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DES ACTES , DES CONTEXTES

2.2. A MBIANCES P HYSIQUES ET T RAVAIL

Les ambiances physiques de travail ont un double rôle dans le travail : elles peuvent présenter des risques pour la santé des salariés, elles peuvent être également sources d’informations utiles pour la réalisation du travail. L’activité de travail intègre ce double rôle ; c’est par son analyse qu’on peut concevoir des moyens de protection vis à vis des risques encourus et qu’on peut identifier les informations utiles au salarié et donc agir pour les conserver.

2.2.1. Rappel historique

Dès l’Antiquité, des environnements porteurs de toxiques sont identifiés et leur caractère néfaste reconnu (le plomb, le mercure par exemple). Au Moyen-Age et à la Renaissance avec Ramazzini, la chaleur, l’humidité, des poussières sont décrites comme des facteurs de risques sur la santé. Puis d’autres caractéristiques d’en-vironnements physiques du travail seront progressivement reconnus jusqu’à nos jours et continuent à l’être du fait des progrès des connaissances, de l’apparition de nouveaux produits et de nouvelles technologies et même de situations de travail en milieu extrême (hyperbare, apesanteur par exemple). Jusqu’au 18ème siècle les actions portent surtout sur la conception et le port de moyens de protection individuels (masques en vessie animale vis à vis de la ceruse chez les peintres, des poussières chez les polisseurs de métaux, des lunettes chez les ébarbeurs). La préoccupation de réduction à la source apparaîtra au cours des deux derniers siècles et se traduira par des normes. La reconnaissance de ces ambiances physiques comme sources d’informations utiles au travail se déve-loppera avec la psychologie du travail et l’ergonomie au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle.

2.2.2. Les composantes des ambiances physiques

Le terme d’ambiance physique recouvre une grande variété de composantes :

1. Les unes font partie de tout environnement de travail : envi-ronnement thermique, sonore, lumineux, d’autres sont liées au type de travail réalisé : toxiques, poussières, radioactivité, agents biologiques…

2. Certaines sont perçues par l’organisme, surtout si leur intensité s’accroît : ambiances chaudes ou froides, bruits intenses, pous-sières ; d’autres non, et ne sont reconnues que par des moyens de mesure : radioactivité, toxiques sans odeur…

3. Certaines nécessitent que l’opérateur soit protégé de ces envi-ronnements par une réduction à la source ou par des équipe-ments individuels de protection (EPI). D’autres nécessitent que l’environnement soit protégé de l’opérateur lui-même : milieu dépoussiéré (salle blanche), aseptique (salle d’opération, soins au malade…) ;

4. Toutes participent d’une manière ou d’une autre à la réalisa-tion du travail parce qu’elles sont sources d’informaréalisa-tions et/ou parce qu’elles obligent à des stratégies de protection, d’évite-ment modifiant très forted’évite-ment l’activité (travail en milieu hyperbare, en radioactivité…).

2.2.3. Quelques données chiffrées

Si quelques ambiances physiques à risque ne concernent que des populations très restreintes, d’autres sont encore très répandues.

Plusieurs enquêtes périodiques menées en France par le Ministère du Travail permettent d’estimer les populations actives exposées à quelques unes des ambiances physiques pendant leur travail : l’enquête Summer interroge les médecins du travail sur les risques professionnels des salariés dont ils ont la charge ; l’enquête Condi-tions de travail interroge les salariés eux-mêmes sur la perception qu’ils ont de leurs conditions de travail.

Quelques exemples tirés de ces enquêtes sont significatifs à cet égard :

– Le bruit : si on estime à 85 dB le seuil au-delà duquel il y a risque, au moins auditif, les médecins du travail (Summer 1994) estiment à 13% les salariés exposés. Le pourcentage de salariés déclarant ne pas entendre une personne qui leur parle normalement à 2-3 mètres de distance est de 18% (enquête Conditions de travail 1998). Ce pourcentage varie bien évidem-ment suivant les catégories professionnelles : il n’est que de 6%

chez les cadres, il atteint 36% chez les ouvriers qualifiés, et 37% chez les ouvriers non qualifiés. Le seuil de 85 dB est le résultat d’un consensus social en référence avec des connais-sances scientifiques : en effet certains salariés peuvent dévelop-per des surdités pour des niveaux inférieurs à 85 dB, surtout lors d’une exposition prolongée ; mais ces pathologies sont de plus en plus fréquentes au-delà ; et les risques augmentent avec la durée de l’exposition.

