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La structuration du ZZR Samoobrona: la formalisation syndicale d’un collectif d’agriculteurs surendettés

Section 3 : Une représentativité à conquérir

B) Faire attester sa représentativité par la force

Les premiers mois de la législature élue lors des élections du 27 octobre sont marqués par l’incapacité du gouvernement Olszewski à s’assurer une majorité stable à la Diète, la résurgence de mobilisations protestataires d’ouvriers et d’employés du secteur public, et la récurrence des conflits institutionnels opposant le Parlement, le Gouvernement et la Présidence. Cette situation se traduit par une fluidification tendancielle de la conjoncture politique4, exacerbée à partir du printemps, qui affecte

1 La requête sera finalement rejetée par le Tribunal Constitutionnel en décembre 1992 : Cf. « Orzeczenie w imieniu Rzeczypospolitej Polskiej z dnia 15 grudnia 1992 r » consulté le 2 avril 2009 sur http://prawo.money.pl/orzecznictwo/trybunal-konstytucyjny/orzeczenie;z;dnia;1992-12-15,k,6,92,136,orzeczenie.html.

2 « Minister w helikopterze », Gazeta Wyborcza, 30/01/1992, p.2.

3 « Samoobrona nie Znaczy w Pojedynkę », Zielony Sztandar, 05/04/1992.

4 Michel Dobry dégage trois propriétés principales caractéristiques des situations de conjoncture fluide : la désectorisation conjoncturelle de l’espace sociale, l’incertitude structurelle et la désobjectivation des rapports sectoriels. Cf. Dobry Michel, op.cit., p.125-169. Dans le cas qui nous

les interactions entre les différents secteurs de l’espace politique (1). C’est dans ce contexte, certainement perçu comme constituant une « fenêtre d’opportunité »1 pour l’action par les dirigeants du syndicat que le ZZR Samoobrona organise sa première action protestataire d’envergure nationale. Près de cent cinquante militants du syndicat, réunis à Varsovie quelques jours plus tôt à l’occasion de son 1er Congrès, pénètrent en effet dans le bâtiment du ministère de l’Agriculture le 9 avril pour y commencer une occupation qui durera au final près de trois semaines. Objet d’une intense lutte pour l’imposition de la définition du conflit2, opposant dans un premier temps principalement les manifestants et le ministère de l’Agriculture, cette action doit selon nous se comprendre comme un « coup »3 tenté, nous le verrons avec succès, par les dirigeants du syndicat pour redéfinir en leur faveur la nature de leurs relations avec les détenteurs de positions de pouvoir et s’imposer comme des acteurs légitimes pour la représentation de la paysannerie (2).

1) Une conjoncture politique fluide : la « crise » du début de la Ie législature.

Dans les semaines suivant les élections législatives d’octobre 1991, une analyse de la situation politique en termes de « crise » s’impose rapidement parmi les différents protagonistes du champ politique. Du fait même de la croyance des acteurs en l’existence de cette « crise », on assiste au début de l’année 1992, avec une vigueur accrue à partir du printemps, à une fluidification de la conjoncture politique. Celle-ci se traduit notamment par le fort degré d’incertitude qui affecte alors les interactions entre les différentes forces parlementaires, entre les différentes arènes du champ politique, ainsi qu’entre les principales institutions étatiques.

Les débats récurrents sur la composition de la coalition gouvernementale constituent sans aucun doute l’élément le plus visible de l’incertitude caractérisant les rapports

intéresse ici, bien que la situation ne puisse pas à notre avis être, à proprement parler, considérée comme une situation de crise au sens de Dobry, des processus de désobjectivation des rapports sectoriels et de brouillage des logiques sectorielles routinières sont néanmoins, nous le verrons, clairement identifiables.

1 Lagroye Jacques, François Bastien & Sawicki Frédéric, op.cit., p.525.

2 Ibid, p.33.

entre les forces parlementaires1. Unissant plusieurs formations d’importance secondaire – le ZChN (49 députés), le PC (44 députés) et le RL-PL (28) – le gouvernement de Jan Olszewski ne dispose en effet d’aucune majorité à la Diète et ne doit son investiture le 23 décembre 1991 qu’au soutien sans participation que lui apporte alors plusieurs clubs parlementaires, dont le PSL-SP (48 députés)2.

Graphique 1 : consignes de vote des clubs Parlementaires lors du vote du 23 décembre 1991 sur l’investiture du gouvernement Olszewski.

