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1.1 Pourquoi créer une nouvelle institution ?

1.1.2 Une organisation bureaucratique et philanthropique

1.1.2.4 La nomination des membres du Conseil Général des Hospices : un enjeu

1.1.2.4.1 De grands notables

338 cf. infra sections 2. et 3.

339 Duprat 1997, chap.2 “Une administration paternelle et gratuite”, notamment pp. 94-105 « Le Conseil des Hospices... “une véritable corporation” » et pp.113-122.

340 Les données du diagramme suivant sont issues de Testu 1793 ; Testu 1805 ; Testu 1815 ; Anonyme 1831, AN F15 1917-1932 et AAP 17FOSS1. Le diagramme figure les dates de participation de chaque membre au

Catherine Duprat, en sus de la stabilité des quarante-quatre conseillers en fonction qu'elle recense entre 1814 et 1841341, note deux traits distinctifs : leur haut voire très haut niveau

social et la domination de la haute fonction publique342. Tous les membres de l'institution ont

le cens de l'éligibilité, mais surtout « son prestige tient aux dignités, qualités et fonctions de ceux qui le composent ». On relève dans ses rangs pas moins de vingt députés, 14 pairs, un président de la chambre des députés, et 10 membres de l'Institut. La domination de la haute fonction publique est très nette : tous les fonctionnaires du CGH sont de hauts fonctionnaires, et ils représentent 43% des membres (dont 20% magistrats des cours supérieures et 20% de conseillers d'État343), les professions libérales 25%, et les professions économiques 11% des

membres seulement.

Deux choses distinguent les membres du CGH des membres des bureaux de bienfaisance, qui nous semblent souligner le caractère non exclusivement philanthropique de l'institution : la composition des bureaux de bienfaisance fait apparaître – toujours selon Duprat – une proportion moindre de fonctionnaires (21 à 36%) et de rang inférieur, en même temps qu'un pourcentage supérieur de rentiers inactifs (23 à 29% pour les bureaux de bienfaisance, 20% pour le CGH). On a donc dans le CGH des personnes plus souvent en fonction, et plus proches des organes décisionnaires de l'État. Duprat l'indique d'ailleurs en creux : « Au niveau des bureaux, semble donc respecté le principe consulaire de séparation des fonctions charitables et politiques auquel allait bientôt déroger le recrutement du Conseil des Hospices »344.

341 Nous en comptons quarante-sept. 342 Duprat 1997, p.113.

343 Sur l'importance du Conseil d'État pendant la période (en tant qu'organe délibérant puis de conseil technique et comme passage obligé des carrières politiques), voir Burdeau 1989, pp.76–80 et Legendre, plus centré sur le droit administratif, qui le qualifie de « principal agent des grandes réformes, traduisant les données politiques en règles techniques » Legendre 1968, p.64.

On a vu que les premiers membres du CGH étaient presque tous des modérés345. Une large

diversité d'opinions s'y retrouve, d'anciens dignitaires de la Révolution et de l'Empire (Barbé- Marbois, Bigot de Préameneu, Chaptal), aux ultras tels que Montmorency ou Doudeauville, en passant par des libéraux modérés. Après l'élargissement du nombre de membres de 12 à 15 en 1818 – sur lequel nous reviendrons un peu plus loin – les nominations sont faites directement par le roi et on trouve parmi les promus un notaire du roi, deux médecins du roi et un futur ministre de la maison du roi (Doudeauville), signe de l'attention que le monarque y porte346.

Autre aspect remarquable quand on étudie la genèse de l'institution et son développement sous la très pieuse Restauration : son caractère entièrement laïque. Après la mort de De Belloy en 1808347 aucun archevêque ni de Grand Aumonier n'y fut nommé.

Dix ans plus tard, à la fin de notre période, le CGH demeure presque tout aussi prestigieux. Les diverses vacances – dont celle de la Rochefoucauld, qui fut, cas unique, démis en 1823 pour sa farouche opposition à Corbière348 – ont été remplacées par des personnes ayant donné

345 cf. supra p.93. 346 Duprat 1997, p.117.

347 Et cette nomination n'avait rien de nostalgique de l'Ancien Régime : nommé en sus du nombre réglementaire le 2 fructidor an 10 (20 août 1802 et non le 13 pluviôse an IX comme l'écrit Imbert) – donc après le

Concordat – suite à un rapport du ministre aux Consuls indiquant que le Conseil devait être composé

d'hommes recommandables, il était précisé que c'était en témoignage de la « haute estime pour sa personne et les vertus qu'il manifeste dans l'exercice de ses fonctions. » AN F15

1917. Autrement dit, « Pour lui comme pour plusieurs de ses collègues de l'épiscopat appelés aux mêmes fonctions dans leurs résidences respectives, il ne s'agissait point d'une désignation de droit, analogue à celle dont bénéficiait les préfets, mais d'une marque personnelle de la satisfaction gouvernementale. » Lallemand 1898, p.110, cité par Imbert 1954, p.237, note 49.

