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Nouvelles technologies et cultures minoritaires : Québec et Catalogne

Dans le document Le « local » dans l’histoire du cinéma (Page 194-200)

Ray Gallon

(Université Paul-Valéry, Montpellier)

« L’incapacité des francophones à produire en fran- çais les contenus dont ils ont besoin pour travailler et pour se divertir aurait pour effet la non fréquentation des inforoutes par les Québécois ou la consommation souvent maladroite d’une information électronique produite principalement en anglais. »

extrait d’une commission provinciale de Québec sur la francophonie et Internet

Lors de la conception de cet exposé j’ai imaginé de démontrer à tra- vers des pages « web » mes propos en ce qui concerne les cultures iso- lées et l’avancement dans les nouvelles technologies de l’information et la communication (N.T.I.C.). Mais plus je me suis penché dessus, plus il m’a semblé indispensable de comprendre la situation politico- culturelle dans laquelle se trouvent ces deux cultures, pour mieux com- prendre les forces qui poussent ces gens à développer une expression audiovisuelle en pointe technologique. Je vais, donc, commencer par un exposé comparatif des deux cultures, suivi par une discussion des réponses de chaque culture dans le domaine audiovisuel en général, et des N.T.I.C. plus spécifiquement, avec des références et exemples des sites Internet à rechercher pour mieux comprendre.

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Propos

Le Québec et la Catalogne sont, tous les deux, des îlots culturels — à la fois au centre de la vie économique de leur pays, et à la périphérie culturelle. Cette condition les a poussés à se développer culturellement bien au-delà des pays au sein desquels ils se trouvent :

˛ Pour rayonner dans le monde et se mettre en valeur

˛ Pour se protéger contre l’influence des cultures plus grandes et plus fortes qui les entourent.

Cette démarche est soutenue par :

˛ Des politiques fortes d’exportation culturelle, mais aussi d’impor- tation à haut niveau.

˛ Un développement fort et même avant-gardiste des expressions audiovisuelles, surtout dans le domaine des nouvelles technolo- gies du multimédia numérique et de la télécommunication.

Situation

Voici un schéma comparatif de quelques points significatifs dans les situations actuelles de chaque entité :

Le Québec... La Catalogne...

Est une province de la confédération canadienne, où la communication était, depuis la construction du chemin de fer, la clé de l’unité nationale — par double nécessité :

˛Le pays est vaste — le deuxième pays après la Russie en superficie — avec la moitié de la population de la France

˛Pour les Canadiens d’expression anglo- phone, la dominance du pays voisin du sud est une menace constante, ressentie de manière sous-jacente mais pas tou- jours exprimées en termes clairs.

Est définie commeautonomie dans un royaume où, pour raisons historiques

et politiques le mot « fédéral » est pros- crit. Elle se voit comme le centre d’une région culturelle plus vaste — les « pays catalans » qui comprend aussi une par- tie de la France, qui pour eux s’appelle « Catalunya Nord ».

Les autonomies espagnoles n’ont pas le même niveau d’auto gouvernement qu’une province du Canada ou d’un

land d’Allemagne, surtout au niveau de

finances. À la différence des Canadiens d’ex-

pression anglophone, les Québécois d’expression francophone n’ont pas de confusion sur leur identité ni de complexe par rapport aux États Unis.

Vient de sortir, il y a  ans, d’une dic- tature où toute expression de la culture locale était réprimée, y compris l’uti- lisation de la langue catalane ou la danse nationale, la sardana. Les Cata-

lans tiennent, donc, très fortement à leurs culture et traditions.

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Subit les mêmes problèmes intérieurs que le reste du pays en ce qui concerne les grandes distances vides à traverser.

A créé une des premières Euro-régions trans-frontalières (avec la France).

Supporte et a accepté l’existence d’une nation dans une nation, le Nunavut, sur territoire québécois en tant que précé- dent, voir espoir, d’un Québec « souve- rain mais associé » dans le Canada.

Joue la carte européenne pour se pré- senter comme entité nationale à part de l’Espagne dans l’Union Européenne et au niveau international, surtout dans les domaines du sport et de la culture.

Le Local — des terroirs et des racines

Les deux entités s’identifient à travers une histoire rurale liée aux ter- roirs. Les Québécois sont des « habitants » et des « voyageurs », ceux qui ont cherché des fourrures, des bûcherons, des explorateurs, des fac- teurs des postes d’échange, des mineurs. C’est une culture qui diverge rapidement de celle de la France, et qui est restée très cléricalisée jus- qu’aux années  et la « révolution tranquille » de Jean Lesage.

Les Catalans sont des paysans, se regroupant dans des «masias » (des

mas) pour se protéger et se mutualiser. Quand on dit d’un Catalan qu’il est «de la ceba » (« de l’oignon »), cela veut dire qu’il est bien enraciné

dans son terroir, obstiné, opiniâtre, et même un peu démodé. Mais dans la campagne catalane on peut trouver grand nombre de gens qui reven- diquent cette qualité d’être «de la ceba ».