Au final, sur 434 votants, 235 députés se prononcent pour l’investiture du gouvernement Olszewski, 60 contre et 139 s’abstiennent.

Réalisé par nos soins. Sources : sténogrammes de la séance de la Diète du 23 décembre 1991, www.sejm.gov.pl.

1 Pour plus d’information sur la situation politique suite aux élections de 1991 on pourra se référer à : Millard Frances, The anatomy of New Poland, Aldershot, Edward Elgar Publishing Limited, 1994, p.93-99 ; Jasiewicz Krzysztof, « Polish Politics on the Eve of the 1993 Elections: Toward Fragmentation or Pluralism? », Communist and Post-Communist Studies, vol.26, n°4, 1993, p.387-411 ; ou encore : Wiatr Jerzy, « Pięć parlamentów III Rzeczyspolitej », in Wiatr Jerzy, Raciborski Jacek, Bartkowski Jerzy, Frątczak-Rudnicka Barbara & Kilias Jarosław (dir.), Demokracja Polska : 1989-2003, Warszawa, WN Scholar, 2003, p.106-110.

2 Comme le note Frances Millard : « La Diète accepte d’investir le gouvernement Olszewski principalement du fait de l’absence d’alternative crédible. L’incapacité à accorder la confiance à un gouvernement risquait en effet d’avoir de graves conséquences : que le président lui-même prenne la tête du gouvernement (une proposition constitutionnellement douteuse) ou que de nouvelles élections soient organisées. », Millard Frances, op.cit., p.95.

ZChN (WAK) : 49 = Nom du club parlementaire (Nom de la coalition électorale si différent) : nombre de députés élus le 27 octobre.

Participation à la coalition : 121 Abstention : 145 Pas de consigne de club : 21

Dans ce contexte, les négociations entre les différents acteurs intéressés par une participation au gouvernement se poursuivent tout au long des premiers mois de l’année 1992 et la question des alliances continue à constituer le point focal de l’activité tactique de la plupart des responsables politiques. Alors que des projets de coalition différents sont évoqués quasi-quotidiennement, des divergences stratégiques se font jour au sein de certaines formations et provoquent plusieurs recompositions au Parlement1. La coalition PL-RL explose ainsi dès les premiers jours de janvier. Les responsables du PSL-Solidarność, dont dix députés, décident en effet de rompre avec leurs alliés du NSZZRI « S » et du PSL Mikołaczyk afin de se rapprocher du PC de Jarosław Kaczyński2. Sans aller jusqu’à provoquer une scission, les questions des alliances et du rapport au gouvernement Olszewski sont également l’objet de vifs débats et d’hésitations stratégiques au sein de la coalition PSL-SP. Soufflant le chaud et le froid avec le Premier ministre, le président du PSL Waldemar Pawlak menace régulièrement de rejoindre l’opposition tout en participant à plusieurs cycles de négociations afin de formaliser la participation de son parti au gouvernement. Sans succès, puisque, à la fin du mois de mars, toutes les discussions visant à élargir la coalition ont échoué. Plus de quatre mois après sa formation, le gouvernement Olszewski reste privé d’une majorité à la Diète, est sous la menace permanente d’une motion de censure et paraît dans l’incapacité de faire adopter son projet de budget3.

La fluidification de la conjoncture ne se limite cependant pas à l’arène parlementaire et affecte également les rapports entre le champ de la politique institutionnelle et celui des mouvements sociaux. Au cours des premières semaines de l’année 1992, on assiste en effet à une croissance sensible du nombre des mobilisations protestataires dans différents secteurs : industrie, fonction publique, transport, etc. Si les revendications des grévistes sont principalement d’ordre socio-économique, le mouvement a une signification politique indéniable. Les principaux organisateurs des

1 Ibid, p.141.

2 Dès le lendemain des élections, des tensions avaient émergé entre les dirigeants du PSL-Solidarnosc et leurs partenaires au sein de la coalition RL-PL. Les dix députés du PSL-Solidarnosc avaient ainsi constitué leur propre club parlementaire. Néanmoins, ce n’est que début janvier que le « divorce » est formellement acté du fait de divergences profondes quant aux alliances politiques. Alors que le PSL-Solidarnosc signe un accord de coopération avec le PC, les élus du NSZZRI privilégient quant à eux, à ce moment-là, la piste d’un rapprochement avec le ZChN voire le PSL-SP : « Nowe Alianse Centrum », Gazeta Wyborcza, 06/01/1992, p.3 ; « Ślub PC z PSL « S » », Gazeta Wyborcza, 13/01/1992, p.3.

