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Note authentique, non datée, consignée par Sénar

Dans le document VINCENT le dix-septième Louis, Georges PLAS (Page 110-117)

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Note authentique, non datée, consignée par Sénar.

« Gabriel-Jérôme Sénar était avocat à Tours. Devenu secrétaire-rédacteur du Comité de sûreté générale en 1793, il était logé dans l'enceinte même du Comité, dont il ne sortait qu'accompagné d'un gendarme », note de Beauchesne. « Il a ouvert tous les cartons et tenu dans ses mains les pièces originales, il a assisté aux délibérations, il a connu le nœud des intrigues, il a recueilli des paroles mystérieuses échappées de la bouche même des conjurés... » Mémoires de Sénart,

111 Bien ! Pierre, nous devons décider dès aujourd'hui de la conduite à tenir à propos du petit Capet. Le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale s'y intéressent de trop près. Il risque de ne pas rester sous notre garde bien longtemps.

Allons, crois-tu qu'ils puissent ôter au Temple la garde des prisonniers ? Non ! Mais ils peuvent fort bien transférer l'enfant en un autre lieu en

prenant prétexte que tu l'as toi-même demandé. Robespierre n'attend qu'une occasion, il exploitera la moindre faille.

Oui ! Si nous ne prenons pas les devants, c’est lui qui nous devancera. Que proposes-tu ?

Nous allons faire ce dont ils rêvent tous : transférer Charles en un lieu connu de nous seuls et le soustraire à la convoitise de nos adversaires. Simon devra nécessairement être mis dans la confidence. A ce propos, il

commence à me fatiguer avec les complots qu'il ne cesse de dénoncer. Il va falloir lui faire entendre raison.

C'est sûr !... Je lui dirai deux mots. Mais où cacher le petit ? Dans Paris où ses environs ! nous serions trahis tôt ou tard. Il faut le mettre hors de portée des convoitises, en un lieu où nul ne pourra le reprendre.

Une longue réflexion interrompt la conversation, ponctuée par le claquement des sabots de Chaumette sur le pavé de la pièce. La solution du problème soulevé ne peut être remise à plus tard. L'homme arrête sa marche brusquement.

 Le pays est vaste. Si nous le pouvons, il faut envoyer l'enfant aux confins du territoire.

Cette réflexion laisse Hébert perplexe.

 Les régions de Toulon, Lyon, Bordeaux, Nantes, sont en proie au soulèvement de leur population. Les régions frontalières du Nord et de l'est sont sous le feu de l'ennemi. Que reste t-il si ce n'est le centre ?

 Le centre est trop proche de la capitale et d'accès trop facile. Les combats en Vendée peuvent aussi s'étendre à cette région. Il ne reste plus que le Massif Central. Personne n'ira le chercher dans ces contrées sauvages et accidentées.

 Peut être ? Avons-nous un homme de confiance sur place ?

 Non seulement ce doit être un homme de confiance, mais il doit être le maître dans son département, libre d'agir sans en référer à quiconque sur le plan local.

112 Tous deux sont maintenant totalement absorbés par la recherche de celui en qui ils devront avoir une confiance absolue. De l'homme qui tiendra leurs vies entre ses mains, tout en risquant la sienne. A ce stade du projet, plus personne ne joue. Les départements de la région sont passés consciencieusement au crible : Allier, Puy de Dôme, Aveyron, Cantal, Haute-Loire... rien de concluant.

Georges Couthon1 est le député de Clermont-Ferrand, s'inquiète Hébert, un sourire agacé au coin des lèvres. Autant mettre un serpent sous les couvertures avant de se mettre au lit.

L'ami de Maximilien ! Le maître absolu de toute l'Auvergne. Il serait informé tôt ou tard. Nos têtes rouleraient dans le panier dès qu'il aurait connaissance de nos intentions. Nous devons étendre nos investigations aux départements limitrophes : Creuse, Corrèze, peut-être le Lot !

Brival ou Lanot les députés de la Corrèze sont proches de nous. Tous deux sont réceptifs à nos idées, cependant le représentant en mission Lanot ne me semble pas fiable, toujours par monts et par vaux. Quant à Brival, il tient la Corrèze sous sa coupe mais se plaît à Paris.

Et puis c'est un homme cultivé qui prend beaucoup d'intérêt à l'instauration du culte de la Raison. Personnage à la fois discret et puissant, introduit dans les rouages clés de l’état. C'est entendu, je m'occupe de Simon, rapproche-toi de Brival. Sonde ses intentions et vois si nous pouvons lui faire confiance.

