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Romanche et traduction : un état des lieux

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Master

Reference

Romanche et traduction : un état des lieux

BÜHLER, Nicolas

Abstract

Si ce mémoire est d'abord destiné à nuancer la représentation de la réalité linguistique romanche (plusieurs langues, indépendantes les unes des autres) en Suisse romande, l'auteur espère également intéresser les traducteurs à ces langues minoritaires et aux œuvres littéraires provenant des régions romanches. Dans une première partie, le travail tente de montrer les liens entre l'histoire, la géographie et l'économie, d'une part, et la représentation des langues romanches par leurs locuteurs, ainsi que leur utilisation dans la vie de tous les jours, d'autre part. Un second chapitre présente diverses situations de traduction (allemand-rumantsch grischun; allemand-idiome; idiome-français; idiome-idiome), ainsi que des critiques relatives à des solution de traduction, mais aussi des regards originaux sur le travail ou la mission du traducteur. Une troisième partie a été construite à la suite d'une enquête par questionnaire, les traducteurs étant appelés à décrire leur situation et leurs activités professionnelles (retour: 55%).

BÜHLER, Nicolas. Romanche et traduction : un état des lieux. Master : Univ. Genève, 2010

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:10829

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Nicolas Bühler

Romanche et traduction:

un état des lieux

Mémoire présenté à l’École de traduction et d’interprétation pour l’obtention du Master en traduction,

mention traduction spécialisée

Directeur de mémoire: Madame Valérie Dullion Jurés: Prof. François Grin,

Prof. Clau Solèr (Faculté des lettres)

Université de Genève juin 2010

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Table des matières résumée  

TABLE DES MATIERES RESUMEE ...2  

ABREVIATIONS...3  

INTRODUCTION...4  

1   ORIGINES, DEVELOPPEMENT ET PROTECTION INSTITUTIONNELLE DU ROMANCHE...8  

1.1   ORIGINES ET DEVELOPPEMENT DU ROMANCHE...8  

1.2   PROTECTION INSTITUTIONNELLE DU ROMANCHE...26  

1.3   LE ROMANCHE A LECOLE...34  

1.4   LE ROMANCHE DANS DIVERS DOMAINES DE LA VIE EN SOCIETE...37  

1.5   RUMANTSCH GRISCHUN, IDIOMES ET TRADUCTION...45  

2   LE ROMANCHE: DES SITUATIONS DE TRADUCTION FORT DIVERSES ...49  

2.1   LE ROMANCHE COMME LANGUE DARRIVEE...50  

2.2   LE ROMANCHE COMME LANGUE DE DEPART...87  

2.3   LA TRADUCTION OU TRANSPOSITION ENTRE IDIOMES OU ENTRE IDIOMES ET RG ...95  

2.4   LES OUTILS A DISPOSITION DES TRADUCTEURS ROMANCHES...99  

2.5   LA TRADUCTION VERS LE ROMANCHE, UNE NECESSITE? ...102  

3   LES TRADUCTEURS DU ROMANCHE, PAR EUX-MEMES...105  

CONCLUSION ...126  

BIBLIOGRAPHIE...137  

PERSONNES CONSULTEES (ENTRETIEN OU PAR COURRIER ELECTRONIQUE)...147  

SITES INTERNET PRINCIPAUX ...148  

TABLES DES MATIERES COMPLETE...149  

ANNEXES ...153  

I.CARTES...153  

II.QUESTIONNAIRES ET LETTRES DACCOMPAGNEMENT...156  

REMERCIEMENTS / ENGRAZIAMENT / RINGRAZIAMENTO ...172  

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Abréviations

ANR Agentura da novitads rumantscha [agence de presse romanche], Coire ATF Arrêts du Tribunal fédéral

BPA Bureau de prévention des accidents, Berne CC Code civil suisse

CO Code des obligations CP Code pénal suisse

CPO Centre des publications officielles

Cst. Constitution fédérale (aCst.: ancienne constitution fédérale) DFF Département fédéral des finances

DFI Département fédéral de l’intérieur

DOZ Dolmetscherschule Zürich [aujourd’hui: ZHAW]

DRG Institut dal Dicziunari Rumantsch Grischun

ETI Ecole de Traduction et d’Interprétation, Université de Genève EPT Equivalent plein temps

GiuRu Giuventetgna rumantscha [association de la jeunesse romanche]

JAAC Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération LLC Loi fédérale du 5 octobre 2007 sur les langues

LLing Loi cantonale grisonne du 19 octobre 2006 sur les langues LPubl Loi fédérale du 18 juin 2004 sur les publications officielles LQ La Quotidiana [quotidien romanche]

LR Lia Rumantscha [Ligue romanche]

LRTV Loi fédérale du 24 mars 2006 sur la radio et la télévision OFC Office fédéral de la culture, Berne

OFS Office fédéral des statistiques, Neuchâtel

ORTV Ordonnance du 9 mars 2007 sur la radio et la télévision OSL Œuvre Suisse des Lectures pour la Jeunesse

RG Rumantsch Grischun [langue romanche unifiée]

RS Recueil systématique des lois fédérales RSI Radiotelevisione svizzera

RTR Radiotelevisiun Rumantscha [radio et télévision romanches], Coire SAL Schule für Angewandte Linguistik, Zurich

SF Schweizer Fernsehen SRR Societad Retorumantscha

SSR Société suisse de radiodiffusion et télévision (SRG SSR idée suisse) RTS Radio Télévision suisse

UNIL Université de Lausanne

ZHAW Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften, Winterthur / Wädenswil / Zurich

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Introduction

Le romanche est mal connu de la plupart des Suisses1. Même parmi celles et ceux qui passent volontiers leurs vacances sur les sentiers ou les pistes du canton des Grisons, peu se préoccupent de l’existence ou du sort de la

«quatrième langue nationale».

Du reste, le simple fait de parler du romanche, comme s’il n’y avait qu’une langue ou un idiome en jeu, est déjà révélateur. Le romanche, ça n’existe pas: c’est, pour reprendre le terme d’Arthur Baur dans son ouvrage Allegra genügt nicht, un «Sammelbegriff», un simple terme générique.

Et, comme le rappelle Clau Solèr, il n’y a jamais eu de «nation romanche»:

les divers idiomes sont autonomes et distincts les uns des autres, à l’image des régions dont ils sont issus.

Au-delà de la réflexion sur des questions strictement liées à la traduction, ce travail se veut donc une occasion de s'interroger sur la représentation que nous avons des langues romanches (représentation dont dépendent, notamment, des choix de politique linguistique et de traduction) et de la remettre en question.

