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1. L E DÉVELOPPEMENT COMME PROJET GLOBAL

1.5 L’efficacité de l’aide au développement et la Déclaration de Paris

L’efficacité de l’aide au développement est questionnée depuis ses toutes premières formes. C’est dans cette optique par exemple que la Commission Pearson a été commandée en 1969, afin d’« étudier en commun les effets de vingt années d’aide pour le développement, en évaluer les résultats, déceler les erreurs et proposer des politiques plus efficaces pour l’avenir » (UNESCO, 1970, p. 4). Le rapport qui en a résulté dénonçait le comportement de certains pays donateurs quant aux intérêts essentiellement politiques et économiques de leurs interventions, de même que certaines procédures mises de l’avant par la Banque mondiale et le FMI concernant l’endettement des pays bénéficiaires. Depuis, les critiques adressées à l’aide au développement n’ont cessé de fuser de toutes parts. Pour adresser cette problématique, la Déclaration de Paris, en 2005, et en complément, le Programme d’action d’Accra, en 2008, ont été adoptés afin d’accroître l’efficacité de l’aide au développement. Les principes qu’ils présentent se regroupent en cinq grands axes : l’appropriation des stratégies de développement définies par l’État ; l’alignement des donateurs sur les stratégies de l’État ; l’harmonisation entre les donateurs, qui se concertent et collaborent ; une gestion axée sur les résultats (GAR) (les pays en développement se concentrent sur les résultats et leur évaluation et les donateurs sur l’allocation des ressources en fonction des résultats obtenus) ; la reddition des comptes mutuelle (la responsabilité des résultats incombe à chaque partie impliquée).

Il apparaît que les principes de la nouvelle gestion publique (new public management) ont fortement influencé le contenu de la Déclaration de Paris, et particulièrement par l’introduction de la GAR et de la reddition des comptes mutuelle. Drechsler (2009) définit la nouvelle gestion publique comme le transfert des principes du marché et des entreprises et des techniques de gestion du secteur privé vers le secteur public, en symbiose avec une conception néolibérale de l’État et de l’économie. L’objectif est donc un État réduit et minimal où toute activité publique est diminuée et, le cas échéant, exercée selon les principes de l’entreprise en matière d’efficience (p. 8). L’avènement des principes du management dans le secteur public a des conséquences importantes sur l’élaboration des politiques publiques : « la disqualification du débat politique fonde la montée en puissance de la magistrature de l’expertise et de la souveraineté du chiffre via le benchmarking des performances d’institutions (établissements, États) mises en compétition » (Vinokur, 2007, p. 10). Cela entraîne plusieurs modifications quant au rôle de l’État, dont l’obligation de résultats et l’apparition de nouveaux modes de régulation, et l’État devient essentiellement l’État- gestionnaire (Saussez et Lessard, 2009). La GAR est apparue en réaction à la gestion par objectifs dans la mesure où fixer des objectifs ne suffisait pas ; l’engagement des différents acteurs à réaliser ces objectifs s’imposait (Emery, 2005 ; Mazouz, 2012). Elle se présentait également pour dépasser la gestion bureaucratique de l’administration publique qui, étant à l’abri des pressions concurrentielles du marché, se souciait peu de la qualité des services et de leur efficience (Bruckner, 2011 ; Emery, 2005). La GAR « implique la mesure des résultats, l’intégration de l’information sur la performance au processus décisionnel (politique et de gestion) et l’utilisation de l’information sur les résultats pour l’amélioration continue » (Martin et Jobin, 2004, p. 305).

En ce qui concerne la “reddition des comptes mutuelle” (accountability)11, instrument de

la GAR, elle fait référence à la responsabilité des acteurs à prouver qu’ils ont accompli leurs responsabilités (Weinar, 2006). Mise en relation avec la nouvelle gestion publique, la reddition des comptes mutuelle peut être entendue comme le contrôle par le pouvoir en orientant les politiques publiques vers l’obligation de résultats. Bruckner (2011) montre comment ce concept

11 Cette notion a du mal à trouver un équivalent dans la langue française ; elle est parfois traduite comme l’imputabilité, la reddition des comptes, la redevabilité ou la responsabilisation mutuelle.

est étroitement lié aux relations de pouvoir, et spécialement en contexte d’aide au développement. Durut-Bella et Meuret (2001) soulignent qu’« un système complet d’accountability comprend quatre composantes : fixer des objectifs (standards), évaluer leur atteinte (assessment), publier les résultats (public reporting), et éventuellement, leur associer des conséquences (incentives) » (p. 184). Dans un contexte de dépendance aux ressources, les objectifs peuvent alors s’aligner vers le bailleur qui possède le plus de financement à accorder à l’État.