Sans compter qu'il a un joli brin de plume, conclu Hébert, songeur.

Ils se séparent après avoir mis au point les derniers détails du plan de transfert de Louis XVII, dit Charles Capet. Plan qui ne souffre plus aucun délai. Une première réforme est déjà intervenue le 1er octobre, lorsque les employés sont passés de trente à quatorze, les frais devenant trop lourds. Le personnel restant a été en grande partie renouvelé, seuls sont demeurés les Simon, le chef de bouche Gagnié et un nommé Tison, en place depuis fort longtemps. Chaumette se dépense maintenant sans compter. Le 19 novembre, il renvoie devant le tribunal révolutionnaire huit municipaux faisant habituellement partie de la garde du Temple. Il doit faire en sorte que la garde soit entièrement renouvelée à brève échéance. Le 1er décembre, il fait adopter

1 Georges Couthon, député du Puy de Dôme. Il constitua avec Robespierre et Saint-Just, le triumvirat du Comité de salut public. Il est élu président de la Convention le 12 décembre 1793.

113 par la Commune, un décret concentrant entre ses mains tous les services de police de Paris. La réponse de la Convention est à la mesure du coup de force : le décret de la Commune est annulé le 4 décembre, les postes de procureur et de substitut sont supprimés, le cumul des fonctions électives avec un emploi rétribué par l'état est interdit. Les choses se gâtent singulièrement, la Commune vient de perdre sa toute puissance. La Convention et plus particulièrement Robespierre, Couthon, Saint-Just, sont désormais les maîtres incontestés de la France.

Hébert enrage de voir que Chaumette, en voulant prendre tout le monde de vitesse comme à son habitude, est peut-être en train de couler son projet. Il lui faut rencontrer de toute urgence Brival, qui par chance est encore à Paris, avant qu’il ne reparte en Corrèze pour la fin de l'année. Mais au fait quelle fin d'année, alors que le nouvel an de l'ère républicaine est fixé au 22 septembre, soit le 1er Vendémiaire. Comment le peuple pourra t-il s'accoutumer à ce nouveau calendrier ? Si Brival a prévu de séjourner chez lui fin décembre, n'est-ce pas aussi pour se retrouver en famille à Noël, fête de la Nativité désormais interdite ! Qu'importe, on a besoin de lui, donc inutile de relever cette coïncidence.

La rencontre entre Hébert et Brival est des plus amicale et pour cause. Le journaliste dont l'étoile commence à pâlir, en vient directement au fait : As-tu déjà rencontré le petit Charles Capet ?

En effet, je l'ai rencontré à quelques reprises lorsqu'il séjournait aux Tuileries et plus longuement lorsque j'ai escorté la famille royale à l'Assemblée.

Il est détenu au Temple, mais nous ne pourrons pas le garder éternellement. Comment vois-tu son avenir ?

Je ne sais pas ? Sur le trône, c'est improbable ! Peut-être peut-il être échangé avec des prisonniers de guerre ou encore servir de moyen de dissuasion face à la menace autrichienne.

Chaumette et moi avons décidé de te le confier afin qu'il soit placé en lieu sûr.

Les deux hommes se sont expliqués face à face, mais sous le coup de la surprise, le député éprouve le besoin de s'asseoir afin de regarder plus attentivement le journaliste.

Que dis-tu ? Je n'ai pas souvenir que la Convention ait pris un décret de transfert du prisonnier.

114 La Convention et les différents Comités ne sauront rien. Nous avons

décidé d'agir dans le plus grand secret. Es-tu des nôtres ? Mais pourquoi tant de précipitation ? Que me caches-tu ?

Si je te cachais quoi que ce soit, je ne mettrais pas ma vie entre tes mains. Nous déjouons complot sur complot et c'est la solution que nous avons retenue pour soustraire l'enfant à toutes les convoitises.

N'est-ce pas plutôt pour soustraire l'enfant à la convoitise de Maximilien et en faire votre otage particulier ? Et ensuite, qu'en ferez-vous ?

Nous ne serons pas en Révolution permanente. Dans quelques années le cours des choses va reprendre sa marche avec ou sans la monarchie. Le petit Capet sera une monnaie d'échange de très grande valeur s'il ne s'assoie pas sur le trône. Mais si nous revenons à une monarchie constitutionnelle débarrassée des anciens préjugés, nous l'aurons façonné à notre idée. Nous serons alors les véritables maîtres du pays.

