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1.1 Pourquoi créer une nouvelle institution ?

1.1.2 Une organisation bureaucratique et philanthropique

1.1.2.4 La nomination des membres du Conseil Général des Hospices : un enjeu

1.1.2.4.4 La Commission Administrative

Nous finirons cette section sur l'organisation du CGH par une très brève présentation de la Commission Administrative qui était chargée de l'exécution de ses décisions392.

La stabilité des membres de la commission administrative est encore plus notable que celle des membres du Conseil : la moyenne est de 14 ans en exercice, voire 16 si l'on exclut les quatre membres morts la première année de leur entrée en fonction, la médiane s'établissant alors à 14 ans. Desportes à la première division (hospices) et Guérin (receveur) sont restés en

392 Source : AAP 17 FOSS1, AAP 1M1, Testu 1793 ; Testu 1805 ; Testu 1815 ; Anonyme 1831. Comme pour les

membres du CGH, les dates présentent les membres au premier janvier suivant leur nomination.

poste pendant quarante ans, et des vingt-sept titulaires que compta la commission administrative, cinq y travaillèrent plus de vingt-cinq ans.

Nous l'avons déjà mentionné, la commission initiale, composée de cinq membres, passera par la suite à huit membres après sa fusion avec l'agence des secours à domicile, avant de voir ses effectifs réduits à six membres en 1816393. Là encore, les attributions tentèrent de tirer le

meilleur parti des compétences à dispositions.

On ne prendra que deux exemples pour en témoigner.

Premièrement, les membres de la commission étaient tous déjà en poste en 1800 : Le Maignan avait été nommé dès le 27 ventôse an VII (8 août 1799), Duchanoy le 11 brumaire (2 novembre 1799), Alhoy, Fesquet et Desportes prenant leurs fonctions en janvier, avril et septembre 1800394. C'était donc des hommes d'une certaine expérience qui s'étaient vus

confirmés dans leurs emplois par l'arrêté consulaire du 27 nivôse an IX. La distribution des attributions ne se fit pas au hasard, puisque la seconde division – celle qui nous intéresse dans le cadre de ce travail – chargée des hôpitaux fut confiée à Alhoy, Le Maignan et surtout Duchanoy. Le premier395 avait été antérieurement directeur des Sourds-Muets, le second396

était le seul de la commission à avoir eu des responsabilités politiques d'envergure397. Le

393 Par non-remplacement des départs. cf. arr. CGH 18592 du 14 février 1816, AAP 136 FOSS41 F° 372 :

attendu qu'il faut diminuer les frais de personnel et que depuis la réunion de la direction des hôpitaux, hospices et secours à dom sous le CGH « l'administration est devenue plus simple et plus facile », le nombre de membres de la commission administrative est réduit à six, la prochaine vacance n'étant pas remplacée. Ce sera Fesquet, démissionnaire en juillet.

394 cf. AAP 17 FOSS1

.

395 Louis Alhoy (1755-1826), professe les humanités pour la congrégation de l'Oratoire, remplace Sicard à l'Institut des Sourds-Muets de 1797 à 1800, avant d'être nommé à la Commission Administrative. cf. Michaud 1834, Tome 56.

396 Camille Le Maignan (1746-1812), conventionnel puis membre du Conseil des Cinq-cents de 1792 à 1798. cf. Robert, Bourloton & Cougny 1891.

397 Le membre chargé de la première division est Benjamin Desportes (1765-1840), frère du révolutionnaire Nicolas-Félix Desportes, qui fut entre autres maire de Montmartre, ministre plénipotentiaire en Allemagne, secrétaire de Lucien Bonaparte (ce qui vraisemblablement à Benjamin son poste), puis préfet du Rhin. cf. Lebreton 1857, p.435.

dernier398 était l'unique médecin de la commission : élève d'Antoine Petit, médecin des

hospices de Paris, docteur-régent399 de la faculté de médecine, auteur avec Jumelin d'un

Mémoire sur l'utilité d'une école clinique en Médecine400 qui inspira le rapport de Cabanis au

conseil des Cinq-cents401, il préside également le comité de vaccine jusqu'en 1803402. Nous

reviendrons plus loin sur le rôle probable des idées de Duchanoy sur les mesures prises par le CGH en matière sanitaire et de formation clinique403.

