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1.1 Pourquoi créer une nouvelle institution ?

1.1.2 Une organisation bureaucratique et philanthropique

1.1.2.4 La nomination des membres du Conseil Général des Hospices : un enjeu

1.1.2.4.2 Indépendants ou soumis à l'autorité ministérielle : la nomination des

Cette lente évolution de la composition du CGH ne s'explique donc pas par une volonté politique explicite alors que pourtant, formellement du moins, c'est bien le gouvernement qui avait pouvoir de nomination.

Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 27 nivôse an IX (17 janvier 1801) établissant le CGH, les nominations suite à vacance se font par le ministre après avis du préfet (de département), sur la base d'une liste triple proposée par le CGH lui-même. Le ministre ne devait donc exercer son pouvoir que suite à une démission ou un décès. Cet arrêté devait être amendé, sur ces dispositions, par celui du 7 germinal an XIII (28 mars 1805) imposant le

353 Quatre représentants de la grande propriété foncière, cinq hauts fonctionnaires, six membres des professions libérales et deux activités économiques sont nommés sous la Restauration, contre cinq, six, quatre et trois membres de ses secteurs respectifs sous la monarchie de Juillet.

renouvellement annuel par cinquième355 des « administrations gratuites et charitables des

pauvres et des hospices, sous quelque dénomination qu'elles soient connues » (art. 1.). Les sortants, tirés au sort (art.2), devaient être remplacés par le ministre, après avis du préfet, toujours sur liste quintuple proposée par les membres eux-mêmes, les candidats devant avoir leur domicile de droit dans l'arrondissement (art.3)356.

Dans les faits, le CGH semble avoir simplement ignoré le décret. De 1808357 à 1818, il ne

s'est pas soumis une seule fois, à notre connaissance, au renouvellement par cinquième, et le pouvoir ministériel se limitait à entériner le premier nom de la liste triple qui lui était proposé pour remplacer un membre mort ou démissionnaire.

En ventôse an X (mars 1802) déjà, le CGH avait fait montre de ses velléités d'autonomie et de son esprit de corps. Le 18, le ministre remplace par arrêté et sans consultation avec le Conseil d'Aguesseau – nommé à la légation du Danemark – par son successeur à la présidence du tribunal d'appel, Treilhard. C'est par la plume de Richard d'Aubigny que le CGH proteste du fait que la nomination de d'Aguesseau à la légation soit temporaire, qu'il n'a pas donné sa démission, mais « au contraire donné au conseil l'assurance qu'il reprendroit à son retour les fonctions honorables auxquelles votre confiance nous a tous appelé », et qu'en conséquence nul n'est besoin de nommer un remplaçant. Premier signe de tensions à venir, Chaptal fait marche arrière, et Treilhard, après l'avoir remercié de la marque d'estime qui lui était faite le 3 germinal, lui écrit le 4 que si d'Aguesseau désire garder son siège il convient de le lui

355 Soit deux membres par an pour le CGH, l'arrêté étant calibré pour les commissions administratives, qui comptaient cinq membres.

356 cf. Duvergier 1836, p.163, T. XV.

357 Et encore, il n'avait soumis à renouvellement qu'un seul de ses membres (Delessert), Duquesnoy étant décédé pendant l'année (remplacé par Muraire). Proposé à sa propre succession, la décision avait été avalisée par le préfet et le ministre. cf. Arr CGH 5854 du 6 janvier 1808, AN F15 1918.

conserver358.

Mais c'est avec la réforme de 1818 que le pouvoir central va tenter de reprendre l'ascendant sur une institution dont on a vu qu'elle était loin de lui être indifférente359. Dès février 1817,

un rapport de la seconde division indique au ministre le défaut de renouvellement par cinquième pourtant prévu par décret, et calcule qu'il s'en est suivi six renouvellements au lieu de seize. Mais ceci n'est qu'un symptôme d'autres inconvénients bien plus considérables :

« Depuis que les membres du Conseil d'Administration des Hospices de Paris se sont ainsi habitués à se regarder comme inamovibles, cette Administration a pris un caractère d'indépendance qui prend chaque année de nouvelles forces et qui terminera si l'on y met obstacle, à la soustraire entièrement à l'autorité ministérielle. [Ainsi on l'a vu] faire exécuter des travaux très considérables sans aucune des formalités prescrites par les règlements, [passer des marchés, ordonner des translations d'hospices et changer des régimes intérieurs] et demander l'approbation du ministre, lorsque ces opérations étaient à peu près consommées et qu'on ne pouvait plus les discuter. »360

