• Aucun résultat trouvé

1.1 Pourquoi créer une nouvelle institution ?

1.1.2 Une organisation bureaucratique et philanthropique

1.1.2.1 Organigramme

Si Max Weber a défini la bureaucratie essentiellement par ses agents, les fonctionnaires252,

il la comprend comme l'idéal-type de la domination légale, qu'il définit cette fois par son mode d'exercice du pouvoir253. Nous ne reviendrons naturellement pas en détail sur ces très

célèbres analyses254, on se contentera de reprendre ici les catégories fondamentales de cette

domination rationnelle pour faire apparaître ensuite dans quelle mesure le type d'activité du CGH y correspond. Celles-ci sont au nombre de sept, que l'on peut résumer à l'édiction de règles écrites (qu'elles soient règles techniques ou normes) dans un champ de compétence défini, avec des moyens d'exécution délimités255, au sein d'une hiérarchie (i.e. « l'organisation

d'autorités précises de contrôle et de surveillance »), les moyens d'administration n’appartenant pas en propre à leurs commanditaires, non plus que leur poste.

Que le CGH exerça ses prérogatives en éditant des normes écrites ne fait guère de doute : les 117 052 arrêtés pris pendant tout sa période d'exercice en attestent suffisamment. L'objet de cette section et de la suivante est précisément d'exposer son champ de compétence et sa hiérarchie256. Examinons maintenant l'organisation de l'institution, dont voici l'organigramme

tel qu'il fut arrêté en l'an XIV :

252 Weber 1995 [1921], pp.294–295: « le type pur de l'administration légale : la direction administrative bureaucratique. »

253 Weber 1995 [1921], pp.291–294, en particulier pp. 292-293 pour les catégories fondamentales de la domination rationnelle.

254 Dont nous examinerons un aspect particulier plus loin section 3.1.2.1. 255 Caractérisant ce qu'il appelle une « autorité constituée ».

256 Bureaucratique, le CGH le fut aussi dans son acception plus vernaculaire, comme dérive du système décrit par Weber, et étudié par Crozier 1971 : multiplication et redondance des procédures et échanges écrits, lenteur, complexification inutile et inefficace. cf. infra p.130.

Organigramme du CGH en 1805 :

CGH : 12 puis 15 membres

chacun chargé d'un ou

plusieurs établissements

Ministère de l'Intérieur

Commission Administrative:

5-8-6 membres

+ Secrétaire Général, Receveur et Contrôleur.

1ere division : Hospices & placements

2e division : Hôpitaux & ets généraux

2

e

ou 3

e

division

Bureau des Hôpitaux & Hospices

3e division : Domaine & bâtiments

4e division : Secours à domicile

5e division : Comptabilité générale

1

ere

section

2

eme

section

3

eme

section

St-Antoine

Hôtel-Dieu

St-Louis

Vénériens

Enfants-

Malades

Necker

Charenton

Charité

Beaujon

Maternités

Cliniques

Cochin

St-Louis

Maison Santé

Vaccine

Ets Généraux

BCA

Bicêtre

Salpêtrière

Incurables

H/F

Ménages

Montrouge

Orphelins

1

ere

section

2

eme

section

Bureaux de Bienfaisance des 1, 2, 3, 4, 9, et 10e arrondissements Bureaux de bienfaisance des 5, 6, 7, 8, 11 et 12e arrondissements

Nous l'avons dit, le CGH vient simplement « coiffer » la commission administrative existante depuis 1791 à Paris et 1796 sur l'ensemble du territoire. Le CGH qui, outre les deux préfets, compte initialement douze membres puis quinze à partir de 1818257 a, au titre de

l'arrêté consulaire l'établissant, la totale direction des hôpitaux et hospices de la ville. Il fixe « le montant des dépenses de tout genre, l'état des recettes, réparations et améliorations ; enfin, il [délibère] sur tout ce qui intéresse le service desdits Hospices, leur conservation et la gestion de leurs revenus » (art.5). Il fixe ainsi, « sous l'autorité du Ministre de l'intérieur, le nombre des malades et indigens à recevoir dans chaque hospice, le nombre et le traitement des employés de ses bureaux, et de ceux de la commission et des agens et employés dans l'intérieur de ces établissemens »258 et, après la réunion avec l'agence des secours à domicile,

l'affectation, la gestion et la division des travaux des agents de la commission administrative et de l'agence de secours259.