grèves, les syndicats OPZZ et Solidarité (NSZZ « S ») ont en commun d’être également investis dans le jeu politique et de disposer d’une représentation parlementaire, en coalition pour le premier et de manière autonome pour le second. Aisément compréhensible pour l’OPZZ, principal allié du parti d’opposition SLD, le recours à la grève en ce début de législature paraît plus paradoxal pour le NSZZ « S » qui, au Parlement, apporte formellement un soutien sans participation au nouveau gouvernement. Il doit selon nous se comprendre comme participant d’une stratégie du syndicat afin de tenter de « peser » davantage sur les rapports de force politique. En effet, en dépit de la taille relativement réduite de son club parlementaire (27 députés et 11 sénateurs), la participation du NSZZ « S » à un mouvement de contestation est, du fait de son héritage et de la force symbolique du label Solidarité dont se revendiquent également les différents partenaires de la coalition, particulièrement embarrassante pour le gouvernement Olszewski. Ainsi, « en jouant sur différents tableaux », en transgressant la frontière entre activités syndicales et parlementaires, les représentants du NSZZ « S » contraignent les forces gouvernementales à accorder une attention toute particulière à leurs revendications, qu’elles concernent des enjeux « syndicaux » – par exemple l’emploi et les salaires – ou plus directement « politiques » – comme la composition du gouvernement ou l’orientation du budget proposé par le gouvernement1. En d’autres termes, en poussant le gouvernement à être plus perméable aux demandes des acteurs extra-institutionnels, ils s’attachent à pallier l’importance secondaire du club parlementaire du NSZZ « S » pour conserver au syndicat une position centrale au sein du jeu politique polonais. Ce faisant, ils participent à « désenclaver les arènes de confrontation »2 et à brouiller encore davantage la distinction déjà extrêmement labile entre pratiques politiques, syndicales et contestataires. Paradoxalement, on observe au même moment une dynamique exactement inverse au sein du champ de représentation de la paysannerie. Le KZRKiOR, qui tend alors à s’intégrer au système d’action du PSL auquel il est allié au sein du club parlementaire PSL-SP, et le NSZZRI « S » renoncent en effet au début de l’année 1992 à mobiliser un répertoire d’action contestataire. Leurs dirigeants privilégient désormais nettement des pratiques institutionnelles de représentation que ce soit au Parlement ou, pour le NSZZRI « S », au gouvernement. Le remplacement

1 Cf. Ost David, The Defeat of Solidarity : Anger and Politics in Postcommunist Europe, Ithaca & London, Cornell University Press, 2005, p.73.

de Gabriel Janowski à la tête du NSZZRI « S » par Roman Wierzbicki, par ailleurs également député, ne s’accompagne pas dans un premier temps d’une remise en cause de cette stratégie. Bien qu’émettant quelques critiques à l’égard de la politique du gouvernement, Wierzbicki confirme le soutien du syndicat à la coalition et son renoncement, au moins temporaire, à la grève comme mode d’action1.

Enfin, en l’absence de routines institutionnelles, c’est-à-dire « d’inscription dans des dispositifs stables des tâches habituellement attachées à un rôle »2, la fluidification de la conjoncture politique consécutive aux élections parlementaires d’octobre 1991 se traduit également par une exacerbation des tensions entre les principales institutions politiques de la République de Pologne. Alors que la question de la rédaction d’une nouvelle constitution constitue l’un des principaux enjeux de la Ie législature de la Diète, on assiste à l’émergence de conflits non-euphémisés, portant sur l’organisation et la forme du régime, entre les détenteurs de différentes positions de pouvoir au sein de l’ordre institutionnel. Affaibli par son manque de majorité parlementaire, le gouvernement doit ainsi faire face au début de l’année 1992 à des initiatives répétées en provenance de la Diète et de la Présidence visant à limiter ses prérogatives et son domaine d’action. La légitimité du gouvernement à prendre en charge certains dossiers est ainsi régulièrement contestée par des députés à la Diète, notamment au sein des commissions parlementaires3. Néanmoins, c’est indéniablement de la présidence que proviennent les attaques les plus vives à l’égard de l’institution primo-ministérielle et du gouvernement4. Dès son élection en 1990, le président Wałęsa s’était clairement prononcé pour un renforcement de la fonction présidentielle. Au lendemain des élections parlementaires de 1991, il évoque même un temps, à l’horreur de la plupart des députés et des commentateurs de la vie politique polonaise,

