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Du KKSR au ZZR Samoobrona : la création syndicale comme paliatif à l’isolement

La structuration du ZZR Samoobrona: la formalisation syndicale d’un collectif d’agriculteurs surendettés

B) Du KKSR au ZZR Samoobrona : la création syndicale comme paliatif à l’isolement

L’existence d’une structure d’action potentielle préconstituée, le KKSR, ne saurait conduire à considérer comme naturel le processus par lequel cette structure adopte une forme syndicale au début de l’année 1992. Pour comprendre les modalités concrètes de cette institutionnalisation, il convient également de prêter une attention particulière à la composition du groupe fondateur et au contexte dans lequel est enclenché le processus d’enregistrement en tant que syndicat. Loin d’être de simples agriculteurs au bord de la faillite, les futurs fondateurs du ZZR Samoobrona disposent en effet de capitaux singuliers (1), qui influent sur les interprétations pratiques qu’ils sont amenés à faire d’une part de leur situation à l’issue de la manifestation de 1991 et

d’autre part des conditions de possibilité de la production de leur groupement en tant que syndicat (2).

1) Les propriétés singulières des initiateurs du ZZR Samoobrona.

Les informations dont nous disposons sur les fondateurs et les premiers militants du ZZR Samoobrona sont extrêmement parcellaires. Cela est autant dû à la relative marginalité du syndicat dans les premiers mois de son existence qu’à sa trajectoire ultérieure. En effet, la main mise qu’Andrzej Lepper est parvenu à s’assurer sur l’appareil de l’organisation à la fin des années 1990 s’est accompagnée d’une réécriture de son « intrigue fondatrice ». Alors que le rôle d’Andrzej Lepper était mis en exergue, celui des autres personnes ayant pris part à la fondation du syndicat tendait à l’inverse à être minimisé, voire occulté, avec d’autant plus de facilité que la plupart d’entre eux avaient alors quitté l’organisation et renoncé à tout engagement syndical ou politique. Ce halo de mystère entourant la composition exacte du groupe fondateur du ZZR Samoobrona a été la source de nombreuses spéculations, relayées abondamment par les médias et les adversaires politiques de la formation au cours des années 2000. Il n’est alors pas rare d’entendre que des anciens des services spéciaux, du parti communiste, ou encore des agents étrangers auraient joué un rôle central dans la structuration initiale du syndicat1. Sans rentrer dans ces spéculations, qui si elles ne paraissent pas toutes sans fondement relèvent essentiellement du registre du phantasme, nous nous contenterons ici de constater, à partir des données accessibles, que les fondateurs du ZZR Samoobrona sont détenteurs de propriétés sociales singulières. Que ce soit par leur niveau d’étude, leur parcours professionnel ou encore leur politisation2, ils se distinguent en effet assez nettement de la majorité des exploitants agricoles polonais.

1 À titre d’exemple : « Operacja Kosa? Ciemna przeszłość Samoobrony », Gazeta Wyborcza, 24/04/2006 ; « Rokita ws. związków Samoobrony ze specsłużbami », Wprost, 05/05/2006 ; « Trafiła Kosa na Leppera », Polityka, 27/05/2006, p.37. Nous reviendrons sur ces polémiques dans le chapitre 6, section 2.

2 Politisation étant ici entendue au sens de Daniel Gaxie comme « une attention accordée au fonctionnement du champ politique », Gaxie Daniel, Le cens caché, Paris, Seuil, 1978, p.240.

À la veille du premier congrès du ZZR Samoobrona en avril 1992, une liste de six agriculteurs présentés comme les fondateurs du syndicat est publiée par « Rolnik Rzeczypospolitej » une publication du syndicat.

Tableau 3 : Les fondateurs du ZZR Samoobrona.

