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Chapitre 3  : La négociation quotidienne du prestige 

3.2 Se rendre visible pour exister socialement 

3.2.2 Occuper l’espace physiquement

Pour être visible, il faut également être capable d’occuper physiquement l’espace sociale  de la classe et de l’école. Dans les deux entretiens auxquels elle a participé, Ania (8e A, 

Collège Jean Tinguely) s’assied à la même place : au premier rang, sur la deuxième chaise  depuis  le  pupitre  des  professeurs.  Cette  place  est  située  exactement  en  face  de  l’enquêtrice, puisque je me tiens juste à côté du micro. Ania est prête à tenir son rôle de  porte‐parole  du  groupe.  Dans  les  deux  cas,  elle  est  une  des  premières  personnes  à  s’asseoir  et  est  accompagnée  d’une  amie :  Nour  dans  l’entretien  mixte  et  Amélie  dans  l’entretien  entre  filles.  Lorsque  les  élèves  sont  tous  assis  pour  commencer  l’entretien  mixte, je prends la parole pour leur expliquer le déroulement des événements. Ania se  distingue  de  ses  camarades  par  une  suite  de  gestes  complexes  visant  à  se  refaire  une  beauté. Elle enlève et remet son diadème, puis fait revenir deux mèches de cheveux en  avant. Elle réajuste ensuite son foulard, puis se recoiffe une seconde fois. Ce rituel est  d’autant  plus  visible  que  ses  camarades  restent  parfaitement  immobiles.  Finalement,  elle s’adresse à Nour, qui est assise à ses côtés, et lui montre sa coiffure en faisant un 

commentaire  inaudible.  Nour  acquiesce  en  souriant.  Ce  rituel  se  répètera  de  manière  similaire lors du second entretien, entre filles. 

Ainsi,  avant  même  que  l’entretien  à  proprement  parlé  ne  démarre,  Ania  occupe  physiquement l’espace social de la classe. Elle fait autorité par sa présence. « Je suis là »  semble‐elle énoncer implicitement. Cette gestion de l’espace se poursuit tout au long des  entretiens. Lorsqu’une réponse émise par un camarade ne lui convient pas, elle soupire,  fait de gros yeux et lance des regards lourds de sous‐entendus à ses voisines complices,  Nour puis Amélie. La complicité affichée, souvent par le biais de contacts physiques, est  un moyen fréquemment employé pour montrer sa force et s’imposer dans l’espace social  de la classe. Samir (8e B, Collège Michel Simon) prend beaucoup appui sur ses voisins. 

Pendant  l’entretien  entre  garçons,  il  est  assis  au  premier  rang,  au  centre,  jambes  écartées, et a les bras posés sur les épaules d’Ali et d’Alexandre, respectivement assis à  sa droite et à sa gauche. Pendant l’entretien mixte, il partage avec Michael un banc qui  est  situé  pile  en  face  de  la  caméra,  et  qui  aurait  pu  accueillir  facilement  un  autre  adolescent.  Ils  y  resteront  seuls  alors  que  plusieurs  de  leurs  camarades  sont  assis  par  terre,  certains  hors  champ  de  la  caméra.  Samir  et  Michael  prennent  appui  l’un  sur  l’autre, changent de position, s’étalent, se chuchotent des apartés à l’oreille qui les font  rire.  Julia,  Chiara  et  Clémence  (9e  A,  Collège  Paul  Klee)  chantent  à  tue‐tête  tous  les 

morceaux  des  vidéo  clips.  Au  contraire,  les  élèves  qui  ne  sont  pas  visibles  ont  une  attitude beaucoup plus réservée : la plupart des filles ont les jambes croisées, la plupart  des garçons ont les bras croisés.  

Dans les entretiens collectifs comme lors des activités théâtrales et en voyage d’études,  Julia est constamment visible. Ce travail de visibilisation de soi s’effectue en parallèle sur  son blog. Il passe par une visibilisation de son corps : elle poste des photos d’elle sur la  plage,  en  maillot  de  bain,  et  par  une  visibilisation  de  ses  états  d’âmes :  elle  écrit  des  articles dans lesquels elle exprime des questionnements et des doutes, notamment vis‐à‐ vis de son avenir. 

