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1.1 Pourquoi créer une nouvelle institution ?

1.1.2 Une organisation bureaucratique et philanthropique

1.1.2.4 La nomination des membres du Conseil Général des Hospices : un enjeu

1.1.2.4.3 Une des institutions les plus stables de son temps

Partant, la stabilité du CGH – qui est, nous l'avons dit, sa seconde caractéristique majeure – n'est guère surprenante.

Les cinquante-quatre conseillers ayant siégé au CGH ont exercé en moyenne pendant 11,4 ans, voire 12,5 ans si l'on exclut du calcul les membres morts dans l'année ; la médiane se situant à sept ans et même dix en pratiquant la même exclusion. Le record revient à Benjamin Delessert, avec quarante-six années de service, qui ne seront interrompues que par sa mort. Mais quatorze autres conseillers siègeront plus de quinze ans, dont quatre plus de trente374. Le

diagramme p.106 est suffisamment clair à cet égard : 1815 ne constitue pas plus que 1830 un moment privilégié de renouvellement des membres375, et seules les démissions volontaires et

la mort expliquent les changements de titulaires376.

371 Il avait démissionné suite à sa nomination comme ministre des cultes. 372 AN F15

1926 Arr. CGH 25508 du 23 décembre 1818

373 AN F15 1927 Arr CGH 26890 du 2 juin 1819, nomination par le roi le 30 juin 1819.

374 Camet de la Bonardière, Delessert, Richard d'Aubigny et Séguier.

375 Alors qu'à l'été 1831, seuls 29% des membres des bureaux de charité du début de 1830 sont encore en place. Duprat 1997, p.111.

376 Nous l'avons dit, la seule destitution fut celle de la Rochefoucauld-Liancourt en 1823. Plus d'une vingtaine de membres mourront en fonction sur l'ensemble de la période d'existence du CGH.

Dès l'an XIV, Frochot avait demandé que l'ensemble des membres soit reconduit, « cette marque de confiance du Conseil, le zèle qu'ils ont montré dans l'exercice de leurs fonctions, l'aptitude et les connaissances particulières qu'ils ont acquises par une expérience de plusieurs années, tout annonce qu'en les continuant dans leurs fonctions, on fera un choix très utile au succès de l'administration »377. Et effectivement, nous l'avons vu, c'est bien cette reconduction

quasi systématique des membres qui explique que le CGH ait été, « dès l'Empire, l'une des institutions les plus stables de son temps »378. Alors même que la commission administrative

antérieure avait compté trente-cinq titulaires pour cinq sièges en à peine dix ans d'existence, le CGH en compta cinquante-quatre pour douze puis quinze places en près de cinquante ans. Sur la période qui nous occupe, pour trente-cinq nominations dont nous pûmes consulter le détail des arrêtés, trente-deux avalisèrent purement et simplement les volontés du CGH en nommant les premiers des listes triples puis quintuples379. Ceci n'aurait pas été possible sans l'aval du

pouvoir central, même contraint. Nous avons vu que le CGH le fit plier sur l'année de vacance avant renouvellement, et que les pratiques de nominations ne furent pas modifiées après 1818, le roi donnant même la primauté aux choix du CGH sur ceux du préfet.

Un autre exemple de l'autonomie consentie au CGH dans sa composition vaut la peine d'être mentionné : en décembre 1825, soit à peine deux ans après l'« épuration » de la Faculté de médecine380, sont soumis à remplacement Bigot de Préameneu, décédé, ainsi que Delessert

377 AN F15

1917, lettre de Frochot à Champagny du 15 vendémiaire an XIV (7 octobre 1805), cité par Duprat 1997, p.100.

378 Duprat 1997, p.101. 379 cf. AN F15

1917-1932. Nous n'avons pas pu consulter tous les arrêtés, un certain nombre étant déficitaires, mais même les quelques uns manquants ne sauraient inverser la tendance.

380 En 1823, Villèle, premier ministre de Louis XVIIIe, luttant contre les mouvements républicains, décide d'en

finir avec « la libre pensée scientifique et philosophique à la faculté de médecine de Paris » et, à la faveur d'un incident, « onze professeurs libéraux sont destitués sans enquêtes ni jugement : Pinel, Desgenettes, Dubois, Chaussier, Vauquelin, Pelletan père, Jussieu, Lallement, Deyeux, Moreau de la Sarthe, et le doyen Leroux ». Ils seront remplacés par des légitimistes, amis de Laënnec. cf. Léonard 1992, p.91.

et d'Aguesseau, au titre du renouvellement par cinquième. Le CGH soumet donc trois listes quintuples, où figurent en premières places respectivement le baron Rendu (procureur général de la Cour des comptes), Delessert et d'Aguesseau. Mais ce dernier meurt avant même que le préfet ait transmis son avis. Le ministre, dans son rapport, suggère de nommer à sa place le comte de Breteuil381, qui ne figure pas sur la liste. Le roi lui préfèrera Legrand de Vaux382, qui

y était en seconde place, se soumettant ainsi aux vœux du Conseil383.

C'était donc un véritable corps que celui du CGH : choisis avec soin, ses membres se cooptèrent habilement. Ils fournirent un travail conséquent, comme l'indiquent le rapport- bilan de Thouret, Camus et Duquesnoy en l'an XI384, et les compétences personnelles furent

exploitées dès le départ : Thouret fut en charge de l'Hôtel-Dieu, et contribua au règlement sur le service de santé de 1802, Delessert s'employa à la comptabilité du CGH après que Frochot l'ait séparée de celle de la commune en l'an IX, Parmentier à la réorganisation de la Boulangerie et Pharmacie et au code pharmaceutique385, Mourgue des projets de caisse de

retraite pour les employés.

