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Le sacrifice sacramentel de rédemption de Jésus : « sans nous » mais « avec nous »

EUCHARISTIE : DON DE DIEU ET MYSTERE DU CHRIST

THEOLOGIQUE DE TRENTE

4 Le sacrifice sacramentel de rédemption de Jésus : « sans nous » mais « avec nous »

La question qui peut surgir de tout esprit après avoir parcouru tout ce qui vient d’être dit

pourrait être : « Pourquoi donc tout cela ? » Question légitime dans une situation où Dieu se dévoile en se voilant, se « désacramentalise » en se «sacramentalisant ». Il se fait voir en se « cachant ». Il descend sur terre tout en trônant majestueusement sur son siège céleste. Les contradictions dans la vie de son Fils Jésus qui se laisse fixer sur une croix n’éclairent pas non plus l’intelligence des hommes sur le mystère de Dieu. Ceux-ci demeurent dans un clair-obscur qui rend plus opaque le mystère dans une sorte de drame de la foi. Alors, « pourquoi donc tout cela ? »

Risquons une réponse. Tout pourrait dépendre du côté ou l’on se trouve. Puisqu’il est question d’eucharistie, situons-nous du côté de la foi. Regardons le Christ comme notre « unique rédempteur ». Beaucoup disent notre « unique médiateur ». C’est la même chose, ce nous semble-t-il. Si le Christ est notre « unique rédempteur », le constat est qu’il ne prend pas un unique moyen pour parvenir à son unique objectif de nous sauver. Il prend chair de l’homme. Il naît d’une femme. Il parle. Il agit. Il se fait baptiser. Il guérit. Il ressuscite des morts. Il mange. Il prie. Il se repose. Il se fait des amis, même parmi des pécheurs. Il se met en colère. Il insulte. Il pleure. Il lave les pieds de ses disciples. Il aime les enfants. Il se fait l’ami particulier des pauvres. Il ne se reconnaît qu’en ceux-ci. Il a une préférence parmi ses apôtres. Il choisit son livreur. Il se laisse livrer. Il est jugé et frappé. Il se laisse crucifier. Il crie. Il meurt. Il ressuscite. Il apparaît à ses disciples. Il se fait reconnaître à la fraction du pain mais disparaît aussitôt qu’il est reconnu. Il monte au ciel sous leurs yeux. Il les envoie en mission. Il leur promet l’Esprit Saint. Appelons tout cela la pédagogie de la rédemption de Dieu à travers son Fils Jésus-Christ. Et chaque acte accompli vaut son pesant d’or dans cette pédagogie de la rédemption où tout est exclusivement et strictement lié et ordonné au bien de l’homme. Mais la question demeure : « Pourquoi donc tout cela ? » Il aurait pu, dans un mystère dont lui seul détiendrait le secret, et du haut de son siège céleste, d’auprès de son Père Tout-Puissant, et sur ordre de Celui-ci, sauver tous les hommes d’un seul coup. Et tout le monde, pour sûr, se serait senti mieux et aurait apprécié davantage la « Puissance » de Dieu ! Ne l’a-t-il pas fait autrefois en fendant la mer rouge pour qu’Israël la traverse pour se libérer de l’esclavage égyptien ? L’eucharistie (qui nous préoccupe dans cette recherche) qu’on pourrait comprendre comme le plus grand acte ou le résumé des actes dans la pédagogie de la rédemption de Dieu nous la fait comprendre mieux. Elle nous la révèle davantage et nous

