• Aucun résultat trouvé

Module 9 : Les applications linéaires

2.3.2. Dispositifs didactiques visant la transformation de rapports problématiques à des objets spécifiques de l’enseignement des

2.3.2.2. Dispositifs visant une transformation des rapports des élèves aux opérations sur les nombres rationnels

Alors que les chercheurs s’accordent sur l’importance de favoriser un enseignement du sens des opérations (sémantique), plutôt qu’un enseignement algorithmique basé uniquement sur l’aspect formel de l’écriture (syntaxique), il en est autrement lorsqu’il est question de proposer des modalités qui donnent accès à ce sens. Certains chercheurs (Lamon, 1999; Behr, Wachsmuth, Post et Lesh, 1984, dans Biddlecomb, 2002, p.167) statuent sur la difficulté occasionnée par la surgénéralisation des procédés de traitement des nombres entiers, lors du traitement des nombres rationnels, sur les obstacles inhérents à cette transition et parlent ainsi des connaissances des élèves sur les nombres entiers, en termes d’interférences. Pour d’autres chercheurs (Tzur, 1999; Hunting et Davis, 1996, dans Biddlecomb, 2002, p. 168) le désir d’offrir un ancrage et une continuité dans les apprentissages prédomine et les conduit à une prise de position fort différente : ils considèrent ainsi les connaissances sur les nombres entiers comme une fondation importante (Hunting et Davis, 1996, dans Biddlecomb, 2002, p. 168).

Moss et Case (1999) précisent qu’une explication possible des difficultés rencontrées par les élèves, dans l’apprentissage des opérations sur les nombres rationnels, serait que les situations proposées ne permettent pas aux élèves de différencier suffisamment les nombres rationnels des nombres entiers, lorsque les enseignants tentent d’introduire les nombres rationnels de manière significative. Par exemple, nous pourrions dénoncer l’usage quelque peu réducteur de formes géométriques, préalablement divisées, par lesquelles l’addition de fractions se résume à une tâche de comptage, de

dénombrement ou encore, l’emploi unique de contextes permettant d’effectuer les opérations sur les nombres décimaux, comme s’il s’agissait de nombres entiers (ex. monnaie, mesure, etc.). Au même titre que Lachance et Confrey (2002, p.507), nous pourrions décrier la compartimentation abusive des savoirs liés aux opérations sur les nombres entiers et sur les nombres rationnels. Ceci dit, le clivage entre ces savoirs s’accentue lorsque les dispositifs sont destinés aux opérations de multiplication et de division, compte tenu de leurs obstacles spécifiques. Bien que nous ne niions pas l’importance de prendre en considération ces fondements, il nous semble plus opportun de chercher à les arrimer, plutôt que de les considérer de façon extrême, dichotomique et opposée. Ainsi, comment peut-on alors concevoir des dispositifs visant à construire le sens des opérations impliquant des nombres rationnels? Quand et comment est-il possible de s’appuyer sur les connaissances des élèves sur les nombres entiers, tout en leur permettant d’accéder à la spécificité des nombres rationnels? C’est donc dans cette perspective que nous présentons maintenant quelques dispositifs visant une construction, voire une reconstruction, du sens des opérations sur les nombres rationnels.

Dans une étude longitudinale effectuée auprès d’élèves du 3e cycle du primaire présentant des difficultés d’apprentissage en mathématiques, Lemoyne et Bisaillon (2006) ont travaillé en collaboration avec les enseignants titulaires des classes et, entre autres, pris acte des difficultés de ces élèves lors de calculs impliquant des nombres décimaux. Ainsi, lors d’une période de récupération, l’addition suivante, soit 128,23 + 45,08, a été présentée par l’enseignant et a été exécutée adéquatement par les élèves. Répondant à l’invitation de l’enseignant de participer à cette période, les chercheures ont cru bon de présenter l’addition suivante : 112,5 + 21,38. La réponse de 5 des 8 élèves a été la suivante: 133,93. Elles ont poursuivi en proposant les additions suivantes : 112,55 + 21,38 et 112,5 + 21,38. Puis, face aux problèmes soulevés par la seconde addition, elles ont alors demandé d’écrire autrement le nombre décimal 12,5, afin de pouvoir l’additionner avec le nombre 21,0018. Elles ont ensuite invité les élèves à comparer les sommes : 1) 1250 +2073; 2) 12,50 + 20,73; 3) 12,5 + 20,73; 4) 125,0 + 20,73. Enfin, elles leur ont demandé pourquoi les nombres 12,50 et 12,5, intervenant dans les calculs 2 et 3, ne changent pas les résultats obtenus. Devant leur mutisme, il leur a été demandé de

comparer les nombres 50/100, 5/10, 0,50 et 0,5. Les élèves ont pu ensemble comprendre qu’il s’agissait des mêmes nombres et ont, par la suite, pu réinterpréter leurs réponses aux calculs précédents et corriger leurs erreurs.