Un point mérite d'être souligné, dans cette assemblée de philanthropes : on y trouve à sa création deux membres renommés principalement pour leurs travaux médicaux ou biologiques, Thouret et Parmentier. Il est remarquable qu'après la mort de Parmentier en 1811

381 Achille-Charles-Stanislas-Emile Le Tonnelier de Breteuil (1781-1864), préfet en 1810, maître des requêtes au Conseil d'État en 1815, pair de France en 1823, il sera sénateur sous le second empire.

382 Henri-François Legrand de Vaux (1775-1851), 383 AN F15

1932 Arr. CGH 43396 du 28 décembre 1825. Maire du sixième arrondissement de Paris, il fut également membre du Conseil Général.

384 Thouret, Camus & Duquesnoy 1803. 385 Parmentier 1803.

(celle de Thouret étant survenue une année auparavant) et jusqu'en 1819 avec l'arrivée de Portal, aucun médecin ne siège au CGH. Or, la présence d'un homme de l'art au Conseil n'était pas indifférente à tout le monde. On a trace d'une intéressante lettre du 13 août 1823 de Frayssinous, alors grand-maître de l'Université (qui deviendra l'année suivante ministre des affaires ecclésiastiques et de l'Instruction publique), au ministre de l'Intérieur pour lui suggérer que le doyen de la Faculté de Médecine (alors Landré-Beauvais) soit nommé membre-né du CGH, au même titre que les deux préfets. Frayssinous s'y plaint des relations tendues entre le CGH et la Faculté, en particulier dans le cadre de l'établissement des nouvelles cliniques ordonnées par l'ordonnance du 2 février 1823386, du fait que « les droits du

corps enseignant sont méconnus et lésés par les empiètements successifs de l'administration des hospices »387 et surtout du « manque de sujets pour les travaux anatomiques » qui en

résulte. Le grand-maître rappelle ensuite que quand Thouret était membre du CGH et doyen « tout se passait de la manière la plus bienveillante entre les deux corps », permettant de fonder les deux seules cliniques dont la faculté dispose et que depuis « il n'a pas été possible d'obtenir de cette administration [le CGH] la moindre conception en faveur de l'enseignement ».

N'obtenant pas de réponse, il relance le ministre le 29 octobre, qui lui répond alors qu'il partage ses vues, mais ne peut se résoudre à créer un membre-né supplémentaire qui limiterait, de facto, le champ d'action du roi, et que la meilleure solution est donc de demander au Conseil lui-même de placer Landré-Beauvais dans les listes à nommer. C'est ce qu'il enjoint au Conseil de faire par une lettre du 11 novembre388. Fin décembre le CGH

présentait au ministre les trois listes quintuples. Landré-Beauvais ne figurait dans aucune

386 L'ordonnance prévoyait sept cliniques officielles pour remplacer les trois existantes. cf. Wiriot 1970, pp.81 & sq.

387 Il fait ici référence à l'établissement de cliniques officieuses, avec la bénédiction du CGH, en dehors de l'enseignement officiel dispensé par la faculté. Sur ce point, l'ouvrage de référence reste Wiriot 1970. 388 AN F15 1931.

d'entre elles389.

Pour autant, Frayssinous avait vu partiellement juste : premièrement parce que le CGH, à la mort de Portal, fit nommer un homme de l'art pour lui succéder : Orfila, qui avait pris la tête de la faculté de médecine après le renvoi de Landré-Beauvais. D'autre part parce que cette présence continue d'un médecin parmi eux avait été souhaitée dès 1810 par les membres du CGH qui avaient proposé que Thouret soit remplacé par Corvisart, alors premier médecin du roi. Mais celui-ci avait décliné la proposition, priant le ministre de « ne point jeter les yeux sur [lui], [ses] fonctions auprès de leurs majestés et le mauvais état de [sa] santé ne [lui] permettant pas de l'accepter »390. Le ministre avait alors nommé le dernier de la liste, Rouillé

de l'Étang – président du conseil municipal –, se rangeant à l'avis du préfet Frochot, qui une fois encore se faisait l'avocat de nominations communales :

« Il me semble, monsieur, que le Conseil des hôpitaux n'étant autre chose qu'une section de l'autorité municipale doit être composé en très grande majorité soit des principaux fonctionnaires municipaux, soit des principaux bourgeois de la ville. Il me semble aussi qu'on ne peut sans une grande inconvenance appeler à faire partie d'une administration locale et secondaire des personnes revêtues des plus éminentes dignités et que d'ailleurs les travaux multipliés du Conseil exigent de la part de ceux qui le composent non seulement du zèle et des talents, mais des loisirs »391

Sa proposition de modification du mode de présentation prévoyant que les « cinq candidats seront choisis par les maires et adjoints ou les membres du conseil municipal, deux autres parmi les principaux notables de la ville et en laissant la désignation, du cinquième à l'arbitrage du conseil des hospices » ne sera jamais adoptée. Et malgré son insistance, les

389 AN F15 1932 Arr CGH 39197 du 24 décembre 1823.

390 AN F15

1919, lettre de Corvisart du 5 juillet 1810.

391 AN F15 1919 Rapport du 12 juillet 1810. Il avait fait exactement les mêmes remarques l'année précédente

pour la nomination de Barbé-Marbois, éminent personnage s'il en était, et les reformula l'année suivante, pour la nomination de Denis Trutat (1772-1814), personnalité locale (notaire, il ne fut « que » président de la chambre des notaires), en regrettant que « que les noms de quelques-uns de MM les maires et de MM les membres du conseil municipal de Paris ne se trouvent pas au nombre de ceux que le Conseil des Hôpitaux présente à votre excellence ». AN F15 1919.

conseillers restèrent en grande partie des personnalités nationales, même si le prestige des membres de l'institution alla certainement en s'affaiblissant à partir des années 1830.