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plonge dans toute sa divinité. Sauver l’homme à partir du ciel eut été un acte banal et ordinaire pour Dieu en regard de sa toute puissance. Cependant, il associe l’homme à sa propre rédemption. Cela nous fait comprendre l’importance de celle-ci. Et la formule classique d’Augustin « Dieu nous a crées sans nous mais il ne nous sauve pas sans nous » prend toute son importance et son ampleur mystiques dans la pédagogie de la rédemption de Dieu. Paraphrasons cela en disant : Dieu nous a créées sans nous mais il nous sauve avec nous. « Sans nous » mais « avec nous » constituent le fond de la volonté de Dieu de nous sauver, la clef herméneutique de notre salut. Ce sont la matrice d’action de Dieu. Le sacrifice sacramentel de l’eucharistie se fait « sans nous » mais « avec nous ». Il en est ainsi des autres sacrements qui forment la médiation historique entre le Christ et nous. Le Christ s’offre lui-même dans l’eucharistie (est présent dans les autres sacrements) « sans nous ». Mais l’homme doit la célébrer (ainsi que les autres sacrements) pour son salut, « avec nous ». Il doit ainsi offrir les fruits de son labeur pour accomplir ce sacrifice. Bien entendu, la contribution de l’homme à sa rédemption ne saurait se réduire à un simple apport des fruits de son travail terrestre, le pain et le vin en l’occurrence. Sont requises : sa volonté et sa disponibilité personnelles efficaces comme acceptation et accueil libres de ce programme de rédemption. La volonté de Dieu et celle de l’homme se rencontrent pour le salut de celui-ci. Son salut se réalise par son propre « Amen ». Et l’écho de cet « Amen » devait pouvoir retentir dans le quotidien de sa vie comme engagement personnel, offrande de l’homme en réponse à celle du Christ. En célébrant de cette façon l’eucharistie (et les autres sacrements), l’homme découvre encore mieux la toute puissance de Dieu qui se révèle sans se désacraliser, qui demeure le « très haut » en devenant le « très bas »200. « Sans nous » et « avec nous » relient ciel et terre dans une même tension dynamique de rédemption de l’homme. La présence réelle du Christ rencontre la présence réelle de l’homme que constituent sa volonté et sa disponibilité à la rédemption que le Christ lui propose et lui assure au nom du Père. Dieu ne nous sauve pas sans notre accord. Du côté de l’homme, l’eucharistie n’est pas efficace s’il n’y voit aucun

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Prenons ici en considération la réflexion de Jon Sobrino sur sa « reformulation de la transcendance de Dieu : le Dieu "très haut" et le Dieu "très bas" ». Jon Sobrino affirme que l’homme religieux a toujours utilisé le mot « plus » pour exprimer la transcendance de Dieu. Par différentes expressions linguistiques, on essaie d’exprimer la radicale discontinuité, l’infinie distance entre Dieu et sa créature. A ce « plus » correspond toujours un Dieu « très haut ». A partir de ce qu’il appelle « scandale » de la croix, il croit que l’homme doit aussi compter avec la possibilité active de ce qui est radicalement distinct en Dieu et avec le scandale de Dieu. Concrètement, l’homme doit compter sur le fait que non seulement ce qui est grand, mais ce qui est petit peut être médiation de Dieu. Telle est la réalité de ce qui arrive sur la croix. Pour lui, à partir de la croix, le langage et la réalité du « plus » doit être complété par celui du « moins ». Désormais, au Dieu « très haut » il faut joindre le Dieu « très bas ». C’est, selon lui, en maintenant ces deux réalités divines que « Dieu se fait plus transcendant, plus inaccessible, plus ineffable, plus mystère » : Jésus-Christ libérateur, (Traduction française), Paris, Cerf, 2014, pp. 446-448.

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intérêt. La grâce sanctifiante et libératrice de l’eucharistie opère dans un corps disposé à accepter l’amour profond et infini de Dieu.

Résumons cela en soutenant que Dieu procède de plusieurs manières pour nous sauver201. Mais, notre adhésion est exigée pour faire advenir notre propre rédemption ou libération et salut, pour croire en la présence réelle et en la transsubstantiation. Dans l’eucharistie comme sur la croix, à notre tête, Jésus offre son sacrifice. En s’offrant comme nouvel Adam, il nous offre avec lui et nous appelle sans cesse à ratifier personnellement et efficacement cette offrande par notre façon de régler et de mener notre propre vie dans le quotidien de notre existence. Il se donne à nous pour nous communiquer et transmettre sa vie filiale pour l’exprimer avec notre libre assentiment. On pourrait appeler cela les « sacrifices spirituels ». Et ce sont eux, en dernière instance, qui font apparaître la vérité de notre participation à l’eucharistie du Seigneur.

