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Module 9 : Les applications linéaires

2.4. Opérationnalisation des résultats issus de la recherche dans une perspective écologique

Nous avons fait état, dans la problématique, des défis que soulève l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage, notamment, lorsque cet enseignement concerne les nombres rationnels. La prise en compte de ces défis, dans une perspective didactique, nous a également permis de faire état des orientations générales de notre recherche. Le choix de favoriser une intégration écologique de situations d’enseignement/apprentissage nous a conduit à mettre en place diverses phases du processus d’acculturation. Nous avons ainsi procédé à un examen des programmes d’enseignement des nombres rationnels, au 3e cycle du primaire et au 1er cycle du secondaire. Nous avons poursuivi notre démarche d’acculturation par l’analyse de recherches faisant état de rapports problématiques aux nombres rationnels d’un pourcentage non négligeable d’élèves de l’enseignement primaire et secondaire, recherches effectuées dans plusieurs pays. Visant une transformation de ces rapports, plusieurs chercheurs ont conçu et mis à l’essai de nombreux dispositifs didactiques, dispositifs que nous avons examinés et qui nous ont, entre autres, permis de constituer un répertoire de situations didactiques qui pourraient potentiellement être mises à profit dans notre recherche ou adaptées, en prenant en considération le fonctionnement du milieu.

L’inscription écologique de situations est un objectif essentiel dans notre recherche; l’atteinte d’un tel objectif n’est pas évidente. Afin de dégager les dimensions à privilégier pour une inscription écologique de situations, nous nous appuierons sur la recherche effectuée par Roditi (2005). Cette recherche nous permettra ensuite de préciser les phases de la démarche d’acculturation institutionnelle que nous privilégierons dans notre recherche. Les objectifs poursuivis dans notre recherche seront ensuite précisés.

2.4.1. Analyse de pratiques : la nécessité de tenir compte à la fois des effets potentiels visés et des acteurs.

L’étude effectuée par Roditi (2005) porte sur les pratiques de 4 enseignants de 6e année, lors de l’enseignement de la multiplication des décimaux (3 à 5 heures environ). Ces enseignants partageaient une même formation et des expériences comparables; les

classes étaient également fort comparables (conditions d’enseignement analogues : durée, manuel scolaire, niveau des élèves, effectifs, etc.). Par l'entremise de cette étude, Roditi tente de préciser «ce que recouvre entre contraintes et liberté pédagogique, une pratique

ordinaire d'enseignement. » (Ibid., p.18). Ces précisions nous permettent, dans le cadre

de notre recherche, de mieux caractériser la démarche d’acculturation institutionnelle du chercheur.

L’analyse des pratiques enseignantes effectuées par Roditi montre notamment la présence d’une homogénéité tangible (ex. organisation de la leçon), bien que maintes divergences apparaissent (ex. gestion des incidents). À titre d’exemple de convergence, Roditi (2005) remarque sensiblement le même nombre d’exercices d’application, comme s’il existait un nombre d’exercices à partir duquel il était possible d’attester de la «compréhension» des élèves. Le chercheur relève également un dosage fort similaire entre les calculs qui posent une difficulté d’application de la règle de la virgule (60%) et ceux qui n’en posent pas (40%). Cela permettrait d’offrir conjointement l’opportunité de travailler sur les erreurs des élèves et d’attester de leur réussite. Ce levier compensatoire préserve ainsi la confiance des élèves en leurs capacités d’apprentissage. L’ensemble des analyses réalisées par Roditi révèlent que la convergence des pratiques enseignantes peut être attribuée à la multiplicité de contraintes institutionnelles qu'ils partagent (objectifs et contraintes d'enseignement de la multiplication des décimaux) et à la connaissance du métier qui leur confèrent une « légitimité sociale » aux yeux de leurs collègues, des parents et des élèves. Il en est ainsi de certaines

« contraintes globales comme l'organisation du système scolaire qui conduit à la répartition des

élèves en divisions d'effectif donné, à l'attribution d'un contingent horaire, à la définition d'un programme national commun, des contraintes plus locales liées aux relations que chaque professeur entretient avec les différents acteurs de son établissement scolaire : l'administration, les collègues, les élèves et leurs parents; des contraintes plus localement encore, l'utilisation de tel manuel scolaire. D'autre part, il faut comprendre les contraintes qui viennent de l'exercice du métier dans la classe, les contraintes de temps, de gestion d'un groupe de trente élèves dont les dynamiques d'apprentissages sont toutes différentes, et aussi des contraintes professionnelles comme la gestion de la fatigue, de la tension.» (Ibid., p. 27).

Par ailleurs, nous pouvons remarquer que malgré l’emploi d’un manuel commun et la présence de conditions fort similaires, de nombreuses divergences émergent dans les pratiques des enseignants. Par exemple, l’enseignant qui exploitait le plus d’activités

issues du manuel s’avère être celui dont le projet diffère le plus de celui des auteurs du manuel. Et, selon Roditi (2005, p.123), ce projet agit comme principal fil conducteur et moteur dans les choix des enseignants : «Alors que les professeurs utilisent le même

manuel scolaire, ils s'investissent personnellement dans la conception des projets d'enseignement, exerçant ainsi leur liberté pédagogique». Cet investissement est

considérablement influencé par l’adhésion à l’une des deux grandes conceptions guidant le projet d’enseignement, une vision de la classe « lieu de savoir » dans laquelle