– L’exposition à des agents biologiques : « les agents biologi-ques sont des micro-organismes susceptibles de provoquer une infection, une allergie ou une intoxication ». On distingue les situations d’exposition dites « délibérées » lorsque ce sont ces agents biologiques qui sont l’objet direct du travail (laboratoires de recherche ou de développement utilisant des micro-organis-mes) et les situations d’expositions potentielles lorsque les salariées ont une probabilité d’être en contact avec des micro-organismes (industrie agroalimentaire, élimination des déchets, services funéraires …). On classe ces micro-organismes en 4 catégories, le groupe 1 n’étant pas susceptible de provoquer une maladie chez l’Homme jusqu’au groupe 4 pouvant provoquer une maladie grave avec un risque de propagation élevé dans la collectivité et ne pouvant être l’objet ni de prophylaxie ni de traitement efficace. Environ 10% des salariés en France est exposé à des agents biologiques, de manière délibérée pour 5%

d’entre eux et 97% de manière potentielle, certains pouvant cumuler les 2 situations, et dans 37% des cas les risques patho-gènes sont réels (groupe 2-3 et 4).

– L’exposition à des agents chimiques concerne près d’un tiers de la population salariée ; les secteurs à risque sont ceux de la construction, de la chimie, de la métallurgie, des produits miné-raux, du bois et du papier, de la santé et l’agriculture, et il y a une forte disparité selon les catégories socio-professionnelles puisque 54% des ouvriers sont concernés, 21% des employés et 8% des cadres supérieurs. Les risques sont fonction des produits, de la durée et de l’intensité des concentrations.

Cependant, du fait que de nouveaux produits ou de nouveaux mélanges de produits naissent et sont diffusés chaque jour dans

les entreprises, on ne connaît pas toutes les conséquences de ces produits sur l’organisme dont certaines peuvent être à moyen ou long terme.

– Ces quelques exemples quantitatifs sont significatifs : d’une part des environnements physiques « classiques » et anciens persistent, d’autre part de nouveaux risques se développent soit du fait de nouveaux produits soit du fait d’une extension des secteurs et des populations de salariés concernés.

2.2.4. Les conséquences d’environnement à risque sur l’activité

On peut distinguer trois grandes catégories de conséquences sur l’activité :

– Ces environnements modifient l’état fonctionnel de l’opéra-teur : ainsi, le travail à la chaleur limite la capacité de travail physique ; en effet, la sollicitation du système cardio-vascu-laire est double : d’un part par la thermorégulation, d’autre part par l’exercice musculaire et les limites de l’activité physique sont alors plus vite atteintes en ambiance chaude qu’en am-biance tempérée. Le travail en hyperbare entraîne des troubles de la mémoire immédiate et des raisonnements, même avec les mélanges gazeux utilisés actuellement.

– Lorsque les risques de ces environnements ne peuvent être supprimés à leur source, ils obligent à des moyens de protec-tion individuels qui limitent ou transforment l’activité de travail : qu’il s’agisse de protéger l’opérateur de ces environne-ments : travail en milieu radioactif, toxique… ou qu’il s’agisse de protéger l’environnement d’une contamination par l’opéra-teur (salles blanches, aseptiques…). Le port de ces moyens peut entraîner des gênes dans la gestuelle, les prises d’information (sonores, visuelles…), les coordinations avec les collègues, les ambiances très dangereuses entraînent un temps limité d’expo-sition ; les tâches doivent y être exécutées rapidement et avec une attention très soutenue.

– Enfin ces risques sont perçus et intégrés par l’opérateur : il peut les négliger et à la limite accentuer les risques encourus : c’est ce que Cru (1987) a montré dans certains groupes (idéologie défensive de métier) ; il s’agit de surmonter la peur en la niant et en prenant des risques au-delà de ce qui est nécessaire ; mais ces risques peuvent conduire à l’inverse à des activités de prudence, ou d’évitement.

2.2.5. L’identification des risques et leur prévention

Dans la majorité des cas les environnements physiques peuvent être mesurés : mesure des bruits, des ambiances thermiques, mesure de l’empoussièrement, de la concentration de toxiques, de la radio-activité. D’autres sont plus difficiles comme la mesure du degré d’asepsie dans l’atmosphère mais aussi sur des instruments (soins,

opérations). Ces mesures physiques permettent d’évaluer les risques lorsqu’on tient compte de la population concernée (âge, parcours de situation de travail, ancienneté dans ces environne-ments) et du type de travail (durée et modalité d’exposition), par exemple pour les toxiques suivant leur mode de pénétration (respi-ratoire, cutanée). Les mesures mises en relation avec les mécanis-mes biologiques concernés et leurs conséquences physiopatho-logiques ont permis de définir des normes : normes en terme de seuil de concentration et de durée d’exposition, norme en terme de confort (thermique, luminance) suivant les types d’activité.

