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Caractérisations des types d'activités

C.2.

Le travail de pré-enquête a permis de révéler quelques caractéristiques concernant les différentes pratiques dès lors que l'on parle d'histoire vivante.

C.2.1. La reconstitution historique

Cette activité englobe diverses réalités. D'abord au niveau des manifestations possibles concernant la pratique : cela peut être des rassemblements privés entre reconstituteurs ou bien de grands événements ouverts au public, comme le Festival d'histoire vivante de Marle. Le nombre de pratiquants peut varier, allant de quelques personnes à plusieurs centaines de reconstituteurs. Les événements peuvent être directement destinés au public, ou bien lui être totalement fermés. De même, le thème de la manifestation peut être militaire, comme les reconstitutions de batailles, ou totalement civil. Entre chacun de ces extrêmes, des nuances peuvent être apportées et constituer un nouveau type de rassemblement. Le panel est extrêmement varié et la recherche doit pouvoir être flexible afin de s'adapter à chaque cas spécifique, tout en relevant les éléments caractéristiques à l'ensemble.

En ce qui concerne les reconstituteurs, là encore, l'échantillon est diversifié. Ils peuvent être déclarés en tant que professionnels ou simplement être des amateurs, dans le sens où la pratique constitue pour eux une activité de loisir. Dans le cas des professionnels, ils sont intermittents du spectacle, artisans déclarés, auto-entrepreneurs, etc. Les statuts sont variés et englobent à la fois une expérience d'animation, d'artisanat, ou encore commerciale. Les amateurs, quant à eux, font partie d'une association (en général, loi 1901) ou sont « isolés » et se rendent « sans groupe » (mais parfois en famille) sur les manifestations.

Dans tous les cas, le phénomène est multiple, du moins dans sa structure. Le travail de terrain et la réflexion méthodologique doivent permettre de s'adapter à chaque cas tout en en saisissant les spécificités. Il n'est pas possible de recenser tous les pratiquants, compte tenu de cette diversité ; néanmoins, grâce à certains outils développés via internet par les pratiquants eux-mêmes (cartes des associations par exemple), il est envisageable d'estimer le nombre de reconstituteurs à plusieurs centaines. À titre d'exemple, le Festival d'histoire

vivante de 2011 a regroupé, toutes époques confondues, 1 000 reconstituteurs ; sachant que

tous ne sont évidemment pas présents, cela permet cependant de donner une idée en termes de chiffres pour ce qui est de la reconstitution.

Enfin, un point peut être fait quant au vocabulaire employé, qui donne une image de la pratique. Pour ce faire, il faut s'appuyer sur les supports écrits concernant la reconstitution. Il peut s'agir de plaquettes de présentation d'associations, mais aussi de sites internet, etc. D'une manière générale, les termes qui sont fréquemment utilisés renvoient aux concepts de mémoire (« témoins de l'Histoire »), à l'importance de la période reconstituée (« Collectif Francs »), à la transmission (« transmettre au public la compilation des

recherches »), etc. Enfin, dans le descriptif de l'association, les termes de « reconstitution historique », de « savoir-faire » et de « culture » sont employés. Je reviendrai dans la

dernière partie sur cette question du langage. Mais déjà, il est possible de signaler qu'il permet de donner sens aux pratiques et qu'il en délimite les frontières.

C.2.2. Les AMHE

De ce point de vue, le phénomène est également pluriel. Là encore, les manifestations regroupent plusieurs réalités, bien que les « stages » forment la grande majorité des événements d'AMHE. Ceux-ci peuvent se dérouler sur une journée ou plusieurs jours (jusqu'à quatre dans le cadre des Rencontres internationales de Dijon). En règle générale,

ils ne sont accessibles qu'aux pratiquants sur inscription préalable, mais certains ouvrent l'accès au public afin qu'il puisse venir « regarder ». D'un autre côté, les AMHE peuvent être représentés lors de fêtes médiévales ou, plus spécifiquement, lors d'événements à caractère historique : « journées du patrimoine », « nuit des musées », etc. Ils trouvent alors leur place dans des structures d'accueil tels les musées ou encore parfois l'université ou les écoles, pour des journées d'animation particulières. Enfin, les associations d'AMHE proposent un entraînement d'une fois par semaine en moyenne, dans une salle (gymnase ou autre) souvent prêtée par une collectivité. Leurs lieux d'activités sont divers et répondent à des demandes parfois extérieures.

Les pratiquants sont, à l'inverse des reconstituteurs, rarement isolés, étant donné qu'il est nécessaire d'avoir un encadrement minimum pour l'activité (au moins un partenaire et un lieu pour s'exercer). La question de la professionnalisation sera développée, mais d'emblée, les personnes en faisant une source de revenus sont beaucoup moins nombreuses qu’en reconstitution.

