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Vers de nouvelles élections parlementaires : chute du gouvernement et durcissement des règles de la compétition électorale

Franchir la frontière : le mouvement Samoobrona dans la compétition politique

A) Vers de nouvelles élections parlementaires : chute du gouvernement et durcissement des règles de la compétition électorale

Dans les jours suivant sa formation, le gouvernement d’Hanna Suchocka est communément perçu par les observateurs de la vie politique polonaise comme marquant la fin de la période d’instabilité et d’incertitude caractéristique des gouvernements Olszewski et Pawlak. La capacité de la député de l’UD à dégager rapidement une majorité au Parlement en unissant les principaux clubs parlementaires issus du mouvement Solidarité, exception faite du PC de Jarosław Kaczyński et du « Ruch dla Rzeczypospolitej » formé autour de l’ancien Premier ministre Jan Olszewski, est ainsi presque unanimement saluée comme le signe d’un « retour à la normale » de la politique polonaise après la « crise » du mois de juin1.

Tableau 9 : L’investiture du gouvernement Suchocka le 10 juillet 1992.

Nom du Club Parlementaire Nombre de députés du Club Parlementaire

UD 62 KLD 37 PPG (fraction de l'ancien PPPP) 12 ZChN 48 PSL-PL 19 SChL (ex- PSL-Solidarność) 10 Pa rt ic ipa ti on à la co al it io n PCD 6 NSZZ "S" 27 MN 7 So ut ie n sa n s pa rt ic ipa ti on CD 5 Total 233/460

Au final, sur 407 votants, 233 députés se prononcent pour l’investiture du gouvernement Suchocka, 61 contre et 113 s’abstiennent.

1 Voir notamment : « Koalicje i Kompetencje », Gazeta Wyborcza, 13/07/1992, p.1 ; « Suchocka na lata ? », Gazeta Wyborcza, 28/07/1992, p.1.

Réalisé par nos soins. Sources : Millard Frances, op.cit., p.106.

Si cette majorité reste fragile, et qu’elle n’efface pas complètement les tensions antérieures entre les coalisés, elle permet de pacifier les relations entre le Parlement et le Gouvernement et de faciliter le travail législatif. Pour la première fois depuis des mois, le gouvernement parvient à faire adopter la plupart de ses projets de loi. Le 17 octobre 1992 un ensemble de textes portant sur l’organisation des institutions étatiques et la codification de leurs relations, en discussion depuis le début de la législature, est ainsi enfin adopté. Formant ce qu’on a alors appelé la « Petite Constitution », ces textes permettent notamment une « rationalisation » des rapports entre le Gouvernement et la Présidence qui avaient déjà connu une amélioration notable depuis le renversement de Jan Olszewski1.

Néanmoins, à l’inverse de la relative stabilisation des interactions observable entre les différentes forces parlementaires et entre les différentes institutions étatiques, le gouvernement Suchocka se caractérise également par une fluidification accrue des rapports entre le champ de la politique institutionnelle et celui des mouvements sociaux. On assiste en effet dès l’été 1992 à une multiplication des mobilisations protestataires notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et de la fonction publique. Dans un premier temps, l’OPZZ, dont les élus sont membres du club parlementaire SLD, Solidarność 80’ et, comme nous l’avons détaillé précédemment, le ZZR Samoobrona sont les principaux animateurs de ce mouvement de contestation. À partir du mois de décembre, les deux syndicats historiques du mouvement Solidarité, le NSZZ « S » et le NSZZRI « S », réinvestissent à leur tour l’arène des mobilisations contestataires bien qu’ils continuent formellement à soutenir la majorité gouvernementale. Le recours paradoxal à la grève de ces deux syndicats nous paraît devoir principalement se comprendre comme participant d’une stratégie de leur part afin de tenter de « peser » davantage sur les rapports de force politiques et de contraindre le gouvernement à accorder une attention particulière à leurs revendications dans la définition de l’action gouvernementale, notamment dans le domaine économique2. Début janvier 1993, la direction du NSZZ « S » annonce ainsi

1 Sur cette question : Baylis Thomas A., art.cit., p.306.

2 Deux autres éléments nous paraissent également à prendre en compte pour comprendre le changement de stratégie des syndicats historiques de Solidarité à la fin de l’année 1992 : les tensions internes à ces groupements et les logiques propres du champ syndical. D’un côté, le réinvestissement de l’arène des

suspendre les grèves qu’elle avait initiées, par exemple dans les mines de Silésie, après avoir obtenu entre autres une profonde modification du programme gouvernemental de restructuration du secteur industriel et minier1.

