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Joseph Ratzinger : royaume de Dieu veut dire Seigneurie de Dieu

EUCHARISTIE : DON DE DIEU ET MYSTERE DU CHRIST

DEVELOPPEMENT ET ROYAUME

1. Joseph Ratzinger : royaume de Dieu veut dire Seigneurie de Dieu

En partant de l’interprétation du concept de royaume de Dieu, Joseph Ratzinger fait savoir que le royaume de Dieu veut dire Seigneurie de Dieu. D’une dimension christologique conférée au royaume dès le départ, et qui est l’œuvre d’Origène, on en est arrivé à une dimension « régno-centrique » de ce même royaume. Les étapes parcourues sont :

 Avec la dimension christocentrique, on perçoit Jésus lui-même comme le royaume de Dieu. Ainsi le royaume se personnalise en Jésus lui-même. Il est la présence même de Dieu au milieu de son peuple et il le révèle.

 Avec la dimension idéaliste ou mystique de ce même royaume, on considère que le royaume de Dieu est fondamentalement établi dans l’intériorité de l’homme qui est alors invité à l’assumer pleinement. C’est aussi la perception du même Origène. Ici, le royaume de Dieu n’est pas un point sur une carte géographique qu’on pourrait observer et contempler dans toute sa gloire et son émerveillement à partir d’un autre point. Ce n’est donc pas un royaume tel que les hommes conçoivent et dirigent le leur.

 Avec la dimension ecclésiastique du royaume, sont mis en corrélation royaume et Eglise en tant que présence réelle, permanente et mystique du Christ en attendant son terme définitif.

A tout cela, plus proches de nous, se sont ajoutées, selon Joseph Ratzinger, d’autres interprétations du concept de royaume. On peut noter les conceptions ecclésiocentristes (l’Eglise serait le centre du christianisme), christocentristes (le Christ comme centre de tout) et théocentristes (dans le but de pouvoir rassembler toutes les religions car elles se

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reconnaîtraient toutes en Dieu ; l’Eglise et le Christ seraient sources de division). Tout cela aboutit à un « régno-centrisme » qui prône un monde où règneraient la paix, la justice et où la création serait préservée de tout danger et de tout obscurantisme. Pour ces différents courants, cela aurait été le cœur même de la prédication, le message central et concret de l’Evangile de Jésus. Il constituerait la voie juste et royale pour réunir les forces positives de l’humanité dans la marche vers l’avenir du monde.

La position que défend Joseph Ratzinger est que, en partant du terme « royaume des cieux », Jésus n’annonce pas une réalité qui relève unilatéralement de l’au-delà, mais elle renvoie à Dieu qui est à la fois ici-bas et au-delà. Tout en transcendant infiniment notre monde, il en fait aussi partie intrinsèquement.

Ratzinger soutient :

« Plus explicitement encore, Jésus annonce tout simplement Dieu, c’est-à-dire le Dieu vivant, qui est en mesure d’agir concrètement dans le monde et dans l’histoire, et qui y agit précisément maintenant. Il nous dit : Dieu existe. Et encore : Dieu est vraiment Dieu, c’est-à-dire qu’il tient les rênes du monde entre ses mains. En ce sens, le message de Jésus est très simple, il est totalement théocentrique. L’aspect nouveau et spécifique de son message consiste à nous dire que Dieu agit maintenant – que l’heure est venue où Dieu se révèle dans l’histoire comme son Seigneur lui-même, comme le Dieu vivant, ce qui dépasse tout ce qu’on a connu jusque-là. C’est pour cette raison que la traduction "Royaume de Dieu" est insuffisante, mieux vaudrait parler de la souveraineté ou de la seigneurie de Dieu. »216

Ainsi, le message de Jésus sur Dieu est la proclamation de la gloire de Dieu, de sa seigneurie aujourd’hui et toujours. Selon Ratzinger, Jésus nous annonce le règne de Dieu maintenant. Il n’y a pas de retard dans la venue de ce royaume annoncé par Jésus. La seigneurie de Dieu n’est pas à différer car elle est présente ici et maintenant.

