2.1 Le romanche comme langue d’arrivée
2.1.3 La traduction littéraire vers les idiomes
2.1.3.1 Trois figures contemporaines de la traduction romanche Nous désirons immédiatement rappeler que bien d’autres traducteurs,
2.1.3.1.2 Andri Peer
Né en 1921 à Sent372, décédé en 1985 à Winterthur, professeur de français et d’italien au gymnase de Winterthur, chargé de cours à l’Université de Zurich (langue et littérature rhétoromanes), poète, écrivain, dramaturge et membre actif des associations romanche et suisse des écrivains373, traducteur notamment de Dante, Maurice Chappaz ou Gian Fontana374, Andri Peer est l’auteur de plusieurs essais, nouvelles, pièces de théâtre et recueils de poèmes375, mais aussi de livres pour enfants. Voici le sous-titre – très parlant – de l'un de ses articles paru dans La traducziun litterara en
370 Derungs 2008, p. 130; Lefevere 1992, p. 17, citant Schlegel: «[…] cosmopolitan center for mankind».
371 «Espérer, c’est pour ainsi dire rêver, les yeux ouverts, de choses réelles. Mais nous qui avons ramené la réalité aux quelques affaires du quotidien, celles que nous appelons productives, nous qui, pour la même raison, nous qualifions de «réalistes», nous avons perdu la moitié du monde réel et, pour cette raison, l’espérance. Si le chemin des enfers est pavé d’espoirs enterrés, alors celui du paradis ne peut consister qu’à les faire sortir de la terre et leur redonner vie.» Derungs 1982, p. 115 (traduction de l’auteur du présent mémoire).
372 Mützenberg 1991, p. 141: magnifique passage sur la jeunesse d’Andri Peer.
373 http://rm.wikipedia.org/wiki/Andri_Peer.
374 Solèr 1990, pp. 32-‐33.
375 Mützenberg 1991, p. 141: www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Peer/175944.
1983: «Traduire, reproduire, introduire. Valeur, dignité et importance accordée à la traduction littéraire.»376
Voici comment Andri Peer y décrit sa conception de la traduction littéraire:
«La traduction littéraire, un sujet si vaste qu’il a de quoi faire peur. Mais aussi un réconfort, une raison de manifester sa reconnaissance, un moyen grandiose d’œuvrer à ce que les peuples de cette Terre apprennent à se connaître, de les amener à se surpasser et, comme on peut l’espérer, à s’aimer et à s’entendre, pour échapper aux conflits habituellement dictés par l’ignorance et par l’envie. Nous nous inclinons devant les grands traducteurs, médiateurs d’un esprit universel, diplomates eux aussi; leur voix est malheureusement trop peu entendue, mais toujours présente lorsque le bon sens régit les relations avec le monde étranger, pour rendre cet ailleurs plus familier, lui donner un visage plus avenant.»377
Après avoir rendu hommage aux traducteurs romanches du passé378, Andri Peer dit toute l’importance de la traduction pour les gens de langue romanche:
« […] Une littérature minoritaire (qui plus est partagée, à l’écrit, entre plusieurs idiomes) ne peut se passer de compléter sa propre production, forcément modeste […] Renoncer à nous nourrir [de la littérature des pays alentour] alors que nous en sommes si proches, alors que nous y avons accès par le biais de traducteurs plus ou moins capables, reviendrait à nous asphyxier, nous, petit peuple romanche si ouvert sur le monde et impliqué dans l’histoire, non seulement de la Suisse, mais de l’Europe entière.»379 Puis Andri Peer nous livre, en quatre points, sa définition du traducteur idéal:
«- Il maîtrise sa langue maternelle, celle vers laquelle il traduit, jusque dans les plus petits détails et sait tirer parti de toutes ses ressources.
376 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 174 (traduction de l’auteur du présent mémoire).
377 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 174 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire).
378 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 175 in fine.
379 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 176 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire).
- Il connaît à fond la langue depuis laquelle il traduit et, confronté à quelque incertitude, s’informe au gré des besoins (en interrogeant l’auteur lui-même ou des spécialistes, en consultant des dictionnaires […]).
- Il est conscient qu’en traduisant bien, ou même à la perfection, il ne transmet pas seulement des informations, des événements et des faits, racontés dans une langue peu accessible, mais un monde, un univers rendu dans son entier, dans toute sa complexité. Ce n’est qu’à cette condition que son lecteur pourra éprouver la même joie que celui qui est en mesure de comprendre le texte original.
- C’est pour cette raison que les meilleurs traducteurs ne sont pas ni n’ont été des auteurs à la verve originale, à la personnalité forte. Ils ont bien sûr écrit de leur côté, mais jamais dans l’intention de rivaliser avec leurs
‘clients’, les auteurs qu’ils ont traduits.»380 Et Andri Peer ajoute:
«Traduire: pour apprendre, s’enquérir du monde, rendre hommage; pour informer, servir et adhérer à une cause.»381
Et, à l’intention de ceux qui douteraient du bien-fondé de la traduction, parce qu’y voyant une forme de concurrence déloyale à l’égard de la production littéraire locale:
«[…] Nos traductions romanches d’œuvres de la grande littérature européenne […] n’ont jamais mis en danger notre production littéraire locale, aujourd’hui moins que jamais, à une époque où beaucoup lisent plus facilement l’allemand que le romanche […]»382.
380 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, pp. 178-‐179 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire).
381 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 185 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire).
382 Andri Peer, in: La traducziun litterara, 1983, p. 193 (propos traduits par l’auteur du présent mémoire).
Nous ajoutons, en guise de conclusion, un poème en vallader d’Andri Peer, Quai ch’ins mangla, dont les traductions française (par Jean-Jacques Furer) et allemande (par Bruno Oetterli) sont publiées sur Internet383:
Quai chi’ns mangla
Quai chi’ns mangla, amis,!
Ais curaschi.!
Curaschi da tour il pled!
Intant ch’el ais bugliaint;!
Da nomnar la peidra peidra!
E’l sang sang!
E la temma temma.
Ün di gnarà la naiv gronda,!
E lura, aint il sbischöz,!
Saraja grev!
Da’s dar d’incleger.384