À partir du mois de février, les discussions de la loi de budget à la Diète sont l’occasion d’un nouveau bras de fer entre les dirigeants des principaux syndicats du mouvement Solidarité et le Gouvernement. Dénonçant l’insuffisance des moyens alloués au secteur agricole, la direction du NSZZRI « S » appelle dès le 8 mars ses sections locales à mettre en œuvre des actions protestataires sur l’ensemble du territoire2. Sous la pression de la base syndicale, les députés du Club Parlementaire PL menacent à plusieurs reprises de rallier l’opposition si le budget n’est pas amendé. Ils officialisent finalement leur retrait de la coalition au début du mois d’avril, suite au limogeage de Gabriel Janowski de son poste de ministre de l’Agriculture3. La direction du NSZZ « S » quant à elle dénonce vigoureusement les coupes budgétaires prévues dans le secteur d’État (industrie, mines, enseignement et santé notamment). Tout en engageant des pourparlers à ce sujet avec le gouvernement, les responsables du syndicat s’efforcent d’accroître la pression sur lui en initiant de nombreuses grèves et manifestations tout au long du printemps. Au cours du mois de mai, alors que les discussions s’enlisent, ils franchissent une nouvelle étape dans la conflictualisation de leurs relations avec le gouvernement. En appelant à l’organisation d’une grève générale pour la fin du mois et en invitant les députés du club parlementaire NSZZ « S » à déposer une motion de censure contre Hanna Suchocka, c’est un véritable ultimatum que le Comité National du syndicat adresse à la coalition gouvernementale4. Dans les jours précédant l’examen de la motion par la Diète, le mouvement de protestation acquiert une ampleur inédite depuis le changement de

mobilisations contestataires constitue pour les directions syndicales du NSZZ « S » et du NSZZRI « S » un moyen de tenter de contraindre leurs élus, au sein des clubs NSZZ « S » et PL, avec lesquels les divergences sont fréquentes. De l’autre côté, comme le laisse entendre David Ost, il est certainement en partie également guidé par la crainte d’une perte de leadership de ces deux syndicats du fait de la concurrence de l’OPZZ, du Solidarność 80’ et du ZZR Samoobrona, tous les trois particulièrement actifs sur le terrain de la protestation. Cf. Ost David, op.cit., p.74-77.

1 Cf. « spór o spór i porozumienie », Gazeta Wyborcza, 08/01/1993, p.1.

2 « Złość rolników na przednówku », Gazeta Wyborcza, 09/03/1993, p.3.

3 « Pogróżki Ludowe », Gazeta Wyborcza, 15/04/1993, p.3 ; « Koalicja bez ludowców », Gazeta Wyborcza, 29/04/1993, p.1.

4 Un membre du Comité National du NSZZ « S » déclare d’ailleurs à cette occasion, à l’adresse du gouvernement : « Cela fait deux ans que nous négocions. Cela ne nous intéresse plus maintenant. Ce que nous voulons c’est que le gouvernement réalise ses engagements » ; cité in « “S” nie chce rządu », Gazeta Wyborcza, 20/05/93, p.1.

régime. Les grèves se multiplient dans de nombreux secteurs et l’ensemble des principaux syndicats polonais se rejoignent dans la contestation. Ainsi, en ce qui concerne l’agriculture, les trois principaux syndicats agricoles, le NSZZRI « S », le KZRKiOR et le ZZR Samoobrona, organisent pour la première fois une manifestation commune le 26 mai à Varsovie1.

