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Comment s’opère la transsubstantiation ? : La réalité d’un mystère si grand

EUCHARISTIE : DON DE DIEU ET MYSTERE DU CHRIST

CHAPITRE 2 : LE MYSTERE DE LA TRANSSUBSTANTIATION

1. Comment s’opère la transsubstantiation ? : La réalité d’un mystère si grand

Sans doute, est-il incontournable de recourir à la définition tridentine pour comprendre le

mystère de la transsubstantiation. Au chapitre IV du décret sur le sacrement de l’eucharistie du 11 octobre 1551, nous pouvons lire :

« Parce que le Christ notre Rédempteur a dit qu’était vraiment son corps ce qu’il offrait sous l’espèce du pain (Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 19 s. ; 1 Co 11, 24-26), on a toujours été persuadé dans l’Eglise de Dieu – et c’est ce que déclare de nouveau aujourd’hui ce saint concile – que par la consécration du pain et du vin se fait un changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son sang. Ce changement a été justement et proprement appelé, par la sainte Eglise catholique, transsubstantiation. »144

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Treizième session, 11 octobre 1551, décret sur le sacrement de l’eucharistie : In Heinrich, DENZINGER,

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De cette définition de Trente, nous pouvons retenir que la transsubstantiation est le

changement de toutes les substances du pain et du vin en corps et en sang de Jésus. Cette opération admirable se fait par « consécration ». Le canon qui accompagne ce décret conciliaire est celui que nous avons indiqué plus haut.

Au regard de l’histoire que nous avons brièvement parcourue, nous pouvons affirmer que l’évolution de la théologie de l’eucharistie dans le temps conduit petit à petit à des formulations nouvelles qui resituent les faits et recadrent la pensée pour rendre le mystère plus compréhensible et maintenir son efficience auprès des hommes et pour eux. La réalité, depuis toujours, est que le magistère, garant de la foi des disciples du Christ, recourt à des expressions d’origine plus ou moins techniques et, après un long usage qui les dégage et les purifie en réalité d’un sens par trop particulier, les rend communes et vivantes pour la foi des croyants145. Nous avons vu que la querelle entre les deux moines Paschase Radbert et Ratramme de Corbie a conduit à une formulation plus claire et à une précision plus rigoureuse des concepts « vérité » et « figure » dans la théologie eucharistique. Nous avons signalé que le règlement du conflit conduira plus tard, avec la scolastique, au concept de transsubstantiation. Il revient au magistère de définir le mode d’expression de la foi : ses termes, ses formulations, son langage, sa thématique. Le pape Paul VI précise par exemple ici l’autorité de l’Eglise dans la formulation des données de la foi et surtout de la foi en la transsubstantiation : « Au prix d’un travail poursuivi au long des siècles, et non sans l’assistance de l’Esprit Saint, l’Eglise a fixé une règle de langage et l’a confirmée avec l’autorité des Conciles. Cette règle a souvent donné à l’orthodoxie de la foi son mot de passe et ses enseignes. Elle doit être rigoureusement respectée. Que personne ne s’arroge le droit de la changer à son gré ou sous couleur de nouveauté scientifique. »146 La clarification du magistère, sans fermer les recherches actuelles qui doivent être confrontées à celles du passé, maintient son autorité non seulement dans la proclamation de la foi mais aussi dans la façon de la comprendre et de la vivre. Il se fait ainsi l’unique source de référence authentique de l’interprétation de la foi. Source de laquelle les recherches doivent partir et s’inspirer pour approfondir la vérité et le

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Selon P.-L. Carle, l’histoire montre que l’Eglise sait depuis toujours ce qu’elle croit, puis cherche ensuite plus ou moins, en tâtonnant le plus souvent, à l’exprimer et finit par adopter une expression qui exclut efficacement l’erreur. Mais elle les réduit à son sens à elle. Par la suite, elle l’utilise et l’assimile. Elle dérobe l’expression à ses connexions systématiques et l’approprie à signifier sa pensée. Cependant, elle ne s’oppose pas à une autre expression ou formulation. Cependant également, elle juge avec rigueur et fermeté de l’adéquation d’une formulation nouvelle au sens de sa croyance. L’important, l’invariant, l’absolu, selon Carle, c’est le sens de l’Eglise, celui qu’elle a déclaré, tenu et continue de tenir ; Cf. Le sacrifice de la nouvelle alliance…, op. cit., p. 214.