Dans la pièce de théâtre jouée par sa classe en fin d’année, « Le malade imaginaire » de  Molière, Julia tient le rôle de Toinette, la servante impertinente, qu’elle joue de manière  particulièrement  expressive,  surtout  en  comparaison  avec  certains  de  ses  camarades,  pour  qui  cette  visibilité  forcée  est  une  réelle  contrainte.  Le  décalage  est  d’autant  plus 

grand que plusieurs élèves se partagent les répliques de chaque rôle prévu par le texte.  Il y a donc plusieurs adolescents qui jouent Toinette, et Julia occupe l’espace de la scène  de  façon  beaucoup  plus  efficace  que  ses  camarades.  Elle  parle  fort  et  distinctement,  démontre un réel potentiel d’actrice et fait rire l’audience à maintes reprises. Déjà avant  le  lever  de  rideau,  elle  se  fait  remarquer  du  public  en  guignant  pour  voir  qui  est  déjà  installé dans la salle, cherchant de façon ostensible des visages connus. Ainsi, elle occupe  l’espace scénique avant même que le spectacle n’ait débuté. A la fin de la pièce, c’est elle  qui prendra le micro, au nom de la classe, pour les remerciements. 

De fait, toutes les occasions d’être physiquement visible par ses pairs est saisie par Julia.  Cette  stratégie  se  révèle  d’ailleurs  payante.  En  effet,  son  jeu  dans  la  pièce  accentue  sa  popularité et donne à ses admiratrices une occasion de lui écrire. Elle reçoit plusieurs  commentaires  sur  son  blog  qui  la  félicitent  de  sa  prestation.  Une  adolescente,  dont  le  pseudonyme comprend les termes « starounette » et « 1996 », lui poste : 

Starounettexxx1996, Posté le 26 avril 2008 à 21:19

Je te connais pas mai je voulais juste te dire ke t avais tro bien jouer a la pièce !61

 

Le  pseudonyme  de  cette  jeune  admiratrice  donne  deux  indices  qui  nous  intéressent.  Premièrement,  on  sait  qu’elle  a  13  ans  au  moment  où  elle  écrit,  et  qu’elle  est  par  conséquent de deux années plus jeune que Julia. Deuxièmement, elle se présente comme  une petite star, une « starounette », ce qui laisse penser qu’elle envie à Julia sa capacité à  se faire voir et connaître. Il est tentant donc pour elle d’essayer d’entrer en contact avec  Julia. Elle écrira d’ailleurs, deux jours plus tard : 

Starounettexxx1996, Posté le 29 avril 2008 C styler kan tu change toujours de foto lol bsx PS : tu pourrais me passer ton adresse msn stp ?62

Le  commentaire  commence  par  un  compliment63  pour  Julia,  puis  lui  demande  en  post 

scriptum  son  adresse  MSN,  dans  l’espoir  de  pouvoir  engager  avec  elle  une  discussion 

      

61 « Je ne te connais pas je voulais juste te dire que tu avais trop bien joué à la pièce ! » 

62 « C’est stylé quand tu changes toujours de photos lol (mort de rire) bisous ! PS : tu pourrais me passer 

privée, et par conséquent de pouvoir tisser un lien. Poster un commentaire sur un blog  est  un  premier  pas  vers  la  rencontre  amicale  ou  amoureuse  qui  est  fréquemment  entrepris.  Si  cette  première  approche  est  reçue  positivement,  les  adolescents  s’échangent  leur  adresse  MSN,  afin  de  pouvoir  communiquer  en  mode  simultané  et  privé. Cet extrait nous montre comment le fait de s’imposer physiquement dans l’espace  scolaire peut être un gage de prestige social. Pour être connu et potentiellement admiré  par ses pairs, il faut se faire voir et entendre. 

