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Opinion sur le RG

Dans le document Romanche et traduction : un état des lieux (Page 126-154)

3 Les traducteurs du romanche, par eux-mêmes

3.2.2 Les traducteurs vers les différents idiomes .1 Chiffres

3.2.2.2.6 Opinion sur le RG

Comme nous l’avons vu plus haut, une très petite partie des traducteurs ont déclaré faire des traductions également vers le RG536. 6 sur 17 l'ont appris537. Voici les opinions exprimées sur la langue de chancellerie: «une langue d’appoint, dans certains cas»; «pas une langue étrangère, mais pas une langue maternelle non plus. Un langage qui n’est pas parlé par les membres de la communauté, je ne peux pas le considérer comme ma langue maternelle»; «une langue qui m’accompagne tous les jours, à travers la presse»; «une langue en partie très proche, en partie étrangère»; «une langue bien entendu plus proche [de ma langue] qu’une langue étrangère, mais qui contient des éléments étrangers à ma langue, p. ex. du point de vue de la syntaxe ou de la grammaire, du vocabulaire»; «quelque chose entre deux [entre la langue maternelle et une langue étrangère]… Avec le RG, il manque l’identification émotionnelle, mais ce n’est tout de même pas une langue étrangère»; «une langue romanche… Avec la même base [que mon idiome], mais avec des variations»; «ma langue romanche à l’écrit! Si je fais des travaux de traduction, je le fais plus volontiers pour tout le canton [que seulement pour ma région]».

                                                                                                               

535  À  cet  égard,  l’un  des  traducteurs  évoquait  également  la  traduction  d’œuvres  d’auteurs  latins  classiques.  

536  Les  types  de  textes  indiqués  étaient  alors  des  chansons,  des  poésies,  de  la  prose,  mais  aussi  des  lois,  des   livres  scolaires,  des  affiches  ou  des  brochures  publicitaires.  Dans  un  cas,  le  traducteur  a  précisé  qu’il   s’agissait  de  transcription  en  RG  depuis  un  idiome,  non  de  traduction  depuis  l’allemand.  Parmi  les   personnes  qui  n’ont  pas  appris  le  RG,  l’une  déclare  le  comprendre,  une  autre  estime  qu’elle  devrait   l’apprendre  et  l’utiliser.  

537  Par  le  biais  de  cours  proposés  par  la  LR,  de  cours  offerts  aux  enseignants  ou  à  l’université.  

Conclusion

Au travers des trois chapitres du présent mémoire, nous nous sommes intéressés à l’influence de l’histoire, de la géographie et de l’économie sur la langue et la perception de cette dernière par ses locuteurs, nous avons présenté quelques situations de traduction, tout en laissant le mot de la fin aux traducteurs vers le RG et vers les idiomes. Nous revenons ci-dessous sur quelques points particuliers.

Il n’est pas inintéressant d’examiner des problèmes de transfert pouvant se présenter dans la direction de traduction allemand-romanche, comme miroir par rapport à notre propre pratique de francophone (ou d’italophone). Lorsqu’on s’étonne de certaines tournures romanches, à consonance très germanique, adoptées lors d’une traduction, une question mérite toutefois d’être posée: si le monde francophone était réduit à la Suisse romande, si (comme c’est le cas pour les Romanches) nous n’avions pas de soutien linguistique et culturel de la part de pays voisins, en premier lieu de la France, quel serait notre regard sur «notre» français et comment évoluerait-il par rapport à l’allemand alémanique? Qu’en serait-il si une majorité des membres de la communauté alémanique ne pratiquait pas au moins un peu le français et si nous autres francophones étions tous bilingues français-allemand dès nos plus jeunes années?

La question de la pratique du français en Suisse alémanique peut paraître très académique aujourd’hui, mais elle le sera beaucoup moins dans un quart de siècle, lorsqu’une bonne partie de l’élite politique et économique d’outre-Sarine non seulement ne pratiquera plus le français, mais ne le comprendra tout simplement plus.