Deux jours plus tard, c’est donc dans un contexte social extrêmement tendu que les députés sont invités à se prononcer sur la motion de censure déposée par les députés du NSZZ « S ». Alors que son objectif premier était explicitement de pousser le gouvernement à amender sa politique économique, la motion est finalement adoptée à une voix près suite à un concours de circonstance largement inattendu. Le gouvernement Suchocka est ainsi renversé à peine dix mois après sa formation2. Immédiatement, une nouvelle fois à la surprise de la plupart des protagonistes du champ politique, le président Wałęsa annonce son intention de dissoudre le Parlement, comme la « Petite Constitution » l’y autorise. Cette décision est officialisée le 31 mai. Des élections parlementaires anticipées sont programmées pour le 19 septembre 1993 et Hanna Suchocka est chargée par le Président d’« expédier les affaires courantes » jusqu’à cette échéance.

Dans les heures suivant le renversement du gouvernement Suchocka, et donc dans les derniers moments de la Ière législature, les députés votent en urgence une nouvelle loi électorale. Objet d’une vive controverse parlementaire depuis plusieurs mois, le texte adopté est un compromis qui ne bouleverse pas autant que certains l’auraient souhaité les modalités d’accès à la compétition électorale3. Alors que la limitation de la participation aux élections aux seuls partis politiques avait été envisagée, le droit de présenter des listes reste finalement ouvert également, comme en 1991, « aux organisations politiques et sociales [donc aux syndicats] ainsi qu’aux électeurs

1 Dix mille manifestants selon les organisateurs, quelques milliers selon Gazeta Wyborcza, se réunissent alors sur la Place des Trois Croix devant la statue du Premier ministre agrarien Wyncenty Witos. Outre les responsables des trois syndicats organisateurs, plusieurs députés du PL et du PSL participent à la manifestation qui est la plus importante action de protestation paysanne organisée depuis des années. Voir : « Chłopska młócka », Gazeta Wyborcza, 27/05/1993, p.1 ; « Słoma dla rządu », Zielony Sztandar, 06/06/1993 ; « Lechu puścił nas z torbami », Chłopska droga, 06/06/1993.

2 Sur 446 votants, 223 députés votent pour la motion de censure, 198 contre et 24 abstentions. 21 députés du NSZZ « S » ont voté pour, 2 contre, et 4 se sont abstenus. Le club Parlementaire PL s’est abstenu. Arrivés en retard à la session, deux députés de la coalition gouvernementale n’ont pas pu prendre part au vote. « Bez Rzadu ? Bez Sejmu ? Bez Sensu ? », Gazeta Wyborcza, 29/05/1993, p.1.

individuels »1. Dans la nouvelle loi, les conditions à respecter pour pouvoir enregistrer des listes sont néanmoins redéfinies dans le sens d’une élévation du coût d’accès au statut de comité électoral national2. Si le nombre de signatures d’électeurs à recueillir pour déposer une liste de circonscription est revu à la baisse, il passe de 5 000 à 3 000, le droit d’enregistrer des listes au niveau national est désormais conditionné au dépôt de listes dans au moins la moitié des 52 circonscriptions, ce qui implique de réunir au total au moins 78 000 signatures, alors qu’auparavant il suffisait de réunir 50 000 signatures dans au moins cinq circonscriptions. C’est cependant dans l’introduction de seuils d’accès à la répartition des mandats de députés que réside la principale nouveauté de la loi électorale du 28 mai 1993. Ces seuils sont fixés à 5% du total des voix au niveau national pour les comités électoraux autonomes et à 8% pour les comités de coalition entre différentes organisations. La nouvelle loi électorale, dont l’objectif affiché est de limiter la fragmentation parlementaire, durcit ainsi fortement à la fois les conditions d’accès à la compétition électorale nationale et à l’arène parlementaire. Elle entre en vigueur immédiatement et s’applique donc aux élections anticipées du mois de septembre.