La question de l’appropriation est l’un des principes de la Déclaration de Paris, mais aussi du Cadre de développement intégré (Banque mondiale, 1999b). Pourtant, sa définition et son opérationnalisation sont ambiguës (Lavigne Delville, 2013 ; Raffinot, 2010). À certaines occasions, sa définition mise sur l’implication de l’État dans la détermination de ses stratégies et de ses priorités de développement (OCDE, 2005), et sur une « appropriation par les partenaires » (Institut international de planification de l’éducation [IIPE] et Partenariat mondial pour l’éducation [PME], 2015a, p. 9). Cela laisse croire en une attention accrue au principe de souveraineté. Lorsqu’il est question de définir plus spécifiquement l’appropriation dans la Déclaration de Paris, il est possible de constater un discours nuancé, où il est surtout question d’une maîtrise : « [l]es pays partenaires exercent une réelle maîtrise sur leurs politiques et stratégies de développement et assurent la coordination de l’action à l’appui du développement » (OCDE, 2005, p. 4). Dans la mesure où les organisations économiques se représentent comme des “banques de savoirs” et que les DSRP doivent être approuvés, l’appropriation par le pays se définit davantage par l’engagement de ce dernier à mettre en œuvre des politiques identifiées comme adéquates par les bailleurs qui se veulent experts relativement aux connaissances sur le développement (Cammack, 2004). En d’autres termes, cela peut être perçu comme « un processus d’apprentissage de ce qui doit être privilégié (par des raisons morales universelles) remplaçant un contrôle plus classique des politiques nationales » (Cussó, 2007, p. 75). Puisque la Banque mondiale soutient que les “conseils” qu’elle prodigue quant aux orientations à entreprendre sont plus importants encore que leurs fonds (Banque mondiale, 1998 ; Samoff, 2007 ; Pender, 2001), l’adhésion aux “bonnes pratiques” en matière de politiques publiques devient le nouveau visage de la conditionnalité (Pender, 2001). En ce sens, la pression exercée par les bailleurs leur permet à la fois d’être très interventionnistes, mais en apparence moins coercitive (Atrouche, 2012 ; Harrison, 2004). Le

caractère répressif de la conditionnalité est toutefois renforcé puisque l’État doit internaliser, s’approprier les conditionnalités des bailleurs (Harrison, 2004). Dès lors, la distinction entre les conditions des bailleurs et les priorités définies par les États devient à peine perceptible, « tellement les unes apparaissent étroitement imbriquées aux autres » (Atrouche, 2012, p. 10). Par ailleurs, la mise en œuvre de l’appropriation entraîne le risque de déresponsabiliser complètement le FMI et la Banque mondiale (Michaud, 2007), et « de faire porter la responsabilité des échecs éventuels aux gouvernements, en disculpant à l’avance les [institutions de Bretton Woods] qui

n’auraient fait que financer des politiques choisies par les gouvernements eux-mêmes » (Raffinot, 2010, p. 90).

Afin d’améliorer l’efficacité de l’aide au développement et d’opérationnaliser les principes de la Déclaration de Paris, différentes modalités se présentent, dont l’approche programme (Steer et Wathne, 2010). Sur le plan bilatéral, l’approche projet, qui renvoie au financement de projets précis, représente une modalité assez commune depuis l’avènement de l’aide au développement. Dans ce cadre, le donateur assure un suivi à chaque étape de réalisation (études préalables, appels d’offres, attribution des marchés, contrôle des travaux, évaluation, etc.) et fournit généralement une assistance technique (Demeuse et Strauven, 2006 ; OCDE, 2006). Dans l’esprit de la Déclaration de Paris, l’approche programme serait donc désormais valorisée et promue par les organisations internationales pour les interventions d’aide au développement, et l’approche projet, peu à peu délaissée. Principalement, les critiques adressées à l’approche projet résident dans son morcellement de l’action publique, sa précarité liée à la durée de l’aide et son imposition qui dévie des priorités nationales pour le développement (Billé, 2009 ; Étienne, 2007 ; Williams, Jones, Imber et Cox, 2003). Pour ces raisons, mais aussi pour limiter la prolifération de différents projets qui rendait “l’appropriation” difficile (Étienne, 2007 ; Moulton, 2005 ; Riddell et Niño-Zaraúta, 2016), l’approche programme tend à occuper une place de plus en plus importante. Celle-ci se rapporte aux structures macroéconomiques ou sectorielles et va généralement directement aux gouvernements bénéficiaires (Charnoz et Severino, 2007), ce qui favorise l’aide par soutien budgétaire de la part des différents bailleurs. En contraste avec l’approche projet, elle se veut ainsi une approche participative, conçue en termes de dialogue et de négociation qui s’appuie sur un programme-cadre national élaboré par l’État (Kaboré, 2003). De cette manière, les donateurs

fournissent un appui à un ou plusieurs éléments du programme-cadre national, qui lui, correspond à « un ensemble cohérent de politiques, de stratégies, d’activités et d’investissements interdépendants visant à réaliser un objectif ou un ensemble d’objectifs nationaux définis, dans le cadre d’un calendrier précis » (UNESCO, 1997, n.p.). Ainsi que le mentionne Kaboré (2003), « il n’y a pas une approche programme, mais des approches sectorielles, allant d’un simple mécanisme de coordination jusqu’au SWAP (sector-wide approach) » (p. 3). À cet égard, les programmes sectoriels, favorisés actuellement dans les modalités de l’aide au développement, reflètent une combinaison d’une approche projet et d’une approche programme (Charnoz et Severino, 2007), alors que les SWAPs représentent une approche intégrée, une approche qui se veut holistique (OCDE, 2006).