Une telle situation se présentait dans le passé, dans d’autres circonstances évidemment: le souvenir nous revient ici d’un vigneron de la Côte vaudoise,

aujourd’hui décédé, qui nous parlait des «ématlozes» d’Aubonne, joli reliquat de l’administration bernoise du Pays de Vaud…538

Un autre aspect frappant pour le francophone suisse est la relative retenue des Romanches, l’absence de fortes revendications: pour un francophone formé à l’ETI, à qui l’on a martelé durant cinq ans, et à juste titre, l’importance primordiale de la langue maternelle, il est étonnant, voire ahurissant, de lire sous la plume d’un traducteur romanche par ailleurs chevronné que la création d’une filière universitaire de traduction vers le romanche «serait beaucoup demander»…

L’étude de l’histoire romanche, les réponses à nos questionnaires, mais aussi des discussions avec diverses personnes de langue romanche au cours des dernières années, nous laissent penser que malgré les énormes efforts consentis pour soutenir les idiomes romanches et en rehausser le prestige (et l’usage, dans certains secteurs), et malgré les traductions qui assurent un meilleur rayonnement des auteurs romanches dans le reste de notre pays, un élément est depuis longtemps incrusté dans les têtes de certains locuteurs romanches: la langue romanche est fondamentalement de moindre importance par rapport à l’allemand.

L’examen des divers actes fondant la protection du romanche et l’histoire de leur adoption nous donnent l’impression qu’on cherche à maintenir un équilibre pragmatique entre un curieux mélange d’intérêt poli, d’indifférence, d’ironie teintée d’un léger mépris ou même d’hostilité envers le romanche, et une protection institutionnelle certes parmi les plus étendues que l’on puisse trouver sur le territoire européen en matière de protection des langues minoritaires, mais dont la plupart des bénéficiaires (manifestant pour certains une forme de réalisme teinté de résignation)                                                                                                                

538  Terme  (à  l’orthographe  incertaine)  venant  du  terme  allemand  «heimatlos»:  sans  patrie,  sans  lieu   d’attache,  privé  de  nationalité.  Cf.  www.bezg.ch/4_09/dubler.pdf.  

D’une  Neuchâteloise  du  Haut,  nous  nous  souvenons  de  la  phrase  savoureuse  «le  fatre  a  pris  un  chtoque   pour  chlaguer  le  catze»,  qui  n’a  rien  à  envier  aux  exemples  de  romanche  germanisé  cités  plus  haut!  

n’ont pas l’habitude d’épuiser toutes les possibilités, d’exiger plus encore ou simplement de se plaindre avec véhémence lorsque les dispositions et principes en vigueur ne sont pas respectés539. Désirant laisser ouverte la question de savoir si des revendications plus appuyées viendraient rompre cet équilibre, nous sommes persuadés que cet environnement et ce climat exercent forcément une influence sur les traducteurs du romanche, d’autant plus que la langue de départ est, très souvent, la langue écrite de la grande majorité alémanique540. Comme le souligne Lefevere, «Les traductions ne sont pas effectuées dans un espace vide. Les traducteurs agissent dans une culture et à une époque déterminées. Leur regard sur eux-mêmes et celui qu’ils portent sur leur culture sont des facteurs pouvant influencer leur manière de traduire.»541 L’histoire et l’évolution récente du romanche ont-t-elles également une influence sur l’étonnante sévérité de certains regards sur la qualité de la production littéraire indigène, production constituant pourtant l’un des reflets de cette partie de la population suisse?

Rappelons à ce sujet qu’il n’est presque pas possible de penser au romanche sans se référer, tôt ou tard, à l’allemand, d’expliquer tel ou tel contexte romanche sans avoir recours à l’allemand ou même de procéder à une comparaison qui ne soit pas, à un moment ou à un autre, opérée à l’aune de l’allemand, omniprésent et incontournable.