Nom Prénom Année de

naissance Localité d'origine (voïvodie)

Superficie de

l'exploitation Niveau d'études

Kozik Ryszard 1935 Cewice (Słupsk) 10 ha Secondaire

Lech Marek 1945 Chlebowice (Lodz) 10 ha Secondaire

Lepper Andrzej 1954 Darłowo (Koszalin) 120 ha Secondaire

Okorski Zbigniew 1957 Ząbkowice Śląskie (Wałbrzych) 78 ha Secondaire

Skórski Paweł 1950 Bosowice (Kielce) 84 ha Supérieur

Wycech Roman 1962 Zakroczyn (Varsovie) 3 ha Supérieur

Sources : « Oni Tworzyli Związek », Rolnik Rzeczypospolitej, 1992, p.10.

La lecture de cette liste appelle plusieurs remarques.

Premièrement, on constate que tous les « fondateurs » qui y sont évoqués sont des hommes. Significatif de la très nette surreprésentation masculine observable parmi les premiers militants du ZZR Samoobrona, ce phénomène, pour spectaculaire qu’il soit, n’est cependant pas propre à cette organisation. Il nous paraît surtout constituer une illustration parmi d’autres de la position dominée occupée par les femmes polonaises à la fois sur le marché du travail et au sein du champ politique. De nombreux travaux ont en effet montré qu’en Pologne, depuis le changement de régime, le taux d’activité des femmes est sensiblement plus faible que celui des hommes1, le secteur agricole ne dérogeant pas à cette règle2, et que celles-ci sont tendanciellement moins enclines à l’engagement politique et syndical que leurs homologues masculins1.

1 Estimé à 57% en 1988 (contre 74,3% pour les hommes), le taux d’activité des femmes aurait chuté tout au long des années 1990 pour atteindre 49,7% en 2001 (contre 64,3% pour les hommes) : chiffres extraits de Fodor Éva, “Women at Work: The Status of Women in the Labour Markets of the Czech Republic, Hungary and Poland”, Occasional Paper n°3, United Nations Research Institute for Social Development, février 2005, p.6. Pour une analyse plus fine des inégalités de genre sur le marché du travail polonais (taux d’activité, salaire mais aussi rapport au temps partiel), on pourra se référer à : Portet Stéphane, « Le temps partiel en Pologne : Un trompe-l'oeil de la segmentation sexuée du marché du travail », Travail, genre et sociétés, vol.2, n°12, 2004, p.127-144 ; Heinen Jacqueline, « Genre et politiques étatiques en Europe centrale et orientale », Recherches féministes, vol.12, n°1, 1999, p.123-135.

2 En 1992, le taux d’activité des femmes à la campagne est estimé à 57% (GUS, novembre 1992). Par ailleurs, les femmes travaillant dans le secteur agricole sont particulièrement affectées par le travail à temps partiel (cf. Portet Stéphane, « Le temps partiel en Pologne… », art.cit.) et sont beaucoup plus rarement à la tête d’une exploitation agricole que les hommes (entre 1988 et 1992 seules 20% des

Deuxièmement, on note une relative homogénéité en termes d’âge, de surface agricole exploitée et de niveau d’étude parmi les « fondateurs » présentés par la publication. En effet, ils sont tous relativement jeunes puisque, à l’exception de Ryszard Kozik, ils sont nés après la Seconde guerre mondiale. La superficie de leur exploitation est sensiblement supérieure à la moyenne polonaise de l’époque qui ne dépasse alors pas les 7 hectares2, hormis le cas particulier de Roman Wycech qui est propriétaire d’une champignonnière. Enfin, ils ont tous suivi des études secondaires, voire supérieures, alors qu’au début des années 1990 c’est le cas d’à peine un agriculteur polonais sur dix3. Comprendre cette triple spécificité nécessite de prêter une attention particulière aux parcours professionnels atypiques des agriculteurs à l’origine de la création du ZZR Samoobrona. Schématiquement, on peut identifier deux groupes dominants parmi eux.