La commission administrative, composée au départ de cinq membres comme toutes les autres (à la différence que ceux de Paris sont salariés, avec un traitement annuel de 6000F260),

voit le nombre de ses membres porté à huit après la réunion avec l'agence des secours en 1802, puis réduit à six après 1816261 : la moitié sont affectés aux deux premières divisions

(hospices, hôpitaux et établissements généraux, i.e. pharmacie et boulangerie centrales, puis, à partir de 1816, cave générale), les trois autres à une des troisième, quatrième, et cinquième divisions. Si deux agents de la Commission Administrative assistent aux séances du Conseil et

257 cf. infra section 1.1.2.4.

258 Arrêté du Ministre de l'intérieur du 8 floréal an IX (28 avril 1801), Conseil Général d’administration des Hospices Civils de Paris 1824, p.5.

259 Arrêté du Ministre de l'intérieur du 8 prairial an X (28 mai 1802), Conseil Général d’administration des Hospices Civils de Paris 1824, p.6.

260 Ce qui les place dans le haut de la fonction publique, au-dessus d'un sous-préfet par exemple, cf. Duprat 1997, p.92. Le traitement des commissaires des première et deuxième divisions fut augmenté de 1600F en 1811 en raison de leurs frais de voiture.

261 Outre le receveur qui exécute les comptes en recette et dépense et le contrôleur exerçant une vérification a posteriori.

y ont voix consultative262, ils lui sont totalement subordonnés. Responsables devant le CGH,

ils lui rendent compte de l'exécution de ses arrêtés et directives ainsi que du service des employés : « les membres de la Commission et de l'agence seront essentiellement et uniquement chargés de l'exécution des mesures arrêtées par le Conseil général et par les membres chargés de la surveillance (des établissemens) […] La Commission administrative, conformément aux arrêtés pris par le Conseil général, sera responsable de leur inexécution, ainsi que du défaut d'exactitude des agens et employés »263. Jean-Paul Martineaud a raison

d'écrire que le CGH était à la fois héritier de l'Hôtel-Dieu, du Grand Bureau des Pauvres et de l'Hôpital Général. Par contre, on ne peut souscrire à ses propos quand il avance – sans les étayer – que la Commission Administrative était théoriquement réduite à un organe d'exécution, mais que « en pratique, constituée de fonctionnaires permanents et compétents, elle allait prendre progressivement le pouvoir au sein de l'administration réalisant une direction collégiale »264. A contrario on suivra J. Imbert et surtout C. Duprat pour laquelle

avec la création du CGH, « Se trouvaient [...] disjointes les fonctions de délibération et de décision, désormais réservées au Conseil et les tâches d'exécution, toujours imparties à la Commission administrative » dont les membres, en sus des dispositions règlementaires, se trouvaient maintenus par « leur statut de salarié, leur mode de recrutement – sur proposition du Conseil – et le rang social des dignitaires composant le Conseil […] dans une position de dépendance et de subordination »265.

262 Puis furent admis avec voix consultative tous les membres de la commission administrative concernés par l'ordre du jour. Arrêté du ministre de l'Intérieur du 6 fructidor an XI (24 août 1803), cf. Conseil Général d’administration des Hospices Civils de Paris 1824, pp.19–20.

263 Arrêtés du Ministre de l'Intérieur du 6 fructidor an XI (24 août 1803) et 27 nivôse an IX (17 janvier 1801) respectivement, Conseil Général d’administration des Hospices Civils de Paris 1824, p.20.