Le recrutement des membres de la commission répond visiblement aux usages en vigueur dans les autres administrations à la même époque, et tranche radicalement avec les usages antérieurs de nominations à des fins politiques. De manière générale pour cette période, les postes administratifs souffrent d'un défaut de définition statutaire, que ce soit en termes de compétences requises, de déroulement de carrière, etc. À de très rares exceptions près (Polytechnique, Ponts et Chaussées, etc.), le recrutement et la formation des agents de la fonction publique ne sont pas organisés au niveau étatique mais ministériel (souvent de façon labile404), et l'ancienneté (et le patronage pour les postes les plus élevés) reste la voie la plus

sure pour faire carrière, le personnel étant pourtant marqué par une forte stabilité405. Le

diagramme précédent témoigne suffisamment de ce dernier point. Il reste à mentionner que les nouveaux nommés à la commission sont très souvent issus de l'administration : c'est le cas par exemple du remplaçant à Lemaignan, Péligot, qui a servi dix ans comme chef du bureau de la comptabilité générale. De même pour le remplaçant de Nicod comme ordonnateur général :

398 Claude-François Duchanoy (1742-1827). 399 C'est-à-dire professeur.

400 Duchanoy & Jumelin 1778.

401 Rapport sur l'organisation des écoles de médecine, que Cabanis déposa en 1799 et qui forma la base de la loi de 1803. Sur ce point, voir notamment Foucault 2003 [1963], pp.78–86.

402 Dupont 1999. Noter que Duchanoy fut docteur-régent de la faculté, et non doyen comme l'indique Dupont. 403 cf. infra section 1.3.2.1.

404 Sur l'absence de critère clair de recrutement, l'absence de grille salariale ou d'avancement claire, etc. dans le cadre du ministère de l'Intérieur, voir Moullier 2004, chap.4.

on choisit Collinet, également chef du bureau de la comptabilité auparavant406 – ce qui lui

donna l'occasion « de s'instruire dans toutes les parties de la comptabilité des hôpitaux et de prouver qu'il les possédait parfaitement »407 – parce qu'il était le beau-frère du membre du

CGH Fieffé408. Lequel Collinet sera à son tour remplacé par Boicervoise, employé des

hospices depuis vingt ans. Dernier exemple, celui de Valdruche, qui fut sept ans agent de surveillance de la maison d'accouchement, puis chef du bureau des secours pendant une durée identique, avant d'être nommé secrétaire général en remplacement de Maison409.

La distribution des différentes divisions, comme pour les membres du CGH, ne se fait pas au hasard : de même qu'avec l'augmentation du nombre de conseillers en 1818 apparaît la dévolution du service de santé et du bureau central d'admission au médecin de l'assemblée (c'est la seule attribution de Portal, Orfila se voyant chargé en sus de la surveillance de l'amphithéâtre d'anatomie, de la pharmacie centrale, et de l'hôpital des cliniques), Duchanoy est responsable de la troisième section qui regroupe au départ Saint-Antoine, Cochin, Maison de santé, boulangerie et pharmacie centrales, bureau central d'admission et vaccine, et à laquelle on adjoint en 1806 le service de santé et les cliniques, puis d'autres établissements en 1813). Malade, on limite ses attributions en 1815, mais il se voit confier jusqu'à sa mort le bureau central et le service de santé, en faisant le pendant de Portal.

Deuxièmement, le décès du même Duchanoy et les questions soulevées par son remplacement éclairent les relations entre le Conseil et la commission d'une part, et d'autre part l'évolution du rôle de l'administration centrale dans la gestion des établissements

406 Et beau-frère du Conseiller Fieffé 407 AN F15

1922.

408 Arr. CGH 14986 du 11 mai 1814, AAP 136 FOSS34 F°195.

hospitaliers. Nous avons vu qu'en 1816, le nombre de commissaires avait été réduit pour des raisons économiques410. Aussi le problème est-il double : doit-on tout simplement supprimer

une place de commissaire ? Et, quelle que soit la réponse apportée à cette première interrogation, comment doit-on redistribuer les attributions ? Le rapport de la commission joint à la décision du CGH411 est tout à fait remarquable, en ce qu'il écarte d'entrée ces

interrogations en indiquant qu'elles ne ressortissent pas à sa compétence mais à celle du Conseil (et se résument à savoir s'il est satisfait de la direction de Péligot et Desportes, qui ont hérité des attributions que Duchanoy ne pouvait plus assumer), la seule sur laquelle il puisse se prononcer étant de savoir s'il est nécessaire de nommer un médecin pour remplacer Duchanoy. L'avis est univoque : « Il est sans doute nécessaire de compter au nombre des membres du Conseil général un médecin d'une grande réputation et même le plus illustre de l'époque, mais cette nécessité existe-t-elle pour le complément de la Commission administrative, c'est ce que les membres actuels ne pensent pas. » Il est aussi doublement étayé.