Le premier est constitué par des agriculteurs ayant travaillé dans des fermes d’État avant d’acquérir leur propre exploitation au cours des années 1980, souvent en rachetant et en louant des terres auparavant collectivisées. Or, comme le note Marie-Claude Maurel, ce type de stratégie entrepreneuriale est réservé à des individus dotés de capitaux spécifiques : « Compétences professionnelles et capacités gestionnaires qualifient les spécialistes des exploitations collectives pour se lancer dans la création

exploitations agricoles sont dirigées par des femmes). Pour un panorama détaillé de la situation des femmes dans le secteur agricole, on pourra se référer à : Stankiewicz Dorota, « Sytuacja kobiet wiejskich w świetle badań Instytutu Ekonomiki Rolnictwa i Gospodarki Żywnościowej », Kancelaria Sejmu Biuro Studiow i Ekspertyz, n°189, 1994 ; ainsi qu’ au dossier très complet : Krzyszkowski Jerzy (ed.), « Diagnoza sytuacji społeczno-zawodowej kobiet wiejskich w Polsce », Ministerstwo Pracy i Polityki Społecznej, Varsovie, 2008, notamment : Kretek-Kamińska Agnieszka, « Charakterystyki społeczno-zawodowe badanych kobiety wiejskich na tle danych ogólnopolskich », p.39-62.

1 Voir par exemple : Fuszara Małgorzata, « New gender relations in Poland in the 1990s », in Gal Susan & Kligman Gal (eds.), Reproducing Gender: Politics, Publics, And Everyday Life After Socialism, Princeton, Princeton University Press, 2000, p.259-285 ; Graham Ann & Regulska Joanna « Expanding political space for women in Poland : An analysis of three communities », Communist and Post-Communist Studies, vol.30, n°1, 1997, p.65-82 ; Fuchs Gesine, « Political participation of women in Central and Eastern Europe: a preliminary account », Friedrich Ebert Foundation Berlin, Conférence « Access through Accession », 26 septembre 2003.

2 Selon les statistiques du GUS, en 1990 la superficie moyenne d’une exploitation agricole en Pologne est de 6,6 hectares, 82,6 de celles-ci ne dépassant pas les 10 hectares : Cité in Bafoil Francois, Guyet Rachel, L’Haridon Loïc & Tardy Vladimir, « Pologne. Profils d’agriculteurs », Le Courrier des Pays de l’Est, vol.4, n°1034, 2003, p.40.

3 Selon un recensement de 1993, 0,4% des agriculteurs ont alors un diplôme du supérieur, 10,7% du secondaire, 24,7% d’une école professionnelle élémentaire, 53,7% ont achevé des études primaires et 10,5% n’ont aucune formation scolaire : Leszczyńska Małgorzata, « Zmiany w poziomie wykształcenia gospodarstw domowych związanych z rolnictwem », Nierówności społeczne a wzrost gospodarczy, n°11, Rzeszów, Uniwersytet Rzeszowski, 2007.

d’une entreprise privée. Ce sont les cadres de niveau intermédiaire, responsables d’unités de production, qui apparaissent les plus déterminés. Plus professionnalisés et moins « politiques » que les cadres de l’échelon supérieur, ils ont vite fait le tour des possibilités de conversion qui s’offraient à eux […] Les spécialistes et les techniciens, généralement bien formés (munis de diplôme de l’enseignement secondaire spécialisé et supérieur), encore jeunes, souvent acquis à la nouvelle idéologie de l’entreprise privée, ont constitué le groupe le plus apte à l’initiative entrepreneuriale. Disposant de l’information, d’une expérience « manageriale », de réseaux de relations, ils se sont révélés en mesure de négocier leur conversion professionnelle au mieux de leurs intérêts »1. Le parcours professionnel d’Andrzej Lepper illustre parfaitement ce type de trajectoire : diplômé d’une école de technique agricole, il occupe plusieurs postes de responsabilité au sein d’exploitations étatiques avant de s’installer à son propre compte au tout début des années 1980.