Mais ces normes ont leur limite : en effet, ces normes ne tiennent pas compte de l’activité de l’opérateur, des modalités de sa con-frontation avec l’environnement au cours du travail ; et des trans-formations de ces environnements pour mise en conformité avec les normes peuvent accroître des difficultés pour l’opérateur si on n’a pas identifié au préalable les informations qu’il utilise et les modalités de son action : deux exemples sont révélateurs à cet égard :

– dans un atelier de petites presses, une opératrice doit prendre une tôle sur une pile à sa droite, la glisser sous une presse à découper, actionner cette presse et évacuer les déchets. Chaque tôle a une face supérieure et une face inférieure qui doit être respectée lors de son positionnement sous la presse ; l’opéra-trice reconnaît la face supérieure au fait qu’elle distingue les caractéristiques d’un reflet lumineux sur cette face produit par une lampe à la gauche de la presse : il est décidé de modifier l’éclairage de l’atelier pour le rapprocher des normes, après ces transformations l’opératrice a perdu l’indice de reconnaissance de cette face supérieure et rencontre des difficultés pour distin-guer cette face de l’autre.

– une ouvrière est chargée de tremper des pièces usinées dans un bain de dégraissage qui émet des vapeurs toxiques ; un système d’aspiration à la surface du bain permet de diminuer ce toxique dans l’atmosphère ; or l’ouvrière n’est pas complètement proté-gée ; en effet, elle met à tremper ces pièces dans une sorte de panier à frites ; puis après un temps défini, elle les sort et les égoutte en secouant ce panier au-dessus du bain, l’aspiration efficace au niveau du bain ne l’est plus lorsque le panier est au-dessus de la surface de ce bain.

Dans ces deux cas une analyse de l’activité aurait permis d’amé-nager l’environnement pour l’un en conservant ses repères, pour l’autre en la protégeant des toxiques de manière plus efficace.

2.2.6. Les équipements individuels de protection

Le pourcentage de salariés utilisateurs d’EPI a augmenté entre 1996 et 1998 (enquête Conditions de travail du Ministère du Travail) ; on est ainsi passé de 36% à 45% d’utilisateurs hommes et de 9% à 45% d’utilisateurs femmes entre ces deux dates. Cette augmentation peut être due à une meilleure reconnaissance des situations à risques, à leur augmentation et/ou à des progrès dans la conception des EPI, diminuant la gêne qu’entraîne leur port. Un

EPI est un écran entre l’opérateur, l’environnement, l’objet de travail et les outils ; son acceptation par l’opérateur est surtout liée à sa qualité, son confort ou sa moindre gêne, mais aussi à son esthétique et sa personnalisation ; une combinaison trop étanche ne permet pas d’évacuer la sueur et donne une sensation d’inconfort rapidement ; mal adaptée aux dimensions de chacun elle accentue la difficulté de déplacement, de précision des gestes ; uniformisée, elle rend difficile l’identification des collègues ; mal entretenue, elle peut se déchirer et diminuer son efficacité. Le port de gants par des infirmières peut être interprété par le malade comme une mise à distance de son corps malade par le personnel soignant. Les con-traintes vestimentaires imposées par exemple dans les salles blan-ches, gênent la visibilité, le toucher et la précision des gestes, elles limitent les déplacements hors des locaux concernés du fait des contraintes d’habillage et de déshabillage ; elles peuvent être inter-prétées par les opérateurs comme matérialisant le fait que le corps humain est sale et polluant.

Les normes des EPI ont fait l’objet d’une directive européenne en 1998. Et suivant les risques encourus ils font l’objet de certifi-cations différentes : auto certification par le fabricant si le risque est mineur, test de certification par un organisme extérieur et agréé pour les risques intermédiaires ou élevés.

Les environnements physiques sont soit neutres soit à risques : dans ces derniers cas, ils sont des facteurs déterminants des acti-vités des opérateurs : ils modifient les stratégies de travail, l’organi-sation individuelle et collective du travail, les relations entre collè-gues ; les intérimaires sont alors des populations à risques dans ces situations : ils sont en apprentissage des règles des métiers, des moyens d’évitement de protection vis à vis de ces risques ; les salariés précaires, qui craignent pour leur emploi, privilégient la performance à la protection. Les actions à mener portent d’abord sur la réduction des risques à la source ; en cas d’insuffisance ou d’impossibilité de ces actions, on peut agir sur l’organisation du travail, la formation et proposer le port d’EPI. Cependant toute action dans ce domaine doit reposer sur une analyse préalable de l’activité pour rendre compatibles les actions aux exigences et modalités de la réalisation des tâches par les opérateurs novices et expérimentés.