• Aucun résultat trouvé

Les enjeux mathématiques et curriculaires associés à l’enseignement/ apprentissage des nombres rationnels : objets riches, problématiques et

incontournables

S’il est un domaine dans lequel les élèves de 1re secondaire présentant des difficultés d’apprentissage, mais également plusieurs élèves faisant partie de classes régulières, entretiennent des rapports problématiques aux savoirs et aux pratiques qui lui sont associés, rapports fréquemment associés à des habitus qui entravent leurs démarches d’apprentissage et influent également sur les démarches des enseignants, c’est bien celui des nombres rationnels. Un tel constat nous a incitée à privilégier l’enseignement des nombres rationnels. Nous rappelons, à la page suivante, les propos de Rouche (1998, p. 1) qui porte à notre attention l’importance de s’attarder à cet objet d’étude.

« Les fractions sont un des premiers et principaux terrains où se développe le dégoût des mathématiques et la conviction, à peu près toujours fausse, que l’on est incapable de cette activité « réservée aux plus intelligents ». « Oh moi les mathématiques » dit-on dans l’âge adulte, en repensant entre autres aux fractions. Celles-ci sont comme des insectes nuisibles qui s’attaquent aux écoliers et dont les piqûres entraînent d’interminables séquelles intellectuelles et morales.»

Ces rapports sont une source de préoccupations pour les enseignants du primaire, du secondaire, voire du collégial. Ils ont été maintes fois examinés par les chercheurs en didactique, ce qui a permis de clarifier le concept de fraction -concept clé dans l’enseignement des rationnels-, de mieux comprendre les difficultés des élèves, voire des enseignants, dans l’interprétation et l’utilisation des nombres rationnels et, enfin, de concevoir et de mettre à l’épreuve divers dispositifs didactiques sur l’enseignement des nombres rationnels. Nous aurons l’occasion de nous attarder plus longuement sur ces études dans le prochain chapitre. Pour l’instant, nous nous limiterons à rappeler l’importance indéniable et curriculaire que revêt l’enseignement des nombres rationnels.

Dans l’enseignement primaire et plus encore, dans l’enseignement secondaire, selon les programmes actuels, les nombres rationnels occupent un espace important. Et pour cause ! Comme le rappelle Kieren (1988, 1992, 1994, 1995), ces nombres constituent un noyau fort important des mathématiques, modifiant en profondeur notre conception du nombre et servant de tremplin, mais aussi d’obstacle, pour « penser » les nombres réels. Les difficultés des élèves relatives à cet objet d’enseignement/apprentissage entachent non seulement la poursuite de l’apprentissage de l’arithmétique, mais également des autres champs des mathématiques (algèbre, géométrie, probabilité : calculs algébriques, calculs des probabilités, des exposants). Par exemple, l’arrimage de l’arithmétique à l’algèbre, ou la transition entre l’arithmétique et l’algèbre, constitue un problème toujours actuel, comme le montrent plusieurs recherches récentes9. De plus, Nadine et Guy Brousseau (1987) soulignent dans leur ouvrage sur les décimaux que les nombres rationnels interviennent dans la résolution de problèmes relevant de domaines importants des mathématiques, tels les problèmes d’applications linéaires, d’échelles, de changement d’unités, de pourcentage, de vitesse, de volume, de surface, etc. Dans son ouvrage didactique consacré aux fractions, Rouche (1998) montre

9

l’importance indéniable des fractions dans le cursus de l’enseignement des mathématiques du secondaire. Il montre ainsi comment les fractions interviennent dans le calcul des probabilités, dans le calcul des exposants et, enfin, dans le calcul algébrique. Nous résumons ces propos.

Calcul des probabilités

L’importance des fractions dans l’enseignement des probabilités est indubitable. Comme le souligne Rouche (1998), l’expression d’une probabilité par une fraction est plus évocatrice que ne l’est l’expression de cette même probabilité par un nombre à virgule : dire qu’on a 2 chances sur 6 d’obtenir le 1 ou le 2 lorsqu’on lance un dé est plus évocateur de l’interprétation de l’expérience en pensée que de dire que la probabilité est de 0,333… d’obtenir le 1 ou le 2. L’expression d’une probabilité par une fraction nous permet plus aisément d’associer un rapport entre les cas favorables (numérateur) et les cas possibles (dénominateur).