Diverses discussions que nous avons eues durant les années passées à l’ETI nous ont montré que la plupart des traducteurs francophones qui y effectuent leur formation n’ont que des connaissances incomplètes ou approximatives de la situation linguistique romanche. Même si elle n’en est bien entendu pas la cause principale, la méconnaissance de la réalité linguistique des diverses populations romanches par une majorité de concitoyens contribue au déclin de «nos quatrièmes langues»2. Notre intention est de mieux faire connaître ce petit monde, fascinant par ses                                                                                                                

1  Pour  des  raisons  pratiques,  nous  avons  utilisé,  dans  tout  le  présent  mémoire,  le  masculin  générique  pour   évoquer  hommes  et  femmes  d'un  même  groupe.    

2  Casanova  2009,  p.  1:  «Le  romanche  n’est  pas  que  du  folklore;  il  est  encore  bien  vivant  et  doit  être  traité   avec  respect.»  

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beautés et sa complexité, à nos collègues francophones3. Comme le soulignait le professeur Bruno Moretti à l’occasion d’une conférence sur la langue italienne donnée le 22 avril 2010 à l’Institut du Plurilinguisme de l’Université de Fribourg4, l’intérêt porté à une langue minoritaire par des gens de l’extérieur contribue à rehausser le prestige de cette dernière auprès de ses locuteurs.

Le paysage linguistique romanche actuel est autant le produit d’une évolution historique marquée par de nombreuses étapes que le reflet d’une réalité géographique toute particulière, devant laquelle on ne peut manquer de s’interroger sur la place et le rôle de la traduction: entre les cinq idiomes romanches traditionnels et la langue romanche de chancellerie, on dénombre déjà pas moins de trente directions (potentielles) de traduction différentes… Le calcul, un peu naïf, n’a bien entendu qu’une valeur anecdotique, mais il permet, pour les traducteurs, de remettre immédiatement en question la représentation courante du romanche.

Notre intention est d’effectuer un état des lieux, autant en rassemblant des informations sur les directions et pratiques de traduction (par exemple auprès de mandants comme la Confédération, ou de services de traduction comme celui de la chancellerie cantonale grisonne) qu’en interrogeant les traducteurs eux-mêmes sur leur perception personnelle de leurs situations de travail (pour ce faire, nous avons choisi de procéder à une enquête par questionnaire).

Nous commencerons le présent travail par une présentation générale:

l’origine des idiomes romanches, leur évolution respective et leur                                                                                                                

3  À  l’intention  de  nos  collègues  pratiquant  également  l’allemand,  nous  mentionnons  ici  le  très  intéressant   mémoire  de  Madame  Laura  Keller,  présenté  à  l’ETI:  Die  Abwendung  des  Schicksals  von  Tamangur  oder  ein   übersetzerischer  Ansatz  zur  Erhaltung  der  chara  lingua  da  la  mamma  (avril  2010).  

4  La  situazione  dell’italiano  in  Svizzera  e  l’elaborazione  di  un  indice  di  vitalità  per  lingue  di  minoranza.  

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distinction d’avec les autres langues néo-latines, en particulier celles de l’arc alpin, leur situation aujourd’hui, ainsi que l’incontournable question de leurs chances de survie, en fonction de la scolarisation des locuteurs, de la situation économique dans l’aire romanche traditionnelle et de leur protection institutionnelle actuelle, sans oublier la création et l’utilisation – sujets toujours très sensibles aujourd’hui – de la langue écrite administrative servant de «quatrième langue nationale» aux administrations fédérales et cantonales, le fameux rumantsch grischun (RG).

Dans une deuxième partie, nous présenterons dans les grandes lignes des situations de traduction pouvant se présenter avec les langues romanches:

traduction des textes officiels fédéraux et grisons d’allemand en RG (avec des exemples de choix de traduction, mais aussi des critiques formulées par Matthias Grünert et Clau Solèr), traduction d’œuvres littéraires vers les idiomes romanches et portraits de quelques traducteurs de la Surselva et de l’Engadine, traduction de quelques œuvres littéraires de l’idiome original romanche en français et, enfin, transposition d’un texte d’un idiome à l’autre ou en RG.

Cette partie du travail se terminera par une présentation des dictionnaires (spécialement en ce qui concerne les traductions romanche-français et français-romanche) et, sachant l’importance qu’ils revêtent pour le traducteur d’aujourd’hui, de divers moyens informatiques à disposition des traducteurs de langues française et romanche.

La troisième partie permettra de se pencher sur la position du traducteur romanche d’aujourd’hui. Notre intention est ici avant tout de laisser les traducteurs romanches se présenter, évoquer leur formation, leur quotidien de traducteur, les ressources dont ils disposent pour traduire et réviser, leur regard sur les langues vers lesquelles ils traduisent, leurs

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motivations, le rôle qu’ils estiment jouer dans la société romanche et helvétique d’aujourd’hui, ainsi que leurs espoirs et revendications pour le futur.

À cet égard, nous avons d’emblée choisi de considérer deux groupes distincts de traducteurs: un premier groupe traduisant principalement des textes officiels en RG pour la Confédération ou le canton des Grisons et un second, composé de traducteurs œuvrant le plus souvent vers l’un ou l’autre idiome.

Ces deux groupes se recoupent bien entendu partiellement, mais nous sommes partis du point de vue que les motivations des membres de l’un et de l’autre pouvaient, selon la situation de traduction, être assez différentes. Par de brèves synthèses des diverses réponses des traducteurs, nous espérons également pouvoir mettre en lumière et dégager certaines tendances, constituer une base documentaire intéressante à toute personne s’intéressant au sujet et qui désirerait poursuivre ultérieurement la réflexion, sur l’aspect de son choix.

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1 Origines, développement et protection institutionnelle du romanche

Notre intention est ici de remonter aux origines des divers idiomes romanches des Grisons, de montrer comment et dans quel cadre ils se sont développés et ont trouvé leur forme écrite respective, avant de connaître un recul toujours plus prononcé, à la fois devant la langue allemande et le dialecte alémanique, d’évoquer les fondements de la protection institutionnelle dont ils jouissent aujourd’hui, et d’aborder la question de l’usage d’une langue minoritaire au quotidien, en décrivant quelques cadres d’utilisation de cette dernière, notamment dans le monde professionnel.