Quant au langage utilisé, il renvoie à la question du « geste martial », à l'étude de traités et à la « recherche », mais aussi à la « promotion » de la démarche. D'une manière générale, les AMHE sont présentés comme une activité en mouvement, non figée, qui se base sur des « sources » pour « expérimenter » ou « reconstituer » un geste. À noter que de nombreuses associations cherchent à conserver l'acronyme dans leur nom (PEAMHE,

ARDAMHE), ou lorsqu'elles ne le font pas, les termes utilisés renvoient à un vocabulaire

spécifique (De taille et d'estoc, la Ghilde, etc.).

Là encore, la pratique, comme celle de reconstitution, est plurielle, tout en exposant les principes généraux définis dans le cadre de l'histoire vivante. Les spécificités de chaque activité permettent d'enrichir le travail de recherche et d'analyse.

C.2.3. D'autres types de reconstitution ?

Si l'on s'en tient à cette question du langage, la place d'autres pratiques doit aussi être interrogée. C'est notamment le cas, par exemple, des associations (ou particuliers) mettant en scène des « reconstitutions » de l'univers de John Ronald Reuel Tolkien, auteur du

reconstitution historique et de les appliquer à la reconstitution d'un monde imaginaire, les « sources » étant constituées par les écrits de l'auteur.

Pour cette démarche, ce sont bien les méthodes de la reconstitution historique qui sont mises en œuvre, au service d'une recréation d'un univers fictionnel. Le vocabulaire utilisé est le même que celui d'une pratique historique, ce qui ajoute à la difficulté de tracer des frontières précises entre les différents mouvements. Dès lors, est-il réellement possible de parler de reconstitution pour un univers imaginaire ? La définition du dictionnaire concernant l'action de reconstituer renvoie à l'idée de « former de nouveau quelque chose

qui avait cessé d'être » ou de « rétablir dans sa forme quelque chose qui a disparu et dont il n'existe plus que des éléments ou des témoignages »72. Cette définition peut s'appliquer à la reconstitution historique, dans le sens où celle-ci cherche à reformer des éléments (costumes, objets, etc.) disparus mais ayant une trace historique (données archéologiques, manuscrits, etc.). Cependant, concernant la mise en scène d'un événement imaginaire, qui n'a donc jamais existé, le terme de reconstitution ne semble pas adéquat. Son emploi ne semble d'ailleurs renvoyer qu'aux méthodes empruntées à la reconstitution.

Il n'est pas question de discuter des applications de la reconstitution des « Terres du Milieu », mais de montrer à quel point l'univers linguistique de la reconstitution, quelle qu'elle soit, est complexe. Dans tous les cas, ce phénomène montre à quel point il peut être important de préciser de quel type de reconstitution l'on parle, en mettant en avant une épithète pour la qualifier.

Un autre phénomène qui questionne les frontières de la reconstitution, est le jeu de rôle grandeur nature (GN) historique. Cette activité, comme il a déjà été mentionné, n'entre pas dans le cadre de l'histoire vivante, mais il est possible de l’évoquer dès lors que son qualificatif est « historique ». Plusieurs études proposent de présenter comment le GN mobilise l'imaginaire médiéval et les usages qui sont ainsi faits du passé. Ce qui nous intéresse ici est la question du lien entre une activité revendiquée comme prenant place dans un univers fictif, et la volonté d'y associer le côté historique, pour le décor et la mise en scène. Mon thème d'étude ne porte pas sur le jeu de rôle, l'histoire vivante ne comprend pas le principe de « jouer un rôle ». Il n'est pas envisageable de donner ici une vision sociologique de cette démarche. Néanmoins, il faut souligner que l'organisation de ce type

d'événements fait souvent appel aux compétences des reconstituteurs (historiques) qui sont sollicités pour donner leurs avis et conseils sur des points de détails historiques (costumes, artefacts, décors, etc.). Là encore, il faut remarquer que les deux activités ne sont pas hermétiques et que les frontières sont parfois poreuses, dans un but d'enrichissement de l'activité et de partage de connaissances. Plus simplement, il est possible de parler de visions différentes d'un usage de mise en scène des éléments historiques.

Ainsi, d'autres types de reconstitutions peuvent être repérés, étant souvent proches de l'histoire vivante, que ce soit par les méthodes employées ou par le contexte dans lequel la pratique prend place. L'intérêt de cette présentation est de montrer que le langage utilisé est souvent le même et pose le problème des frontières de chaque phénomène. Pour cette raison, il est d'autant plus essentiel de définir précisément sur quoi porte l'enquête et comment l'activité parvient à s'autonomiser des autres champs qui lui sont proches. Ces précisions invitent par ailleurs à se poser la question, en dehors du simple langage, des éléments de comparaison qui peuvent faire sens pour l'étude de l'histoire vivante.