Ramenée dans le contexte de notre recherche, cette vérité nous fait comprendre que les « sacrifices spirituels » dont il s’agit ne sont pas loin des préoccupations existentielles et quotidiennes de l’homme, surtout de l’homme africain. Celui-ci doit aussi répondre à la présence réelle du Christ en assumant toute son humanité. Il doit donner un sens à sa vie en vivant en profondeur ces « sacrifices spirituels ». L’eucharistie qu’il célèbre dans la ferveur lui ouvre les portes de ces « sacrifices spirituels ». Cependant, ce oui donné à Jésus et à son sacrifice n’est pas inutile. Il se donne et se fait entendre, en effet, dans un contexte. Celui qui est le sien. Les « sacrifices spirituels » dans le contexte qui est le sien, marqué par la faim, l’oppression, la douleur et l’amertume doivent donner un sens à la réalité de la foi, à la réalité de la transsubstantiation et de la présence réelle du Christ, à la réalité de l’eucharistie. En Afrique, les « sacrifices spirituels » qui sont la réponse de l’homme à Dieu prennent un autre sens, celui de la libération au milieu de ce grand tumulte et de cette grande frayeur. Dans ce contexte, ils deviennent des médiations de libération. En célébrant l’eucharistie, l’Africain prend conscience de sa libération. Nous pouvons dire qu’en Afrique, la libération devient le sacrifice spirituel de l’Africain croyant.

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Selon F.-X. DURWELL, elles sont bien nombreuses les voies dont Dieu use pour nous sauver. Seigneur du monde par sa résurrection, le Christ entre dans ce monde par diverses portes. Pour lui, « tous les moyens de salut sont des sacrements de venue et de communion ». Il précise que l’Eglise, dans ce monde est le sacrement fondamental par lequel le Christ vient et invite les hommes à sa communion et à son salut. Il relève même que les « apôtres et leurs successeurs sont des sacrements de la manifestation du Christ auprès des hommes. Ils sont tous les médiateurs de la présence et du contact du Christ avec les hommes » de tous les temps : Cf.

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La deuxième partie de notre recherche s’attellera à aller plus loin. Pour l’heure, il nous faut découvrir davantage le mystère eucharistique à partir de quelques concepts nouveaux qui se sont formulés autour de lui et qui nous permettront d’appréhender beaucoup mieux le chemin que nous traçons à travers cette recherche. Ils ont pour avantage, malgré leur propre limite, de nous conduire à certaines ramifications de ce mystère pour nous faire saisir celui-ci comme réalité à la fois humaine, sociale et eschatologique, mais qui ne demeure pas moins réalité divine qui a pour vocation première de diviniser l’homme auquel elle s’adresse.

Ces concepts nouveaux permettent, dans le cadre de notre étude, de formuler de nouvelles expressions relatives à l’eucharistie. Ici, la perception scolastique et tridentine et les formulations néo scolastiques de l’eucharistie sont perçues autrement. Cela rend le sacrement plus concret qui le situe mieux du côté de l’homme et dans la société comme les Pères l’ont compris dès le début. Ces concepts nouveaux, comme nous le verrons, donnent de nouvelles manières d’appréhender et d’approcher l’eucharistie et nous permettront, dans notre travail, de poser les bases d’une réflexion appropriée à la situation de l’Afrique qui est notre préoccupation.

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CHAPITRE 5 : SIGNE-TRANSFINALISATION-TRANSSIGNIFICATION-

TRANSSOCIALISATION : APPROCHE NOUVELLE DE L’EUCHARISTIE POUR

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