Dans les deux cas vous jouez gagnants, sauf si le complot est mis au jour. C'est beaucoup de risques, mais l'enjeu en vaut sans doute la chandelle. Pourquoi t’être adressé à moi ?

Parce que tu es un ami et j'en ai bien peu, mais aussi parce que tu es le député de la Corrèze. Personne n'ira chercher l'enfant dans un département aussi peu accessible. Je répète ma question : es-tu des nôtres ?

Tu ne me donnes pas le temps de la réflexion, mais c'est mieux ainsi. Trop de réflexion nuit à l'action. Je marche avec vous ! De quelle façon allez-vous allez-vous y prendre et quand l'extraction du Temple doit-elle avoir lieu ? Nous avons réfléchi au meilleur moyen de faire sortir l'enfant. Là où cela

se complique c'est comment allons-nous faire pour combler le vide laissé par son départ, sans éveiller les soupçons. J'y travaille avec Chaumette. Peut-être mettre un nouvel enfant à sa place ?

Nous trouverons, rassure-toi ! Merci pour ton appui. Tiens-toi prêt ! L'enfant te sera confié courant janvier, prends toutes les dispositions pour le transport et l'accueil. Je savais pouvoir compter sur toi, encore merci.

Jacques Brival prend congé de son ami Hébert, conscient d'avoir mis la main dans un engrenage qui peut le broyer. Mais tout compte fait, que risque t-il lui Brival, puisqu'il sera toujours en marge du complot. Si ce projet échoue, ce n'est pas lui qui aura des comptes à rendre. Si le petit Capet lui est remis, il se retrouvera alors en position de force avec la plupart des cartes en main. Une chose malgré tout le préoccupe, à savoir comment les chefs de la Commune vont s'y prendre pour que nul ne remarque l'absence de l'enfant. Il

115 en saura sans doute plus le moment venu. S'il y a danger, c'est au moment où l'enfant lui sera confié et pendant le long voyage vers la Corrèze. Il doit y penser dès maintenant et organiser la prise en charge du petit lorsqu'il sera de retour chez lui. A cet instant, le député de la Corrèze investit d'une mission sortant de l'ordinaire, s'affuble du surnom de Régulus1, se référant probablement au consul romain qui fut envoyé à Rome pour traiter le rachat des prisonniers carthaginois.

Chaumette n'y va pas non plus par quatre chemins et convoque Simon, l’ancien cordonnier devenu instituteur. Celui-ci accourt à la demande de son bienfaiteur après avoir confié Charles à sa femme. L'entretien est bref.

 Que me veux-tu citoyen procureur ?

 Allons mon ami, moins de cérémonial lorsque nous sommes entre-nous. Le « père duchesne » et moi avons décidé d'éloigner le petit Capet du Temple et nous aurons besoin de ton aide et de celle de ton épouse. Nous voulons le retirer très vite, un mois ou deux, tout au plus.

La surprise de Simon est à la mesure de l'annonce. Il va rester un long moment silencieux, les yeux dans le vague, avant de demander :

 Qu'attends-tu de moi ?

 La Convention vient d'interdire le cumul des fonctions électives avec tout emploi rétribué par l'Etat. Dès le début du mois prochain il te faudra choisir. Je te demande d'abandonner tes fonctions d'instituteur, mais tu resteras auprès de Charles jusqu'au moment choisi pour son départ. Nous allons louer un deux-pièces aux Cordeliers où tu conduiras l'enfant, c'est là qu'il sera pris en charge par nos amis.

 Mais j'ai déjà un appartement rue des Cordeliers, au 32. On peut s'en servir.

 Non ! Nous ne prendrons pas de risques. Il est peut-être surveillé. Ceux qui te verront passer avec ta femme pourront ainsi croire que tu vas chez toi, alors que tu te rendras directement à ce nouvel appartement. De plus, tu continueras à loger dans l'enceinte du Temple après t'être démis de tes fonctions. Le logement du gendarme Leclerc vient de se libérer2. Tu

1Marcus Atilius RÉGULUS, général romain, illustre pour son dévouement et sa loyauté. Consul en -256 av. J.C.

2Simon occupera ce logement jusqu’au 2 juillet 1794, date de son départ définitif pour la rue des Cordeliers - Information donnée par Laure de la Chapelle.

116 pourras ainsi accéder facilement à l’enclos par la porte des écuries en évitant de passer devant la garde. Nous en reparlerons, mais de toute façon tu connais le Temple mieux que moi. C'est dans ce logement que le petit sera tout d'abord conduit. Si tu fais une rencontre...1

 Je saurai quoi répondre ! Que par exemple je ne peux pas abandonner l'enfant qui est encore sous ma responsabilité.

