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2. LE SECTEUR ÉDUCATIF SOUS LA GOUVERNANCE MONDIALE

2.2 L’intervention des organisations internationales dans le secteur éducatif

Depuis sa création, l’ONU a intégré la question éducative au travers de ses instruments, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) qui reconnaît l’éducation comme un droit fondamental. Un nombre important d’outils a trait à l’éducation (UNESCO, 2017a) et, dans la plupart, l’éducation y est traitée comme un instrument à la disposition d’autres objectifs, comme c’est le cas avec les instruments internationaux mis en place dans le cadre du développement durable, dont l’Agenda 21 et les différentes conventions lancées depuis Rio (1992) (Annexe A). De cette manière, certaines lois internationales ont été adoptées, entraînant ainsi des obligations légales pour les États où les systèmes éducatifs sont généralement concernés (Capron, 2010 ; Holzinger et Knill ; 2005 ; Hopkins et McKeown, 2002 ; Sauvé, 2006). Globalement, pour l’ONU, les interventions dans le secteur de l’éducation sont intimement liées à sa vocation première, et visent à garantir les droits humains, à favoriser la paix dans le monde, à développer des comportements respectueux de l’environnement, etc. (Chabbott, 2003).

La Banque mondiale représente un acteur important dans le secteur éducatif (Akkari et Payet, 2010 ; Heyneman, 2003 ; Lauwerier, 2013 ; Mundy et Verger, 2015). L’éducation est devenue un secteur d’intervention plus important pour l’organisation sous le règne de McNamara à la présidence en raison de la forte demande des pays en développement pour financer ce secteur (Mundy et Verger, 2015). C’est au début des années 1980, avec l’explosion du néolibéralisme, qu’une nouvelle génération d’économistes a propulsé le concept de “capital humain” au sein de la Banque, qui englobe « les connaissances, les qualifications, les compétences et les autres qualités d’un individu qui favorisent le bien-être personnel, social et économique » (Keeley, 2007, p. 30). Les liens entre le développement et l’éducation se sont dès lors resserrés, et l’investissement d’un pays dans l’éducation et la formation est devenu un facteur essentiel à la croissance économique, de même qu’un atout concurrentiel important dans l’économie mondiale. Les travaux de George Psacharopoulos, économiste de la Banque mondiale, qui suggéraient que l’investissement dans l’enseignement primaire générait un rendement net plus élevé que les autres niveaux d’enseignement, ont mené la Banque mondiale à concentrer les actions sur l’éducation de base (Mundy et Verger, 2015). La mise en place des programmes d’ajustement structurel de la part des

organisations économiques a fortement affecté le secteur éducatif13 (Bonal, 2002 ; Chouaïbou

Mfenjou, 2002 ; Pourtier, 2010 ; Welmond, 2002). Les impacts ont été différents d’un pays à l’autre, mais de manière générale, les États ont été contraints de réduire les dépenses allouées à ce secteur, d’augmenter les frais de scolarisation et de développer la privatisation en raison d’un endettement excessif (Altinok, 2004). Cela a contribué à accroître les interventions de la Banque mondiale dans le secteur, par le biais des plans décennaux de l’éducation (Lange, 2007) et/ou par celui des DSRP (Caillods et Hallak, 2006 ; Cussó, 2007 ; Henaff, 2006 ; Lange, 2007).

En 1990, pour faire face aux faibles taux de scolarisation de pays en développement et faire valoir le droit à l’éducation, la Banque mondiale, le PNUD, l’UNESCO, l’UNICEF et le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) ont organisé la Conférence de Jomtien. Cet événement a donné lieu à la Déclaration mondiale sur l’éducation (UNESCO, 1990) et a engendré le programme de l’Éducation pour tous (EPT), accordant officiellement à l’éducation de base le statut de secteur d’intervention prioritaire pour le développement (Heyneman et Lee, 2016 ; UNESCO, 2000). Dix ans plus tard, l’EPT s’est insérée comme un objectif à part entière dans les OMD, et le Forum mondial de Dakar tenu en 2000 a donné lieu à un nouveau cadre d’action identifiant six objectifs à atteindre jusqu’en 2015. À l’instar des OMD, les résultats du bilan de l’EPT 2000-2015 ont été décevants, et l’accès à l’éducation demeurerait un enjeu : « [p]artout dans le monde, il reste encore 58 millions d’enfants non scolarisés et près de 100 millions d’enfants qui n’achèvent pas le cycle primaire » (UNESCO, 2015a, p. i). La région de l’Afrique subsaharienne est la région qui a enregistré le moins de progrès, et où les inégalités ont plutôt progressé en raison de la pauvreté. En plus de la pauvreté, les conflits et le sous-financement du secteur sont identifiés comme des obstacles à la scolarisation des enfants. En 2015, « [l]’UNESCO, conjointement avec l’UNICEF, la Banque mondiale, le FNUAP, le PNUD, ONU-Femmes et [l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR)], a organisé le Forum mondial sur l’éducation 2015 à Incheon » (UNESCO, 2016b)14. Cette rencontre a été l’occasion de définir « une nouvelle vision pour

13 Les plans d’ajustement structurel en éducation ont été plus communs dans des pays d’Afrique subsaharienne, alors qu’ils ont été plus rares et ont eu moins d’impacts en Afrique du nord, au Moyen-Orient et en Asie.

