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Organisation du domaine d’enquête

D.1.

Le choix de l'objet de recherche mérite quelques précisions. J'avais autour de moi un cercle d'amis pratiquant la reconstitution, ce qui m'a peu à peu amenée à les suivre dans cette voie. Constatant la méconnaissance de cette pratique, ainsi que sa richesse d'un point de vue sociologique et ethnographique, il m'a semblé qu'une recherche sur cette thématique pouvait être pertinente et apporter un acquis supplémentaire aux sciences sociales.

73Daniel Cefaï (2003), « Postface », in Daniel Cefaï (textes réunis par), L'Enquête de terrain, op. cit.,

p. 569.

Une première approche s'est faite par le biais de divers forums en ligne, consacrés à la pratique de reconstitution. Ce sont, en général, des espaces de discussions mis en place par une ou plusieurs associations et permettant une communication plus large et ouverte à d'autres personnes que les seuls membres associatifs. Quelques-uns de ces forums rassemblent une grande partie des reconstituteurs français. La première constatation, suite à l'analyse de ces espaces interactifs, montre un groupe social particulier, avec un langage propre, respectant un certain nombre de règles, formelles ou informelles, délimitant une sorte de frontière entre « nous » et les « autres ». L'idée de la communauté est celle qui ressortait de cette première réflexion sur l'objet. Ce travail de repérage m'a permis de saisir la spécificité de cette pratique et la possible étude sociologique qui pourrait en découler. Les données analysées en amont de la recherche donnent à voir un groupe rassemblé autour de règles spécifiques, et le premier cadre de l’enquête.

Une fois ces constatations effectuées, il a ensuite fallu construire un objet de recherche. La première difficulté a été de cerner la notion même d'histoire vivante. Puis, de délimiter un lieu d'étude. Compte tenu des lacunes portant sur les difficultés à préciser le terme même, il m'a semblé intéressant de concentrer les recherches sur le territoire français. Cependant, au fur et à mesure de l'enquête, il est apparu cohérent, voire nécessaire, d'étendre le champ aux pays francophones et frontaliers, à savoir la Belgique et la Suisse. En effet, si l'on s'en tient à cette idée de la communauté, les frontières géographiques ne sont pas pertinentes pour la circonscrire. Des rassemblements en Belgique peuvent réunir de nombreux Français, plus proches de la frontière belge par exemple que du sud de la France. La pratique inverse est évidemment fonctionnelle. Le choix géographique de l'objet d'enquête était donc préalablement la France, mais il s'est rapidement révélé insuffisant et a donc été élargi afin d'englober les pratiquants d'autres pays.

Une fois le lieu géographique d'étude précisé, une période historique particulière devait être choisie. L'histoire vivante ne se limite pas au Moyen-Âge, mais se décline selon plusieurs époques : préhistoire, Antiquité, Antiquité tardive, Moyen-Âge, Renaissance, XVIIe siècle, siècle des Lumières, XIXe siècle et XXe siècle, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Le panel est vaste, couvrant presque en totalité les diverses périodes de l'histoire française ou européenne (les pratiques extra-européennes étant peu représentées). La liste n'est pas exhaustive et de nouvelles présentations peuvent émerger au gré de l'envie de chaque pratiquant. Il peut toutefois être utile de questionner la délimitation de ces