 Voilà ! Et ce n'est qu'ensuite, lorsqu'il n'y aura plus de mouvement que vous pourrez partir tous les trois vers les Cordeliers.

 Pourquoi ce déménagement précipité ?

 Capet est en danger ! Trop de complots, donc nous prenons les devants. Pas un mot à qui que ce soit, tu en sauras plus le moment venu.

Les deux hommes se séparent. La tristesse de Simon fait peine à voir. Il a beaucoup de mal à devoir quitter prochainement son petit élève. Sa femme s'est fortement attachée à lui et devoir annoncer cette décision n’ira pas sans larmes. Il lui dira que la raison d'Etat l'emporte sur les sentiments.

Le 22 décembre, à la demande d’Hébert, le maire de Paris Pache fait installer des abat-jour aux fenêtres du deuxième. Ils doivent permettre dans un premier temps d'isoler le couple Simon et leur « protégé » de tout regard indiscret. Chaumette est parti se reposer en province après avoir donné des consignes strictes : Simon ne peut plus quitter ses quartiers jusqu'à nouvel ordre et Tison qui était seul à servir Madame Elisabeth et Madame Royale la sœur du petit Charles, est enfermé dans la petite tour, au secret absolu. Lui seul pouvait servir d'intermédiaire entre les captives et l'extérieur. Tout se met rapidement en place pour la phase finale du projet.

Au même moment, le député procureur-général-syndic de la Corrèze est de retour sur ses terres après un détour par Bordeaux. Celui qui tient sous sa férule l'ensemble du Limousin est tenu informé des violentes émeutes qui viennent de se dérouler à Meymac, sur le haut-plateau corrézien. Elles sont une réaction aux saccages et profanations des édifices religieux de cette région par les jacobins. Son ami le représentant en mission Lanot, s'est transporté sur place avec le tribunal criminel, la garde nationale et deux guillotines pour écraser la rébellion. Son compte-rendu des évènements est édifiant : « je me

contentais de requérir cent hommes de cavalerie, deux cents gardes nationales

1Ce passage a été rédigé en tenant compte des informations données par Philippe Conrad – L'énigme du roi perdu (Editions Du May)

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d'élite, deux pièces de canon et une compagnie d'artillerie et de mettre en réquisition deux bataillons pour marcher au premier avis, la guillotine ne fut pas oubliée... »1 Les exécutions ordonnées par « la hyène » vont selon son expression, « étouffer toute espèce de germe d'insurrection ». Ce qui n'empêchera pas le Comité de salut public de le rappeler à Paris le 5 Ventôse de l'an II (23 février 1794) pour un vigoureux rappel à l'ordre, car Robespierre n'apprécie pas ses prises de position « hébertistes ». Lanot lui fera alors publiquement allégeance et lui restera fidèle jusqu'à la fin.

Jacques Brival qui estime à juste raison que son adjoint peut fort bien s'occuper seul du maintien de l'ordre, va consacrer les derniers jours de l'année 1793 à des distractions d'une toute autre nature. En effet, l'abbé Jean-Charles Jumel nommé à Tulle deux ans plus tôt pour seconder l'évêque constitutionnel Jean-Joseph Brival, oncle du député, a décidé de se marier en grandes pompes. Ce curé qui dans sa jeunesse avait prêché l'amour et l'obéissance des rois et des grands, est devenu membre du Comité de salut public local. Il publie une feuille hebdomadaire : « la correspondance du père duchêne » dans laquelle il donne libre cours à son délire, appelant aux habituelles exactions contre les nobles et les modérés. Après avoir abdiqué de la prêtrise constitutionnelle le 16 novembre, Jumel dévaste la cathédrale de Tulle « ...arrachant, jetant,

brisant tout, et animant par ses blasphèmes et son impétuosité ses trop fidèles satellites à suivre son exemple... »2 .Les autres églises ne sont pas épargnées par sa fureur révolutionnaire. Enfin, pour couronner cette brillante épopée, il décide de se marier le 30 décembre dans la cathédrale devenue pour l'occasion « Temple de la Raison ». Jeanne Peuch, la jeune épouse, personnifiera la déesse Raison. Tous les notables sont conviés à la cérémonie, dont le député Brival, qui fait en la circonstance un discours mémorable3.

Dans le document VINCENT le dix-septième Louis, Georges PLAS (Page 110-117)