1.1 Origines et développement du romanche 1.1.1 Le romanche avant la Réforme

1.1.1.1 Le monde rhète

Les montagnes aujourd’hui grisonnes étaient, il y a un peu plus de deux mille ans, habitées par les Rhètes, un peuple dont les origines incertaines divisent encore les historiens5. L’empire romain, désireux de mettre un terme aux incursions rhètes dans la plaine du Pô6, d’assurer ses frontières et de maîtriser les cols7, était parti à la conquête des territoires alpins déjà vers la fin du IIe siècle avant J.-C. Cette campagne militaire trouva son épilogue sous l’empereur Auguste dont les armées, conduites par Drusus et Tibère, conquirent la Rhétie en l’an 15 avant notre ère8.

                                                                                                               

5  L’hypothèse  la  plus  probable  est  l’origine  celtique  du  peuple  rhète:  Gross  2004,  p.  16;  Mützenberg  1991,   p.  11;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  28;  Catrina  1983,  p.  15;  Camartin  1989,  pp.  137-­‐138;  Catrina  1984,  p.  11;  

Redfern  1971,  p.  21;  Vital/Parli  1987,  pp.  14-­‐16;  Lips/Martin-­‐Clamadieu  1983,  p.  6;  Gregor  1982,  p.  34.  

Qui  s’intéresse  à  cette  période  de  l’histoire  des  peuples  alpins,  commune  à  la  Suisse  et  à  l’Italie  du  nord,   lira  avec  intérêt  les  diverses  pistes  (parfois  surprenantes,  comme  l’hypothèse  sémitique)  explorées  par   Linus  Brunner  et  Alfred  Toth  (Brunner/Toth  1987).  

6  Mützenberg  1991,  p.  12;  Robert  von  Planta,  in:  Vom  Lande  der  Rätoromanen,  1931,  p.  38.    

7  Collenberg/Gross  2003,  p.  49;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  29.  

8  Gross  2004,  p.  16;  Mützenberg  1991,  p.  12;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  28;  Brunner/Toth  1987,  p.  51;  

Vital/Parli  1987,  p.  18.  

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1.1.1.2 L’intégration à l’empire romain

Réorganisant la région conquise, Rome fonda la province de Rhétie, une entité politique dont le nom de l’actuelle capitale grisonne, Coire, a conservé la trace9. Les habitants de cette province furent fortement romanisés au cours des 400 ans qui suivirent10: les vaincus furent en effet obligés d’adopter petit à petit la langue du nouveau maître; la structure de la société fut profondément modifiée, latinisée, notamment à travers le recrutement de jeunes Rhètes par l’armée romaine11. Sous les empereurs Dioclétien et Constantin, la province de Rhétie fut détachée de l’Empire, puis scindée en deux: Curia Raetorum resta chef-lieu de la Raetia Prima, tandis qu’Augusta Vindelicorum, l’actuelle Augsburg, devint capitale de la Raetia secunda12.

Au fil des générations, la langue rhète des autochtones se mélangea au latin parlé par les marchands, les fonctionnaires et les soldats de l’empire, jusqu’à l’apparition d’une variante rhétique du latin vulgaire, qui devint, au cours des siècles, ce que l’on appela par la suite le romanche13. Le territoire rhéto-roman allait, lors de son extension maximale, de l’Allemagne du sud (Danube supérieur) jusqu’à l’Adriatique14. Cependant, l’apparition de la langue romanche, fruit d’une lente évolution, coïncida précisément avec l’effondrement de l’Empire romain (ce qui l’a d’ailleurs immédiatement exposée à de premières menaces)15. Issu du latin, le

                                                                                                               

9  Chur  (nom  allemand  de  Coire)  vient  du  latin  Curia  Raetorum,  l’ancienne  capitale  de  la  Rhétie  romaine.  

10  Collenberg/Gross  2003,  p.  49.  

11  Rougier/Sanguin  1991,  pp.  31  et  32;  Mützenberg  1991,  p.  13.  Mentionnons  également  que  le  lecteur   désirant  s’informer  de  manière  ludique  sur  cette  période  de  l’histoire  grisonne  trouvera  des  informations   intéressantes  en  lisant  les  bandes  dessinées  disponibles  auprès  de  la  Lia  Rumantscha  (LR),  Sgartin  &  

Fermentin  ed  ils  gials  da  Mercur  et  Sgartin  &  Fermentin  aint  il  pajais  da  Tukinu,  Arusa  &  Eluku,  par  les   auteurs  Peter  Haas  et  Felix  Giger.  Il  s’agit  d’une  production  originale  en  romanche.  

12  Decurtins  1993,  pp.  91  ss;  Lansel  1936,  pp.  1-­‐2;  Collenberg/Gross  2003,  p.  49;  Catrina  1984,  p.  11.  Cela   donne  une  idée  assez  claire  de  la  taille  du  territoire  concerné.  

13  Gross  2004,  p.  16;  Baur  1996  pp.  13-­‐14;  Catrina  1984,  p.  11;  Robert  von  Planta,  in:  Vom  Lande  der   Rätoromanen,  1931,  p.  39.    

14  Billigmeier,  p.  28;  Gross  2004,  p.  16.  Selon  Baur  1996,  p.  15,  des  toponymes  témoignent  de  ce  passé,  p.  

ex.  Ragaz,  Sargans,  Vaduz,  Bregenz  ou  Konstanz,  aujourd’hui  cités  ou  villages  de  langue  allemande.  Catrina   cite  pour  sa  part  (1983,  p.  16)  les  communes  de  Quinten,  Quarten  et  Terzen,  situées  au  bord  du  lac  de   Walenstadt  (d’ailleurs  appelé  Lai  Rivaun  en  RG).  

15  Catrina  1983,  p.  16.  

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romanche fait indubitablement partie de la famille des langues néo-latines, au même titre que le roumain, l’italien, l’espagnol, le portugais, le catalan, le français ou l’occitan16. Il est tout particulièrement apparenté à des langues présentes dans les Alpes italiennes, le ladin des Dolomites17 et le frioulan18.

1.1.1.3 Le Moyen-Âge

Après la chute de l’empire romain, la seconde province de Rhétie fut occupée et germanisée très tôt par les Bajuraves et les Allamans19. Ces derniers passèrent plus tard le Rhin et s’installèrent sur le plateau, coupant ainsi définitivement la Rhétie des autres territoires celtes romanisés, situés plus à l’ouest20, alors que d’autres populations germaniques franchirent le col du Brenner pour élire domicile dans le nord-est de l’Italie actuelle: cela explique que l’aire romanche des Grisons soit aujourd’hui séparée aussi bien des zones dolomitique et frioulane que de la Suisse romande21.