L'auteur fait ici référence au déménagement de la maison de santé du faubourg Saint- Martin puis vers le faubourg Saint-Denis), et il poursuit en accusant le Conseil de n'avoir rendu aucun compte suivant les formes, de s'être contenté de résumés non vérifiés, et de répondre aux rappels à l'ordre que ce ne sont que « tracasseries de bureaux » alors qu'il lui incombe de faire le bien du pauvre361. Le chef de division ne nie pas l'argument sur le fond,

mais y oppose un simple dura lex sed lex, estimant qu'il faut que le CGH se plie aux règles, ou bien les changer.

Les avantages d'une application du renouvellement annuel sont patents pour l'auteur du rapport : quand bien même les membres sortants seraient souvent réélus – comme c'était

358 AN F15 1917.

359 cf. supra section 1.1.1, notamment p.65 et note 197. 360 AN F15

1925.

361 On notera l’ambiguïté de l'argument, pour des personnes précisément renommées pour leurs compétences administratives, et qui mirent en place une institution entièrement empreinte de bureaucratisme.

jusqu'alors le cas –, le fait qu'ils soient soumis à décision ministérielle donnera le pouvoir au ministre de changer les importuns ou les rendra plus « dociles et zélés ». En conséquence, il propose de rappeler au CGH l'obligation de renouvellement par cinquième, de demander au préfet d'y veiller, et de pousser la démonstration de force jusqu'à exercer ce droit rétroactivement jusqu'en 1808362 : les conseillers étaient devenus quasi-inamovibles.

C'est dans ce contexte que fut prise l'ordonnance royale du 18 février 1818, principal changement que le Conseil subit avant sa dissolution. Bien que prenant soin dans son préambule de se présenter comme un témoignage de pleine satisfaction et de reconnaissance de sa charge de travail363, elle avait à l'évidence pour but « la mise au pas du Conseil »364.

L'ordonnance augmentait le nombre de conseillers, les faisant passer de 12 à 15, toujours indépendamment des deux préfets (art. 1.). Les nominations étaient maintenant faites par le roi, et non plus le ministre de l'Intérieur, sur liste quintuple soumise par ce dernier après avis du préfet de département (art. 2.). Enfin et peut-être surtout, l'article 3 outre le rappel à l'obligation de renouvellement par cinquième (les vacances survenues pendant l'année devant en être défalquées), précisait que « les membres sortants ne pourront être réélus qu'après une année d'intervalle. »

Les Conseillers n'auront pas attendu longtemps pour réagir. Dès le 26, ils adressent une lettre au ministre pour qu'il intercède auprès du roi en leur faveur. Le grief est évidemment la disposition de l'article 3 sur l'année de vacance avant une réélection. Deux arguments sont

362 Et donc de laisser au ministre la liberté de remplacer l'intégralité du CGH, dix renouvellements n'ayant pas été pratiqués selon lui.

363 « nous avons reconnu que les membres du conseil général d'administration des hospices ont mérité toute notre satisfaction […]. Nous avons jugé, néanmoins, qu'en augmentant les membres du conseil et en allégeant ainsi les travaux de chacun d'eux, ils pourront mieux atteindre le but de leurs efforts et de leur sollicitude. » Duvergier 1836, p.281, T. XXI.

principalement avancés : premièrement le dévouement des personnes en place et le caractère exceptionnel que revêt une telle mesure ; deuxièmement, et plus intéressant, le CGH rappelle qu'il est l'héritier du Grand Bureau des Pauvres, dont les administrateurs étaient nommés ad

vitam365.

La première réponse du ministre Lainé366 est circonstanciée, et se concentre sur le premier

argument : il objecte que le CGH est une institution particulière, mais la mesure n'est pas pour autant exceptionnelle puisque la réélection des administrateurs des Hospices Civils de Lyon est elle aussi conditionnée par une période de vacance, tout comme les membres des bureaux de charité depuis l'ordonnance royale du 2 juillet 1816. En conséquence de quoi, tout en louant à son tour leur dévouement et leur action, il informe les membres du CGH qu'il ne peut accéder à leur requête.