Cependant,  la  compétence  à  se  rendre  visible  peut  également  être  mise  en  œuvre  de  manière non ostentatoire, et pourtant récolter les mêmes fruits. Ania, par exemple, met  en place une visibilité discrète et extrêmement subtile. Elle occupe l’espace physique par  une présence continue mais non bruyante. Elle est sans cesse en train de “faire quelque  chose” qui attire l’attention d’autrui, comme caresser la main d’Amélie ou secouer la tête  avec  désapprobation.  De  fait,  on  regarde  Ania  sans  s’en  rendre  compte,  parce  qu’elle  donne continuellement des petits signes de présence, se faisant remarquer “comme par  magie”. Elle occupe par ailleurs l’espace de parole de manière tout aussi discrète mais  efficace, c’est‐à‐dire qu’elle parle moins que son amie Amélie, mais en revanche répond  systématiquement la première aux questions posées lors des entretiens collectifs, avec  une assurance qui lui assure écoute, respect et crédit.   3.2.3 Occuper l’espace relationnel  Pour être visible, il faut se faire entendre, se faire voir, mais aussi et surtout s’afficher  publiquement avec d’autres adolescents. W. Waller démontrait déjà ce mécanisme dans  les  années  trente :  « De  nombreux  observateurs  ont  rapporté  que  lorsqu’on  demande  une  étudiante  au  téléphone  dans  un  foyer,  elle  se  fait  souvent  appeler  à  plusieurs  reprises afin de laisser le temps aux autres filles d’entendre qu’on la réclame » (cité par  Goffman, 1973 : 14). A l’échelle d’une école, il y a une multitude d’alliances possibles. Ces  alliances n’ont pas même valeur selon la popularité des individus qui la composent. Etre  ami avec un garçon que tout le monde connaît à l’école est un gage de visibilité. Le même  phénomène s’observe à l’échelle de la classe. Celle qui est amie avec un grand nombre de          63 Elle fait ici référence au fait que Julia met régulièrement une nouvelle photo d’elle‐même dans le  premier article de son blog. 

camarades occupe l’espace relationnel de la classe et se rend davantage visible que celle  qui ne peut se prévaloir d’aucune amitié. Dès lors, l’amitié va faire l’objet d’un travail de  représentation,  seul  ou  en  équipe  (Goffman,  1973),  car  rendre  un  lien  visible  est  un  moyen  de  se  rendre  soi‐même  visible.  Lorsque  Julia  raconte  sur  son  blog,  de  manière  détaillée, l’après‐midi passée avec Jérôme, elle l’extrait de son cadre privé pour en faire  un récit public : 

** Génial après midi en ta companie Jérooooooooome ♥

des heures à bronser à la rue du Sablier, toi qui me bloque mon natel -.-64, rentrée chez toi où Nolan manque de nous tuer en me brisant la colone vertebrale, après tu me défonce ma gencive en m'enfoncant un verre d'eau dans la lèvre xD65, envie de fondue au chocolat, direction ... Migros !

Avec 48 pièces de 5 centimes, vu que l'avocate n'est pas à la caisse on test celle avec les faux sourcils, tu te casse comme un gros LÀCHE , jme tape la honte dans la caisse lente , tout le monde croit quon a fait des choses peu catholiques xD, (mais COMMENT as tu eu possesion de mon pantalon?) retour che toi, le chocolat est EVIDEMMENT aux noisettes xD , on en fous plein partout, tu CRAME le chocolat ( tu fais de meilleures soupes -.- ) je fouille ta chambre comme dans rooms raiders sans kit d'espion je te VOLE un caleçon que tu me dédicace on fais une bataille de parfums qui PUENT (comme le ''souffle du dragon'' un truc du genre xD). Tu me tagues mon dos et mes bras avec des conneries au marquer. Tu me racompagne à l'aret du 10 moi en caleçon, toi avec le maillot d'Espagne que tu voulais me voler, on croise au moins 4 de tes voisines, pis je retourne toute seule dans le bus en PUANT comme cets pas possible . Pis enfaite on était sensé se voire pour ... euh pour faire du latin enfaite. La prochaine fois c'est à la bibliothèque de la Cité comme ça on est sur de bosser xD... Jerrrrrro !

Bonne visite Et laissez moi un ptit mot gentil

Ce récit remplit différentes fonctions. Il permet de rendre visible, au public des pairs, le  type  de  lien  qu’ils  partagent,  à  savoir  un  lien  d’amitié  privilégié,  intime  et  complice.  A        

64 Emoticône qui représente un visage qui fait la moue. Les émoticônes sont des signes composés de 

caractères typographiques, qui symbolisent une émotion. 