Ce résultat a amené les chercheures à examiner les procédés de multiplication mis en place par les élèves, procédés que les élèves savaient appliquer sans erreur, sans pouvoir toutefois « donner sens » aux actions de décompte des chiffres après la virgule, actions qui leur étaient enseignées. Ces élèves ne pouvaient également expliquer pourquoi, lors des additions et des soustractions, les décomptes des chiffres après la virgule étaient différents de ceux effectués lors des multiplications. Nous rendons compte du travail visant à donner sens aux procédés de multiplication. Divers problèmes leur ont alors été présentés, problèmes multiplicatifs représentatifs des problèmes d’isomorphismes de mesures définis par Vergnaud (1981). Chacun des problèmes comportait diverses parties. Nous reproduisons un des problèmes présentés (Lemoyne et Bisaillon, 2006, p. 26)

« Partie 1 : « Un marchand place des petits gâteaux dans des boîtes; chacune contient toujours 17,75 gâteaux. Comme le dit le marchand, les clients ne sont pas tenus d’acheter un nombre entier de boîtes ou de gâteaux. Pouvez-vous compléter ce tableau? »

Partie 2 : « Et si le nombre de gâteaux dans chacune des boîtes n’était que de 1,775, faites un second tableau en utilisant les mêmes nombres de boîtes. »

Partie 3 : « Et, si dans un problème similaire, au lieu de faire 12,25 x 24,008, je fais 1225 x 24008, le produit que j’obtiens est combien de fois plus élevé que celui que j’aurais dû obtenir? »

Le tableau suivant accompagnait la réalisation de la première partie du problème (Ibid., p. 26)

Nombre de boîtes Nombre de gâteaux

1 17,75 150 ?

15 ? 1,50 ?

Les élèves parviennent à trouver le nombre de gâteaux dans 150 boîtes. Il leur est alors demandé de comparer les nombres 150 et 15,0 et de dire quel est le plus grand. Certains élèves déclarent alors que « 150 est beaucoup plus grand que 15,0 ». Un autre élève ajoute « plus grand que 15 tout court. » Presque tous disent « 10 de moins » voulant

dire « 10 fois moins ». La seconde partie du problème est alors introduite. Deux élèves disent que ce sera 1000 fois trop, parce que « on prend le plus grand nombre de chiffres après la virgule. » Il leur est demandé de prendre leur calculatrice et de comparer. Ils s’aperçoivent que c’est beaucoup plus que 1000 fois et disent ne pas comprendre. Certains disent qu’ils ne font jamais cela en classe. Il leur est proposé alors de calculer « 12,25 x 41 et 1225 x 41 ». Un élève suggère de faire 1225 x 41 avant et après « d’enlever ». Cette suggestion est acceptée par tous. Et, pour passer à 12,25, ils proposent de diviser par 100, « 12 boîtes ou à peu près … comparés à 1225 boîtes ». Sur cette lancée, les chercheures proposent 4,1 x 12,25. Un élève dit « on divise encore par 10 … 4 boîtes et des poussières ».

Les conduites précédentes des élèves présentant des difficultés d’apprentissage sont des « témoignages » éloquents de la pertinence de recourir à des tâches qui permettent aux élèves d’effectuer certaines adaptations de leurs procédés de calcul appliqués aux nombres naturels, d’évaluer la pertinence de ces adaptations en recourant à divers calculs qui mettent en cause certaines de ces adaptations et de recourir à leurs connaissances sur les écritures décimales pour réviser leurs procédés de calculs. Les problèmes multiplicatifs sont enfin des leviers importants pour poursuivre ce travail sur les opérations impliquant des nombres décimaux.

