusieurs pays en faveur d’une “école africaine”, afin de développer une conscience nationale (Bonini, 2003 ; Labrune-Badiane et al., 2012 ; Omolewa, 2007). Par exemple, en Tanzanie, c’est l’arrivée d’un gouvernement socialiste en 1967 qui a défendu avec ferveur le rôle de l’éducation pour retrouver des repères en introduisant l’éducation pour l’autosuffisance (Bonini, 2003 ; Altinok, 2004). Des ambivalences se présentaient néanmoins face à cette volonté de réappropriation d’une identité nationale. En effet, certains souhaitaient poursuivre le modèle colonial, « redoutant que leurs écoles ne délivrent des diplômes qui ne soient pas compétitifs et non reconnus sur le plan international » (Labrune-Badiane et al., 2012, p. 13). Cette ambivalence se traduisait également dans le dilemme quant au choix de la langue d’enseignement. À ce sujet, l’introduction des langues nationales comme matière et comme médium d’enseignement s’est présentée pour consolider l’identité culturelle et nationale, mais a été soumise à de vives confrontations, « pour la raison principale que la langue héritée de la colonisation reste le sésame de l’accès à la réussite économique et au pouvoir » (Pourtier, 2010, p. 104). Nonobstant les avancés réalisées en ce sens par plusieurs pays, la crise économique du continent dans les années soixante-dix a limité les efforts déployés et l’éducation a connu son déclin, faute de moyens financiers suffisants (Ndoye, 2003 ; Plante, 2003 ; Tedesco, 1993). C’est dans cette période que l’intervention des organisations internationales est devenue plus importante dans le secteur éducatif. Ce faisant, les réformes initiées sont restées vaines, et les modèles coloniaux sont demeurés la référence éducative.