264 Martineaud & Cordier 2002, p.164. 265 Duprat 1997, pp.91–92.

Le Conseil se réunissait une fois par semaine, le mercredi – sauf réunions exceptionnelles sur un ordre du jour particulier, comme la réforme du Règlement du service de santé en 1830 qui suscita une dizaine de séances extraordinaires. Bien que le Conseil ait été un organisme collégial266, à partir du 14 nivôse an X (4 janvier 1802)267 chaque conseiller reçut la

surveillance particulière d'un ou plusieurs établissements – le terme recouvrant à la fois chacun des hôpitaux, hospices, et établissements généraux, les bureaux de bienfaisance (en indivisibilité), mais aussi le contentieux, la comptabilité, etc. Ces attributions varient trop pour que l'on puisse les représenter simplement, mais elles sont en général modulées par la taille de l'établissement : Bicêtre ou la Salpêtrière sont par exemple souvent la seule surveillance dévolue au conseiller en ayant la charge. Réciproquement, plusieurs conseilleurs peuvent avoir la responsabilité d'un même établissement (il en va fréquemment ainsi pour le contentieux)268. Il est difficile de déceler la façon dont la distribution était pratiquée entre les

conseillers. Tout au plus peut-on remarquer que la surveillance de la pharmacie centrale fut dévolue à Parmentier pendant les années de sa présence, et que le service de santé et le Bureau Central d'Admission, qui bénéficièrent d'une attention particulière à partir de 1818, se virent confiés au médecin membre du CGH (Portal puis Orfila).

Les travaux de la commission administrative furent également divisés. L'organigramme ci-

266 Si bien que devant la masse des arrêtés qu'il vote, ceux-ci finissent par n'être plus signés vers 1808. 267 Imbert 1954, p.239.

268 À titre d'exemple, de 1820 à 1823, d'Aguesseau était en charge de Necker ; Barbé Marbois de l'Hôtel-Dieu et de la comptabilité ; Bigot de Préameneu des Ménages ; Camet de la Bonardière du secrétariat, des domaines, des Enfants-Trouvés , de la Maison d'Accouchement, de Cochin et des Bureaux de Charité ; Chaptal des Vénériens, de la filature et de la pharmacie centrale ; Delessert de la comptabilité et de la Maison Royale de Santé ; Doudeauville de Montrouge, des Enfants-Malades et la Pitié ; de Montmorency de Sainte-Périne et de Saint-Louis ; Muraire du contentieux et de Beaujon ; Pastoret des Secours à domicile et de la Salpêtrière ; Péan de Saint-Gilles des nourrices, des maisons urbaines et des biens ruraux ; Richard d'Aubigny de Bicêtre ; la Rochefoucauld de Saint-Antoine, des Incurables Hommes et Incurables Femmes, de la boulangerie et de la pharmacie centrale ; Séguier de la Charité et des Orphelins ; Portal du service de santé et du Bureau Central d'Admission. cf. Testu 1815.

dessus présente l'organisation des bureaux telle qu'elle fut décidée en l'an XIV269. Au

secrétaire général revenaient la rédaction des procès-verbaux des séances du Conseil et de ses arrêtés, la remise de ces derniers au préfet dans les 24 heures, l'envoi aux cinq divisions et aux contrôleurs, receveurs, etc. des arrêtés les concernant, ainsi que le classement des pièces remises au Conseil, la correspondance et les archives, et la passation des marchés pour l'approvisionnement. Les deux premières divisions, pour les établissements qui leur revenaient, avaient la charge des demandes d'emploi, la police et le régime intérieur, les marchés, la correspondance, l'envoi des pièces de dépenses aux ordonnateurs, la copie et l'expédition des arrêtés les concernant aux agents et économes, la tenue d'un registre par établissement contenant les décisions des membres du CGH en ayant la surveillance. En sus, la première division avait la main sur les admissions dans les hospices et les demandes de pension représentative, et la troisième section de la seconde division sur le service de santé, les rapports sur les nominations aux postes de médecins, chirurgiens et pharmaciens, les concours des élèves en médecine, chirurgie et pharmacie ainsi que des sages-femmes. Il faut noter que les agrégats d'établissements relevant des première et seconde divisions furent sensiblement bouleversés en 1814-1815 quand la troisième section de la seconde division disparut : la première division, toujours confiée à Desportes, dut s'occuper, en sus des hospices, de l'Hôtel-Dieu, Beaujon, la Pitié et son amphithéâtre, de la Boulangerie générale, la première section de la seconde division, confiée à Duchanoy, du service de santé, du Bureau Central d'Admission et de la Pharmacie Centrale ; et la seconde section de la seconde division, à la tête de laquelle se trouvait Péligot de la Charité, Saint-Antoine, Necker, Cochin, Saint-Louis, Vénériens, Enfants, Maison d'Accouchement, Enfants-Trouvés, Orphelins, Direction des Nourrices, Maison de Vaccine, Maison Royale de Santé et Cave générale270.