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mystère de la foi professés par les croyants dans le temps en les adaptant, sans les vider de leur sens, aux réalités de ce temps.

Concernant le dogme de la transsubstantiation, nous avons relevé les démarches qui ont conduit à l’élaboration du concept avec la scolastique. Avec elle, sera conçue la triple structure conceptuelle et dynamique sacramentum, res et sacramentum, res. En effet, selon Paul-Laurent Carle, Anselme de Laon, dans le prolongement d’Alger de Liège, va penser le sacrement de l’eucharistie en termes de « res et sacramentum ». Dans cette perspective du sacramentum, du signe, les species du pain et du vin nous renvoient à la « manducation sacrificielle du corps et du sang du Christ ». Ceux-ci, présents au terme du changement substantiel, sont à la fois « réalité » et « signe », « res et sacramentum ». La vérité du corps et du sang du Christ est donnée par la transsubstantiation. Mais la transsubstantiation assure la préservation du signe. Le pain et le vin, dans leurs accidents, sont maintenus147. Selon Carle, « les deux facteurs conjugués, désormais liés l’un à l’autre, l’aspect extérieur conservé pour désigner le corps et le sang et la "réalité" advenue par le don du Seigneur se jumellent dans le couple dynamique "res et sacramentum" : le "sacramentum" communiquant et manifestant la "res" »148.

Comment alors s’opère la transsubstantiation ? Le dogme chrétien sur l’eucharistie n’a pas qu’affirmé la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. En partant de son affirmation, Carle montre que le dogme a aussi donné le comment : le changement radical, la conversion substantielle totale du pain et du vin à son corps et à son sang149. La donation de Jésus n’est pas totale s’il n’y a pas de comment. Et nous ne sommes pas unis à la passion du Seigneur sans ce comment. Ce comment est une « miraculeuse conversion essentielle ». Cependant, « le comment de celle-ci demeure le secret du Roi, de l’artiste divin qui a fait les choses »150. Le comment, c’est bien entendu le mode de la transsubstantiation mais le mot reste seulement descriptif. Il n’est pas explicatif. Dans cette ligne, le Catéchisme du concile de Trente fait cette précision :

« L’explication de ce mystère est extrêmement difficile. Cependant les Pasteurs tâcheront de faire comprendre à ceux qui sont assez avancés dans la connaissance des Vérités saintes, comment s’opère ce changement admirable. Car pour ceux qui sont encore faibles dans la

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Cf. P.-L., CARLE, Le sacrement de la nouvelle alliance…, op. cit., p. 231.

148 Ibid. 149 Cf. ibid., p. 251. 150 Ibid.

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Foi, il serait à craindre qu’ils ne fussent accablés sous le poids d’une Vérité si haute. Ce changement est tel que, par la puissance de Dieu, toute la substance du pain est convertie en la substance entière du Corps de Jésus-Christ, et toute la substance du vin en la substance entière de son Sang, sans aucun changement de la part de Notre-Seigneur Lui-même. »151

Le concile fait intervenir la notion de « puissance de Dieu ». C’est elle qui permet le changement, la conversion, mieux, la transsubstantiation. Mais en révélant cela, le concile ne dit rien de plus sur le comment de cette opération divine et mystérieuse. On peut comprendre par là que la mission du concile n’a pas été d’expliquer ou de démontrer chimiquement la transformation qui s’opère. En avait-il d’ailleurs la possibilité ou la capacité ? L’immensité du mystère incline à sa simple contemplation. Il l’a lui-même reconnu :

« Mais ainsi que les Saints Pères l’ont très souvent recommandé, il faut avertir les Fidèles de ne pas rechercher avec trop de curiosité comment un tel changement peut se faire. Il nous est impossible de le comprendre, et nous ne pouvons en trouver aucune image ni aucun exemple dans les changements naturels, ni même dans la création. »152

Ainsi, pour le magistère, l’essentiel et la priorité ne sont pas de déterminer le comment mais d’indiquer le pourquoi de la célébration du mystère. Ce pourquoi met l’homme devant ce mystère si grand.

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