Andrzej Lepper est né en 1954 à Stowięcino dans la voïvodie de Słupsk. En 1974, il est diplômé de l’Ecole Nationale de Technique Agricole de Sypniewo. Après avoir travaillé au Centre de culture sélective des plantes de Górzyno puis dans une Ferme d’État à Rzechcino, il est nommé responsable de la Ferme d’État d’élevage de Kusice. En 1980, il s’installe à son propre compte en acquérant une exploitation agricole de 22,5 hectares à Zielnowo (voïvodie de Koszalin). Suite à des acquisitions successives et à la location de 50 hectares de terres, financées à crédit, cette exploitation atteint les 120 hectares en 1991.

Sources : Sieciera Tomasz, Niepokorny, Varsovie, 1999 ; « Andrzej Lepper », Wprost, http://ludzie.wprost.pl/sylwetka/Andrzej-Lepper/, consulté le 1er mars 2010 ; Krok-Paszkowska Ania, « Samoobrona : The Polish self-defence movement », Mudde Cas & Kopecký Petr (éd.), Uncivil Society? Contentious Politics in Post-Communist Europe, London, Routledge, 2003.

Le second groupe réunit des agriculteurs aux profils encore plus atypiques. Ayant exercé une activité professionnelle extérieure au secteur agricole du temps de la République Populaire, ceux-ci ont profité de l’opportunité constituée par le démantèlement des Fermes d’État pour acquérir une exploitation agricole au début des années 1990. Cette acquisition peut participer d’une stratégie de reconversion professionnelle, c’est par exemple le cas pour Ryszard Kozik et pour Genowefa Wiśniowska qui seront tous deux amenés à occuper des responsabilités importantes au sein du syndicat, ou simplement d’une stratégie de diversification de l’activité. Paweł

1 Maurel Marie-Claude, art.cit., p.139.

Skórski continue ainsi à exercer son métier de vétérinaire parallèlement à sa nouvelle activité d’exploitant agricole1.

Ryszard Kozik est né en 1935 dans une famille de sous-officiers à Sarny, dans la voïvodie de Wołyń [actuelle Ukraine]. À la fin de la guerre, sa famille vient s’installer

dans les « terres recouvrées » (sur l’Allemagne). Kozik termine des études secondaires au Lycée Conradium de Gdansk avant de s’engager dans la marine de guerre. Il travaille ensuite en tant qu’électricien aux chantiers navals de Gdansk et de Szczecin. Finalement, il décide en 1990 de venir s’installer à la campagne, à Cewice, afin de monter une exploitation agricole et essayer, comme il le dit, de « vivre par lui-même ».

Sources : « Naji Goche : Ziemia Słupska », Zabory, Bory i Gochy, n°5/31, 2006, p.67.

Genowefa Wiśniowska est née en 1949 dans le village d’Ożary dans la voïvodie de Wałbrzych. Après avoir suivi les cours de l’école professionnelle agricole, elle poursuit des études de technique économique à Legnica. Elle occupe un poste de comptable à l’usine de réparation et de mécanique agricole de Ząbkowice Śląskie (voïvodie de Wałbrzych) de 1968 à 1986, puis elle travaille à la chambre régionale du commerce de Wałbrzych. En 1990, elle devient copropriétaire, avec sa sœur, d’une exploitation et d’une petite entreprise d’agroalimentaire à Ząbkowice Śląskie.

Sources : « Wiśniowska Genowefa : Mniejszy potencjał zdrady », Polityka,

http://www.polityka.pl/kraj/ludzie/185794,1,wisniowska-genowefa.read, consulté le 1er mars 2010 ; « Wiśniowska Genowefa », Wprost, http://ludzie.wprost.pl/sylwetka/Genowefa-Wisniowska/, consulté le 1er mars 2010.

