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Choix des méthodes employées et contraintes structurelles

D.2.

Sous le vocable identique d'histoire vivante, plusieurs facettes se prêtent à l'analyse. Pourtant, il n'était pas possible de toutes les prendre en compte avec un seul type de méthodologie. Les contraintes structurelles de la pratique conduisent à une méthode comprenant plusieurs approches. Toutefois, celles-ci ne s'excluent pas, bien au contraire : elles viennent se compléter, s'intégrer les unes aux autres afin de donner à voir le puzzle

complet de la pratique étudiée. De plus, employer une seule technique risquerait de conduire à une vision partielle et partiale du phénomène.

La méthodologie a d'emblée été soumise à certaines contraintes structurelles inhérentes à la pratique de l'histoire vivante. Par contraintes, je n’entends pas ici une privation de liberté d'action ou un assujettissement ; le terme renvoie davantage à l'idée d'exigences diverses voulues par le travail de terrain. Ces dernières peuvent sembler astreignantes de prime abord, mais elles s'avèrent en réalité un support d'enquête essentiel.

Le premier obstacle concerne la question de l'entrée dans le « milieu ». Ce point fera l'objet d'une analyse précise au cours du développement, mais il semble important de le mettre en lumière dès à présent. Le champ d'étude identifié n'est pas fermé (échanges, présentations sur les différents forums internet par exemple) mais ouvert à tous d'une manière générale. Cependant, comme tout groupe social, celui des pratiquants est soumis à des règles (la plupart informelles) et est générateur d'identités. Le premier point à prendre en compte pour la suite de la recherche est celui de l'entrée du chercheur dans le milieu qu'il aborde. Deux cas de figure peuvent se produire : soit la position adoptée reste externe, la méthodologie ne reposant pas sur l'adaptation du chercheur au milieu, soit, au contraire, l'enquêteur devient participant et doit se conformer aux normes en vigueur dans le groupe étudié. Prenant en compte un point de vue ethnographique, et étant donné que je pratiquais déjà la reconstitution historique, la seconde option a été choisie. La principale contrainte pour être acceptée au sein de la pratique concerne la présentation de la démarche même d'histoire vivante, qui se doit d'être en adéquation avec celle présentée par les acteurs (via, nous l'avons vu, les différents médias de communication).

La seconde contrainte, liée à la première, questionne la notion de « confiance ». Le travail de recherche s'effectuant « à découvert », il a fallu présenter l'étude aux différents enquêtés. Pour que je puisse être acceptée, il a été nécessaire de montrer le véritable intérêt porté à la pratique, dénué de toute volonté de stigmatisation. La compréhension en amont des normes en vigueur a fortement participé à cette acceptation. D'une manière générale, ces deux contraintes et la manière de les contourner sont similaires pour les AMHE et la reconstitution, même si elles ont été beaucoup plus prononcées pour la seconde, ceci étant certainement dû à la plus forte stigmatisation dont elle fait preuve, et à la relative méconnaissance du monde des AMHE. Enfin, plus précisément, la question des costumes a été prise en compte. Le choix de la méthodologie se portant sur l'observation participante,

prendre part aux différentes manifestations de reconstitution impliquait de porter des vêtements particuliers. Si les premiers terrains ont été effectués avec mon premier costume (qui avait été préalablement validé par le groupe, d'une manière générale sur les forums, et de façon plus précise lors de l'inscription à chaque manifestation), la poursuite de mon travail n'a été possible qu'avec la création d'une autre tenue. En effet, le premier consistait en un costume « rus' » du XIIIe siècle. Or, certains rassemblements demandaient un habit bien précis, d'un siècle défini. Ce fut par exemple le cas pour le Festival de Marle et pour les différentes Journées mérovingiennes. Afin d'avoir accès à ces événements de « l'intérieur », il a fallu créer un second costume qui répondait aux normes en vigueur. C'est ainsi que la poursuite du terrain s'est effectuée avec un vêtement mérovingien. Le port du costume apparaît comme une contrainte à laquelle il n'est pas possible de se soustraire, mais qui favorise en retour les échanges et la confiance avec les enquêtés. Ci- dessous, une présentation des deux costumes qui ont été portés lors de mon investigation :

Bien entendu, dans le cadre des AMHE, cette question ne se pose pas, puisque la pratique se déroule avec du matériel contemporain. Cependant, la participation à certains stages demandait des connaissances techniques préalables. Afin de pouvoir y accéder, la participation à des séances en amont s'est avérée utile. À noter toutefois que ces cours n'ont

Illustration 2 : Costume russe,

Festival 2009

Illustration 1 : Costume

mérovingien, Marle, août 2010

pas été pris comme terrain d'étude : ils se déroulaient au départ avec quelques amis (puis ils se sont peu à peu institués) et, dans un souci de neutralité, j'ai choisi de ne pas en tenir compte dans le cadre de l'observation participante. Ainsi, pour les AMHE, la connaissance demandée pour les stages vient remplacer la contrainte établie du costume pour l'entrée dans la pratique. Toutes ces considérations et réflexions personnelles pourraient paraître superflues, mais il me semble essentiel de les préciser dès le départ car elles contribuent à la transparence des méthodologies mises en place et elles sont, à ce titre, un outil d'analyse pour la suite de la recherche.