Les deux cultures s’investissent bien au-delà des cultures majoritaires dans la mise en valeur des spécificités culturelles, et surtout la préserva- tion du patrimoine culturel à travers les expressions traditionnelles. En Catalogne, particulièrement, le Generalitat (gouvernement autonome) ne donne presque aucune subvention à la création culturelle, mais s’in- vestit lourdement dans les associations locales qui pratiquent des activi- tés traditionnelles telles que les « châteaux humains », les géants animés, etc.

Au Québec, il y avait un effort énorme pour soutenir des activités de création artistique dans les nouveaux médias électroniques, depuis l’art vidéo des années - jusqu’aux N.T.I.C. aujourd’hui. Actuellement, il y a un ralentissement dans ce domaine, dû à une fuite de la jeunesse québécoise vers d’autres lieux d’Amérique du Nord. Les générations « seniors », d’artistes autant que du public, ne montrent pas le même intérêt pour les manifestations de ce type.

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De toutes les expressions de la spécificité culturelle, dans ces deux sociétés, il n’y a rien qui se montre plus fort que la connexion des gens avec la langue.

Fous d’amour pour la langue/Boig d’amor per la llengua

Bien que la langue française ne soit pas menacée en tant que telle, les Québécois vivent dans un îlot culturel entouré par deux grandes cultures anglophones. Pour cette raison ils ont peur de la perte du « fait français » en Amérique du Nord, fait garantie par les traités cédant la Nouvelle France à l’Angleterre. Il convient de se rappeler que le Québec est la plus grande, mais pas la seule, région d’expression majoritaire- ment francophone du Canada.

Le catalan est une langue minoritaire — il y a peut-être  millions de catalanophones dans le monde entier. Pourtant, ils sont plus nombreux que, par exemple, ceux qui parlent le finlandais. En Europe, depuis l’en- trée de la Finlande, le finlandais a toujours eu le statut d’une langue officielle. Mais le Catalan, bien que langue « co-officielle » de l’Espagne, vient juste (le  juin ) d’être accepté par l’U.E. comme langue utili- sable pour les documents officiels.

Voici un tableau comparatif du statut des langues des deux entités :

Le français au Québec Le catalan en Catalogne

Au Canada, le français a un statut juri- dique à égalité avec l’anglais comme langue officielle du pays. Tous les docu- ments officiels existent, donc, dans les deux langues.

La loi criminelle est le domaine du gou- vernement fédéral, mais les cours et la loi civile sont une affaire des provinces. Au Québec, donc, les procès criminels, administratifs et civils sont d’office en français.

En Espagne, le catalan, tout comme les langues basque et galicienne, ont un sta- tut de langue « co-officielle » mais cela fonctionne uniquement dans les autono- mies — il n’y a aucun droit au niveau national. Les documents officiels de la Generalitat existent uniquement en cata- lan, mais les documents d’état existent uniquement en castillan.

Actuellement, les juges et magistrats n’ont aucune obligation ni de parler ni de conduire des procès en catalan ou en d’autres langues co-officielles.

Un député dans le parlement national a le droit de s’adresser à l’assemblé en français comme en anglais.

Au congrès national, seul le castillan a droit d’être utilisé.

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Chaque citoyen a le droit d’être servi dans n’importe laquelle des deux langues officielles dans tous les orga- nismes publics (fédéraux) du pays.

Les autonomies ont le droit de régler, voire imposer, l’utilisation de la langue co-officielle selon leur gré, mais elles ne peuvent pas interdire le castillan, qui prime toujours.

Le français est pratiqué par les Qué- bécois, mais aussi par les Acadiens de Nouveau-Brunswick, les Métis dans le nord des provinces de la prairie, ainsi que par des populations minoritaires francophones dans toutes les provinces sauf la Colombie Britannique.

Le catalan est pratiqué par les gens de Catalogne, mais aussi dans les Îles Baléares, aux franges d’Aragon et dans la communauté de Valence, où la variante locale du catalan est revendiquée comme langue à part, le valencien. Le catalan est la langue officielle de la prin- cipauté d’Andorre, et la ville d’Alghero, en Sardaigne, continue de parler (un peu) le catalan, ainsi que Perpignan et quelques villes des Pyrénées (Prades, etc.) en France.

Les pressions sur la langue

Dans les deux cas, il y a des pressions sur la langue, à la fois de la culture dominante et des populations migratoires.

Dans le cas du Québec, il y avait, dans les années , une réponse juridique très forte avec la fameuse loi  ordonnant la suprématie de la langue française dans tout aspect de la vie au Québec, et interdisant, par exemple, l’utilisation d’autres langues, même l’anglais, dans l’affi- chage. Cette loi était probablement anticonstitutionnelle, mais le gou- vernement fédéral de l’époque a décidé de la tolérer pour éviter des pro- blèmes suite à la crise des terroristes du Front de Libération de Québec (F.L.Q.) en .

