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Anamnèse de la vie, de la mort et de la résurrection du Seigneur

EUCHARISTIE : DON DE DIEU ET MYSTERE DU CHRIST

THEOLOGIQUE DE TRENTE

3. Anamnèse de la vie, de la mort et de la résurrection du Seigneur

Cinq points nous guident dans cette section qui traite de l’anamnèse eucharistique : 1) l’anamnèse est le fondement et l’enracinement de notre souvenir eucharistique ; 2) elle est le temps de Dieu pour l’homme ; 3) elle est aussi le souvenir d’un Dieu qui libère ; 4) la noblesse du souvenir eucharistique ; 4) l’anamnèse du mystère pascal.

Le but recherché ici est de montrer que notre souvenir se fond dans l’acte sacrificiel du Christ et nous pousse à demeurer dans la réalité de son amour quotidien. Notre anamnèse n’est pas passive mais elle est active et créatrice d’amour, de solidarité, de fraternité, de partage et d’action de grâces.

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3.1 : L’anamnèse comme fondement et enracinement de notre relation eucharistique

Ce qui s’annonce et se célèbre dans l’eucharistie, c’est la mort du Seigneur (1 Co 11, 20) ; « Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26). Dans l’eucharistie, notre relation au Seigneur est fondamentalement anamnèse, respectant ainsi la consigne même du Christ : « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Il s’agit du souvenir de l’événement fondamental et hautement salvifique de la croix du vendredi saint. Jésus voulait faire de l’eucharistie un souvenir, un mémorial car il ne voulait pas seulement que les hommes qui vivraient après lui se souviennent de lui. Il n’est nullement question, en célébrant ce mémorial, de réveiller un triste souvenir, un acte passé, mais plutôt de célébrer un accomplissement que le temps n’altère point « jusqu’à ce que » son initiateur « vienne ». La célébration de l’eucharistie n’est donc pas la manifestation d’un « nostalgisme » chez des hommes orphelins de leur Dieu vaincu et exposé sur une croix dont ils attendraient illusoirement un « retour glorieux ». Elle n’est pas aussi le ressassement d’une histoire qui n’est pas de notre époque et dont ceux mêmes qui l’ont vécue « en direct » et « en son temps » ne maîtriseraient pas tous les contours : ses tenants et ses aboutissants. L’eucharistie est le mystère du souvenir du projet et de l’action libérateurs de Dieu en son Fils Jésus-Christ qui s’est offert pour que l’humanité vive en lui et de Dieu. Elle demeure alors « éternellement valable » selon Schillebeeckx192. Elle maintient donc le projet salvifique de Dieu dans l’éternité qui devient l’histoire toujours renouvelée des hommes. Notre anamnèse n’est donc pas une répétition du sacrifice de la croix, mais plutôt une appropriation dynamique de ce sacrifice193.

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Idem, p. 119.

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Il est bien de souligner ici la convergence de vue, dans un souci œcuménique entre catholiques et luthériens (Commission internationale catholique-luthérienne) au sujet de la réitération du sacrifice eucharistique comme anamnèse. Les deux confessions sont parvenues à reconnaître, dans une perspective bien heureuse, que dans le repas du Seigneur, le Christ est présent comme le crucifié qui est mort pour nos péchés et qui est aussi ressuscité pour notre justification. Il est ainsi la victime offerte en sacrifice au monde une fois pour toutes. C’est pourquoi, ce sacrifice ne peut être ni continué, ni réitéré, ni remplacé, ni complété ; mais il peut et doit, chaque fois à nouveau, être efficace au sein de la communauté : Cf. COMMISSION INTERNATIONALE CATHOLIQUE /LUTHERIENNE : Le repas du Seigneur, 1978.

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3.2 : L’anamnèse est le temps de Dieu pour l’homme

En transformant le repas pascal en repas eucharistique, Jésus a institué un mémorial qui perpétuellement reproduit ce qui a eu lieu le jeudi saint. Nous ne nous transportons pas et ne nous fixons pas dans le passé, mais nous entrons dans le temps de Dieu qui devient aussi le nôtre. Dans l’eucharistie, la « présence réelle » du Christ nous replonge sans cesse dans la manifestation réelle du salut et Dieu. Il voit notre célébration et entend nos prières et agit efficacement et éternellement en notre faveur. En célébrant l’eucharistie, la « présence réelle » du Christ suscite et exige notre propre présence réelle devant Dieu, la véritable rencontre du Créateur et du créé pour se souvenir ensemble de leur union et de leur amour ; rencontre qui devient renouvellement de l’engagement d’amour et de libération du côté de Dieu et adoration perpétuelle du côté de l’homme. Ainsi, l’anamnèse est véritablement le temps de Dieu pour l’homme.