D'abord, le médecin de la commission ne peut donner satisfaction : « Ou le médecin nommé sera l'un des plus habiles dans son art, ou ce sera un homme qui, ayant peu de clientèle désire obtenir une place à appointements fixes » Dans le premier cas, il n'aura cure des détails du service, dans le second « il n'aura aucune influence sur les médecins des hôpitaux ».

Ensuite, les prérogatives médicales de Duchanoy peuvent très bien être déléguées à des médecins ou chirurgiens des hospices formés en jury ou commissions spéciales, comme cela se fait déjà. Les visites des hôpitaux sont faites par les médecins du bureau central, tout

410 Ce sont les mêmes raisons qui voient après 1809 et le retour massif des sœurs les postes d'économes régulièrement supprimés pour les confier à une religieuse.

comme la réception et le contrôle des médicaments. Les concours peuvent être présidés par le médecin du CGH, mais fondamentalement, comme il n'est qu'administrateur dans cette fonction (et non pas examinateur), tout membre du CGH peut faire l'affaire. Et il en va de même pour le membre de la commission qui ne doit assister aux concours que pour le maintien de l'ordre et doit se garder d'influencer les jugements du jury.

Enfin, la « police des élèves » dans les hôpitaux devrait appartenir aux membres de la commission chargés de toutes les autres parties du service : « Plus il y aura d'unité dans le service des hôpitaux, plus il y aura d'ordre et d'économie », il est donc indispensable que tous les services d'un hôpital dépendent d'un seul administrateur. De sorte qu'il n'est pas besoin de confier à un médecin la pharmacie centrale (les médicaments devant être examinées par des experts ou des médecins des hôpitaux), ni le service de santé « en ce qu'il se borne à des détails purement d'ordre ».

Au-delà de l'avis sur l'opportunité de remplacer Duchanoy par un médecin, on voit apparaitre deux choses essentielles. D'abord la subordination, y compris pour ce qui est des questions médicales, de la commission au Conseil. Ce dernier ne se contente pas de valider des propositions faites par la commission, y compris sur les points techniques, puisque les commissaires estiment que l'expertise doit se trouver parmi les membres du CGH et non parmi les siens. Ensuite la volonté exprimée dès 1827, de déléguer une part plus importante des activités de surveillance et de contrôle aux médecins et aux chirurgiens eux-mêmes : après deux décennies de règlements coercitifs et exhaustifs412, l'administration centrale semble

donner plus de marge de manœuvre aux praticiens, ou constater qu'ils l'ont déjà prise413. Enfin,

on peut noter l'importance accordée à la clarté hiérarchique, moins remarquable car plus

412 Dont nous verrons quelques exemples ci-dessous, section 3.

attendue : à une division des attributions en termes de domaines de compétence, on préfère une répartition par établissement qui simplifie et renforce la « chaîne de commandement ».

C'est effectivement le choix que vont faire les membres du CGH : renonçant à nommer un médecin, ils renoncèrent aussi à pourvoir la place vacante. Les fonctions de Duchanoy étant remplies depuis longtemps par Desportes et Péligot, le poste est supprimé, ces derniers se répartissant provisoirement les attributions restantes414.

Cette section nous aura permis de montrer que le CGH fut une institution singulière. Les difficultés de la période révolutionnaire (difficultés financières, instabilité de la commission administrative, couplée à un recours accru aux systèmes d'assistance par une population devenue acteur politique) et les contraintes propres à la capitale rendirent possible un nouveau plan de gestion des secours, dont les objectifs furent progressivement et soigneusement élaborés par les services ministériels et préfectoraux. Le rôle de Frochot, premier préfet de la Seine, était connu, on a établi le rôle central de Frerson dans le dessein de la future entité et la fonction qui lui fut politiquement attribuée. Le CGH reprit des aspects de ses trois prédécesseurs d'Ancien Régime et les concentra en une entité fortement centralisée, marquée par une organisation bureaucratique, la notabilité ainsi que la philanthropie de ses membres – qui devait encourager les dons et legs, bien qu'on ne puisse qualifier l'institution de philanthropique en soi –, leur indépendance, leur stabilité, et la sous-représentation des médecins, chirurgiens, ou pharmaciens qui investissaient au même moment le Conseil de

414 Arr. CGH 47834 et 47835 du 28 novembre 1827, AAP 136 FOSS101 F°510 & 518. Le nombre de

Salubrité de la Seine415.

Après avoir examiné le contexte dans lequel le CGH a émergé et avoir décrit son organisation et sa composition, il convient d'étudier les pouvoirs qui furent les siens.