Après une bonne vingtaine d’années où l’on voyait même le spectacle comique de policiers mesurant la taille des lettres des affiches dans les langues autres que français, la loi a été assouplie pour permettre l’affi- chage en anglais.

En réalité, la situation linguistique du Québec est compliquée par l’existence dans la loi canadienne de droits différents pour des groupes distincts. La combinaison des législations provinciale et fédérale avait pour résultat la création de quatre groupes ayant des droits linguis- tiques distincts :

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˛ Nations « fondatrices » : ˛ Francophones ˛ Anglophones

˛ « Premières » nations (tribus amérindiennes, Inuits, etc.)

˛ « Allophones » (tous ceux qui n’appartiennent à aucun des autres groupes — c’est à dire, immigrés)

En ce moment, il n’y a pas beaucoup de flux migratoire vers le Québec provenant du reste du Canada — au contraire, la pression migratoire interne est plutôt un flux d’émigrés qui quittent le Québec pour échap- per à un isolement économique dû, justement, à l’isolement linguis- tique. Les jeunes québécois n’ont plus peur de se perdre dans l’océan anglophone, et ont tendance à être totalement bilingues. D’une cer- taine manière, la loi  a fonctionné peut-être trop bien.

La Catalogne est une des régions les plus riches de l’Espagne, et Bar- celone, sa capitale, est la deuxième ville du pays. Pour cette raison, il est souvent difficile de communiquer dans la langue catalane. L’exemple le plus frappant est peut-être celui de Perpignan, où, dans les années  le catalan était langue courante parlée dans la rue. Maintenant, suite à un flux de retraités parisiens, le catalan a disparu de cette ville qui se dit pourtant toujours « la catalane ». En Catalogne espagnole, il y a deux flux hispanophones qui sont perçus comme menaçant par les Catalans : le flux migratoire interne, notamment d’Andalousie, et les immigrés d’Amérique Centrale et du Sud, qui sont venus en Espagne pour ne pas avoir à apprendre une nouvelle langue, et qui donc rejettent le catalan d’une manière frappante.

Une immigration croissante en provenance du Maghreb commence à créer les mêmes tensions entre populations qu’on voit depuis quelque temps en France.

La Catalogne joue la carte de l’immigration pour donner une prio- rité au catalan et combattre le flux hispanophone. La politique linguis- tique est de favoriser le Catalan comme pont pour les nouveaux-arrivés d’autres pays. Les écoles offrent des groupes supplémentaires (pendant les  premières années après l’arrivée) aux étrangers pour acquérir non seulement la langue, mais aussi la culture catalane.

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L’environnement socio-culturel

Les deux entités se voient comme nation : Toutes les deux ont un « assemblé nationale ». La chanson «Mon Pays » de Gilles Vignaux est

devenu l’hymne « non officiel » du Québec.La Catalogne se proclame « nation sans état ».

Dans ces deux espaces il y a une forte politique d’encouragement, voire de contrainte à l’apprentissage de la langue locale. Curieusement, il est très difficile d’utiliser un catalan acquis dans la vie quotidienne ; presque comme mesure de défense, un catalan qui détecte un accent quelconque change tout de suite en castillan, langue qui n’est pas force- ment mieux maîtrisée par un immigrant de Sri Lanka, par exemple.

Dans le Québec des années , on a vu le même phénomène. Si l’ont parlait français avec un accent, les québécois avait l’habitude de bascu- ler toute de suite en anglais, disant «we can understand you better... »

Cette habitude n’est plus d’actualité.

L’isolement culturel et linguistique de ces deux sociétés et l’amour qu’elles éprouvent, chacune, pour sa langue, font en sorte que le niveau de création et de frémissement culturels dans les grandes villes (Mont- réal, Barcelone) va au delà de ce qu’on attend des villes de leur taille.

On assiste donc à l’explosion de la chanson québécoise, par exemple, avec Robert Charlebois, Gilles Vignaux, Céline Dion, la «nou cançò »

(nouvelle chanson) catalane des années  revendiquant la catalani- tude de Lluis Llach, Raimon, Maria del Mar Bonnet, Sise, Sarrat, etc. et un rock catalan de nos jours qui continue cette tradition revendicatrice. Dans les arts de spectacle au Québec rayonnaient des artistes comme Robert Lepage, Carbonne  ou le Cirque du Soleil, tandis qu’en Cata- logne ce sont les arts plastiques (Mirò, Tapies, Subirachs, etc.) et l’archi- tecture (pa seulement Gaudì et les autres modernistes, mais aussi Bofill et Calatrava) qui représentent cette explosion de créativité.

Mail il ne s’agit pas simplement d’encourager le développement des artistes, mais de créer une fflorescence d’institutions artistiques qui donnent l’espace et l’opportunité aux jeunes et aux avant-gardistes de tester leurs idées et d’avancer.

Si l’on regarde la liste des institutions à Montréal et à Barcelone (sub- ventionnées, il faut le dire, par la ville de Barcelone et non la Generali- tat), on est toujours étonné par le niveau d’activité d’invention dans ces deux villes.

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