Le 11 mars, les conseillers informent le ministre de leur déception et insistent. Ce dernier maintient qu'on ne peut déroger à la règle édictée et revient alors sur la seconde objection formulée : l'absence de renouvellement sous l'Ancien Régime s'expliquait par la proportion importante de membres de droit (archevêque, premier président du parlement, etc.), ce qui n'est plus le cas, alors que nombre de personnes méritantes souhaiteraient siéger au Conseil. Enfin, il expose clairement aux conseillers la volonté étatique motivant l'ordonnance : si l'on n'imposait pas une année de vacance, le Conseil pourrait aisément forcer la main au roi en proposant pour chaque renouvellement le sortant et quatre autres candidats de piètre qualité

365 AN F15

1926. Nous avons vu que si la filiation avec le Grand Bureau des Pauvres pouvait sembler pertinente à un familier des idées de Frochot, elle n'était pas tout à fait justifiée (supra p.74). De surcroît, les conseillers n'ont pas fait usage d'un précédent, bien mieux indiqué : le bureau d'administration de l'Hôtel-Dieu était sous l'Ancien Régime théoriquement composé de 12 membres élus par l'échevinage, renouvelable tous les trois ans. Mais au XVIIIe le mandat avait cessé d'être électif et les administrateurs demeuraient toute leur vie en

fonction, la municipalité abdiquant son droit de nomination et se contentant de ratifier les choix du bureau, qui se portaient en général sur des fonctionnaires ou des financiers (trésoriers de France, fermier général, conseiller à la cour des aides au Châtelet, etc.) et de notables bourgeois. Bloch 1974 [1908], p.65. 366 Jospeh-Henri-Joachim Lainé (1768-1835), avocat, membre du Corps Législatif de 1808 à 1814, il fut

sur lesquels le choix ne pourrait se porter.

On ne sait ce qui aura fait changer d'avis le ministre, mais les archives contiennent un rapport non daté367 – mais vraisemblablement postérieur – exposant au roi l'émoi que suscita

au CGH l'obligation de vacance avant renouvellement. Louis XVIII y fut manifestement sensible, et le 30 mars le CGH reçut de Lainé une lettre lui signifiant que le roi avait « consenti, par une décision prise en marge de mon rapport [au ministre] à ce que la disposition […] restât sans exécution »368. La victoire n'était pas totale, la mesure n'ayant pas

été rapportée, mais elle n'en était pas moins révélatrice du rapport de force.

De fait, force est de constater que le roi et son ministre ne se risquèrent pas, même après février 1818, à tenter de mettre l'institution au pas. L'année 1818 fut marquée par le renouvellement le plus important du CGH : trois nouveaux sièges à pourvoir, et quatre décès à compenser, soit près de la moitié des membres. Or pour six de ces nominations, le ministre et le roi se contentèrent de valider le choix du CGH en nommant le premier de la liste quintuple qu'il fournit : Chaptal en remplacement de Mourgue, décédé369, Barthélémy, Doudeauville,

Lefaivre et Péan de Saint-Gilles sont nommés en avril. Le roi choisit même de suivre les souhaits du CGH contre l'avis du préfet, qui aurait préféré Denis (doyen des notaires) ou Rendu (grand avocat, distingué par son « zèle pour les affaires publiques » et son « noble caractère » d'après Chabrol) à Péan de Saint-Gilles370. La seule démonstration du pouvoir

royal se fera à l'occasion de l'application du renouvellement par cinquième, pratiqué en

367 AN F15

1926.

368 Conseil Général d’administration des Hospices Civils de Paris 1824, p.3.

369 AN F15 1926, Arr. CGH 23067 du 22 janvier 1818. Il est vrai que selon Pigeire, le ministre (alors encore en

charge des nominations), réticent à porter son choix sur Chaptal, dut faire face à une menace de démission collective des autres membres. cf. Pigeire 1931, p.353.

370 AN F15 1926 Arr. CGH 23672 du 8 avril 1818 et rapport préfectoral du 14 avril 1818, le ministre ayant

décembre, selon l'ordonnance. Lefaivre étant mort, deux autres membres devaient être tirés au sort. Ce furent la Rochefoucauld-Liancourt et Richard d'Aubigny. Conformément au souhait du CGH, le roi suppléa le premier par Antoine Portal (son premier médecin) et le second fut reconduit. Mais le dernier fut remplacé par Bigot de Préameneu, ancien membre371, là encore

contre l'avis du préfet372. Nous n'avons pas trouvé de trace de la réaction des conseillers en

poste ou de Richard d'Aubigny lui-même. Lequel se contenta peut-être d'attendre, son éviction au profit de Bigot de Préameneu n'étant pas un désaveu : il fut réintégré six mois plus tard, à la suite du décès de Barthélémy373.