                                                                                                               

539  Nous  nous  souvenons  à  cet  égard  de  cet  ami  grison,  enseignant  à  Coire,  qui  avait  envoyé  avec  sa  classe   une  lettre  en  romanche  à  Madame  Micheline  Calmy-­‐Rey,  alors  Présidente  de  la  Confédération,  pour   montrer  aux  élèves  que  l’Etat  fédéral  répond  également  aux  citoyens  suisses  dans  la  quatrième  langue   officielle.  Cruelle  désillusion:  Madame  Calmy-­‐Rey  avait  fait  envoyer  une  réponse…  en  allemand!  

540  Celle-­‐là  même  qui  paie  les  mesures  de  protection  et  de  promotion  du  romanche.  

Il  ne  s’agit  évidemment  pas  ici  de  désigner  des  «coupables»  et  des  «victimes»,  mais  bien  de  tenter  de   mettre  en  lumière  un  contexte  particulier:  si  celui  qui  paie  commande,  quelle  est  l’autorité  de  celui  qui   paie  deux  fois?  Cf.  Pym  1997,  pp.  117-­‐118,  sur  la  notion  de  «coût  de  transaction»  en  matière  de  traduction.    

541  Lefevere  1992,  p.  14  (traduction  de  l’auteur  du  présent  mémoire).  Berman  1993,  p.  46,  exprime  la   nécessité  de  réfléchir  au  «rapport  du  traducteur  à  l’écriture,  à  la  langue  maternelle  et  aux  autres  langues,   ainsi  qu’à  la  traduction  elle-­‐même»,  parce  que  le  traducteur  existe,  même  s’il  estime  que  son  activité   l’oblige  à  se  faire  oublier,  à  rester  «transparent».  

S’intéresser à la traduction vers le romanche, c’est également réfléchir au processus d’acquisition de la langue maternelle, c’est-à-dire au lien entre la scolarisation des traducteurs et leur pratique future de la traduction. C'est encore se pencher sur la relation entre le cadre social d’utilisation de la langue et l’aversion plus ou moins marquée de certains registres par les locuteurs, et enfin, à travers l’incontournable question du prestige respectif de la langue de départ et de la langue d’arrivée, sur les chances de survie de la langue en général542. Reprenons un instant le miroir: quel serait notre regard sur le français si, dès la quatrième année de l’école primaire, l’essentiel de notre scolarisation se faisait dans une autre langue, dont les locuteurs ne comprendraient rien à la nôtre et trouveraient cela, en fin de compte, absolument normal?543

Abordons maintenant les deux questions formulées par Anthony Pym dans Pour une éthique du traducteur544, celles du «Comment faut-il traduire?» et du «Faut-il traduire»?545

On constate, dans quelques-uns des questionnaires, un assez fort «réflexe antiacadémique», ainsi qu’une inclination marquée pour l’activité pratique, pour l’accumulation d’expérience, par opposition (que la Maison nous pardonne…) au bourrage de crâne546! Derrière cette préférence, on sent le souci de ne pas se laisser «voler» la langue, comme si l’institution universitaire (par ailleurs créatrice du RG) allait s’en emparer, en faire son jouet ou la dénaturer. Derrière certains «non» catégoriques, derrière les appels à conserver au romanche son vernis populaire, on lit une supplique:

«Ne venez pas nous prendre le peu qu’il nous reste…»

                                                                                                               

542  Lambert/Lefevere  1993,  p.  28,  qui  évoquent  «l’autorité  perçue»  d’une  culture  de  départ.  

543  «Rätoromanisch  versteht  eigentlich  keiner»,  écrit  Barbara  Jung  dans  la  revue  Focus  8/2010:  une   formulation  qui  en  dit  long  sur  la  perception  des  idiomes  romanches  par  la  plus  grande  partie  de  la   population  suisse.  À  quand  «Französisch  versteht  sowieso  niemand»?  