Même si les premiers mouvements des populations germaniques n’avaient fait qu’effleurer l’ancienne première Rhétie romaine22, une série d’événements historiques contribuèrent par la suite à renforcer leur immigration et à faire entrer les parlers germaniques toujours plus avant dans la zone rhéto-romane. Même si l’annexion de la Rhétie par les Francs en 536 s’accompagnait d’une certaine autonomie23, un facteur essentiel avait changé: le pouvoir vers lequel la région était orientée se trouvait                                                                                                                

16  Solèr  1991,  p.  25;  Walter  1994,  p.  119;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  13.  Rohlfs  1975,  p.  1,  rappelle  toutefois   que,  pour  des  raisons  historiques,  elle  n’a  pas  le  même  statut  (il  présente  la  langue  romanche  comme  la   Stieftochter  [dans  le  sens  de  «parent  pauvre»]  des  langues  romanes).  

17  À  ne  pas  confondre  avec  le  ladin  de  l’Engadine,  regroupant  les  idiomes  puter  et  vallader.  

18  Walter  1994,  pp.  171-­‐3;  Rohlfs  1975,  pp.  2-­‐3;  Brunner/Toth  1987,  p.  51;  Decurtins  1959,  p.  9;  

Halter/Semadeni  1974,  p.  67;  Redfern  1971,  p.  15;  Furer  2001,  p.  VII;  Solèr  1991,  p.  25.  

19  Catrina  1983,  p.  16.  

20  Catrina  1983,  p.  16;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  33;  Walter  Haas,  in:  Schläpfer  1985,  p.  39.    

21  Gross  2004,  pp.  14  et  16;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  13;  Mützenberg  1991,  p.  14;  Robert  von  Planta,  in:  

Vom  Lande  der  Rätoromanen,  1931,  p.  41.  On  voit  ainsi  apparaître  les  premiers  contours  de  la  future  

«Suisse  quadrilingue».  

22  Mützenberg  1991,  p.  15;  Walter  1994,  p.  171.  

23  Gross  2004,  p.  16.  

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maintenant au nord24. Cette tendance ne fit que se renforcer au fil des siècles: en 806, Charlemagne introduisit en Rhétie le système administratif franc. Au lieu du praeses local, élu par la population, ce fut dès lors un comte germanique qui dirigea Coire et sa région25. En 843, lors du partage de Verdun entre les petits-fils de Charlemagne, la Rhétie fut attribuée à Louis-le-Germanique, puis détachée en 847 de l’évêché de Milan pour être attribuée à celui de Mayence26. En 916, la Rhétie fut incorporée dans le duché de Souabe27: les liens administratifs avec le sud en furent définitivement rompus28 (dans une moindre mesure cependant pour les vallées du sud: Engadine, Bregaglia et Poschiavo). Au fur et à mesure que des nobles germanophones s’installaient au fond des vallées, l’allemand devint la langue administrative et judiciaire29. Le pouvoir carolingien encouragea l’installation de colons de langue germanique en Rhétie, comme il le faisait du reste dans d’autres régions30. Au cours des siècles qui suivirent, le territoire rhéto-roman ne cessa de se réduire, l’allemand remontant toujours plus haut dans les vallées, repoussant toujours plus au sud la frontière linguistique31. Outre l’immigration alémanique provenant du nord, il faut également mentionner celle des Walser qui, dès 1235, contribua également au recul de la zone rhéto-romane: arrivant de la vallée de Conches, située à l’ouest, ces Hauts-Valaisans de langue alémanique s’installèrent en divers lieux des Grisons, selon les besoins des seigneurs locaux qui avaient requis leurs services pour défricher la terre, créant ainsi des enclaves de langue allemande32. Au-delà de la langue

                                                                                                               

24  Gross  2004,  p.  81.  

25  Gross  2004,  p.  16;  Decurtins  1959,  p.  21;  Vital/Parli  1987,  p.  24.  

26  Collenberg/Gross  2003,  p.  58;  Liver  1999,  p.  76;  Decurtins  1959,  p.  21;  Vital/Parli  1987,  p.  24.  

27  Rougier/Sanguin  1991,  p.  37.  

28  Mützenberg  1991,  p.  16;  Gross  2004,  p.  16;  Catrina  1984,  p.  11.  

29  Billigmeier  1983,  p.  53;  Mützenberg  1991,  p.  16;  Catrina  1983,  p.  16.  

30  Rougier/Sanguin  1991,  p.  40,  au  ton  toutefois  polémique  et  partisan,  assez  «anti-­‐alémanique».  

31  Catrina  1983,  p.  18.  

32  Zinsli  1976,  pp.  27  ss;  Lansel  1936,  p.  3;  Collenberg/Gross  2003,  pp.  97-­‐99;  Rougier/Sanguin  1991,                   pp.  43-­‐45,  avec  un  tableau  intéressant  de  la  migration  des  Walser  dans  toute  la  Suisse;  Catrina  1983,  p.  18;  

Vital/Parli  1987,  p.  30;  Mützenberg  1991,  p.  16;  Liver  1999,  p.  77;  Robert  von  Planta,  in:  Vom  Lande  der  

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(d’ailleurs différente de celle des Alémaniques grisons), ces immigrés importèrent également un modèle économique qui ne resta pas sans influence sur les rapports entre les diverses communautés peuplant les Grisons33.

Coire, déjà devenue bilingue sous la poussée continue de l’allemand, brûla presque entièrement le 27 avril 1464. Reconstruite par des artisans et ouvriers principalement alémaniques qui s’y installèrent par la suite, la ville devint exclusivement germanophone au cours des décennies qui suivirent: les Romanches avaient perdu leur centre linguistique et culturel34. À la même période, l’allemand remplaçait progressivement le latin dans les documents écrits35.

1.1.2 La Réforme: naissance du romanche à l’écrit

La décision de trouver à la langue romanche une forme écrite est venue non pas des seigneurs ni de leurs fonctionnaires, acquis à l’allemand36, mais des réformateurs. À l’instar de Luther, qui prônait l’enseignement de la parole divine dans la langue du peuple et traduisit la Bible en allemand37, les prédicateurs romanches voulurent à leur tour traduire les saintes écritures dans les idiomes de leurs régions respectives, pour

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

Rätoromanen,  1931,  p.  44;  Jäger  1984,  pp.  33  et  35,  avec  une  carte  très  précise  des  colonies  fondées  par   les  Walser  dans  les  régions  grisonnes.  

33  Catrina  1984,  p.  11;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  37-­‐38.  

34  Catrina  1983,  p.  18;  Gross  2004,  p.  17;  Mützenberg  1991,  p.  17;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  52;  Cathomas   1977,  pp.  46-­‐51;  Catrina  1984,  p.  11.  Rohlfs  1975,  p.  2,  Furer  2001,  p.  IX,  Decurtins  1959,  p.  21  et  Gregor   1982,  p.  2,  rappellent  du  reste  qu’un  centre  politique  et  économique,  qui  est  absolument  déterminant  pour   le  développement  d’une  langue  unifiée,  a  précisément  fait  défaut  aux  Romanches.  