Exploitants agricoles dotés de caractéristiques socioprofessionnelles singulières, les « fondateurs » du ZZR Samoobrona se distinguent également par leur politisation préalable. La majorité d’entre eux peut en effet se prévaloir d’un engagement politique ou syndical antérieur à leur participation à la mobilisation sur le surendettement agricole puis à la création du syndicat. Ainsi, Andrzej Lepper a été membre du PZPR à la fin des années 1970 et ne cache pas son intérêt de longue date pour la politique :

« J’ai été membre de PZPR en tant que plus jeune responsable d’une Ferme d’État en Pologne. J’étais encore un jeune homme et l’on m’a confié une telle fonction. Je présume que j’étais en mesure de m’en charger. À l’époque on n’avait pas vraiment le choix. On m’a simplement apporté ma carte du parti et l’on a déduit la cotisation de mon salaire. Par contre, je n’ai jamais été un activiste, cela peut être vérifié facilement. Même au niveau de la section locale je n’étais personne et je suis resté un membre de base pendant 2 ans. Néanmoins, je me suis toujours beaucoup intéressé à la politique. J’ai participé à

des nombreux concours de culture politique, économique, agricole et j’en ai même gagné au niveau national. J’ai aussi toujours eu la veine sociale. »

Andrzej Lepper.

Entretien réalisé le 25 juin 2008 à Varsovie.

L’intérêt de Lepper pour la politique se confirme d’ailleurs dès le début des années 1990, puisque, outre être à l’initiative du Comité Communal d’Autodéfense Agricole de Darłowo, celui-ci n’hésite pas à participer à la constitution d’une liste locale pour les élections législatives de 1991. Il se présente en effet dans la circonscription de Koszalin avec deux autres agriculteurs. S’il n’est pas élu, il réunit plus de 1 600 voix sur son nom, ce qui témoigne de sa capacité à mobiliser en sa faveur certains réseaux locaux1.

Si ce n’est pas le cas d’Andrzej Lepper, il semble cependant que c’est au sein du mouvement Solidarité que la plupart des premiers adhérents du ZZR Samoobrona ont connu une expérience politique préalable2. Selon Andrzej Lepper, c’est le cas de la majorité de la direction fondatrice du syndicat :

« À part moi, la plupart des autres membres fondateurs de Samoobrona étaient des anciens de Solidarité, des déçus de Solidarité. Le premier bureau du syndicat […] était même constitué d’une majorité d’anciens activistes de Solidarité, aussi bien de Solidarité Rurale [NSZZRI « S »] que de Solidarité des travailleurs [NSZZ « S »]3. »

Andrzej Lepper.

Entretien réalisé le 25 juin 2008 à Varsovie.

On le voit bien, les futurs fondateurs du ZZR Samoobrona ne correspondent nullement au portrait des « Jacques » que certains ont bien voulu dresser d’eux par la suite. En dépit de leur situation financière délicate au début des années 1990, ils ne sont en effet pas dépourvus en capitaux sociaux et politiques. Que ce soit par leur

1 Andrzej Lepper se présente aux côtés de Leszek Siudek et de Józef Kołodziej sous le nom de liste «Daj Nam Szansę » (Donne nous une chance). Cette liste, qui réunit des candidatures locales disparates et autonomes, est enregistrée sous le numéro de comité 66 au niveau national. Andrzej Lepper et ses partenaires réunissent au total 3 247 voix soit 1,35% des scrutins exprimés dans la circonscription de Koszalin. Sources : données de la Commission Electorale Nationale Polonais (PKP) réunies par « the Project on Political Transformation and the Electoral Process in Post-Communist Europe », University of Essex, http://www.essex.ac.uk/elections/.

2 Dans les premiers mois de l’existence du ZZR Samoobrona, cette donnée est d’ailleurs mise en exergue à plusieurs reprises dans la presse : « Samoobrona », Gazeta Wyborzca,12/01/1992, p.2 ; « Świąteczna okupacja », Gazeta Wyborcza, 21/04/1992, p.5.