544  Artois  Presses  Université,  Arras,  1997.  

545  Pym  1997,  p.  11.  

546  Berman  1993,  p.  39,  qui  évoque  une  aversion  de  la  «théorie»,  répandue  chez  les  traducteurs,  qui  se   conçoivent  comme  des  artisans,  des  intuitifs.  Voir  également  Nicole  Carnal,  in:  Hieronymus  1/2010,  pp.  8-­‐

9,  sur  les  divergences  d’opinions  entre  théoriciens  et  praticiens.  

À l’évidence, la réalité de la traduction dans les régions romanches est, pour la majorité des traducteurs, assez éloignée des principes enseignés dans une école de traduction comme l’ETI, par exemple du fait du bilinguisme des protagonistes: pour la plupart des traducteurs qui ont répondu à notre questionnaire, traduire vers le romanche et vers l’allemand est courant.

On peut aborder la question du «Comment…», orientée vers la qualité du travail et du produit, sous deux angles distincts: la formation du traducteur et sa responsabilité personnelle.

Tant que l’ETI ne propose pas aux traducteurs romanches une formation équivalente à celle qu’elle offre actuellement aux étudiants de langues allemande, française et italienne, l’application de ses critères aux traductions romanches a-t-elle un sens? L’aura-t-elle un jour, puisque la mise sur pied d’une telle formation ne pourra probablement jamais être réalisée, faute de candidats et de moyens financiers en suffisance? Ne vaudrait-il pas mieux étoffer l’offre d’une école comme la SAL, et la rendre plus accessible, par exemple au moyen d’aides financières ponctuelles aux personnes intéressées?

D’un autre côté, comme le relève David Jemielity dans le premier numéro 2010 de la revue Hieronymus547, faire une formation dans une école de traduction n’est pas une condition absolue pour la qualité de la traduction.

Dans le cas particulier, vu la taille du marché, la grande majorité pratique la traduction comme une activité en marge d’une profession principale548, ce qui n’incite pas forcément à investir dans une formation longue et coûteuse, qui plus est à l’autre bout du pays.

S’il rappelle également que «la compétence traductrice n’est pas la chose la mieux partagée du monde» (et cite Samuel Weber, pour qui le                                                                                                                

547  «If  it  was  obvious  to  everyone  that  you  needed  to  get  a  translation  degree  to  be  good  at  the  profession,   then  everyone  would  get  one.  But  everyone  doesn’t.  And  many  of  these  people  turn  out  to  be  awfully  good.  

So  clearly,  you  don’t  need  a  translation  studies  degree  to  be  good  at  what  we  do.»  David  Jemielity,  in:  

Hieronymus  1/2010,  p.  40.    

548  Réalité  évoquée  par  Pym  1997,  p.  12.  

«professionnalisme» est la capacité d’une personne de rendre un service qu’elle seule, précisément en tant que professionnelle, est capable de fournir549), Pym n’indique pas expressément un lien de cause à effet obligatoire entre la formation en traduction et la qualité d’un produit de traduction.

Au-delà de ce que Pym appelle les «recettes» (connaissance et maîtrise des méthodes et principes de traduction, dont on fait l’apprentissage durant une formation), il existe aussi le critère du sentiment personnel de responsabilité du traducteur550: les trois volets de la responsabilité décrite par Pym ont été évoqués par les traducteurs dans les questionnaires, de diverses manières et dans les termes les plus variés551.

Selon Pym, la responsabilité du traducteur commence déjà au moment où il choisit de traduire ou non552.

Quelle que soit la voie choisie (académique ou purement pratique, par accumulation de l’expérience professionnelle553), ou le regard privilégié (sourcier ou cibliste), un principe directeur demeure: la traduction est un métier qui ne s’improvise pas554.