frontières temporelles. La préhistoire apparaît comme un point de départ, aisément identifiable et repérable. Le problème s’expose davantage en ce qui concerne l'autre borne de la frontière. À ma connaissance et à l'heure actuelle, il n'existe quasiment pas d'histoire vivante présentant l'après-guerre. Les raisons peuvent être très diverses, et je ne prétends pas tout expliquer ici. Cependant, quelques hypothèses peuvent être avancées : comment en effet pourrait-on faire re-vivre ce qui est encore trop proche de nous pour en parler comme d'un temps révolu ? La question de l'histoire vivante renvoie plus largement aux problématiques posées à l'histoire en tant que discipline de recherche, sur sa définition même. Hier est certes un temps passé mais encore trop proche pour le faire entrer dans l'Histoire. La reconstitution ne semble pas étrangère à de telles réflexions. L'idée également d'un temps trop près ne permet peut-être pas ce dépaysement souvent prisé, notamment avec la recherche de gestes et techniques oubliés. Par ailleurs, l'histoire vivante prenant pour époque le XXe siècle tend davantage à une présentation de l'aspect militaire, prenant pour appui les deux guerres mondiales. En outre, une différence se fait ressentir vis-à-vis des autres reconstitutions : la plupart des objets, armes et véhicules exposés ne sont pas des reconstitutions, mais bien des matériaux d'époque. Point important, avec lequel le reste des autres périodes ne peut que difficilement jouer. Se pose alors la question de la muséographie et de la place des objets, en fonction de leurs rapports à l'Histoire, dans les diverses structures de sauvegarde. Si un char d'assaut de la Seconde Guerre peut être présenté lors d'une manifestation d'histoire vivante, ce n'est pas le cas, par exemple, pour un char gaulois, qui sera une reconstitution et non pas une pièce originale. Cette thématique du rapport à l'objet muséal en fonction de l'époque reconstituée ne peut pas être présentée ici mais elle méritait d'être soulignée, notamment pour des pistes de recherches ultérieures.

Il s’agit à présent de revenir à la délimitation du champ d'étude. L'histoire vivante regroupant des périodes aussi riches que variées, il a fallu choisir l'une d'entre elles, afin d'avoir un objet d'enquête bien précis. Mon choix s'est porté sur l'histoire vivante médiévale compte tenu des conditions préalables de recherche, comme présentées plus haut. Mais ces raisons ne furent pas les seules à être prises en compte. Le côté médiéval de la pratique est certainement le plus visible pour le grand public et, paradoxalement, celui qui a sans doute le plus de difficultés à se définir. En effet, les fêtes mettant en avant le Moyen-Âge, très présentes depuis une dizaine d'années, révèlent une image de cette période à un vaste public, en particulier pendant la saison estivale. Ces manifestations ont

remis au goût du jour cette période de l'histoire, et l'on ne peut penser à cette époque sans faire référence à ces prestations. De ce fait, un amalgame est souvent fait entre reconstitution et fêtes médiévales. Plébiscitées, ces démonstrations ajoutent à la difficulté de cerner et de définir la pratique étudiée, beaucoup plus certainement que celles des autres siècles. Ces divers problèmes de visibilité ont orienté mon choix de travailler sur cette histoire vivante en particulier. Cette période est la plus vaste de l'Histoire, puisqu'elle regroupe dix siècles, du Ve au XV e, et ce d'autant plus que les frontières avec les périodes liminaires ne sont pas strictes. Sur une même manifestation peuvent cohabiter des reconstituteurs de l'Antiquité tardive et d'autres du Haut Moyen-Âge ; de même pour les AMHE : l'étude de traités de la renaissance fait souvent écho aux traités dits médiévaux. Enfin, pour finir de préciser le champ de recherche, la reconstitution est très vite apparue comme n'étant pas seule représentante de l'histoire vivante. Que ce soit sur les divers forums internet ou de vive-voix, les AMHE ont rapidement été pris à parti, souvent présentés, discutés et sujets à débat. Il n'était alors pas possible de traiter de la reconstitution sans laisser une place importante à cette pratique physique. Elle a rapidement été identifiée comme une activité particulière en raison des frontières poreuses qui existent entre les deux communautés (reconstitution et AMHE) puis, au fur et à mesure de l'enquête, en fonction des notions mobilisées par les acteurs pour définir leur pratique. Les similitudes ne pouvaient être de simples coïncidences, a fortiori puisque les deux groupes communiquent largement et que de nombreux pratiquants d'AMHE sont aussi des reconstituteurs. C'est pourquoi le travail de définition s'est attaché à présenter ces deux pratiques sous un même référent ; de même pour la méthodologie : les techniques d'enquête employées se devaient d'être similaires, afin de pouvoir obtenir des points de comparaison.