35  Liver  1999,  p.  78  (à  noter  qu’une  seconde  édition  de  cet  ouvrage  a  été  publiée  début  2010).  

36  Certains  germanophones  manifestaient  un  certain  mépris  envers  le  romanche,  considéré  comme  une   forme  de  latin  dégénéré,  allant  jusqu’à  le  qualifier  de  «langue  qui  ne  s’écrit  pas».  Rougier  /Sanguin  1991,   p.  40,  et  Liver  1999,  p.  105,  se  font  l’écho  de  ce  préjugé  tenace,  qui  ne  restera  pas  sans  influence,  au  cours   des  siècles,  sur  le  regard  porté  par  certains  Romanches  sur  leur  propre  langue.  À  noter  la  création,  en   allemand,  de  termes  démontrant  l’incompréhension,  mais  aussi  le  mépris  envers  le  romanche:  

Kauderwelsch  (provenant  de  Churwelsch,  welsch  ayant  le  sens  original  d’«étranger»:  «langue  étrangère  de   Coire»),  Geissenspanisch  («espagnol  des  chèvres»)  ou  encore  Staibocktschingga  (Tschingga,  venant  de   cinque,  est  utilisé  en  dialecte  alémanique  pour  désigner  les  italophones,  de  Suisse  ou  d’Italie),  allusion  au   bouquetin  du  drapeau  grison.  Baur  1997,  p.  15,  mentionne  Kuaspanisch  («espagnol  des  vaches»)  ou   encore  Gröllhaldenänglisch  (litt.  «anglais  des  éboulis»),  qui  laisse  songeur…  Nous  renonçons  à  mentionner   ici  d’autres  «surnoms»  au  caractère  franchement  injurieux.  

37  Baur  1997,  p.  31.  

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s’assurer que la nouvelle foi fût plus accessible à leurs ouailles38. La Réforme ayant trouvé ses premiers adeptes grisons en Engadine, il n’est pas étonnant que les idiomes de cette vallée aient été mis par écrit avant les autres, sous les plumes de Jachiam Bifrun (idiome puter, de l’Engadine du haut, 1550), traducteur du Nouveau Testament, et de Duri Chiampel (idiome vallader, de l’Engadine du bas, 1562), qui imprimera d’ailleurs lui- même sa traduction des Psaumes39. D’autres suivirent, à l’exemple de Stiafen Gabriel, passé d’Engadine vers les vallées du Rhin pour y propager la Réforme et considéré comme le père du sursilvan (idiome de la vallée du Rhin antérieur)40. Les deux autres idiomes, le surmiran (centre des Grisons) et le sutsilvan (vallée du Rhin postérieur)41, n’ont reçu leur norme orthographique que plus tard42. Le développement indépendant de chacun des cinq idiomes, mais aussi leur conservation, sont essentiellement dus à une topographie très difficile (les Grisons méritent leur surnom de pays des 150 vallées)43, les régions restant isolées une bonne partie de l’année, sans rapports économiques entre elles44.

1.1.3 Le développement du romanche à la suite de la Réforme La création des ligues grisonnes45 (alliances de communes, en réponse à la menace constituée par les Habsbourg), puis leur entente qui déboucha, en 1524, sur la création de la République des Trois-Ligues, occasionna un                                                                                                                

38  Gross  2004,  pp.  17  et  72;  Mützenberg  1991,  p.  17;  Liver  1999,  p.  79.  

39  Gross  2004,  p.  72;  Mützenberg  1991,  pp.  27-­‐28  et  29-­‐30;  Baur  1997,  pp.  111-­‐112  et  114-­‐115;  

Tomaschett  2004,  p.  6,  soulignant  la  production  littéraire  depuis  la  Réforme.  

40  Il  fut  notamment  pasteur  à  Flims  et  Ilanz:  Baur  1997,  p.  118.  Voir  en  outre  Baur  1996,  p.  28;  Decurtins   1959,  pp.  23-­‐24.  À  noter  que  le  mouvement  de  la  Contre-­‐Réforme  a  utilisé  le  sursilvan  comme  arme,  en   créant  une  nouvelle  version  à  l’orthographe  légèrement  différente.  Les  deux  versions  resteront  dos  à  dos   jusqu’au  début  du  XXe  siècle:  Baur  1997,  p.  32.  

41  On  trouvera  des  explications  sur  les  cinq  idiomes  chez  Baur  1996,  p.  28,  ou  encore  Catrina  1983,  p.  20,   Liver  1999,  p.  42,  et  bien  entendu  dans  Gross  2004,  p.  27.    

42  Le  dernier,  le  sutsilvan,  en  1944  seulement,  comme  le  relève  Solèr  (1991,  p.  25;  2002,  p.  251).  

43  Liver  1999,  p.  41;  Catrina  1983,  p.  20,  qui  cite  la  comparaison  (malicieuse)  d’un  professeur  américain   entre  les  montagnes  grisonnes  et  le  Kansas!  Baur  1997,  p.  31,  rapporte  quant  à  lui  une  légende  qui   explique  les  nombreuses  différences  entre  les  idiomes.    

44  Solèr  1991,  p.  25.  

45  Collenberg/Gross  2003,  pp.  84-­‐89  et  109-­‐114;  Catrina  1984,  p.  11;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  53:  Ligue   de  la  Maison-­‐Dieu,  1367;  Ligue  grise,  1395;  Ligue  des  Dix-­‐Juridictions,  1436.  Ces  trois  ligues  regroupaient   des  territoires  composant  aujourd’hui,  en  grande  partie,  le  canton  des  Grisons.  

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changement politique et social radical (remplacement du régime féodal par un système de communes autonomes, fonctionnant démocratiquement)46. Cependant, la situation de la langue romanche en politique n’en fut pas modifiée, le nouvel Etat comme chacune des ligues recommandant, pour des raisons pratiques, l’usage de l’allemand comme langue de communication et de chancellerie47. Cela étant, chaque commune restait libre de définir la langue qu’elle utilisait avec ses citoyens. Ce système politique très respectueux des particularismes locaux permit aux Grisons alémaniques, italophones et romanchophones de vivre ensemble ou, à tout le moins, de rester dos à dos sans se battre – si l’on excepte la période troublée des Bündner Wirren48 – à une époque où les querelles religieuses déchiraient l’Europe49. En 1794, trois ans seulement avant sa chute, la République des Trois-Ligues reconnaîtra également l’italien et deux idiomes romanches (sursilvan et vallader), et proclamera le trilinguisme de l’Etat50.