1 Désigné président par intérim du syndicat au début du mois de janvier 1992, Roman Wierzbicki lève rapidement toute ambiguïté quant à l’attitude du NSZZRI « S » à l’égard du gouvernement en lui confirmant son soutien et en annonçant continuer à privilégier la négociation à toute forme de contestation : « Związek rolnikow pełen zrozumienia », Gazeta Wyborcza, 15/01/1992, p.2 ; tout en faisant part de certaines réserves à l’égard de la politique budgétaire du gouvernement et de sa composition, il réaffirme cette orientation lors de son élection formelle à la présidence du syndicat le 22 mars 1992 : « Solidarność RI za rządem i przeciw », Gazeta Wyborcza, 23/03/1992, p.5.

2 Lagroye Jacques, François Bastien & Sawicki Frédéric, op.cit., p.146.

3 Sur l’importance des commissions parlementaires en Pologne et leur influence décisive sur le processus législatif et le contrôle de l’exécutif, on se référera à : Sanford George, Democratic Government in Poland : Constitutional Politics Since 1989, New York, Palgrave MacMillan, 2002, p.120-121.

4 Pour plus de détails sur les tensions récurrentes durant le mandat de Wałęsa entre la Présidence et le Gouvernement : Baylis Thomas A., « Presidents versus Prime ministers : Shaping Executive Authority in Eastern Europe », World Politics, vol.48, n°3, 1996, p.297-323.

la possibilité de se nommer lui-même au poste de Premier ministre et de cumuler ainsi les fonctions de chef de l’État et du gouvernement. Finalement contraint de désigner Jan Olszewski au poste de Premier ministre, Wałęsa réitère sa préférence pour une présidence forte dans un ensemble de propositions de réformes constitutionnelles qu’il présente à la Diète dans les premières semaines de la législature1. Ne cachant pas son admiration pour le système institutionnel de la Ve République française et dénonçant régulièrement l’instabilité du gouvernement, le Président s’efforce au début de l’année 1992 d’imposer son « leadership » dans plusieurs domaines de l’action publique, notamment la Défense et les Affaires étrangères. Cette stratégie ne manque bien sûr pas de provoquer des conflits ouverts avec plusieurs ministres, dont celui de la Défense nationale Jan Parys2, et accentue encore davantage la médiocrité des relations entre le Président Wałęsa et son Premier ministre Olszewski.

C’est dans ce contexte de fortes tensions politiques, sociales et institutionnelles que le ZZR Samoobrona initie sa première action de protestation de grande ampleur au début du mois d’avril.

2) L’occupation du ministère de l’Agriculture : un « coup » payant.

Le 9 avril 1992, près de cent cinquante militants du ZZR Samoobrona pénètrent à l’intérieur du bâtiment du ministère de l’Agriculture à Varsovie et installent un campement dans l’une des salles de réception située au rez-de-chaussée. Les revendications des manifestants sont claires : ils demandent l’application des accords de novembre, notamment en ce qui concerne l’arrêt des saisies des biens des agriculteurs surendettés, l’instauration de crédits agricoles à des taux préférentiels, 12% au maximum, et une entrevue avec le Premier ministre3.

Le fait que la première action de protestation nationale organisée par le ZZR Samoobrona soit l’occupation d’un bâtiment public n’est pas anodin. Le recours à cette pratique nous paraît en effet renvoyer tant aux faibles ressources alors

1 Millard Frances, op.cit., p.96.

2 Ibid., p.100.

mobilisables par le syndicat qu’à la position dominée qu’il occupe encore quelques mois après sa création au sein du champ de représentation de la paysannerie1. Alors que le ZZR Samoobrona peine à se faire reconnaître comme un porte-parole légitime de la paysannerie et à mobiliser autour de l’enjeu du surendettement agricole, ce mode d’action présente en effet plusieurs avantages potentiels pour le syndicat.