priori,  on  pourrait  penser  que  ce  texte  s’adresse  exclusivement  à  Jérôme,  parce  qu’il 

contient  des  allusions  à  des  blagues  que  lui  seul  peut  comprendre,  de  nombreuses  ellipses qui sont difficiles à combler pour le lecteur qui n’était pas présent au moment  des faits. Pourtant, le destinataire de l’article n’est pas uniquement Jérôme. D’ailleurs, ce  dernier ne possède pas de blog et ne participe pas à cette scène sociale. Il ne commente  jamais les blogs de ses camarades, ce qui ne l’empêche pas d’être un garçon populaire,  très présent et très visible sur la scène sociale des relations en face‐à‐face. En guise de  conclusion de son récit, Julia écrit : « Bonne visite. Et laissez‐moi un petit mot gentil ».  Cette dernière phrase ne s’adresse pas à Jérôme, mais bien à tous ceux qui font partie de  « l’audience imaginée » (Boyd, 2007) par Julia, à savoir tous les adolescents susceptibles  de lire son article. Le texte quitte son registre intime, qui créait une sorte d’entre soi par  l’emploi du « tu », du « je » et du « on », pour se réinscrire dans sa dimension publique et  participative.  Julia  prend  alors  explicitement  le  lecteur  en  compte,  en  lui  souhaitant  « bonne visite » et en lui demandant de poster un commentaire. On comprend que cet  article  permet  à  Julia,  au‐delà  du  plaisir  de  se  remémorer  des  moments  partagés  avec  Jérôme,  de  se  rendre  visible  à  travers  l’action  de  visibilisation  du  lien  d’amitié  qui  les  uni. Nous verrons que le travail de visibilisation du lien social entre pairs est également  au cœur des processus de valorisation de soi en tant que “grand”, et qu’il est mobilisé  comme une ressource pourvoyeuse de prestige et de crédit. Ici, nous ne considérons que  sa dimension de mise en visibilité de soi.   S’afficher en tant qu’ « ami de », voir en tant que « meilleur ami de » est un enjeu social  important. Si Jérôme est proche de Julia, il l’est aussi de Chiara. Lors de l’entretien mixte,  on assiste à une petite rivalité entre elles, chacune voulant se qualifier comme celle qui  le connaît le mieux et qui le fréquente le plus. Dans l’extrait suivant, il est question de  savoir  qui,  du  garçon  ou  de  la  fille,  est  sensé  sortir  son  porte‐monnaie au  moment  de  payer au supermarché :  Chiara : c’est mon meilleur ami, c’est comme mon frère pour moi, alors…   Julia : merci Chiara!  Chiara : à chaque fois quand on... à Julia non mais il faut expliquer la relation,  parce que pour certaines personnes, voilà.   Rires  Chiara : et... c’est toujours moi qui lui paie tout! 

Julia se retourne vivement et parle fort : ouais! Et quand on va à Denner c’est  toujours moi se montre du doigt qui paie aussi!  Chiara : moi je mange à la cafétéria...  Jérôme : alors moi je vous explique la relation!  Jérôme et Chiara se poussent avec les bras pour faire taire l’autre et prendre la  parole. 

Chiara :  je  mange  à  la  cafétéria  avec  lui,  c’est  moi  qui  lui  donne  de  la  nourriture!  Julia : moi c’est toujours pareil, à chaque fois à quatre heure vingt, c’est moi se  montre du doigt qui paye son goûter!  Chiara : c’est moi qui doit le nourrir!  Jérôme : on éteint la caméra deux minutes? Il fait mine d’étrangler Chiara qui  rigole. 

Cette  narration  à  trois  voix  est  l’occasion,  comme  l’expriment  Chiara  et  Jérôme,  « d’expliquer  la  relation »,  c’est‐à‐dire  de  la  qualifier,  afin  de  la  rendre  visible  et  perceptible à l’enquêtrice comme aux camarades de classe. Le jeu de mime, les rires et le  ton faussement offusqué sont autant de petites stratégies visant à se positionner dans  l’espace relationnel de la classe, et par conséquent d’y être visible. De fait, l’inscription  dans un « nous générationnel » dont parle F. de Singly (2006) pour qualifier le besoin de  s’inscrire dans une nouvelle appartenance identitaire à cet âge adolescent, correspond  plutôt à l’inscription dans un « nous  amical » ou un « nous relationnel ». Il ne s’agit pas  seulement  de  montrer  que  l’on  fait  partie  de  la  même  génération  que  ses  camarades,  mais aussi de montrer que l’on est en lien les uns avec les autres. Selon A. Honneth, voir  quelqu’un,  le  « rendre  visible »,  c’est  lui  accorder  de  la  « reconnaissance »  et  par  conséquent  une  « valeur  sociale »  (2005 :  45).  Cette  réflexion  est  applicable  à  l’espace  relationnel adolescent. Etre visible, et par conséquent reconnu comme ayant de la valeur  sociale, s’effectue aussi, pour les adolescents, à travers la visibilisation des liens qui les  unissent.  