Dans la perspective d’une construction, voire d’une reconstruction du sens des opérations sur les nombres rationnels, l’étude de Mack (1990) nous apparaît également fort pertinente. Les tâches conçues par ce chercheur étaient destinées à des élèves qui démontraient peu de compréhension des « symboles usuels de fractions » et des procédures algorithmiques sur ces nombres, afin de leur permettre de donner sens à ces opérations. Les idées principales qui ont orienté les situations durant les périodes d’enseignement (Ibid., p. 19, traduction libre) sont les suivantes:

« a) plus une unité est divisée en un nombre important de parties, plus les parties sont petites;

b) une fraction représentée symboliquement est un seul nombre avec une valeur spécifique plutôt que deux nombres entiers indépendants; c) les idées d’équivalence choisies sont reliées à des représentations concrètes et symboliques; d) l’addition et la soustraction de fractions représentées symboliquement exigent des dénominateurs communs. »

Dans cette étude, les élèves bénéficiaient d’un enseignement individuel. La majorité des problèmes ont été présentés verbalement aux élèves qui étaient encouragés à penser à voix haute. Trois types de situations ont été conçues : a) situations dans lesquelles il fallait approximer la fraction associée à des figures, à des situations réelles, à des représentations symboliques; b) situations dans lesquelles il était demandé d’estimer les sommes et les différences impliquant des fractions et de se prononcer sur la pertinence des réponses ainsi produites; c) situations dans lesquelles les élèves étaient invités à utiliser des fractions pour « construire » des sommes ou des différences qui soient voisines, mais non égales à 1. Pour réaliser ces situations, les élèves disposaient de cercles et de bandelettes. Après un certain temps, ils étaient invités à délaisser ces supports matériels pour effectuer un travail à partir de représentations symboliques

Mack (1990) présente et analyse plusieurs conduites des élèves montrant tout l’intérêt de la démarche utilisée et plus encore, toute l’importance de tenter d’établir des ponts entre les connaissances informelles des élèves et les connaissances provenant d’un enseignement antérieur portant sur les procédés d’addition et de soustraction. Ainsi, lors de la première période, un élève déclare que pour additionner des fractions, il faut additionner les nombres du dessus et les nombres du bas. Le chercheur lui propose alors de résoudre le problème suivant; elle montre une pièce de papier sur laquelle est écrit «4 – 7/8. Cet élève propose d’abord de changer le 4 par 4/4 et justifie ainsi sa proposition :

« Parce que vous avez besoin d’un tout, donc vous devez avoir une fraction et que c’est la fraction, et alors vous devez réduire, ou peu importe comment on appelle cela, que (le 4) 2 fois 2, ainsi vous aurez 8/8. Huit huitièmes moins 7, ainsi c’est 1/8 » (Ibid., p. 24,

traduction libre). L’enseignant poursuit en lui disant : « Maintenant, supposez que je

vous ai dit que vous avez 4 biscuits et que vous mangez 7/8 d’un biscuit, combien de biscuits vous reste-t-il ? » L’élève corrige alors sa réponse et dit qu’il reste 3 et 1/8. Par

la suite, cet élève peut utiliser l’algorithme construit dans la situation réelle pour réviser son algorithme pour la soustraction et construire un algorithme approprié pour effectuer 4 1/8 – 5/8.

Cette étude nous apparaît fort pertinente, car elle suppose la mise en place de situations pour « accueillir les connaissances informelles et les connaissances plus formelles », pour « les faire intervenir et les examiner » et enfin, pour « accepter qu’elles soient sources de conflits ». Cette chercheure a d’ailleurs montré la pertinence de ces orientations dans une recherche subséquente sur la multiplication de fractions (Mack, 2001). Elle a montré l’évolution des raisonnements des élèves lors de la résolution de problèmes, évolution qui dénote l’importance de prendre en compte leurs connaissances informelles, notamment leurs capacités à partitionner, à recomposer une unité, prises en compte qui s’avèrent précieuses pour penser une construction/reconstruction harmonieuse de leurs rapports aux opérations. Cette étude corrobore également les résultats/constats obtenus par plusieurs chercheurs (Confrey, 1994; Kieren, 1995 ; Olive, 1999; Empson 2003, 2005) qui estiment que les mesures et les relations entre des parties résultant de diverses partitions d’un tout peuvent servir de tremplin dans le développement d’une compréhension de la multiplication de fractions.