348 Corbière l'a en fait démis non seulement du CGH, mais de ses fonctions charitables d'inspecteur général du Conservatoire des arts et métiers, de membre du Conseil général des prisons, du Conseil général des

manufactures, du Conseil d'agriculture et du Conseil général du département de l'Oise. Liancourt lui répondit qu'il ne savait « comment les fonctions de président du Comité pour la propagation de la vaccine, que j'ai

des gages de royalisme dans le service public ou les fonctions électives : Breton et Legrand de Vaux (membres du conseil général), Breteuil (ancien préfet), L-D. Péan de Saint-Gilles (maire du VIIe) et le procureur général Rendu, connu pour son ardeur monarchique, tout comme les ultras Lepeletier d'Aunay et Lepeletier de Rosambo. « Ainsi le Conseil des Hospices ne comptait-il plus à la fin de la Restauration, hormis Delessert et Chaptal, opposants modérés, que des personnalités entièrement dévouées au gouvernement »349.

Il ne faut pas pour autant prendre cette affirmation pour le signe d'une volonté « d'épuration » politique. Premièrement parce que la révolution de 1830 ne changea que peu de choses à la composition du CGH. Trois membres seulement démissionnèrent : Pastoret, Breton et Rosambo. Ils furent remplacés par des juristes : Tanneguy Duchâtel350, Tripier et

Debelleyme (qui participait déjà au Conseil en tant que préfet de police depuis 1828 au moment de sa nomination en 1831), alors même que le gouvernement était « en train de procéder à l'une des plus larges épurations de l'histoire du XIXe siècle»351.

Deuxièmement parce que la volonté royale n'était que pour bien peu dans le choix des membres : entre 1814 et 1829, sur 39 renouvellements ou nominations, trois seulement352

s'écartent des souhaits du CGH lui-même, le roi ne nommant pas le premier présenté sur la liste.

introduite en France en 1800, ont pu échapper à la bienveillance de Votre Excellence, à laquelle je me fais un devoir de les rappeler. » En conséquence de quoi Corbière supprima le Comité. cf. La Rochefoucauld Liancourt 1831, p.70.

349 Duprat 1997, p.118.

350 Charles Marie Tanneguy Duchâtel (1803-1867), avocat du barreau de Paris, royaliste libéral, proche des doctrinaires Royer-Collard et Guizot, il fut une des étoiles montantes de la révolution de 1830 et du règne de Louis-Philippe. Conseiller d'État en août 1830, député en 1833, il fut ministre des finances de septembre 1836 à avril 1837, puis ministre de l'Intérieur de 1840 à 1848 et joua à ce titre un rôle important dans la révolution qui mit fin à son mandat. Exilé, il revint en France en 1849 et se retire de la vie politique, tout en continuant de siéger à l'Académie des Sciences Morales et Politiques où il avait été élu en 1842. cf. Robert, Bourloton & Cougny 1891 ; Antonetti 2007a.

351 Duprat 1997, p.119.

352 Lepeletier de Rosambo à la place de Muraire en 1822, Breteuil en 1827 au lieu de Gérando, et Bellart en 1823 remplace la Rochefoucauld que le CGH avait placé premier, en signe de désapprobation de son renvoi.

Sous la monarchie de Juillet, où le personnel est largement renouvelé (par décès la plupart du temps), aucune transformation significative de la répartition des secteurs d'activité représentés ne s'est opérée : les grands propriétaires, les hauts fonctionnaires et les professions libérales dominent toujours, les activités économiques restant minoritaires353. En revanche, on

constate une nette baisse des titres et dignités des membres du Conseil : aux quatorze nobles, à un ancien ministre, trois ministres d'État, un député, sept pairs de France, deux présidents de cours supérieures, et à un procureur général de 1828, ont succédé huit nobles, trois pairs de France, trois députés, un président de la cour royale et deux membres du conseil d'État ; on n'y trouve aucun ministre, mais trois conseillers généraux. Ce qui fait dire à Catherine Duprat que « Dans le Conseil de 1841 s'observe donc, comme au niveau des bureaux de bienfaisance, une même évolution décennale de renouvellement des personnels, une même tendance à la démocratisation des statuts »354.

1.1.2.4.2 Indépendants ou soumis à l'autorité ministérielle : la nomination des