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Le rythme de notre enquête sur le mouvement Samoobrona a principalement été dicté par le niveau évolutif de nos connaissances, notamment le degré d’avancement de notre apprentissage du « métier » de politiste et de la langue polonaise. Il a cependant également été contraint par les transformations récentes de notre objet d’étude. Schématiquement, il est possible de distinguer trois temps dans notre enquête.

Le premier, que l’on peut qualifier de « phase préliminaire », couvre une période allant de notre « découverte » du mouvement Samoobrona au début effectif de notre travail de thèse en 2005. Résidant à Katowice de septembre 2002 à juillet 2003, dans

1 Voir par exemple : Birenbaum Guy, « Elites “illégitimes”, élites illégitimées : les responsables des FN », in Cohen Samy (dir.), L’art d’interviewer les dirigeants, Paris, PUF, 1999. Si notre terrain a nécessité des précautions et des stratégies d’investigations spécifiques, il ne doit cependant pas selon nous être considéré comme « difficile » par essence : Campana Aurélie & Boumaza Magali, « Enquêter en milieu “difficile” : Introduction », Revue française de science politique, vol.57, n°1, p.5-25.

le cadre d’un échange universitaire Erasmus, nous avons alors eu l’occasion d’explorer la Pologne et de nous « familiariser » avec sa vie politique. C’est à la faveur des élections locales d’octobre 2002 que nous sommes pour la première fois « entré en contact » avec le mouvement Samoobrona, ou, plus exactement, avec son président Andrzej Lepper. Par son attitude lors des débats télévisés organisés dans le cadre de la campagne ainsi que par ses tenues vestimentaires, notamment le port systématique d’une cravate aux couleurs de la Pologne (rouge et blanc), celui-ci semblait clairement se démarquer des autres responsables politiques. Bien que ne disposant pas alors d’un niveau de connaissance linguistique suffisant pour saisir les subtilités des échanges politiques, notre curiosité était éveillée et n’allait cesser de croître à mesure que, par des lectures, des discussions informelles, des rencontres ou encore le suivi de la campagne pour le referendum d’accession à l’Union européenne de juin 2003, nous essayions d’en apprendre plus sur ce mouvement et son président. C’est donc d’une « pure curiosité pour le spécifique »1, pour ne pas dire pour l’original, qu’est né notre intérêt pour le mouvement Samoobrona. Ce n’est que dans un second temps, dans le cadre de nos études en master de science politique, que nous nous sommes attaché à substituer à nos représentations « profanes » sur ce groupement une représentation « scientifique », à le constituer en objet d’étude sur lequel forger nos premières armes d’aspirant chercheur. Pendant deux années, marquées par des séjours réguliers en Pologne, principalement à Varsovie, nous avons cherché à affiner nos connaissances linguistiques2, à apprendre les rudiments du « métier » de politiste et, plus spécifiquement, à accumuler des données sur le mouvement Samoobrona, par la lecture de la presse, le recueil de documents programmatiques ou encore quelques entretiens en anglais avec Mateusz Piskorski, le responsable du mouvement alors en charge des relations internationales. Ce travail nous a permis de défricher le terrain et de poser les premières fondations sur lesquelles nous avons construit notre recherche doctorale.

1 Nous empruntons cette expression à : Veyne Paul, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971, p.70.

2 Après avoir suivi des cours de polonais à l’Université de Silésie (US) à Katowice au cours de l’année universitaire 2002-2003, nous avons poursuivi notre apprentissage en 2003-2004 dans le cadre d’un DU à l’Université Bordeaux III. Hormis notre travail personnel, nous avons également pris des cours de polonais auprès de l’Institut français de Varsovie au cours de l’année universitaire 2005-2006 et effectué un stage linguistique de l’école d’été de langue et de culture polonaises de l’Université Catholique de Lublin (KUL) en juillet 2007.