Aline, qui est dans la même classe que Julia, fait le même type de récit que cette dernière,  à propos de sa relation d’amitié avec Paul. Lors de l’entretien mixte, Paul affirme qu’il  « se  trouve  romantique ».  Aline  s’empresse  de  confirmer,  puis  raconte  comment,  la  veille, il l’a appelée depuis le bas de son immeuble, lui a demandé de descendre, puis lui 

a  offert  une  fleur  pour  se  faire  pardonner  une  attitude  désagréable  qu’il  avait  eue  précédemment. Aline justifie cet acte comme étant « dans le contrat » puisqu’il est son  « meilleur ami » : « mais bon c’est mon meilleur ami donc c’est normal, il est obligé donc  c’est… c’est dans le contrat. » L’entretien est pour elle une occasion de rendre son lien  d’amitié  visible  en  en  dessinant  les  contours  et  en  apportant  la  justification  de  la  qualification « meilleur ami ». Au cours de l’entretien, tout deux se lancent de fréquents  coups  d’œil  complices,  lorsque  le  sujet  abordé  leur  rappelle  un  événement  partagé  ensemble.  Ils  rigolent  alors  de  concert,  ce  qui  a  pour  effet  de  rendre  cette  connivence  visible  pour  tous  les  participants.  Le  contexte  de  la  pièce  de  théâtre  sera  également  l’occasion de mettre en scène cette amitié, puisque Paul y joue le rôle d’Argan lors de la  scène jouée avec sa fille Lison, qui est interprétée par Aline. Argan cherche à obtenir de  Lison qu’elle lui confie les secrets amoureux de sa grande sœur. La scène se termine par  une  tentative  du  père  de  battre  sa  fille,  qui  réussit  à  échapper  au  bâton  par  des  promesses  et  des  démonstrations  affectives.  Elle  possède  un  potentiel  comique  important  puisqu’il  s’agit  de  mimer  une  poursuite  et  des  jeux  de  séduction.  Les  répétitions ont ainsi été l’occasion pour Paul et Aline d’activer leur complicité et de la  rendre visible. 

Ce  qui  est  intéressant  pour  notre  analyse  est  d’avoir  également  accès  aux  jugements  portés  par  leurs  camarades  sur  ce  travail  de  visibilisation.  Lors  de  l’entretien  effectué  avec  Julia  et  Chiara,  nous  abordons  le  sujet  de  cette  amitié  entre  Aline  et  Paul.  Elles  mettent  en  cause  la  véracité  de  ce  lien,  qui  ne  serait  qu’un  « mythe »  dont  Aline  se  servirait pour se visibiliser auprès de ses pairs, et ainsi gagner du prestige : 

Julia : ben c’est sûr que c’est un peu un mythe en fait, parce que… 

Chiara :  ouais,  elle,  elle  dit  que  ça  fait,  genre  depuis  le  berceau  qu’ils  se  connaissent  

Julia :  ouais  depuis  le  berceau  qu’ils  se  connaissent  et  pis  que  c’est  son  meilleur ami, mais disons il est jamais allé, il est allé je crois une fois chez elle.  C’est tout. C’est un peu, enfin elle a… je sais pas. Mais disons elle lui dit tout  et…   Chiara : ouais enfin Aline elle veut bien se montrer en disant que, ouais « j’ai  un meilleur ami, j’ai ci et ça ».  Julia : ouais. Mais disons oui, ils sont plutôt proches. 

Dans  le  discours  réprobateur  de  Julia  et  de  Chiara,  Aline  entretient  ce « mythe »  d’une  amitié avec Paul, dans le but de se rendre visible et donc de gagner de la popularité. Elles  ne lui attribuent pas de validité, arguant qu’il repose davantage sur des paroles que sur  des faits : « elle veut bien se montrer en disant que, ouais, “j’ai un meilleur ami, j’ai ci j’ai  ça” ». Julia et Chiara relatent les fondements de ce « mythe », organisé autour de la trame  du « berceau », mais ne lui accordent pas de crédit parce qu’elles pensent savoir qu’ils ne  sont que très rarement allés l’un chez l’autre. Ainsi, ces récits narratifs construits autour 

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