Malgré la relative harmonie politique qui a caractérisé la période de la République des Trois-Ligues, un élément a toujours conditionné l’existence des communautés montagnardes (des Grisons et d’ailleurs): l’émigration, pour des motifs économiques. La montagne ne pouvant nourrir tous ses enfants, beaucoup devaient quitter leur village natal, pour un temps ou pour toujours51. Si certains sont rentrés dans leur contrée natale, fortune faite, bien d’autres ne sont jamais revenus52: la nostalgie de la terre natale                                                                                                                

46  Catrina  1984,  pp.  11-­‐12;  Vital/Parli  1987,  pp.  54  et  60.  

47  Rougier/Sanguin  1991,  pp.  56-­‐57;  Walter  Haas,  in:  Schläpfer  1985,  p.  58.  

48  Baur  1997,  p.  41;  Vital/Parli  1987,  pp.  76-­‐84;  Prader-­‐Schucany  1970,  p.  260,  qui  rappelle  les  affres  de  la   Guerre  de  Trente  Ans  et  le  rôle  joué  par  l’Engadine  à  cette  époque,  qui  vit  les  Grisons  aux  prises  avec  une   bonne  partie  des  grandes  puissances  européennes.  

49  Liver  1999,  p.  80,  qui  relève  l’opposition  séculaire  entre  l’Engadine  réformée,  tournée  vers  l’Italie,  et  la   Surselva  restée  très  largement  catholique,  orientée  vers  le  monde  alémanique.  

50  Gross  2004,  p.  17;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  57;  Catrina  1984,  p.  12;  Gregor  1982,  p.  8.  

51  Collenberg/Gross  2003,  pp.  262  ss.  

52  Catrina  1984,  p.  19;  Catrina  1983,  pp.  42-­‐46;  Schreich  2006,  p.  197,  et  Mützenberg  1991,  p.  84,   reviennent  sur  les  fameux  pâtissiers  engadinois,  partis  aux  quatre  coins  de  l’Europe.  Ceux  qui  faisaient   fortune  et  revenaient  passer  les  étés  en  Engadine  étaient  surnommés  les  «Randulins»,  dérivé  de  

«randulina»,  l’hirondelle:  voir  Hofmann  Estrada  2008,  p.  28.  Roman  Bühler  dédie  son  ouvrage  Bündner  im   Russischen  Reich  aux  ressortissants  grisons  (également  alémaniques  et  italophones)  qui  ont  dû  s’exiler  en  

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et la tristesse de l’inéluctable départ sont toujours très présentes dans la culture romanche53. En raison des difficultés liées à la topographie, de l’absence d’une grande ville (qui aurait pu devenir un centre politique, économique et culturel), la communauté romanche, au surplus fort exposée sur son propre terrain à la montée en puissance de l’allemand et du dialecte alémanique, n’a pas connu un essor démographique comparable à celui des autres groupes linguistiques suisses.

Les réformes scolaires entreprises aux Grisons dans la seconde moitié du XVIIIe siècle montrent le peu de prestige dont jouissait alors le romanche, destiné à demeurer une langue parlée54 et même perçu comme un obstacle à la diffusion du savoir55!

1.1.4 Le XIXe siècle

Après les guerres napoléoniennes, durant lesquelles ils ont perdu leur qualité d’Etat indépendant puis subi une intégration forcée dans la République helvétique imposée par la France56, les territoires grisons ont été finalement intégrés à la Confédération helvétique en 1803, sous le nom de «canton des Grisons»57. Cette nouvelle situation, puis la défaite de Napoléon58, a encore renforcé la position et le prestige de la langue

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

des  terres  lointaines  pour  gagner  leur  vie  (carte  des  migrations  entre  le  XVIIIe  et  le  XIXe:  Bühler  1991,   243).  Dolf  Kaiser  a  fait  de  même  dans  son  livre  Cumpatriots  in  terras  estras,  avec  un  accent  spécial  sur   l’émigration  engadinoise.  Kaiser  1985,  p.  8,  souligne  pour  sa  part  que  le  travail  momentané  à  l’extérieur   représentait,  pour  les  Grisons,  une  source  appréciable  de  revenus:  concernant  le  travail  des  

«Schuobacheclers»  (jeunes  Romanches  travaillant  chez  les  paysans  souabes  entre  1800  et  1914),  voir  le   film  de  Gion  Tschuor,  Was  kost’  des  Büeble?,  disponible  sur  le  site  de  la  LR:  

http://fm.rumantsch.ch/lr/rm/FMPro?-­‐db=cudeschs.fp5&-­‐format=ven_detagls.html&-­‐

token=12587480&-­‐lay=endatar&RecID=2471&-­‐find.  Du  XXe  siècle  à  nos  jours,  l’exil  est  devenu  intérieur,   comme  le  relèvent  Baur  1997,  p.  88,  Furer  2007,  p.  65  ou  encore  Catrina  1983,  p.  48.  Les  Romanches  se   déplacent  plutôt  vers  les  villes  suisses  –  comme  Zurich,  qui  en  accueille  actuellement  environ  1  000,  à   peine  moins  que  Coire  –  pour  y  faire  carrière.  Comme  l’indique  le  4ème  rapport  périodique  relatif  à  la   Charte  européenne  sur  les  langues  régionales  ou  minoritaires,  rendu  fin  2009  par  la  Suisse,  la  moitié  des   Romanches  vit  en  dehors  de  l’aire  linguistique  traditionnelle  et  un  quart  d’entre  eux  hors  des  Grisons:  

Rapport  Charte  2009,  p.  14.  Voir  également  Lechmann  2005,  p.  73  et  Gregor  1982,  pp.  14-­‐15.  

