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DES ACTES , DES CONTEXTES

2.3. TÂCHES ET ACTIVITE

2.3.2. La notion de tâche

Il peut être utile de rappeler ici ce que recouvre la notion de tâche.

Léontiev (1976) la définit comme étant un but donné dans des conditions déterminées. Ce qui amène Leplat et Hoc (1983) à distinguer dans un premier temps le concept de tâche prescrite (tâche conçue par celui qui en commande l’exécution) et celui de tâche effective (ce que fait effectivement le sujet).

Figure 1: De la tâche à réaliser à l'activité décrite en termes de tâches. Les flèches indiquent un lien de dépendance (d'après Leplat, 1983).

Les étapes 3 à 7 correspondent à l’activité de travail avec ses observables et inobservables (les comportements et les aspects mentaux, cognitifs et conatifs, le tout étant également signifié dans le concept de conduite).

Pour Karnas (1987) la difficulté de l’approfondissement des analy-ses tient à ce que la tâche peut être à la fois et selon les moments de l’analyse l’un des composants ou l’une des résultantes des condi-tions de travail. Ceci aboutit donc à des méthodes différentes : les unes descriptives centrées sur le type, l’enchaînement et la nature des tâches à effectuer, les autres compréhensives pour saisir les conduites et l’activité de travail et en éclairer les motifs et les réper-cussions (ce qui évidemment ne dispense pas d’une appréhension fine de la tâche prescrite). Karnas (1996, 2002) s’inscrit dans cette dernière approche.

Figure 2 : Schéma d’analyse du travail. (d’après Karnas, 1996).

Ce schéma laisse clairement deviner les différentes méthodes indis-pensables (et en constante évolution) pour ce type d’analyse : les méthodes d’observations - (directes, indirectes, différées, répétées, temporellement échantillonnées, ouvertes, standardisées, armées) – et les méthodes de verbalisations (simultanées, interruptives, diffé-rées avec ou sans support de traces de l’activité).

Il n’est pas dans notre propos de reprendre de manière imparfaite ce que nombre d’auteurs ont en leur temps bien expliqué, et le lecteur pourra se référer à ces travaux. Nous voudrions seulement faire remarquer que ces notions sont toujours en étude car elles évoluent avec les problématiques de travail récentes intégrant plus certains aspects psychosociaux par exemple ou soulevant d’autres questions relatives à l’évolution du travail et des nouveaux postes. Quelles nuances est-il pertinent d’explorer dans cette optique ?

Il y a l’idée d’attente et de représentation d’un objectif à atteindre à la fois pour celui qui en commande l’exécution mais aussi pour celui qui la réalise dans la mesure où il se fixe un résultat d’action à partir des représentations qu’il se fait de la prescription. Lorsque le prescripteur et le réalisateur sont distincts la difficulté rencontrée viendra de ce que leurs représentations soient cohérentes avec les prescriptions qui en découlent. En cas d’écart la tâche effective ne correspondra pas aux attentes du prescripteur. Le cas se pose principalement lorsqu’il s’agit de situations nouvelles ou lorsqu’il y a un grand décalage dans les types de compétences des acteurs, par exemple dans certaines situations scolaires.

La tâche à réaliser

Par exemple citons les cas des emplois-jeunes recrutés par les mairies et affectés pour des missions centrées principalement sur l’éducation à la citoyenneté dans les transports en commun, dans certains établissements scolaires : outre que les autres salariés de l’établissement ne perçoivent pas leur domaine d’intervention, il y a souvent dès le départ une divergence ou une différence de perce-ption de la tâche à réaliser s’accompagnant le plus souvent d’un déficit de prescriptions explicites. Ce flou entraîne des écarts inévi-tables entre les attentes des prescripteurs (et plus encore des utilisa-teurs) et les réalisations des employés et génèrent chez eux des sentiments d’insatisfaction et de reconnaissance insuffisante.

Lorsque le prescripteur et le réalisateur ne sont pas distincts, la tâche à réaliser est guidée par les résultats, les effets et le cas échéant par les succès escomptés et donc par l’accès que le réali-sateur peut avoir à une représentation et une anticipation cohérente et non erronée mais également ciblée du but final.

La réalisation d’une œuvre artistique, intellectuelle, culturelle peut correspondre à cette définition. Si l’on cible le succès sur la compréhension et la reconnaissance d’estime par les amateurs avertis de l’œuvre, on ne vise pas le même résultat qu’un succès commercial se traduisant par un chiffre d’affaire élevé.