La seconde étape de notre enquête s’ouvre avec le début de notre thèse en octobre 2005 et notre installation à Varsovie jusqu’en août 2006. Malheureusement pour nous, elle coïncide également avec une période de « fermeture » relative du mouvement Samoobrona aux sollicitations extérieures. Engagés dans une entreprise de légitimation de leurs prétentions à participer à l’exercice du pouvoir gouvernemental, les dirigeants nationaux du mouvement s’efforcent en effet, suite aux élections parlementaires d’octobre 2005, de centraliser les outils d’objectivation de son identité publique afin de le donner à voir comme une formation politique « comme les autres » et d’éviter « tout dérapage » dont la presse et leurs adversaires politiques pourraient se saisir. Dans ce contexte, l’ambitieuse enquête de terrain que nous nous étions fixé comme objectif de mener – une analyse localisée et comparative des élites dirigeantes du mouvement Samoobrona dans différents sites d’interactions (nous avions alors en tête les voïvodies de Łódź, de Mazovie et de Poméranie-Occidentale)1 – s’avère impossible à mettre en œuvre. Ayant reçu consigne de ne pas prendre position au nom du mouvement sans en référer à la direction nationale, les responsables locaux refusent, à quelques rares exceptions près, nos demandes d’entretien et nous renvoient systématiquement vers les porte-parole « officiels » à Varsovie, notamment Mateusz Piskorski, interlocuteur incontournable dans tous les sens du terme. Loin de l’atténuer, l’entrée officielle du mouvement Samoobrona dans la majorité parlementaire en février 2006 puis au gouvernement en mai exacerbe cette « fermeture ». Contraint de redéfinir notre objet d’étude en privilégiant une lecture plus « macro », mais aussi plus dynamique, du mouvement Samoobrona, nous nous sommes efforcé de mettre à profit notre séjour polonais pour étoffer nos données sur ce groupement. Pour ce faire, nous avons mobilisé tous les moyens envisageables, dans la mesure du possible les entretiens bien sûr, mais aussi les recherches en bibliothèque (Bibliothèque universitaire de Varsovie et Bibliothèque nationale de Pologne principalement), le recueil d’archives, la lecture de la presse quotidienne et hebdomadaire, le suivi des actualités à la télévision à la radio, les déplacements à travers le pays (en tentant systématiquement et presque toujours en vain d’obtenir une entrevue avec les responsables locaux du mouvement). Ce protocole d’enquête « bricolé » pour s’adapter aux contraintes du moment a continué à être celui qui a

1 Nous souhaitions nous inspirer de la démarche mise en œuvre pour étudier le Parti socialiste en France par Frédéric Sawicki : Sawicki Frédéric, op.cit.

guidé nos recherches, suite à notre retour en France, lors de nos séjours polonais réguliers de l’été 2006 à l’automne 2007.

La troisième étape de notre travail d’enquête s’ouvre avec ce qui est présenté par les journalistes comme la « déroute » du mouvement Samoobrona aux élections parlementaires anticipées d’octobre 2007. Sa sortie du Parlement et du Gouvernement s’accompagne d’une « libération » relative de la parole des responsables et anciens responsables du syndicat et du parti. Tout d’abord car, ayant perdu leurs mandats parlementaires ou gouvernementaux, les dirigeants nationaux du mouvement disposent de plus de temps à consacrer aux sollicitations d’un jeune chercheur français en science politique. À l’occasion d’un séjour de recherche de deux mois en Pologne en juin et juillet 2008, nous avons ainsi pu nous entretenir pour la première fois avec plusieurs membres du prezydium du parti Samoobrona RP, dont Andrzej Lepper. Ensuite car la multiplication des contestations de l’autorité de ce dernier dans les semaines suivant les élections d’octobre 2007 s’accompagne d’une prise de distance de nombreux responsables du mouvement à l’égard de la ligne « officielle » promue par ses porte-parole nationaux, plusieurs prenant même la voie de la dissidence ouverte. Néanmoins, s’il est désormais possible de trouver des militants, des élus, ou d’anciens élus du mouvement disposés à évoquer sans retenue leur expérience politique, ceux-ci sont beaucoup plus difficiles à identifier qu’auparavant. Le délitement rapide des structures du mouvement (qui s’accompagne notamment d’une fermeture de l’ensemble des bureaux régionaux du parti) et le retrait de la vie politique de nombre d’entre eux a ainsi constitué un nouvel obstacle à notre enquête. Au final, à force de coups de téléphone (« le numéro n’est plus attribué » étant la réponse la plus fréquemment obtenue), de courriers électroniques et postaux, nous ne sommes parvenu à obtenir qu’une poignée de nouveaux entretiens, principalement avec des députés européens (alors toujours en exercice donc faciles à « retrouver ») et des responsables locaux du mouvement avec lesquels nous avions eu l’occasion de rentrer en contact plusieurs années auparavant.

Si elle s’est souvent apparentée à un « bricolage » sous contrainte, notre enquête nous a néanmoins permis de recueillir nombre de données et d’informations mobilisables dans le cadre de notre recherche.