53  Florentin  Lutz,  in:  Schläpfer  1985,  p.  216;  Deplazes  1991,  pp.  196-­‐248.  

54  Liver  1999,  p.  80;  Kundert  2007,  p.  121.  

55  Baur  1996,  p.  82.  

56  Bundi  2003,  p.  140;  Catrina  1983,  p.  31.  

57  Solèr  1991,  p.  25;  Liver  1999,  p.  81.  

58  Catrina  1983,  p.  32.  

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allemande: comment se faire une place dans ce nouvel Etat à l’immense majorité germanophone59 sans maîtriser l’allemand, à l’écrit comme à l’oral (dialecte)60? À l’interne, même si le nouveau canton affiche officiellement une certaine bienveillance61 à l’égard de ses citoyens de langues romanche et italienne (reconnaissance des trois langues, droit de s’exprimer dans sa langue, publication des textes officiels), on constate cependant, dans les faits, une indubitable volonté de germaniser la population romanche62. De plus, l’immigration germanophone aux Grisons, conjuguée à l’émigration romanche63, a définitivement renversé les proportions: encore majoritaire par rapport aux germanophones au début du XIXe siècle, la population grisonne de langue romanche est minoritaire lors du recensement de 186064. Depuis cette époque, le recul n’a jamais cessé65 et le lien géographique entre les diverses régions de langue romanche est même rompu66, ces dernières devenant petit à petit des enclaves67.

Avec le développement du réseau routier68, puis ferroviaire69, et l’apparition du tourisme70, un nombre toujours plus important d’allophones                                                                                                                

59  Bundi  2003,  p.  145.  

60  Liver  1999,  p.  81;  Billigmeier  1983,  p.  131;  Viletta  1984,  p.  102,  soulignant  le  passage  à  un  statut  de   minorité.  

61  Liver  1999,  p.  81.  

62  Billigmeier  1983,  p.  150,  portant  son  regard  sur  l’école;  Gross  2004,  p.  17;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  60,   qui  citent  à  cet  égard  la  volumineuse  étude  consacrée  par  Pieder  Cavigelli  à  la  germanisation  de  la   commune  de  Bonaduz  (Die  Germanisierung  von  Bonaduz  in  geschichtlicher  und  sprachlicher  Schau,  Huber,   Frauenfeld,  1969).  Voir  également  Mathias  Kundert,  qui  analyse  dans  une  étude  très  récente  la  

germanisation  de  l’aire  traditionnelle  de  l’idiome  sutsilvan  (Der  Sprachwechsel  im  Domleschg  und  am   Heinzenberg  (19.  Und  20.  Jahrhundert),  Desertina,  Chur,  2007).  

63  Solèr  2008,  p.  142.  

64  Liver  1999,  p.  81;  Kundert  2007,  p.  15;  Solèr  2007,  p.  401.  

65  En  pourcentage,  comme  le  rappelle  Solèr  2009,  p.  157,  point  6.  Cf.  également  Catrina  1983,  p.  18,  et   Rougier/Sanguin  1991,  pp.  62-­‐64,  qui  citent  les  exemples  de  germanisation  progressive  de  la  petite  région   de  Samnaun,  en  Basse-­‐Engadine,  et  de  celle  d’Ilanz,  en  Surselva.  

66  Par  la  conversion  de  la  région  du  Schons  à  l’allemand:  Rougier/Sanguin  1991,  p.  71.  

67  Solèr  2008,  p.  142.  

68  Collenberg/Gross  2003,  pp.  301  ss;  Kraas  1992,  p.  150.  

69  Vital/Parli  1987,  p.  102;  Lips/Martin-­‐Clamadieu  1983,  p.  9;  Rougier/Sanguin  1991,  p.  68,  qui  soulignent   le  rapport  de  cause  à  effet  entre  l’apparition  du  chemin  de  fer  et  la  percée  de  l’allemand,  comme  Decurtins   1993,  p.  21.  Voir  également  à  ce  sujet,  mais  sous  l’angle  strictement  architectural,  le  très  intéressant   ouvrage  de  Paul  Caminada  sur  la  construction  des  chemins  de  fer  rhétiques:  Der  Bau  der  Rhätischen  Bahn,   Orell  Füssli,  Zurich,  1980.  

70  Collenberg/Gross  2003,  pp.  288  ss,  qui  soulignent  le  danger  que  constitue,  pour  le  maintien  du  

romanche,  cette  brusque  affluence  de  nombreuses  personnes  désireuses  d’admirer  les  paysages  alpins  et   d’y  séjourner,  plus  ou  moins  régulièrement,  mais  pour  un  temps  limité.  

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s’installent aux Grisons ou y voyagent. Certains Romanches en viennent à considérer leur langue comme un obstacle à la modernisation du cadre économique: langue et culture sont désormais menacées71. Contre cette tendance, une réaction se fait jour, que l’on qualifiera de «Renaissance romanche»72: des personnalités, parmi lesquelles Caspar Decurtins73, appellent à la défense de la langue74.

Comme le relève Liver, l’enseignement scolaire revêt une importance capitale pour la survie d’une langue de minorité75. Les premiers manuels scolaires romanches paraissent dans les années 30 et 40 du XIXe siècle: il s’agissait d’abord de traductions de manuels créés en allemand, puis de manuels originaux. L’ordonnance scolaire de 1859 prévoit que l’enseignement primaire se fera dans la langue locale. En 1860, le romanche est introduit au Lehrerseminar (formation des enseignants du niveau primaire)76.

La seconde moitié du XIXe siècle voit également la naissance de la première société de défense et de promotion de la langue romanche, la Societad Retorumantscha (SRR), en 188677, ainsi que la fondation de plusieurs journaux romanches78, dont certains à la vie assez brève.

La littérature romanche profane prit son essor à cette période également79. Auparavant, l’essentiel de la production relevait de la religion80 (dans le                                                                                                                

71  Gross  2004,  p.  17;  Catrina  1984,  p.  11;  Kundert  2007,  p.  121;  Halter/Semadeni  1974,  p.  59.  Solèr  2007,   p.  401,  évoque  la  stigmatisation  du  romanche,  langue  considérée  comme  «retardée»  et  «paysanne».  

72  Collenberg/Gross  2003,  pp.  328  ss.  

73  Mützenberg  1991,  pp.  58-­‐61:  Caspar  Decurtins  sera  également  conseiller  national  et  l’un  des   cofondateurs  de  l’Université  de  Fribourg,  contribuant  ainsi  à  réaliser  un  vieux  souhait  des  cantons   catholiques…  et  de  la  Surselva.  

74  Catrina  1983,  pp.  25-­‐26;  Gross  2004,  p.  17;  Billigmeier  1983,  p.  167;  Catrina  1984,  p.  11;  Decurtins  1959   p.  27.  L’on  citera  ici  le  fameux  cri  du  cœur  du  poète  sursilvan  Giachen  Hasper  Muoth:  «Stai  si  Romontsch  e   defenda  tiu  vegl  lungatg…»  [Lève-­‐toi,  Romanche,  et  défends  la  langue  de  tes  pères…],  mentionné  

notamment  par  Liver  1999,  p.  83.  