Behr, Harel, Post et Lesh (1992, 1994) soulignent l’importance de s’attarder à la relation entre le dénominateur du multiplicande et le numérateur du multiplicateur lorsque le multiplicateur est considéré comme opérateur. Ces études portent à notre attention l’importance de confronter les élèves à la diversité des types de relations possibles : (a) a/b X b/d; (b) 1. a/nb X b/d or 2. a/b X nb/d ; (c) a/b X c/d. Kieren (1995), Olive (1999), Mack (2001), ainsi que Hackenberga et Tillemab (2009), soulignent également que les problèmes multiplicatifs impliquant deux fractions unitaires (1/b x 1/d) constituent l’entrée la plus accessible aux élèves puisqu’ils sont susceptibles de rejoindre davantage leurs connaissances sur les nombres entiers et la division. Hackenberga et Tillemab (2009) précisent d’ailleurs que les enseignants doivent être sensibles à la diversité de ces relations, car elles sollicitent des processus cognitifs qui ne s’équivalent pas en terme de difficulté.

L’étude effectuée par Behr, Wachsmuth et Post (1985), ainsi que celle effectuée par Behr et Post (1986), proposent différentes activités d’addition de fractions. Dans cette dernière, les élèves sont amenés à sélectionner différents nombres (ex. 1, 3, 4, 5, 6,7),

formant des fractions, dont la somme doit être soit : a) plus petite que 1; b) le plus près possible de 1; c) égale à 1. Afin d’encourager l’estimation faisant appel à l’ordre de grandeur des fractions et de décourager la recherche d’un algorithme, un délai est imparti.

Lors de ces tâches, les élèves ont mis en œuvre différentes stratégies: 1) l’utilisation de fractions repères : former deux fractions qui sont près de ½ (ex. de réponse d’élève 6/11 et 3/7); choisir une fraction (ex. 5/6; regarder ce qu’il manque pour compléter l’entier et choisir la fraction la plus près pouvant être formée (1/7) ou former deux fractions qui soient près de ½ (6/11 et 3/7); 2) l’exploitation de certaines opérations mentales (ex. « 1/3 est équivalent à 4/12. Combien de douzièmes sont nécessaires pour obtenir 1? »). Cependant, ces stratégies ne sont pas toujours exploitées de façon adéquate; par exemple,

Au terme de l’expérimentation, les auteurs concluent que l’estimation n’est pas une tâche facile pour les élèves, qu’elle est plus complexe qu’ils ne l’avaient prévu. Ils invitent alors les élèves à : a) nommer une fraction qui est très près de 1; b) nommer une fraction qui est si près de 1 que tu penses que personne ne pourra en donner une plus près; c) nommer une fraction qui est si près de 0 que tu penses que personne ne pourra en donner une plus près. Ces activités visent également à permettre aux élèves d’observer l’influence du changement des numérateurs ou des dénominateurs sur l’ordre de grandeur des fractions. Par la suite, des tâches similaires à celles présentées antérieurement sont alors proposées; dans ces dernières tâches, diverses contraintes sont imposées: a) sur le choix de fractions faisant partie d’une liste, par exemple de la liste suivante : 1/2, 1/3, 2/3, 1/4, 2/4, 3/4, 1/5, 2/5, 3/5, 4/5); b) sur le nombre de fractions pouvant être utilisées ( par exemple, 3 fractions); c) sur la fraction cible (par exemple, 3/4 ou 1 1/12); d) sur les opérations à exploiter. Une autre variation sous forme de jeu consiste à opposer deux élèves qui doivent choisir les fractions et les opérations, afin d’atteindre précisément certaines cibles (0,1, ½ , 1 ½ ou 2), avec ou sans calculatrice. Avec la calculatrice un élève choisit une cible et entre la première fraction; l’autre élève détermine l’opération et

l’autre nombre et ainsi de suite. Les points sont accordés au regard de la proximité de l’atteinte de la cible.

Bien que ces activités « rétroactives » ont montré des résultats forts intéressants (comparaison de fractions comportant des numérateurs ou des dénominateurs communs; estimation de la partie manquante d’une fraction pour compléter l’entier (4/5 vs 5/6)), nous croyons qu’il aurait été profitable d’offrir aux élèves - dès le départ - un milieu leur fournissant des rétroactions sur leur résultat et leur permettant de faire les réajustements possibles. Ceci dit nous retenons que la compréhension de l’ordre de grandeur des fractions et l’estimation sont des aspects fort importants en vue d’effectuer des opérations et de résoudre des problèmes.

2.3.2.3. Dispositifs visant non seulement une transformation des rapports aux

Outline

Documents relatifs