3 C’est notamment le cas de Ryszard Kozik et de Genowefa Wiśniowska qui ont tous deux milité au NSZZ « S » au cours des années 1980.

niveau d’étude, leur parcours professionnel ou encore la forme capitaliste de leur exploitation, ils apparaissent même d’une certaine manière comme des membres de l’ « élite » paysanne, comme des « dominants » au sein du groupe dominé, dans l’espace social comme dans le champ politique, des « paysans ». Couplées à leur expérience politique antérieure, ces caractéristiques socioprofessionnelles atypiques nous paraissent pouvoir être appréhendées comme constituant une prédisposition de ces individus à s’engager politiquement, non pas dans un sens déterministe, mais en tant que probabilité de produire une opinion sur une question, de se mobiliser autour de celle-ci et, dans le cas présent, de s’engager dans un travail d’objectivation organisationnelle1.

2) Le choix de la formalisation syndicale : s’institutionnaliser pour continuer à exister.

Dans un premier temps, il semble que les membres du KKSR n’envisagent nullement de formaliser leur regroupement au sein d’un syndicat. Comme en témoigne Andrzej Lepper, ce n’est qu’à la fin de la manifestation à Varsovie que cette perspective aurait commencée à être envisagée :

« Lorsque nous avons créé des comités de protestation à Darłowo ou à Zamość, aucun de nous ne pensait à créer un syndicat, encore moins un parti. C’est bien après les premières manifestations de juillet, et même après la manifestation de l’automne à Varsovie, au cours de laquelle nous avons organisé une grève de la faim devant le Parlement, que cette idée a commencé à germer dans nos esprits. »

Andrzej Lepper.

Entretien réalisé le 25 juin 2008 à Varsovie.

La remise en cause début décembre 1991 du droit des représentants du Comité de protestation à siéger aux côtés des délégués des deux syndicats agricoles officiels au sein de la commission nationale sur le surendettement et le crédit agricole semble avoir joué un rôle d’accélérateur dans le changement de perspective qui conduit les

1 Sur la corrélation entre position sociale et propension à participer politiquement, on pourra notamment se référer aux deux ouvrages de références sur la question : Gaxie Daniel, Le cens caché, op.cit., notamment p.96-163 ; on pourra également se référer à : Bourdieu Pierre, La distinction : Critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1996 (1979), notamment le chapitre 8.

membres du KKSR à songer à créer un nouveau syndicat agricole. Alors que la participation du PL-RL au futur gouvernement et la nomination de Gabriel Janowski au poste de ministre de l’Agriculture se confirment, les dirigeants du NSZZRI « S » font en effet volte-face par rapport à leurs engagements du 14 novembre et décident de boycotter les travaux de la commission nationale sur le surendettement et le crédit agricole. Dénonçant le manque de représentativité des délégués du Comité de protestation, et donc essentiellement du KKSR, ils se prononcent au début du mois de décembre pour la constitution d’une nouvelle commission réservée aux représentants des deux syndicats agricoles officiels, le NSZZRI « S » et le KZRKiOR1. Désavoués dans leur prétention à représenter les agriculteurs surendettés, les membres du KKSR perçoivent cette décision comme une trahison et le signe du mépris à leur égard des organisations agricoles existantes2. Confrontés à la question de la pérennité de leur groupement et de ses perspectives d’action, certains d’entre eux décident alors de le doter d’un statut légal.

« Suite à la signature des accords du 14 novembre, nous pensions que les organisations syndicales officielles, le NSZZRI « S » et le KZRKiOR, prendraient en considération nos revendications et défendraient les intérêts des campagnes polonaises. Rien de tout cela ne s’est passé. Toutes deux ont préféré considérer que, d’un point de vue légal, nous étions des intrus dans l’espace public. À Varsovie,