75  Liver  1999,  p.  82;  Baur  1996,  p.  145.  

76  Liver  1999,  p.  82.  

77  Solèr  2009,  p.  155;  Catrina  1984,  p.  12;  Liver  1999,  p.  82;  Gross  2004,  pp.  84-­‐85,  qui  précise  que  la  SRR  a   pour  «but  principal  […]  de  recueillir,  conserver  et  publier  le  patrimoine  linguistique  romanche».    

78  Billigmeier  1983,  p.  174.  

79  Liver  1999,  p.  83;  Gross  2004,  p.  72.  Furer  2001,  p.  IX,  souligne  la  remarquable  qualité  de  la  littérature   romanche,  si  l’on  se  rapporte  au  nombre  de  locuteurs  et  d’auteurs.  

80  Mützenberg  1991,  p.  42.  

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sillage de la Réforme et de la Contre-Réforme), mais aussi des domaines judiciaires ou scolaires81.

Au cours du XIXe siècle, puis du XXe, divers personnages avaient réfléchi à la possibilité de créer un romanche unifié, dans l’espoir de freiner le recul des divers idiomes – souffrant depuis toujours de leur dispersion82 – en leur insufflant un nouvel élan commun. Les projets du père bénédictin Placidus a Spescha, du maître secondaire Gion Antoni Bühler (romontsch fusionau) ou, plus près de nous, de Leza Uffer (Interrumantsch) n’ont toutefois pas emporté l’adhésion, en raison de leurs défauts respectifs ou simplement du peu d’empressement des locuteurs des divers idiomes à se lancer dans l’aventure83.

Sur le plan académique, les premières études linguistiques consacrées au romanche voient le jour84.

1.1.5 Le romanche jusqu’à la première décennie du XXIe siècle Entre 1896 et 1991 furent fondées pas moins de six associations régionales qui s’étaient donné pour objectif de soutenir et de promouvoir les divers idiomes romanches85. La Lia Rumantscha (LR), leur organisme faîtier, est fondée à Coire en 191986. Parmi ses priorités figure la préparation d’ouvrages linguistiques de référence87. De nombreux dictionnaires de qualité sont donc parus au siècle passé, toujours bilingues avec l’allemand.

Il s’agissait, dans ce domaine, de rattraper un important retard, rien

                                                                                                               

81  Gross  2004,  p.  72.  

82  Liver  1999,  p.  68.    

83  Decurtins  1993,  pp.  347-­‐363;  Liver  1999,  pp.  39  et  68;  Baur  1996,  pp.  121-­‐123;  Baur  1997,  p.  35;  

Billigmeier  1983,  pp.  295-­‐305,  au  sujet  du  projet  de  G.  A.  Bühler.  

84  Decurtins  1964,  pp.  34-­‐38.  

85  Baur  1996,  p.  78;  Liver  1999,  pp.  82-­‐83;  Lansel  1936,  p.  5;  Baur  1997,  p.  73:  Romania,  1896;  Uniun  dals   Grischs,  1904;  Uniun  Rumantscha  da  Surmeir,  1921;  Renania,  1922;  Cuminanza  rumantscha  radio  e   televisiun,  1946;  Uniun  da  scripturas  e  scripturs  rumantschs,  1946;  Uniun  dallas  Rumantschs  e  dals   Rumantschs  en  la  Bassa,  1991,  regroupant  des  Romanches  de  la  diaspora.  En  2005,  fusion  de  l’Uniun   Rumantscha  da  Surmeir  et  de  la  Renania  de  Sutselva,  pour  créer  l’Uniun  rumantscha  Grischun  central;  

enfin,  en  2006,  fusion  de  la  Romania  avec  la  Renania  de  Surselva,  pour  créer  la  Surselva  romontscha.  Voir   également  Solèr  2009,  p.  155.  

86  Catrina  1983,  p.  28;  Lechmann  2005,  pp.  92  ss;  Solèr  2007,  p.  402;  Solèr  2009,  p.  155.  

87  Baur  1996,  p.  101.  

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n’ayant été réalisé dans ce domaine au cours des siècles précédents88. Comme le souligne Baur, les dictionnaires constituent l’unique moyen de saisir une langue dans son ensemble, de la rendre visible et accessible, et font partie des instruments indispensables pour donner une norme à la langue, en imposant une forme orthographique. Citant Weinreich, il ajoute qu’aucune petite langue européenne ne peut se permettre de vivre sans un dictionnaire moderne et adapté aux besoins89.

C’est précisément pour cette raison que fut fondé, en 1904, sous l’impulsion de Robert von Planta, l’Institut dal Dicziunari Rumantsch Grischun (DRG), avec l’objectif premier de créer un ouvrage où répertorier et définir tous les mots de tous les idiomes romanches des Grisons90. Plus d’un siècle après les premières recherches, le travail est toujours en cours: le dernier volume publié se conclut sur le terme «Manzögna» (fascicule 167/168, tome 13; novembre 2009)91, et on estime qu’il faudra encore entre 60 et 80 ans pour arriver au terme de la lettre Z92. On peut comparer cet ouvrage au Glossaire des patois de la Suisse romande, basé à Neuchâtel93. Aujourd’hui financé en grande partie par le Fonds national, le DRG dispose également d’un très important matériel documentaire sur les Grisons et sur la civilisation alpine en général94.

Un élément important en faveur du romanche fut sans conteste sa reconnaissance comme langue nationale suisse, à la suite de la votation constitutionnelle fédérale de 193895. Acceptée par une majorité écrasante de citoyens, ce scrutin n’a pas, à lui seul, freiné le recul généralisé du

                                                                                                               

88  Baur  1996,  p.  100.  

89  Baur  1996,  p.  100.    

90  Tomaschett  2004,  p.  2.  

91  www.drg.ch/main.php?l=r.    

92  Tomaschett  2004,  p.  21,  qui  déplore  qu’il  ne  soit  pas  possible  de  mettre  plus  de  moyens  à  disposition.  

93  Tomaschett  2004,  p.  16.  Voir  également  le  site  Internet  du  DRG,  www.drg.ch/main.php?a=lin&l=r,   indiquant  également  les  pages  Internet  du  Glossaire  des  patois  romands  et  des  institutions  équivalentes   pour  la  Suisse  alémanique  et  la  Suisse  italienne.  

94  Tomaschett  2004,  p.  17.  On  peut  télécharger  le  document  relatant  les  cent  ans  d’activité  du  DRG  à   l’adresse  www.drg.ch/main.php?a=dow&l=r  (disponible  en  romanche  et  en  allemand).  

95  Catrina  1984,  p.  12;  Lechmann  2005,  pp.  512-­‐516;  Gregor  1982,  p.  8.  

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