D’autres sources montrent également que l’intérêt envers l’approche programme s’est essentiellement présenté dans l’apposition de la réforme économique portée par le FMI et la Banque mondiale des années 1980, qui souhaitait « garantir la solvabilité du système financier international » et mettre en place les plans d’ajustement structurel (OCDE, 2009, p. 31). Suivant cela, l’intérêt implicite de l’approche programme ne se trouverait pas particulièrement sur le plan de l’amélioration de l’aide, mais davantage lié à des considérations de l’économie mondiale. Dans tous les cas, le passage à l’approche programme soulève de nouveaux enjeux. En effet, l’un des obstacles rencontrés avec l’approche programme réside justement dans le fait que l’action publique est par essence morcelée, notamment par la répartition des tâches dans les différents ministères. Foster (2000) montre à cet égard que les SWAPs qui concernent des thèmes transversaux, comme le développement durable, peuvent impliquer différents ministères, ce qui complique amplement la gestion. Avec l’adoption des ODD, l’approche programme ne suffit plus et les organisations internationales envisagent désormais une approche multisectorielle : « le vaste programme des ODD exige des approches multisectorielles », dit l’UNESCO (2016, p. 132), tout en constatant que là où elles avaient été appliquées, « les capacités des pays étaient souvent insuffisantes pour faire face à une telle complexité » (UNESCO, 2016a, p. 145).

À la lumière du virage qui s’effectue vers l’approche programme, les programmes sectoriels sont favorisés, notamment en raison de l’organisation de l’action publique par secteurs.

Parmi les secteurs ciblés par l’aide au développement se trouve le secteur de l’éducation qui est au cœur des différentes vagues des politiques d’aide au développement. La présence d’acteurs externes pour élaborer les politiques éducatives nationales que cela entraîne est risquée, puisque chaque système éducatif devrait s’inscrire dans son contexte national, en vue de répondre à des besoins spécifiques et poursuivre des finalités qui lui sont propres (Baker et LeTendre, 2005). Au regard des principes néolibéraux largement diffusés par le biais de l’aide au développement, les finalités éducatives nationales risquent d’être conçues pour répondre aux enjeux de l’économie mondiale, et moins pour relever les défis nationaux. De plus, avec l’émergence de l’économie du savoir, la pauvreté est fortement associée à l’asymétrie de l’information, c’est-à-dire que le manque d’information serait l’une des causes centrales de la pauvreté (Carroll, 2007). Dans cette perspective, la formation d’individus compétents et compétitifs sur la scène internationale devient le moyen préconisé pour éliminer la pauvreté, mais surtout pour assurer le bon fonctionnement du marché. Dès lors, les politiques éducatives sont élaborées en relation étroite avec le développement (Cammack, 2004). Laval et Weber (2002) notent que la conception néolibérale appliquée à l’école « a pour effet d’imposer une vision très réductrice de la culture transmise par l’institution scolaire, dans la mesure où elle est regardée exclusivement ou principalement comme une source de gains de productivité » (p. 64). Par ailleurs, pour Ela (1971), « repenser les finalités de l’enseignement en fonction des impératifs du développement économique, ce serait donner la priorité à une culture du développement plutôt qu’à un développement de la culture africaine » (p. 83). Cela transforme nécessairement les aspirations socio-économiques des individus scolarisés et affaiblit ainsi l’identité culturelle (Charlier, 2004 ; Sylla, 2004). En conséquence, l’insertion sociale peut être difficile et se répercuter sur les contextes sociaux, économiques et environnementaux et ainsi, déstructurer l’organisation sociale (Aglo, 2001). En plus de déstructurer l’organisation sociale, cela peut engendrer par exemple un désintérêt envers les activités traditionnelles de subsistance et une difficulté à se trouver un emploi, ce qui, en conséquence, peut occasionner un taux de chômage important ou pour les plus instruits d’entre eux, nourrir le phénomène de la fuite des cerveaux qui assaillent le continent africain (Brah Moumouni, 2014). D’autant plus que certains émettent un doute sur les liens effectués par des économistes entre la croissance économique et l’éducation (Altinok, 2004 ; Cogneau, 2002 ; Hugon, 2005 ; Samoff, 2007). Au regard de l’importance

accordée au secteur éducatif dans les politiques d’aide au développement et des enjeux que cela soulève, la prochaine section se concentre sur la dynamique propre aux interventions de l’aide au développement dans ce secteur, et sur les conséquences de ces interventions sur les politiques éducatives nationales.