Tout d’abord, l’occupation du ministère de l’Agriculture offre l’opportunité au syndicat d’attirer l’attention sur lui en dépit de sa relative faiblesse numérique. Un défilé dans les rues de la capitale des cent cinquante participants à l’action aurait en effet eu un impact médiatique et politique bien moindre. Par son illégalisme et son caractère spectaculaire, l’occupation d’un ministère garantit à l’inverse au ZZR Samoobrona une couverture médiatique inédite, qui ne se démentira pas tout au long du mois d’avril [Tableau 4]. Parallèlement, elle crée un rapport de force qui contraint les pouvoirs publics à le reconnaître et à accorder une certaine attention à ses revendications. En effet, comme le rappelle Cécile Péchu, « La publicité faite aux actions, au sens premier du terme, agit sur les représentations que les autorités et l’ « opinion publique » – ou du moins la perception que les autorités ont de l’opinion publique– se font de l’action collective et de ses auteurs, conditionnant ainsi pour partie les probabilités de répression ou de satisfaction des revendications »2.

Tableau 4 : nombre d’articles du quotidien Gazeta Wyborcza évoquant le ZZR

Samoobrona au cours des quatre premiers mois de l’année 1992.

Avril 1992 Janvier 1992 Février 1992 Mars 1992

du 1er au 9 du 10 au 30

17

Articles centrés sur le ZZR Samoobrona ou l'une de ses actions

2 1 0

0 17

3

Articles évoquant le ZZR

Samoobrona dans le

cadre du traitement d'un autre sujet

1 0 1

0 3

Total des articles évoquant le ZZR

Samoobrona

3 1 1 20

1 En effet, comme le note Etienne Pénissat, « les appropriations d’un mode d’action renvoient tant aux dispositions des acteurs qu’aux positions des organisations dans l’espace des mouvements sociaux » : Pénissat Etienne, « Les occupations de locaux dans les années 1960-1970 : Processus sociohistoriques de « réinvention » d'un mode d'action », Genèses, vol.2, n°59, 2005, p.72.

2 Péchu Cécile, « Quand les «exclus» passent à l'action. La mobilisation des mal-logés », Politix, vol.9, n°34, 1996, p.123.

0 20 Réalisé par nos soins. Sources : archives de l’édition nationale du quotidien Gazeta Wyborcza des mois de janvier, février, mars et avril 1992.

Ensuite, en regroupant sur un même lieu plus d’une centaine d’agriculteurs se disant directement concernés par le problème du surendettement, l’occupation permet au ZZR Samoobrona de « faire nombre », de donner à voir l’importance du groupe des surendettés et donc la prégnance de ce problème délaissé par les pouvoirs publics, sans pour autant avoir à mobiliser une foule de manifestants. Mettant en avant la diversité des origines géographiques des manifestants présents au ministère de l’Agriculture, Andrzej Lepper n’hésite ainsi pas à déclarer que le surendettement concerne la moitié des agriculteurs individuels, alors que, selon le ministère, il touche tout au plus un pourcent d’entre eux1.

Enfin, l’occupation protestataire d’un bâtiment ministériel permet au ZZR Samoobrona de se démarquer au sein du champ de représentation de la paysannerie. En s’attaquant à un symbole du pouvoir gouvernemental, le syndicat peut en effet mettre en scène sa différence par rapport aux autres organisations agricoles dont ses dirigeants n’ont de cesse depuis sa création de dénoncer la connivence avec les autorités.

Dans un premier temps, le ministre de l’Agriculture adopte une attitude plutôt conciliante à l’égard des manifestants du ZZR Samoobrona. Tout en leur assurant qu’il ne recourra pas à la force pour les faire évacuer du ministère, il les invite à lui transmettre leurs revendications par écrit et à participer, avec les autres syndicats agricoles, à un nouveau cycle de négociation consacré au surendettement agricole. Ce faisant, il s’attache à « normaliser » le traitement de cette question, à le réintégrer dans le cadre institutionnel, mais également à en redéfinir les contours ainsi que ceux des solutions à lui apporter. En effet, dans le prolongement du mode de traitement du surendettement privilégié par le gouvernement Bielecki dans les dernières semaines de la manifestation devant le Parlement d’octobre et novembre 1991, Janowski s’attache à relativiser, sans pour autant le nier complètement, l’importance de ce problème dans l’agriculture polonaise – il concerne selon lui une petite minorité des

exploitations – et à promouvoir une méthode de résolution privilégiant la négociation au cas par cas entre les agriculteurs et leurs banques. Dès le 13 avril, le ministre de l’Agriculture invite ainsi solennellement les banquiers à faire preuve de compréhension à l’égard des agriculteurs surendettés, en les exonérant de pénalités