Venons-en à présent au choix des méthodes. L'histoire vivante en tant qu'objet d'étude se montre sous l'angle de plusieurs pratiques différentes. Pour cette raison, la méthodologie employée se doit d'être variée, afin de répondre du mieux possible aux exigences de recherche. Empruntant à la fois aux techniques de l'ethnologie et de la sociologie, les méthodes utilisées visent à dresser un portrait le plus précis possible de l'histoire vivante sous ses diverses formes. Le matériau ainsi récolté donnera un éclairage riche et multiple lors de l'analyse des données. Les AMHE et la reconstitution ont tous deux été soumis à différentes approches, mais qui répondent, pour chacun de ces deux pôles, à la même démarche. Cette pluralité de méthodes doit permettre de saisir les différentes facettes de l'histoire vivante. Partant du constat que la pratique étudiée souffre d'un manque de (re)connaissance à la fois de la part du grand public et de celui du monde de la recherche en général, il est essentiel de pratiquer une méthodologie mettant au centre la notion de terrain telle qu'elle peut être entendue en ethnologie. En effet, peu de travaux bibliographiques traitent directement de ce sujet de recherche et des différents concepts qui peuvent lui être reliés. Par conséquent, une méthodologie de type inductive s'est imposée, afin d'obtenir des données à partir desquelles commencer à dresser un portrait de l'histoire vivante. La première démarche a ainsi consisté à pratiquer l'observation participante sur différentes manifestations. Ce premier matériau récolté, il était alors possible de développer différentes hypothèses et problématiques à partir desquelles travailler, tout en constituant une bibliographie sur les concepts soulevés. La poursuite de la recherche s'est attachée à amplifier le travail d'observation participante, pour vérifier les hypothèses émises précédemment. Cette méthode chère à l'ethnologie s'est vue complétée, tout au long de l'enquête, par des questionnaires visant à obtenir des données davantage quantitatives (afin de discerner des grandes tendances), puis par des entretiens (directifs et semi-

directifs), visant à approfondir, circonscrire et enfin vérifier les données de l'observation. Au total, ce furent ainsi :

- 16 observations participantes mises en place, dont 11 pour la reconstitution et 5 pour les AMHE, sur une durée de presque deux ans (d'avril 2009 à mars 2011) ; - 152 questionnaires récoltés : 119 pour la reconstitution et 33 pour les AMHE ; - 54 entretiens recueillis : 25 pour la reconstitution à proprement parler, 19 en ce qui

concerne les AMHE et 10 abordant les deux pôles de manière conjointe.

Je préciserai et détaillerai ces chiffres ultérieurement, de même qu'une autre partie, sur la mise en place et la réalisation des différentes méthodes utilisées, sera abordée. Le choix des méthodes s'est imposé en fonction des contraintes du terrain et des résultats obtenus. Ces trois manières d'aborder l'objet de recherche se complètent et répondent chacune à un questionnement conceptuel. Les frontières entre la théorie et la pratique ne sont pas cloisonnées et les deux étaient prises en compte de manière parallèle.

Enfin, en ce qui concerne les limites de l'objet de recherche, certains traits n'ont pas été pris en compte. C'est d'abord le cas du public présent aux différentes manifestations. Je me suis rapidement rendu compte que ce thème d'étude (qui est présent sur les événements d'histoire vivante ? Dans quel but ?, etc.) méritait à lui seul un examen particulier. Certes, il eut été intéressant de porter attention à ce phénomène mais, pour des raisons de temps et afin de bien délimiter l'étude, il a fallu faire des choix. C'est pourquoi l'histoire vivante ne sera pas abordée du point de vue du public (même s'il sera parfois fait mention du type de visiteurs présents sur certains événements : scolaires, familles, etc.), mais bien d'un point de vue interne, celui des pratiquants. Une autre limite importante est la non-observation de reconstitutions de batailles, ainsi que de certains autres événements, telles les randonnées pédestres ou les manifestations « Archers versus Piétons ». Il ne s'agit pas d'un choix technique, mais de contraintes qui se sont révélées insurmontables. Des empêchements relatifs au calendrier, puisque les reconstitutions de batailles n'ont lieu qu'une fois par an, mais aussi des obstacles liés au costume ou au matériel, que je n'avais pas pour participer à ces manifestations (par exemple, un costume XVe siècle pour la bataille d'Azincourt ou du matériel d'archer). Néanmoins, l'analyse et la prise en compte de ces manifestations ont pu se réaliser en aval par le biais des NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la

communication) ainsi que par des échanges de visu avec des reconstituteurs qui y étaient présents. Ces limites, acceptées et prises en compte, ont permis de mieux cerner l'objet d'étude. Le choix des méthodes présenté, il faut s'intéresser aux différents liens méthodologiques pouvant exister entre sociologie et ethnologie et de donner quelques pistes de réflexion épistémologique.

E. Pratiques sociologiques et ethnologiques : quelques points de

réflexion