Pour les traducteurs issus d’une petite minorité, non seulement la question du «Comment…» a une résonance particulière (puisque les possibilités de formation académique sont limitées ou accessibles exclusivement par l’interface de l’allemand), mais la question «Faut-il traduire?», elle aussi, se pose différemment: au-delà des considérations strictement relatives à la                                                                                                                

549  Pym  1997,  p.  70.  

550  Pym  1997,  pp.  67  et  68.  

551  Pym  1997,  pp.  77  ss:  responsabilités  envers  les  choses,  envers  le  client  et  envers  la  profession.  Par  

«responsabilité  envers  les  choses»,  Pym  entend  la  fidélité  envers  l’énoncé  de  départ  (bonne  

compréhension),  le  respect  du  code  d’arrivée  (bonne  réexpression)  et  une  bonne  connaissance  de  la   matière  (réalité  dont  il  est  question  dans  le  texte  à  traduire).  

552  Pym  1997,  p.  65.  

553  Dont  l’importance  est  soulignée  par  Nicole  Carnal,  in:  Hieronymus  1/2010,  p.  7.  

554  Phrase  relevée  par  Séverine  Billon,  dans  sa  revue  de  sites  Internet  consacrés  à  la  traduction,  in:  

Hieronymus  1/2010,  p.  22.  

communication utile et nécessaire555 et des lois du marché, il arrive souvent qu’on traduise sur demande de l’Etat, pour assurer à la langue (et, à travers elle, à la communauté de ses locuteurs) une place sur la scène nationale556. Il s’agit là de choix avant tout politiques, particulièrement en ce qui concerne les traductions de textes officiels en RG557, dans un contexte où, selon la situation de communication, l’allemand très bien maîtrisé sert de langue de travail à la majorité des Romanches et le dialecte alémanique, de lingua franca entre Romanches558. Selon la priorité définie (que ces traductions existent ou qu’elles soient utilisées par leurs destinataires559), la réponse à la question du «Faut-il…» ne sera pas la même. Si, comme le propose Pym en reprenant en partie à son compte des considérations d’Andrew Chesterman, la traduction a pour fonction d’améliorer la coopération entre les hommes et de réduire au minimum les malentendus560, les traductions de textes officiels en RG ne seraient pas toujours indispensables, vu que tous les locuteurs romanches comprennent au moins aussi bien l’allemand que leur idiome romanche. Ecoutons Pym:

«[…] Réduire les malentendus, cela n’implique pas qu’on doive toujours tout traduire. La réduction des malentendus peut également passer par la non traduction de certains textes, par l’explication de certains autres, par l’enseignement de certaines langues, autant de stratégies possibles de la communication transculturelle. Réduire les malentendus au lieu de produire des équivalences, c’est en premier lieu apprendre à concentrer les efforts traductifs là où les malentendus empêchent la coopération. […]»561 Si la finalité des traductions en RG est, outre le statut du romanche sur le                                                                                                                

555  Pym  1997,  p.  16.  

556  Pym  1997,  pp.  130  et  131.  

557  Solèr  1991,  p.  29.  Un  tel  motif  fait  également  partie  des  «raison[s]  sociale[s]  pour  le  faire»:  Pym  1997,   p.  97.  

558  Pym  1997,  p.  109,  qui  s’interroge  sur  la  nécessité  de  la  traduction  quand  des  interlocuteurs  se   comprennent  également  sans  son  apport.  

559  Pym  1997,  pp.  89  ss,  sur  la  question  de  la  finalité.  

560  Pym  1997,  p.  123.  

561  Pym  1997,  p.  123.  Le  traducteur  devrait,  idéalement,  être  formé  pour  dire  à  son  client  quand  la   traduction  n’est  pas  nécessaire,  que  d’autres  stratégies  peuvent  être  appliquées:  Pym  1997,  p.  127.  

plan national, par exemple de créer un corpus de textes permettant d’asseoir à plus long terme la stabilité de la langue romanche unifiée à l’intérieur et à l’extérieur de la zone traditionnelle de diffusion des idiomes romanches, corpus dans lequel on pourra puiser à loisir plus tard, la traduction se justifie indépendamment de la réception des textes traduits par les locuteurs d’aujourd’hui (à condition qu’ils aient eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet).