269 cf. Conseil Général d’administration des Hospices Civils de Paris 1818, vol.IV.

270 cf. Testu 1815 ; Conseil Général d’administration des Hospices Civils de Paris 1824, pp.21–22. En 1814, pour faire des économies, c'est l'administration des domaines qui est remise au secrétariat général (à

Ultimement, au bout de la chaîne hiérarchique un « agent de surveillance »271 était à la tête de

chaque hôpital ou hospice, secondé par un nombre variable de personnels administratifs (receveurs, économes, commis, etc.) en fonction de la taille de l'établissement.

Les devoirs des trois autres divisions n'appellent pas de précision particulières, si ce n'est que la troisième était en charge – outre des affaires relatives aux propriétés immeubles – des pensions pour ancienneté de service, de la tutelle des enfants abandonnés et des legs faits aux hospices ; et que la cinquième division devait à la fois anticiper les dépenses futures en fournissant un budget prévisionnel six mois avant le début de chaque exercice et apurer les comptes en suivant « les arriérés, réclamations et soldes de créances antérieurs à l'an XIV. »

Quels que soient les réagencements pratiqués dans la distribution des établissements, il apparaît clairement que les hôpitaux et hospices se trouvaient sous une double tutelle. C'était là un effet du mode d'organisation qui voulait que « le membre du Conseil et le membre la Commission administrative qui donnent leurs soins à la même maison, confèrent d'abord entre eux sur le service de cette maison ; ils préparent de concert, les propositions à porter au Conseil, lequel prononce et fait exécuter par la Commission »272 : les séances hebdomadaires

laissent peu de place à la discussion, l'essentiel du travail se fait en amont, entre les conseillers

l'exception des attributions, remises à la division de la comptabilité), suite à la démission de Dupont de Nemours de l'agence des secours (il avait été nommé conseiller d'État) et à la vente de la plus grande partie des maisons urbaines qui composaient le revenu des hospices, « ce [qui] diminue considérablement le travail du bureau des domaines ». Selon Barbier-Neuville, qui approuve la mesure, celle-ci pourrait permettre de gagner 7 à 8 000F par an. Arr. CGH 15266 du 6 juillet 1814, AN F15 1922.

271 Équivalent de directeur. Un certain nombre d'entre eux, notamment pendant la Révolution, ne furent pas cantonnés à une activité d'exécution pure et eurent une influence importante sur la destinée de leurs

établissements. C'est le cas de par exemple Hombron, auquel on fait crédit de la création de la Maternité. cf. Weiner 1985 ; Beauvalet-Boutouyrie 1999, pp.59–63.

et les commissaires273, et entre les commissaires et les agents de surveillance274. L'exécution

des arrêtés – assurée par les commissaires – est redoublée par la surveillance directe des conseillers, que ce soit par des visites275, des correspondances directes, la présentation de

rapports, etc. Enfin, à l'égard des secours à domicile, « les textes distinguent un pouvoir de

direction des maisons hospitalières […], mais d'inspection seulement des établissements de

Secours à domicile et du Bureau des nourrices […]276. En fait, il apparaîtra […] que jusqu'à la

date de 1831, c'est bien une double direction qu'il n'a cessé d'exercer »277.

Chaîne hiérarchique stricte, distinction entre les fonctions délibératives et exécutives, impersonnalité des règles, centralisation de la décision et redondance des contrôles et de la surveillance : le Conseil Général présente les caractéristiques d'une institution bureaucratique, tels que définit par Max Weber ou Michel Crozier278.