C.2.4. Perspectives comparatives

L'histoire vivante est proche d’autres pratiques. Mais au sein même de son champ d'application, des distinctions peuvent apparaître. Premièrement, l’activité se décline selon plusieurs époques, du moment que celles-ci font référence à une réalité historique. Il pourrait alors être enrichissant d'adopter un point de vue comparatif entre ces diverses époques. Ce travail de mise en relation de deux périodes distinctes s'est en partie développé lors de ma recherche, à partir des manifestations multi-époques, tel le Festival d'histoire

vivante. Des éléments de comparaison peuvent déjà être mis en place, notamment en ce qui

concerne le langage utilisé, les thématiques abordés par les pratiquants, etc. L'« Antiquité » permet de mettre en relief ces divers points de similitudes, ou au contraire parfois de divergences, avec l'histoire vivante médiévale, et ce d'autant plus que les périodes historiques concernées se « suivent ». Les usages faits de l'archéologie et de l'histoire, par exemple, ne sont pas mobilisés de la même manière. Faute de traces visuelles aussi conséquentes que celles du Moyen-Âge, beaucoup de reconstituteurs « antiques » se tournent vers l'archéologie, beaucoup plus que vers l'histoire. Le rapport avec les professionnels et le milieu universitaire semble en être sensiblement modifié.

Un autre élément de comparaison qui permettrait d'enrichir l'étude concerne le lieu géographique sur lequel se déroule la pratique. En France, la recherche tend à démontrer que l'histoire vivante demeure un fait relativement méconnu. Quelques terrains effectués en territoire francophone (Belgique ou Suisse) autorisent déjà à donner quelques pistes de réflexion. En Suisse par exemple, l'histoire vivante reste peu développée et les pratiquants se déplacent pour beaucoup jusqu'en France pour assister à des manifestations. Dès lors, il peut être possible de se demander ce qu'il en est pour d'autres pays. En Angleterre, le travail de pré-enquête a permis de montrer que l'histoire vivante est une action reconnue et encouragée par le gouvernement, dans le cadre de la mise en valeur du patrimoine. Qu'en est-il pour les autres pays européens, et extra-européens ? Il serait judicieux de s'interroger, par ailleurs, sur les conditions d'émergence de l’activité dans d'autres lieux, et sur l'accueil qui lui est réservé par les différentes instances publiques.

Enfin, un troisième et dernier point de comparaison éventuelle concerne les liens (d'opposition ou de proximité) entre les diverses activités de loisirs mettant en scène une thématique historique ou de reconstitution. Dresser un parallèle entre la reconstitution imaginaire, le GN historique et l'histoire vivante pourrait donner lieu à une vision plurielle de ces différents loisirs et poser la question de la mobilisation d'une connaissance historique.

Toutes ces questions portant sur une perspective de rapprochement n'ont pas pour vocation d'être traitées ici, bien que certains éléments significatifs se soient déjà donnés à voir au cours du travail de terrain. Mais mentionner ces points de comparaison permet de garder en mémoire l'approche théorique (et méthodologique) choisie pour aborder la thématique de la recherche, et ce pour deux raisons principales : d'une part, afin de savoir exactement où se situe l'objet dans le champ du réel et des diverses activités qui l'encadrent (cela autorise à dresser des frontières pour construire le corpus pris en compte et organiser le réel pour l'observation du phénomène) ; de l'autre, cette énumération légitime une analyse comparative ultérieure, dont les prémisses sont d'ores et déjà perceptibles.

Ainsi, prendre en compte les activités qui sont proches de l'histoire vivante, que ce soit d'un point de vue interne (une époque), géographique (un pays) ou technique (un type de pratique), agit comme un outil favorisant la délimitation de l'enquête, tout en la précisant et en ne laissant pas de côté des pistes d'étude fécondes.

Le schéma suivant permet de situer l'histoire vivante médiévale par rapport aux autres éléments énumérés. Tous ne sont pas présentés et il ne s'agit que d'un exemple qui ne permet pas de relever toutes les époques historiques, ni tous les types de pratiques, mais qui donne une idée du champ dans lequel prend place la recherche.

Il faut souligner que ce schéma peut être modulable et autorise à mettre en relation différentes approches. Ainsi, la reconstitution imaginaire peut très bien être abordée dans un pays anglophone ; ou encore, l'histoire vivante napoléonienne constituer un terrain d'études comparatives entre les différents pays européens.

En conclusion de cette partie traitant de la problématisation et de la typologie, il faut souligner que la délimitation de l'objet se construit selon un processus, au cours duquel les cadres théoriques seront peu à peu définis. La question de départ fournit un thème, qui sera approfondi grâce à la mise en place de la problématique et des hypothèses. De plus, pour cette recherche en particulier, un travail de définition des termes utilisés se devait d'être mis en place. En effet, organiser le fond de l'étude inclut une construction de catégories

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