Des questions particulièrement difficiles à résoudre se posent lorsque la prescription et la tâche à réaliser sont tellement distinctes qu’elles reposent sur des valeurs différentes ce qui place les acteurs des réalisations dans des situations de doubles contraintes et d’injonctions paradoxales dont les effets déstructurant sont connus.

P. Molinier (1999) montre les effets très néfastes, pour le travail et les personnes, d’une dissociation entre le principe fondant la pres-cription finale et l’évaluation du travail, et sa réalisation. Dans cette grande entreprise publique, l’activité traditionnelle (alliant travail technique et relations avec le public) s’élaborait à partir de prescrip-tions directement liées à la qualité attendue du travail technique et des relations avec le public. Elle avait généré un certain type d’organisation du travail. Or la logique économique de rentabilité financière de l’entreprise en se substituant à la logique du travail de qualité et du client satisfait a imposé une autre organisation du travail tournée sur « le chiffre et la rentabilité financière des services ». Ceci entraîne souvent une contradiction et une antinomie entre les critères précédents et actuels du travail de bonne qualité : compétences techniques et relationnelles dans un cas, financières et économiques dans l’autre. Le personnel a des compétences et des repères pour les évaluer dans le premier cas mais pas dans le second. Il vaut mieux dans la nouvelle organisation faire un bon chiffre et un bon rendement financier que produire un travail de grande qualité plus coûteux en temps et en argent et répondre ainsi correctement à la mission du service public. Ceci se traduit par de graves perturbations cognitives et affectives aux niveaux individuel et collectif.

La tâche prescrite suppose chez le concepteur une représentation de la personne qui réalisera cette tâche prescrite, même si cette repré-sentation est erronée, et du modèle de réalisation de cette tâche en

La tâche prescrite

fonction des compétences qu’il attribue à la personne et ou en fonc-tion des étapes qu’il juge nécessaires et suffisantes pour cette réali-sation. Selon sa représentation il donnera des prescriptions plus ou moins explicites ou plus ou moins implicites. La prescription suppose par ailleurs une prévision de stabilité de l’environnement de travail et des réactions de l’opérateur, ce qui est loin d’être toujours le cas (Karnas, 2002).

La tâche prescrite explicite renvoie à une explication formelle, claire et compréhensible de toutes les procédures, consignes et étapes permettant la réalisation de la tâche. On comprend bien que l’explicitation de la prescription peut et doit varier en fonction du degré de familiarité et d’expertise que la personne qui réalise a de la tâche, ce qui exige du prescripteur en amont une bonne connais-sance des possibilités de son « opérateur ».

La tâche prescrite implicite ne fait référence qu’à l’exigence finale, en masquant le déroulement des étapes, supposé connu. Lorsque ces étapes ne sont pas identifiées, celui qui effectue la tâche se trouve confronté aux problèmes entraînés par le manque d’infor-mation, de ford’infor-mation, avec tout ce que cela comporte comme possi-bilités de ralentissement, d’erreurs, d’incidents voire d’accidents.

Lorsque le contexte le permet, la prescription explicite peut mini-miser le décalage entre l’attendu et l’effectif. Cela est envisageable lorsqu’il y a une relative stabilité temporelle dans les modes de réalisation des tâches, et qu’une formalisation précise ne devient pas caduque rapidement. Dans nombre de situations de travail, il est quasiment impossible de répertorier à l’avance et pour une durée définie tous les évènements que l’agent devra prendre en considération pour effectuer ses tâches. Il est précisément demandé une souplesse de réaction permettant le changement de procédures pour répondre à un environnement dynamique et fluctuant. Les situations d’organisation de systèmes coopératifs et de répartitions des tâches sont un des cas illustrant ce propos ainsi que l’évoque Vanderhaegen (1999) pour le contrôle de trafic aérien.

Les tâches à réaliser en direction de personnes (clients, patients, usagers) avec partage d’informations répondent aussi à ce cas de figure. L’explicitation détaillée des prescriptions est impossible il faut donc accentuer les efforts de formation des novices sur la connaissance et la maîtrise du maximum de constituants et de déterminants de la tâche.