J. de Baciocchi et H. Verdier remontent au rituel de la pâque juive dans l’Ancien Testament avec son rappel génération après génération par les Juifs pour faire comprendre l’eucharistie comme mémoire et temps de Dieu pour l’homme. Ils relèvent toutefois une nette différence au niveau de la forme du souvenir :

« Dans le livre de l’Exode le repas pascal est institué par Dieu, avec ordre de le répéter chaque année en mémorial de la libération d’Egypte (12, 14, 24-27 ; 13, 3-10). Les termes hébreux qu’on traduit par mémorial donnent une fois ou l’autre, à penser qu’il s’agit d’un rappel adressé à Dieu par des hommes ; mais dans le cas qui nous occupe, il ne fait guère de doute qu’il s’agit d’un repas institué par Dieu et s’adressant à son peuple. »194

De fait, dans la Bible, le mémorial n’est pas le simple rappel public et rituel d’un événement passé. C’est un rite que Dieu institue généralement au cours d’un événement fondateur. Celui-ci a pour but de réactualiser dans la suite du temps et au sein de son peuple son intervention rédemptrice. Ainsi, le mémorial prélude au salut final et plénier vers lequel, dans cet événement fondateur et par la suite, Dieu conduit sans cesse, dans le temps, son peuple195.

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J. BACIOCCHI ; H. VERDIER, L’eucharistie. Sa signification. Difficultés. Célébrations actuelles, Paris, DDB/Bellarmin, Coll. « Croire aujourd’hui », 1975, p. 19.

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Cf. J. BACIOCCHI, Espérer aujourd’hui en Jésus-Christ. Le dynamisme de l’Evangile, Paris, DDB, 1997, pp. 126-127.

113 3.3 : L’anamnèse d’un Dieu qui libère

Dans le mémorial eucharistique, c’est Dieu qui rappelle et nous renouvelle sans cesse son alliance. Si autrefois il s’est servi du rite qu’il a lui-même prescrit à Israël pour remettre chaque année ce peuple en présence de son intervention libératrice, aujourd’hui encore, en prenant toujours lui-même « la responsabilité de la célébration pascale », il renouvelle efficacement cet engagement vis-à-vis et en faveur de son nouveau peuple. De ce fait, il se fait re-découvrir comme le libérateur actuel de tous les peuples et de tous les hommes, notamment des plus faibles et des opprimés. C’est pourquoi, l’eucharistie, comme mémoire, ne peut jamais être un simple rappel à évoquer, mais elle doit être vue comme un souvenir actuel, dynamique et efficace qui se célèbre chaque jour sans être jamais dépassé et sans perdre de son efficacité. Ce souvenir n’est pas un simple rappel public d’un événement passé célébré chaque jour. Il est à la fois un rite et un acte institués par Dieu, lors d’un événement fondateur, pour réactualiser dans la suite du temps et pour son peuple son intervention libératrice quotidienne. Ces rapports entre l’événement passé, la libération à venir rappelés dans le rite présent et la présence de Dieu sauveur définissent la structure même de ce mémorial. « Le Christ se donne à nous dans son passage du monde pécheur à la gloire du Père pour qu’avec lui et en lui nous fassions maintenant ce passage, cette conversion. Et ce dans la réalité quotidienne de notre vie »196 avec une attention particulière pour les plus faibles, les opprimés, les pauvres et les exclus de la société. Et, selon C. Geffré, on ne peut pas célébrer notre nouvelle alliance avec Dieu dans le sacrement de l’eucharistie sans célébrer également la nouvelle alliance qui doit véritablement s’instaurer entre tous les hommes197 ; nouvelle alliance définitivement marquée du sceau de la noblesse, du fait de la noblesse même de Celui qui l’institue et la renouvelle.

3.4 : La noblesse du souvenir eucharistique

En Afrique, l’on rapporte, assis autour d’un feu de bois nocturne, des contes où des dieux viennent solliciter, bien souvent, de la part des vivants, des repas pour leurs festins divins ! Ou encore d’autres contes où c’est un ou des dieux qui révèlent aux chasseurs dans la forêt, la

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J. BACIOCCHI ; H. VERDIER, L’eucharistie. Sa signification…, op. cit., p. 20.

