• Aucun résultat trouvé

Afin de suivre « pas à pas » les pratiques des acteurs qui participent à « donner corps » au mouvement Samoobrona, et de rompre définitivement avec l’illusion de la linéarité de sa trajectoire dans les jeux politiques polonais, nous avons fait le choix d’organiser notre récit selon un plan chronologique. Nous avons distingué trois « séquences » dans l’histoire du mouvement Samoobrona autour desquelles sont construites les différentes parties de notre thèse1. Rythmées par les performances électorales du mouvement et par les transformations successives de sa position dans le champ politique, ces différentes séquences se caractérisent par des modalités relativement distinctes d’organisation de son système d’action, de construction de son offre de représentation et de recrutement de son personnel dirigeant. La première court de l’été 1991 aux élections parlementaires de 1997. La deuxième couvre une période correspondant à la IIIe législature de la Diète, d’octobre 1997 aux élections parlementaires de 2001. La troisième et dernière s’ouvre quant à elle avec l’inauguration de la IVe législature en octobre 2001 et se clôt après l’élection présidentielle de juin 2010.

Dans la première partie de ce travail, nous nous intéresserons aux processus par lesquels des acteurs extérieurs aux élites de l’ancien régime et de l’ancienne opposition s’entendent pour collaborer à la construction de nouvelles organisations syndicale et partisane et s’attachent à légitimer leur prétention à participer à la représentation des intérêts sociaux dans les premières années de la IIIe République « démocratique ». Dans cette optique, nous prêterons une attention particulière à la fois aux activités effectives de ces acteurs, aux modalités par lesquels ils mettent en forme de nouvelles organisations et cherchent à faire reconnaître leur représentativité, et aux transformations successives de la configuration politique sur la période étudiée. Nous verrons, que comprendre la genèse d’un nouveau syndicat agricole au début de l’année 1992, le ZZR Samoobrona, puis l’attestation de sa représentativité par les pouvoirs publics au printemps de la même année implique de prêter une attention particulière à la fois aux propriétés de ses initiateurs et à l’évolution des rapports de

1 Nous empruntons l’expression de « séquence partisane » à Guy Birenbaum et Bastien François : Birenbaum Guy & François Bastien, « Unité et diversité des dirigeants frontistes », in Mayer Nonna & Perrineau Pascal (dir.), Le Front National à découvert, Paris, presses de la FNSP, 1996, p.83.

force au sein du champ de représentation de la paysannerie et du champ politique central au cours des années 1991 et 1992 (chapitre 1). Nous montrerons ensuite que la réorientation progressive dans un sens politique des activités des responsables du ZZR Samoobrona, qui prend notamment la forme d’une tentative de redéfinition de la signification du mouvement de contestation de la politique du gouvernement Suchocka qui se développe au cours des années 1992 et 1993, apparaît particulièrement contraint à la fois par leur déficit en ressources traditionnellement valorisées dans la compétition politique et par l’élévation tendancielle du coût de la participation à la lutte pour les postes de pouvoir politique. Au final, nous verrons que ces contraintes s’avèrent trop importantes et empêchent les responsables du mouvement Samoobrona d’accéder au champ de la politique institutionnelle et d’entretenir la relative représentativité qu’ils étaient parvenus à se faire reconnaître dans la dynamique du mouvement de contestation (chapitre 2).

Dans une seconde partie, nous nous pencherons sur les mécanismes qui participent à la réémergence du mouvement Samoobrona au cœur des jeux politiques lors de la IIIe législature, alors qu’il semblait durablement marginalisé depuis le cuisant échec de ses représentants aux élections législatives de 1997. La montée en puissance du mouvement au cours de cette période, d’abord dans l’arène des mobilisations protestataires puis dans l’arène électorale, gagne à être appréhendée à l’aune des luttes qui participent à la définition des états successifs de la configuration politique. Nous verrons en effet que la capacité inattendue dont font preuve les représentants du ZZR Samoobrona, et notamment son président Andrzej Lepper, à se faire reconnaître comme les principaux animateurs du mouvement de contestation paysan qui se développe à partir de l’été 1998 et à donner à voir leur syndicat comme un acteur incontournable du champ de représentation de la paysannerie, tient autant à leurs activités effectives qu’à la manière dont celles-ci sont retraduites dans les cadres des luttes de définition et d’interprétation de la situation (chapitre 3). Nous montrerons ensuite que les modalités par lesquelles les dirigeants du ZZR Samoobrona s’attachent à requalifier dans un sens politique leurs activités et à réinvestir dans la compétition politique les ressources accumulées dans l’arène des mobilisations protestataires apparaissent particulièrement hésitantes et se distinguent sensiblement de celles mises en œuvre au début de la décennie. Nous verrons également que la fluidification tendancielle de l’espace partisan à la fin de la IIIe législature joue un

rôle déterminant sur le relatif succès rencontré par l’offre de représentation originale mise en forme par les représentants du mouvement Samoobrona lors des élections législatives de 2001 (chapitre 4).

Dans une troisième et dernière partie, nous nous intéresserons aux implications de l’entrée au sein du champ de la politique institutionnelle de représentants du mouvement Samoobrona sur son système d’action. Nous montrerons que la conformation progressive des activités des organisations constitutives du mouvement aux principales règles du jeu de la politique institutionnelle observable au cours de la IVe législature, loin d’être une évidence, apparaît comme le résultat d’un processus erratique et hésitant par lequel ses responsables s’attachent à investir le rôle de parlementaire qui leur incombe désormais tout en entretenant un représentativité fondée, en partie du moins, sur une dénonciation des pratiques politiques dominantes. Si ces derniers engagent finalement les organisations auxquelles ils participent à donner forme dans une entreprise de conformation à « marche forcée » aux règles dominantes du champ de la politique institutionnelle, c’est parce que celle-ci leur apparaît dans une configuration politique donnée comme le meilleur moyen d’entretenir leur crédit politique et de légitimer leurs prétentions à l’occupation de positions de pouvoir élevées au sein de l’Etat polonais (chapitre 5). Nous montrerons ensuite, que cette conformation a des effets ambivalents. D’un côté, elle permet aux responsables du mouvement Samoobrona de profiter du contexte de « crise » parlementaire consécutif aux élections de 2007 pour accéder au pouvoir gouvernemental dans le cadre d’une coalition avec le parti PiS et la LPR. De l’autre, elle ne s’accompagne pas d’une suspension des procès en illégitimité dont ils sont l’objet depuis leur entrée en politique, ceux-ci tendant à l’inverse à s’accentuer avec leur participation au gouvernement, et ont pour conséquence un épuisement progressif des ressources collectives dont disposent le ZZR Samoobrona et le Samoobrona RP. Celui-ci s’avère particulièrement préjudiciable lors des élections législatives anticipées de 2007 qui aboutissent à l’éviction durable des représentants du mouvement Samoobrona du champ de la politique institutionnelle (chapitre 6).

Partie 1

La genèse d’un groupement multipositionné