En interprétant la phrase « Que ton règne vienne », il invite à confesser et à reconnaître d’abord le primat de Dieu. La vie ne serait rien sans Dieu. Dieu est la base de tout : « Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché » (Mt 6, 33). Certes, en disant cela, le Christ ne nous promet pas « un pays de cocagne » pour récompenser notre piété et nos bonnes œuvres quotidiennes. Ce n’est pas d’un paradis sur terre que nous sommes invités à nous emparer ici et maintenant. Au contraire,

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Jésus pose une priorité capitale pour tous, à savoir que le royaume de Dieu signifie seigneurie de Dieu. Et sa volonté doit être prise comme critère et choix essentiels de vie. C’est elle qui peut faire advenir la paix et la justice dans le monde217.

Toutefois, il confesse que royaume de Dieu comme seigneurie de Dieu est « extrêmement complexe » à appréhender. Selon lui, c’est seulement en l’acceptant dans sa totalité que nous pouvons « nous approcher de son message et nous laisser guider par lui »218.

Joseph Ratzinger fait aussi un lien entre eucharistie et résurrection (entendue ici comme manifestation du royaume de Dieu). Le Seigneur donne à ses disciples et après eux son corps et son sang comme « don de la Résurrection ». Il fait alors remarquer que « Croix et Résurrection font partie de l’Eucharistie »219. La première rencontre du Ressuscité ayant eu lieu le matin du premier jour de la semaine, ce jour devient de fait le « Jour du Seigneur », le jour où se célèbre le culte chrétien dont le centre primordial est l’eucharistie. En Ac 20, 6-11, un témoin rapporte que « le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain ». « Le jour de la Résurrection » devenait ainsi, dès le départ, le jour de l’eucharistie comme rencontre des croyants avec le Ressuscité220.

Osons une critique de J. Ratzinger à la suite de ce qui précède. Pourquoi doit-on limiter la compréhension du royaume de Dieu à la manifestation de sa Seigneurie ? Cela peut-être l’une des questions (et peut-être pas la moindre) qu’on peut opportunément poser au théologien allemand221. Dans les Evangiles, Jésus n’a pas eu affaire à la non reconnaissance de la seigneurie de son Père. Il n’était pas aux prises avec ceux qui ne reconnaîtraient pas la seigneurie de Celui-ci. D’ailleurs, il semble bien même que celle-ci était tellement surévaluée et bien introduite dans leur mentalité que ses contemporains, les pharisiens, les scribes et les docteurs de la loi en particulier, ne voulaient pas le reconnaître comme Fils de ce Dieu Seigneur. Pour eux, en effet, il n’était pas question que Jésus, dont ils connaissaient pourtant les parents, se déclare Fils de Dieu Seigneur. Ils interprétaient cette prétention de Jésus comme une souillure et un blasphème, un rabaissement dramatique et donc intolérable de la seigneurie de Dieu. En limitant le royaume de Dieu à sa seigneurie, que doit-on faire alors des

217 Cf. Idem, pp. 168-169. 218 Cf. Idem, p. 80. 219

Joseph, RATZINGER, Jésus de Nazareth, 2. De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, Paris, Rocher, 2007, pp. 166-168.

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Ibid., pp. 166-167.

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La même question peut être posée à Jürgen Moltmann qui soutient aussi qu’il y a jonction de deux éléments dans l’acte de représentation du royaume de Dieu. Il s’agit de la commémoration de la souveraineté historique de Dieu ainsi que de la confiance en elle et de l’attente de sa souveraineté universelle où il règne sur toutes choses :