Il semble important de rappeler que les lois fondamentales des probabilités conduisent à la réalisation d’opérations sur les fractions. Dans la situation précédente, la probabilité 2/6 provient de la somme des probabilités liées à l’un et l’autre des événements, soit 1/6 + 1/6. Dans le traitement d’événements non indépendants, dans le calcul de probabilités composées, il est aussi possible d’interpréter la multiplication de fractions. Par exemple, si on a une urne qui contient 6 billes rouges et 4 billes vertes et que l’on puise une première bille, puis une deuxième, la probabilité d’obtenir 2 billes rouges est liée au produit associé à la multiplication des probabilités de chacun des événements, soit 6/10 x 5/9 = 30/90 ou 1/3. Un arbre des calculs possibles peut être dressé et on peut alors relever les parcours favorables.

Nous pourrions poursuivre ce travail d’analyse pour montrer l’importance didactique des fractions dans l’enseignement des probabilités. Si l’intérêt des fractions dans cet enseignement est fréquemment utilisé pour convaincre de la nécessité d’effectuer des transformations du curriculum, les références aux fractions dans le calcul algébrique ou dans le calcul des exposants sont, à notre connaissance, rarement évoquées.

Calcul des exposants

Le calcul d’expressions algébriques comportant des radicaux et des exposants fait aussi appel aux connaissances sur les fractions. Rouche (1998) déclare ainsi qu’il est plus facile de réaliser le calcul y3 / 2u y2 / 3 (y3 / 22 / 3 ou y13 / 6) que d’exécuter le calcul

( y )3 u ( y3 )2. En nous référant aux travaux de Chevallard (1991) sur les écritures,

nous pouvons dire que ce que montrent ces écritures est différent (informations ostensives), bien que le même nombre y soit désigné (informations désignatives).

Calcul algébrique

Selon Rouche (1998), une fraction est une division non réalisée qui permet de donner sens à l’écriture des fractions algébriques. Considérant les fractions algébriques suivantes : 1 1 x, a b a b, ax b cx d

il rappelle que la barre de division est d’usage universel en algèbre et que dans plusieurs fractions algébriques, entre autres, dans les fractions précédentes, on ne peut souvent recourir à la division pour produire une expression qui se traite plus aisément. Mais, il porte à notre attention le fait, à notre connaissance souvent ignoré des élèves, que le travail sur les fractions arithmétiques peut servir de modèle pour traiter les fractions algébriques : factoriser le numérateur et le dénominateur pour simplifier une fraction; multiplier les numérateurs et les dénominateurs entre eux; additionner des fractions algébriques, en les exprimant avec un même dénominateur.

Les opérations précédentes sur les fractions algébriques, opérations qui vont de soi pour les professeurs de mathématiques, sont loin d’être évidentes pour les élèves du secondaire. En effet, comme l’exposent plusieurs études (Lemoyne, Conne et Brun, 1993; Kieran, Boileau et Garançon, 1996; Slavit, 1999; Vance, 1998), peu d’élèves sont en mesure d’établir des relations entre les représentations arithmétiques et algébriques. L’établissement de telles relations suppose que les élèves aient eu la possibilité d’opérer

sur les fractions arithmétiques dans des situations suffisamment riches qui exigent une coordination des connaissances sur le sens des fractions et sur les opérations sur les fractions.