L’élève, surtout s’il est jeune et en situation de transition, ce qui est le cas en classe de 6ème, a besoin pour des tâches faisant appel à des apprentissages nouveaux de prescriptions explicites (Lancry-Hoestlandt, 2000). Le plus souvent dans l’enseignement général les consignes font état du but final et de son échéance sans détailler les étapes à suivre. Lorsqu’un travail à faire à la maison est évalué il est difficile de savoir en l’absence de prescriptions explicites ce que cache le devoir non rendu : une non perception ou une incompré-hension des consignes temporelles pour la remise du devoir ? Une incompréhension des différents documents à utiliser pour effectuer le devoir ? Ou une utilisation non judicieuse de l’ordre dans lequel utiliser ces documents ? Ou encore une incompréhension de la

Tâche prescrite explicite

Tâche prescrite implicite

Le cas de la situation scolaire

notion sur laquelle porte le devoir ? Dès lors que signifie la note, et quelles difficultés réelles révèle-t-elle ? Comment et sur quoi faire porter l’effort d’explicitation si l’on ne se donne pas les moyens de repérer les points défaillants ?

L’enseignant est lui aussi en face d’une situation complexe : il est à la fois prescripteur et réalisateur. Il est tenu de respecter un programme d’enseignement et d’acquisitions pour ses élèves vis-à-vis de sa hiérarchie. Dans le même temps il est prescripteur pour ses élèves, face à un public dynamique et en réalité peu homogène au regard des compétences cognitives pouvant être sollicitées effi-cacement. Des prescriptions très explicites à propos de la démarche à suivre pour réaliser un exercice à la maison peuvent convenir à certains enfants et être inutiles pour d’autres. En situation collective de cours l’enseignant peut avoir prévu un déroulement très ordonné pour faciliter l’acquisition d’un apprentissage et se rendre compte que ce jour-là, avec ces enfants là, il n’arrivera pas à enchaîner les tâches comme il les avaient préparées. Il lui faut donc modifier de manière dynamique et dans l’action le déroulement des tâches et peut-être même les objectifs d’apprentissage prévus pour ce jour-là.

Pour ce faire il faut que l’enseignant ait une connaissance suffisante de son public et de ses possibilités et difficultés de façon à trouver d’autres manières de parvenir au même but. On voit par là que la pédagogie (qui répond à la question « comment faire passer certai-nes notions, comment enseigner») a tout avantage à s’appuyer sur les connaissances de l’analyse psychologique du travail (qui répond aux questions « quoi, pour quoi, pourquoi, pour qui, quand, où, dans quelles conditions »). On voit également l’intérêt d’intégrer dans la formation des futurs enseignants des questions relatives au développement psychologique des élèves et au travail.

Lorsque l’on examine de plus près l’enfant au travail dans sa classe, on se rend compte que l’objectif final d’une prescription à réaliser seul par l’enfant peut être une tâche qui sera évaluée c’est-à-dire notée. L’évaluation portera sur le résultat final présenté.

On peut appeler cette tâche la tâche principale : celle sur laquelle portera l’évaluation. Pour arriver à ce résultat il faut préalablement accomplir d’autres tâches nécessaires mais non suffisantes pour aboutir à la tâche finale. Il faut donc mettre en œuvre des compé-tences diverses intervenant dans les diverses étapes : par exemple : savoir se servir d’un dictionnaire, d’un compas, d’un rapporteur, lire un tableau ou un graphique, se servir du manuel de grammaire, se mémoriser les exigences de présentation du travail qui sont toutes différentes d’un professeur à l’autre, avoir compris pour quel jour le devoir doit être rendu et être capable d’anticiper et de planifier les différentes opérations etc…

Ces tâches intercalées et préalables peuvent être appelées tâches secondaires et appellent des compétences propres. L’évaluation ne porte en général pas sur elles mais une mauvaise maîtrise de l’une d’entre elles empêche partiellement ou totalement l’accès à la réali-sation de la tâche principale. Le souci de comprendre d’où viennent les difficultés de l’enfant (traduites notamment par des mauvaises

Tâche principale

Tâche secondaire

notes) doit donc passer par une analyse approfondie des préalables de tous ordres à réaliser pour accéder à la tâche principale.

En situation scolaire on peut observer que pour l’élève la réali-sation de tâche secondaire se présente bien souvent comme une interruption de la tâche principale. En situation collective les occa-sions d’interruptions de la tâche principale sont nombreuses, fré-quentes et diverses. En effet la logique présidant à l’activité de chacun des élèves n’est pas forcément celle du professeur et celle projetée pour eux par le professeur.