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enfants, des pauvres, des prisonniers, des aveugles, des estropiés en lesquels le Christ s’identifie parfaitement et qui ne dénient pas à Dieu sa seigneurie ? Bien plus, pour Joseph Ratzinger, « Jésus annonce tout simplement Dieu, c'est-à-dire le Dieu vivant qui est en mesure d’agir concrètement dans le monde et dans l’univers, et qui y agit précisément maintenant. Il nous dit : Dieu existe. Et encore : Dieu est vraiment Dieu, c’est-à-dire qu’il tient les rênes du monde entre ses mains »222. Les pharisiens, les scribes et les docteurs de la loi auxquels on peut ajouter les prêtres, qui étaient les interlocuteurs de Jésus, qui étaient aussi les chefs religieux, ne doutaient pas un seul instant que « Dieu existe » ou que « Dieu est vraiment Dieu » et donc qu’il règne sur le monde et le domine. De même, dans son propre camp, tous étaient convaincus que Jésus était « le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). En définitive, nous pouvons soutenir que Dieu et sa Seigneurie n’étaient pas en crise au temps de Jésus. De ce fait, si la mission et la prédication de Celui-ci s’étaient exclusivement limitées à leur faire savoir cela surtout, il aurait fallu qu’elles reprissent de plus belle. Car, à cette époque, nul en Israël n’avait une plus haute idée de l’existence de Dieu et de sa seigneurie que ceux-là. Le pas que refuse de faire J. Ratzinger, c’est de faire comprendre (ou d’accepter) que le royaume de Dieu est annoncé aux pauvres et aux opprimés par Jésus non pas pour leur révéler la splendeur de la seigneurie de Dieu uniquement. Et que, travailler à soutenir les opprimés et à lutter contre la pauvreté et les injustices qui la font naître, c’est manifester, dans toute sa réalité existentielle, le royaume de Dieu ici et maintenant. C’est bien pourtant ce que le Christ a fait contre les autorités religieuses et politiques et ceux qui avaient quelque pouvoir à son époque. Certes, Jésus n’annonçait pas un royaume où couleraient lait et miel en abondance, où les hommes, après s’être repus, oublieraient Dieu. Mais il leur indiquait un royaume de Justice et de Paix, un royaume de Libération. Et ce royaume, c’était lui. Il en était la nouveauté radicale. « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi… Celui qui m’a vu a vu le Père» (Jn 14, 6-9), a-t-il dit. Ses gestes et sa prédication ne l’ont jamais trahi dans ce sens. Il voulait faire sortir Israël et ses chefs religieux de l’observation scrupuleuse des lois et des rites liturgiques pour leur faire découvrir que Dieu établit aussi sa seigneurie et son royaume sur terre en prenant la défense des plus petits, des faibles, des opprimés et des pauvres. C’est à eux qu’appartient désormais son royaume. Bien entendu, on peut poser la question de savoir si c’était cela aussi l’essentiel du message de Jésus et du contenu du royaume. Loin s’en faut. Jésus prêchait la manifestation du royaume de son Père à

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Joseph, RATZINGER, Jésus de Nazareth, 1…, op. cit., p. 76. Sur la thématique du royaume de Dieu, cf. aussi Christian Grappe « Incidences et prolongements de la proclamation du Royaume par Jésus », in Actes du

colloque de Strasbourg 18-19 novembre 2010, Paris, Mame-Desclée, Coll. « Jésus et Jésus-Christ », 2010, pp.

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travers la libération des opprimés tout en tournant le regard de ceux-ci vers la parousie qui sera la manifestation la plus éclatante et la plus glorieuse de cette libération. Ainsi, Jésus rendait Dieu et son règne plus proches de l’humanité affamée, opprimée et souffrante. C’est pourquoi, dans l’effort de compréhension du royaume, limiter le message de Jésus sur le royaume de Dieu à la proclamation exclusive de la seigneurie de Dieu, c’est mettre de côté un aspect fondamental de sa révélation et de toute sa prédication. Ce serait aussi rendre incompréhensible pour tous la réalité même du royaume. L’eucharistie, la croix et la résurrection qui sont le vecteur et le sommet tangibles de cette prédication nous replongent, chaque fois qu’elles sont célébrées, dans l’ambiance du salut et de la libération des privilégiés de Dieu : les pauvres, les affamés et les opprimés.

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