14 Nous observons que l’Organisation internationale du travail (OIT) est aussi présentée comme un signataire de cet événement international (UNESCO, 2016b).

l’éducation » (UNESCO, 2016b, p. 7). Cette vision positionne l’éducation comme le vecteur principal du développement et comme un moyen d’atteindre les 17 ODD (UNESCO, 2014 ; UNESCO, 2016b), et ce, afin de « de transformer la vie grâce à l’éducation » (UNESCO, 2016b, p. 7). La stratégie Éducation 2030 incarne cette vision, et le Cadre d’action Éducation 2030 est conçu comme l’« agenda pour l’éducation unique et renouvelé » pour la période allant de 2015 à 2030 » (UNESCO, 2016b, p. 7).

Avec la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous (UNESCO, 1990), un agenda mondial a ainsi pris forme pour l’éducation, conçu en lien avec le développement, et ce lien s’est resserré depuis 2015. Initialement, les objectifs établis internationalement pour l’éducation étaient davantage concentrés sur les questions d’accès et d’équité, comme en témoigne le deuxième objectif des OMD : “Assurer l’éducation primaire pour tous”. Même si l’accès demeure un enjeu, la qualité de l’éducation est devenue une préoccupation grandissante, au point où dans le cadre des ODD, l’objectif générique lié à l’éducation se lit comme suit : “Éducation de qualité”. Bien qu’une ouverture sur les autres ordres d’enseignement se manifeste dans les orientations post-2015 pour l’éducation, nous choisissons de concentrer notre recherche sur le secteur de l’éducation primaire15. Dans la mesure où l’enjeu de l’accès à l’éducation primaire persiste, que ce secteur a

été le principal centre d’intérêt des interventions d’aide au développement depuis des décennies, et qu’il continue d’occuper une place importante dans le nouvel agenda, ce secteur comporte certaines spécificités comparativement aux autres ordres d’enseignement, et cela permet de circonscrire la recherche à ce contexte particulier.

15 En raison des nombreuses terminologies pouvant désigner l’organisation de l’éducation et des variations qui peuvent se présenter selon les pays, une clarification s’impose pour distinguer l’éducation de base, primaire et fondamentale. Les diverses publications de l’UNESCO présentent l’éducation de base comme étant le minimum de connaissances théoriques et techniques nécessaires pour accéder à un niveau de vie suffisant. Ce faisant, elle ne se réfère pas à un niveau particulier et elle peut donc s’inscrire en contexte formel, non formel ou informel. Quant à l’éducation primaire, elle fait référence à l’éducation formelle, et donc, institutionnalisée et encadrée par l’État, qui vise les jeunes de 6 à 11 ans, donc d’une durée de 6 années. L’éducation fondamentale englobe pour sa part le niveau primaire, mais s’étend généralement jusqu’au premier cycle du secondaire. Elle a donc une durée moyenne de 9 ans, et peut varier selon les pays.

Même si l’agenda mondial pour l’éducation a été établi en négociation avec les États et les différentes institutions impliquées, l’UNESCO s’est vu attribuer un rôle de coordonnateur en lien avec l’application du Cadre d’action de Dakar jusqu’en 2015, et maintenant avec celui du Cadre d’action de l’Éducation 2030. Ces documents établissent des orientations aux stratégies de développement en lien avec l’éducation, de même qu’au financement du secteur pour les acteurs impliqués, tant au niveau des États que pour les partenaires techniques et financiers (PTF). À cet effet, soulignons que malgré cet encadrement normatif et juridique, il y a néanmoins une souplesse et une autonomie relativement importante pour les différents PTF impliqués dans les interventions d’aide au développement (Capron, 2010).

Avec le mouvement de l’EPT, la part du financement de l’éducation a augmenté dans l’aide au développement avec l’article 10 du Cadre d’action de Dakar, qui stipulait qu’« aucun pays qui a pris un engagement sérieux en faveur de l’éducation de base ne verra ses efforts contrariés par le manque de ressources » (UNESCO, 2000, p. 9). En 2015, 6,30 % de l’aide au développement mondiale était destinée au secteur de l’éducation, soit 17,91 % des engagements dans le secteur des infrastructures et des services sociaux (Annexe B, tableaux 25 et 26). Dans la région de l’Afrique subsaharienne, 33,14 % de l’aide au développement promise au secteur de l’éducation étaient destinées à l’éducation de base, plus 25,46 % de l’aide non spécifiée, qui comprend la politique de l’éducation et la gestion, les équipements scolaires et de formation, la formation des enseignants et la recherche en éducation, et qui a pu être affectée à l’éducation de base (Annexe B, tableau 27). En 2015, les engagements multilatéraux représentaient un peu plus du tiers de l’aide au développement dédiée au secteur éducatif dans les pays de l’Afrique subsaharienne, dont 23,21 % de la part de la Banque mondiale et 1,77 % de la part de l’ONU et ses agences. Quant aux engagements bilatéraux, ils correspondaient à 61,64 %, dont 61,06 % provenaient des pays membres du CAD (Annexe B, tableau 28).