Cela nous amène à pointer plus spécifiquement le contexte curriculaire québécois où, avec l’implantation du nouveau programme d’enseignement des mathématiques, il y a eu une modification des habitats : l’enseignement de la multiplication et de la division de nombres rationnels, l’addition et la soustraction de fractions dont les dénominateurs ne sont pas multiples l’un de l’autre, ont été relégués au premier cycle du secondaire. Ce découpage entraîne un saut conceptuel fort important lors de la transition entre le primaire et le secondaire (Stegen et Daro, 2007; Bednarz, 2009). Les programmes scolaires sont des références essentielles pour l’enseignement; ils marquent ainsi profondément les pratiques d’apprentissage des disciplines scolaires. Comme en témoigne Sarrazy (2003), les maîtres peuvent difficilement faire abstraction des recommandations de la noosphère (Chevallard, 1991). En effet, les conséquences d’une telle action ne sont pas à négliger. Il nous semble ainsi, plus que primordial d’accorder, dans notre recherche, une attention particulière aux manuels en usage. Dans cet ordre d’idées, comme en font état Barralobres et Lemoyne (2006), le sens partie-tout de la fraction est nettement privilégié dans les manuels d’enseignement des mathématiques au primaire. Comme le soulignent Kieren (1988) et Blouin (1993), cette approche est très restreinte; elle tend à masquer plusieurs particularités des fractions et traduit une conception limitée des enjeux cognitifs liés à leur apprentissage.

L’examen du traitement des opérations dans les manuels scolaires, entre autres, dans les manuels du primaire et du secondaire en vigueur au Québec, examen qui a été effectué par Barralobres et Lemoyne (2006, p.185), révèle que « la conceptualisation des

opérations est réduite à l’apprentissage de l’algorithme de calcul », un tel apprentissage

se réduisant généralement à l’application de règles ou au plus, à l’«illustration» du fonctionnement des règles.

Restreindre ainsi l’enseignement des nombres rationnels et, plus particulièrement, des fractions, fait en sorte que les élèves construisent des représentations « limitées, voire inadéquates » des nombres rationnels et des opérations sur ces nombres.

Synthèse : Le cercle vicieux qui emprisonne les élèves en difficultés dans un rapport problématique aux nombres rationnels

Intervenir efficacement auprès d’élèves présentant des difficultés d’apprentissage est, comme nous l’avons vu précédemment, loin d’être évident. Bien que la résolution de problèmes soit reconnue comme une activité indispensable et fondamentale à la construction de savoirs (Mercier, 1995b, Conne, 1999 et Favre, 1999), nous avons été témoin jusqu’à maintenant de différentes modalités adaptatives au regard des difficultés d’apprentissage des élèves [topogénèse : prise en charge plus importante de l’enseignant; chronogénèse : ordonnancement visant à favoriser la réussite des élèves, mais réduisant considérablement la problématique de la situation; mémoire didactique « limitée » des enseignants de première secondaire se manifestant, pour les élèves en difficultés, par des reprises d’activités, des piétinements] et des modifications dans le programme d’enseignement des nombres rationnels qui réduisent et limitent la confrontation des élèves à de « vraies » situations-problèmes et à la richesse des nombres rationnels. En effet, nous assistons, la plupart du temps, à des activités sur les nombres rationnels, qui tendent à engager les élèves dans des gestes associés à des calculs qu’ils essaient de reproduire, à inculquer des habitus contre-productifs. Par conséquent, cela les amène à fonctionner comme des «automaths», terme emprunté à Stella Baruk (1973) pour dénoncer ce type de pratiques.

Cette situation est d’autant plus paradoxale que nous devrions assister à des adaptations « inverses », afin de permettre aux élèves en difficultés d’apprentissage de revoir un objet problématique et incontournable, les nombres rationnels, et ce, en les soumettant à des activités qui, trop souvent, ne desservent exclusivement que les élèves «réguliers et forts». Dans l’enseignement des nombres rationnels, il importe donc d’être ouvert à la complexité et à la richesse de ces nombres pour ne pas banaliser leur enseignement et induire des obstacles didactiques qui peuvent minimiser les chances que

l’élève construise des rapports adéquats à cet objet du savoir mathématique. Comment reconstruire avec des élèves de première secondaire en difficultés d’apprentissage une mémoire didactique porteuse d’espoirs dans l’enseignement et l’apprentissage des nombres rationnels? Comment un chercheur, dont la mémoire didactique est beaucoup plus limitée que celles des enseignants, peut-il favoriser l’engagement des élèves dans des situations-problèmes visant à construire des connaissances, des rapports adéquats aux nombres rationnels?

1.4. Repenser l’enseignement des nombres rationnels auprès des élèves en

Outline

Documents relatifs