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nourriture qu’il faut aux hommes. Cela se passe généralement au cours des grandes famines qui déciment les populations à la suite d’un feu de brousse ou d’une grave sécheresse qui n’a pas favorisé les récoltes198. Il peut aussi arriver très souvent que les hommes, à travers de multiples sacrifices, sollicitent leurs pains quotidiens de la part de leurs dieux à la suite des mêmes événements. Dans tous ces cas, toute la philosophie et la symbolique du repas sont manifestées dans les traditions africaines. Quand ce sont les dieux eux-mêmes qui quémandent leurs repas chez les vivants, c’est le signe que ces dieux se rappellent une alliance lointaine avec les hommes contractée avec leurs Ancêtres proches ou lointains. De même, quand ce sont les hommes qui reçoivent leurs repas des dieux, c’est le signe que ceux-ci se souviennent des hommes. Et ils ne veulent pas les voir exterminés par la faim. Ainsi le souvenir des dieux et celui des hommes se croisent dans la nourriture pour un renouvellement sans cesse d’alliance. Certes, la façon de procéder n’est pas la même avec l’eucharistie. Mais l’idée de souvenir reste dominante. Dans nos traditions africaines, selon ces contes sur les repas des dieux et des hommes, les dieux et les hommes mangent en se souvenant les uns des autres. De part et d’autre, les alliances sont ainsi mémorisées pour l’éternité. Ni les dieux, ni les hommes ne doivent les oublier au risque de briser les contacts et les relations tissés depuis des temps immémoriaux. Et ces souvenirs de repas sont transmis de génération en génération, pas pour un simple rappel de faits, mais pour un renouvellement sans cesse d’alliance ou de pacte.

La noblesse du souvenir eucharistique provient du fait que le sacrifice dont on se souvient a été accompli une fois pour toutes par Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Tandis que dans les autres sacrifices, le souvenir est répété, ou renouvelé ou même refait avec d’autres hommes, d’autres exigences et recommandations, pour d’autres époques et pour d’autres peuples, souvent même pour d’autres objectifs. Il va sans dire que l’efficacité de tels sacrifices laisse à désirer car rattachée exclusivement à des générations et à d’autres motifs. Dans ce sens, osons affirmer que le souvenir eucharistique est un souvenir sacramentel car il perpétue le signe du Christ qui s’offre en nourriture pour toutes les générations, pour toutes les époques et pour tous les hommes et peuples. Il s’offre pour que les hommes mangent sans plus jamais avoir faim et en se souvenant chaque jour de lui. Un souvenir qui ne profite pas à Dieu mais plutôt aux hommes eux-mêmes. L’amour perpétuel dont Dieu aime les hommes se concrétise dans la

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Le Cardinal Robert Sarah décrit brièvement les circonstances de ces phénomènes dans son livre-entretien avec Nicolas Diat : Dieu ou rien. Entretien sur la foi, Paris, Fayard, 2015, pp. 24-25.

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célébration de ce mémorial qui ne se détériore jamais. Cet amour devient offrande rédemptrice.

3.5 : L’anamnèse du mystère pascal

Unique en son genre est le souvenir eucharistique. Et la divinité du Christ donne un poids et un fondement solides et sans mesure à ce souvenir. Dans cette eucharistie, il n’y a pas qu’un souvenir du Christ accompli une fois pour toutes. Ce sacrifice, en tant qu’il est célébré et commémoré, redevient actuel comme réalité sacramentelle de toujours. Dans sa valeur même eucharistique, ce repas se reproduit avec la présence du corps et du sang du Seigneur et suscite de ce fait, un attachement plus puissant et plus vrai à la personne du Christ. L’eucharistie est donc une réelle anamnèse du mystère pascal. L’événement célébré est rendu réellement et vraiment présent. Et nous qui y participons, sommes aussi introduits réellement et vraiment dans le mystère pascal de sa mort et de sa résurrection. La célébration liturgique de l’eucharistie nous permet cela. Ainsi, le banquet, le sacrifice et la présence nous rappellent ce mystère de Dieu et nous font demeurer dans son temps qui n’a pas de fin.

En se rappelant cet acte salvifique, l’humanité accepte de s’ouvrir toujours à Dieu qui se rend à la fois présent et actuel à travers un événement du passé. Croyants que nous sommes, nous comprenons alors que le mémorial eucharistique surgit de notre mémoire et nous fait nous présenter devant Dieu comme ses créatures en adoration perpétuelle et en amour véritable entre nous. Le mémorial devient ainsi ouverture confiante à Dieu et force vivifiante pour vivre une relation d’amour entre nous ses créatures. Selon C. Geffré, les hommes ne peuvent pas avoir une Alliance Nouvelle avec Dieu sans une Alliance Nouvelle entre eux-mêmes. La vérité de nos actions de grâces adressées sans cesse à Dieu se mesure à l’aune de l’authenticité de notre pratique de la charité sur le modèle de Jésus qui a donné sa vie pour tous les hommes199. Dieu nous a créés pour que nous nous souvenions toujours de lui en restant soudés entre nous. La créature ne peut pas vivre sans le souvenir du Créateur. « Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir » (Ps 137, 6), a chanté le croyant juif. Et l’eucharistie qui devient le rite de souvenir nous plonge dans la réalité de notre propre existence quotidienne. Dans la perspective de notre libération, notre souvenir de Dieu qui libère ne devrait jamais nous quitter.

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