Un assez grand nombre de traducteurs indiquent en outre, dans les questionnaires, faire de la traduction vers le romanche avant tout par conviction personnelle, même en l’absence de toute rétribution, par exemple pour rendre service à une collectivité ou à des destinataires précis, sur le plan local (habitants d’une commune, paroissiens, membres d’une association, élèves d’une école, secteur professionnel, etc.)562.

Lorsqu’on traduit simplement par curiosité, gratuitement, pour savoir quelle mélodie revêtirait tel ou tel texte dans sa langue maternelle, la réponse à la question «Faut-il…» est, en terre romanche comme partout ailleurs, simplement: «oui». Il s’agit là d’une expérience au caractère principalement ludique qui ne débouche pas forcément sur une publication.

Pour revenir une dernière fois à des considérations de formation, pourquoi ne pas mettre un jour sur pied, à l’intention des traducteurs se trouvant déjà dans la vie professionnelle, un atelier de traduction de l’allemand vers le français, l’italien et le romanche (RG et/ou idiomes), pour examiner dans la pratique quelles peuvent être les diverses productions des traducteurs des trois langues romanes de Suisse par rapport à la même version originale allemande? La création d’un cadre adéquat, même relativement informel, pour partager entre Suisses «latins» des expériences de traduction et comparer des solutions nous paraît être un défi intéressant à relever dans les prochaines années: nous avons affaire aux mêmes textes                                                                                                                

562  On  rejoint  ici  les  traducteurs  idéalistes  évoqués  par  Pym  1997,  pp.  11-­‐12.  

fédéraux (et, pour l’italien seulement, cantonaux) et les difficultés rencontrées lors d’une traduction de l’allemand sont, à lire les réponses formulées dans les questionnaires, identiques ou comparables, alors que le rapport des traducteurs à l’allemand est, lui, fondamentalement différent563. Nous pourrions ainsi apprendre, les uns des autres, des choses intéressantes.

Concernant la question de l’interculturalité, Pym a émis l’hypothèse qu’un traducteur – quel qu’il soit – se situe dans un espace formant l’intersection entre deux cultures564. Il représente la situation au moyen d’un schéma composé de deux cercles d’égales surfaces se recoupant partiellement, la zone médiane étant précisément réservée au traducteur. Soulignant que la plupart des auteurs traductologues évitent soigneusement d’aborder cette

«zone médiane»565, Pym poursuit avec l’idée que non seulement les traducteurs se trouvent dans l’intersection, mais qu’ils sont eux-mêmes l’intersection566.

Le schéma de Pym convient certainement lorsque les deux cultures (et leurs deux vecteurs, les deux langues concernées) jouissent d’une indépendance égale l’une par rapport à l’autre: quand, en d’autres termes, chacune existe d’abord par elle-même. Nous doutons que la relation entre le romanche et l’allemand puisse être représentée de cette manière: à notre avis, le cercle allemand devrait être beaucoup plus gros, le romanche, beaucoup plus petit, et aussi beaucoup plus proche, se retrouvant de fait

Le schéma de Pym convient certainement lorsque les deux cultures (et leurs deux vecteurs, les deux langues concernées) jouissent d’une indépendance égale l’une par rapport à l’autre: quand, en d’autres termes, chacune existe d’abord par elle-même. Nous doutons que la relation entre le romanche et l’allemand puisse être représentée de cette manière: à notre avis, le cercle allemand devrait être beaucoup plus gros, le romanche, beaucoup plus petit, et aussi beaucoup plus proche, se retrouvant de fait

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