« l'exposition des savoirs a lieu très tôt, les activités effectives sont surtout des applications, les incidents sont plutôt des questions ou des erreurs, leur gestion relance rarement l'activité des élèves. Dans une classe « lieu de travail », le savoir est institutionnalisé assez tard comme un bilan, les activités de recherche dominent, la gestion des incidents relance l'activité des élèves (p.180)». Ainsi, en dépit des

contraintes et des conditions communes, il existe des marges de manœuvre possibles. Des divergences entre les pratiques enseignantes peuvent ainsi apparaître, non seulement, dans la priorisation de certaines situations d’enseignement, mais également, dans la gestion des incidents. Ces résultats fort intéressants montrent la nécessité, pour un chercheur souhaitant procéder à une inscription écologique de situations, de procéder à une démarche d’acculturation. En effet, sa présence en classe permet de mieux comprendre les différentes contraintes locales et la liberté que se donne l’enseignant, mais surtout d’accéder, par l’entremise du projet de l’enseignant, à la cohérence20 qui unifie sa pratique pédagogique (même si cela implique parfois des compensations, compensations qui sont davantage visibles, tangibles en « situation d’action » en classe.)

La recherche effectuée par Roditi (2001) concerne les « pratiques enseignantes ordinaires de la multiplication des décimaux », alors que, dans notre recherche, nous nous préoccupons de la conception (élaboration et gestion) et de l’insertion de situations d'enseignement/apprentissage qui visent une transformation des habitus des élèves en difficultés d’apprentissage et une re-construction de rapports plus adéquats aux nombres rationnels (représentation, calculs et résolution de problèmes). Ainsi, il nous semble primordial de viser non seulement l’acculturation du chercheur à l’enseignant, mais aussi

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du chercheur aux élèves (habitus et rapports) et vice versa. La réciprocité de ce processus nous apparaît également nécessaire pour favoriser la complicité de l’enseignant et des élèves, car il favorise l'arrimage des projets des élèves, de l'enseignant et du chercheur. Ce qui, à notre connaissance, est très rarement pris en compte dans les recherches.

2.4.2. La démarche d’acculturation institutionnelle retenue pour une inscription écologique de situations

La démarche d’acculturation institutionnelle retenue pour une inscription écologique de situations, comme nous l’avons écrit précédemment, prend appui sur la démarche effectuée par Roditi (2005) pour examiner les pratiques enseignantes. Cette démarche nous est particulièrement précieuse pour établir diverses phases de la démarche d’acculturation que nous privilégions.

Première phase d’acculturation : s’informer de l’enseignement possible

Dans son étude, Roditi (2005) procède d’abord à une analyse a priori qui prend en compte ce qui est prescrit (par l’institution scolaire au professeur, et par le professeur aux élèves), ce qui est contraint (par les horaires, les programmes, le manuel utilisé…), et ce qui pourrait être fait. Cette première analyse constitue, selon nous, une « première phase » du processus d’acculturation du chercheur. L’intérêt porté aux publications de recherches en didactique des mathématique, aux publications à l’intention des professeurs, aux manuels scolaires, aux programmes, aux compléments et instructions officielles, ainsi qu’aux évaluations des compétences des élèves, favorise une meilleure compréhension des pratiques enseignantes en fonction des apprentissages potentiels et des contraintes institutionnelles. Cette démarche est fort intéressante car elle met en exergue l'importance de considérer, dans une démarche écologique, les enseignements possibles. « L'adjectif « possible » doit s'entendre d'une part sans tenir compte du

contexte institutionnel, et d'autre part en considérant les prescriptions et les contraintes qu'il impose » (Ibid., p.18).

Seconde phase d’acculturation : comprendre l’enseignement envisagé

L’analyse a priori complétée, Roditi effectue une première analyse du projet des enseignants, en tenant compte des choix du champ mathématique, des stratégies d’enseignement et des tâches prescrites aux élèves. Ainsi, pour mieux comprendre la démarche de l’enseignant, le chercheur peut, dans une seconde phase, rencontrer l’enseignant, s’informer des projets d’enseignement envisagés, de l’utilisation qu’il compte faire ou qu’il fait du manuel.

Troisième phase d’acculturation : assister à l’enseignement

Cette troisième phase d’acculturation permet au chercheur d’assister à quelques périodes d’enseignement pour mieux identifier les rapports des élèves à l’enseignement/apprentissage, aux mathématiques enseignées, les interactions didactiques (échanges entre les élèves, échanges entre les élèves et l’enseignant, gestion des incidents (des événements) didactiques par l’enseignant et par les élèves, etc.

Quatrième phase d’acculturation : participer à l’enseignement

Avec l’appui de l’enseignant, le chercheur peut par la suite participer à l’enseignement. Les situations d’enseignement peuvent provenir de l’enseignant, puis d’un travail de collaboration entre l’enseignant et le chercheur (la situation initiale pouvant provenir de l’enseignant ou du chercheur). Pour qu’une telle participation soit féconde, elle doit prendre appui sur démarche d’acculturation réciproque du chercheur, de l’enseignant et des élèves.

L’inscription écologique dans une démarche d’acculturation institutionnelle des différents acteurs (élèves, enseignants, chercheurs) permet de s’enquérir d’une meilleure compréhension de la particularité de l’institution classe, dans laquelle le chercheur souhaite intervenir, afin de créer des situations qui puissent s’y intégrer harmonieusement, mais également de saisir et de créer des niches (place des incidents, leurs gestions, projet de l’enseignant, activité effective des élèves, marge de manoeuvre que s’octroie l’enseignant) qui nous semblent déterminantes dans les interventions auprès des élèves en difficultés d’apprentissage.

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