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Chaumette est nommé procureur-général-syndic le 1 décembre 179

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Louis XVII et l’énigme du Temple - G. Lenotre (1920)

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Chaumette est nommé procureur-général-syndic le 12 décembre 1792.

3 La France compte à cette époque environ 28 millions d’habitants (selon le recensement de 1801). Par conséquent, c’est moins de 10% de la population adulte masculine qui a désigné les grands électeurs.

65 À la prison du Temple, la vie s’organise tant bien que mal. L’attitude des détenus surprend les commissaires de garde. « Je ne reconnais point les

détenus au ton hautain que Cléry leur attribue... Au contraire, je les ai trouvé affables, simples et même gais... » relève le municipal Verdier. Et pourtant, le

29 septembre la Commune prend un arrêté ordonnant la « translation du roi dans la grande tour ». Il doit se séparer sur le champ de sa famille et sera accompagné de son valet de chambre Cléry. Les prisonniers obtiennent cependant l’assurance de pouvoir manger ensemble. Les citoyens Hébert et Simon ayant été tirés au sort pour prendre leur tour de garde ce jour-là participent donc au déménagement du roi. Le substitut et son compagnon se montrent touchés par la séparation. « Je crois que ces bougresses de femmes

me feraient pleurer », proclame l’un d’eux.

Le cordonnier Antoine Simon est un homme vigoureux malgré ses cinquante-six ans. Une physionomie des plus ordinaires et une face, encadrée par une tignasse hirsute émergeant d’un large chapeau, d’où ressortent deux yeux d’un bleu délavé. Bien loin malgré tout de la tenue débraillée du sans-culotte traditionnel, il est très correctement vêtu, sa femme prenant grand soin de ses effets. Sous des airs renfrognés qui relèvent plus de la contenance qu’il se donne que du mauvais caractère, c’est un homme affable et serviable. D’une instruction des plus frustes, il est néanmoins un lecteur tout aussi besogneux qu’assidu du « Père Duchesne ». Membre de la section du Théâtre Français, l’une des plus en vue de la Commune, il est dès les premières séances, investi de la confiance générale. « Il n’en reste pas moins incompréhensible que, dans

la section de Danton, de Camille Desmoulins, de Brune, de Marat, de Chaumette, de Fabre d’Églantine, de Legendre, de Momoro, un tel déclassé soit devenu un personnage, et plus encore que, élu membre de la couronne, il ait été accueilli à l’Hôtel de Ville comme un renfort d’importance » s’étonne

G. Lenotre. Mais faut-il réellement s’en étonner ? N’est-il pas l’ami de tous ? Un homme simple et droit !

Les travaux entrepris au Temple pour fortifier les défenses de cet édifice grèvent fortement le budget de la Commune. Une commission de suivi des travaux est nommée, avec à sa tête le cordonnier Simon. Il se charge de faire débloquer les fonds alloués par l’Assemblée législative à la Commune, pour l’entretien de la famille royale, soit cinq cent mille livres. Hébergé à la salle du Conseil, toutes les pièces du Temple lui sont accessibles. Il en connaît les moindres recoins et peut pénétrer chez les prisonniers en dérogeant aux consignes, sans se voir opposer une quelconque interdiction. Les princesses

66 l’appellent souvent, le sachant prompt à les satisfaire, quitte à courir chez les marchands. La reine dira de lui : « Nous sommes fort heureuses de ce bon

Monsieur Simon qui nous procure tout ce que nous demandons ».

Dans le même temps s’ouvre le procès de Louis XVI, à l’instigation de Saint-Just, jeune homme de vingt-cinq ans, nouvellement élu à la Convention. Son discours virulent et sans concession proclame : « Louis doit régner ou

mourir ». L’acte comporte trente-trois chefs d’accusation, dont le roi prend

connaissance le 11 décembre, devant les conventionnels. Il s’insurge vigoureusement à l’énoncé du troisième : « Vous avez fait marcher une armée

contre les citoyens de Paris, vos satellites ont fait couler leur sang… » Ce seul

article discrédite toute l’argumentation, car Louis s’est toujours refusé à verser une seule goutte de sang. « Si l’armée campée sous Paris eût été destinée à

l’attaquer le 12 juillet 1789, quelle force aurait pu lui résister ? »1

répondra-t-il. Eût-il été là devant ses accusateurs s’il avait réprimé dans le sang les émeutes ? Ses ennemis n’auront pas tant de scrupules à faire couler à flots le sang de leurs concitoyens. Les débats durent vingt-quatre jours durant lesquels le roi ne peut revoir sa famille. Ils parviennent malgré tout à correspondre2 grâce au valet de chambre Cléry. Mais l’issue sera sans surprise, car l’un des princes de la parole, Robespierre, vient de jeter tout son poids dans la balance. Le procès du roi est une mascarade essentiellement à charge. Quels crimes Louis a-t-il commis ? Pour que la Révolution prenne son essor, on fabrique de fausses preuves, on élimine les témoins à décharge, on excite le

1 « Appel de Louis XVI à la Nation – 1793 » chez Flammarion.

2 « Si près de vous mon frère et en être séparée plus que si les mers étaient entre nous ! Ne pouvoir pas entendre le son de votre voix ! Pourquoi nous priver de ce bonheur de nous revoir ? Que pourrions-nous vous apprendre, nous qui ne savons rien ? La reine demande sans cesse aux commissaires quand nous pourrions être réunis. Ils répondent d’une manière froide et énigmatique, quelquefois insolente et qui mettrait en colère, si je ne savais que la patience peut seule rendre méritoires les maux que nous souffrons. Qu’ils sont cruels depuis le 11 ! Cependant vos lettres les adoucissent. Puisse le ciel récompenser dignement celui qui nous a ménagé le moyen de supporter la vie ! Que ce que vous dites à Charlotte pour le jour de sa naissance est touchant ! Quelle différence en effet, du morne silence qui règne dans cette tour, au concours du peuple qui se pressait pour voir votre premier-né ! Pompe, gloire, bonheur, tout a disparu pour nous sur la terre, mais nous retrouverons une nouvelle patrie où rien ne nous séparera. La Reine conserve toujours des espérances que je crois bien illusions. Vos enfants sont tristes, mais se portent bien : pour moi, je ne vis que pour vous aimer. Puis-je encore vous le dire ? Élisabeth. »

67 peuple : « le peuple aura du pain dès que le premier accapareur aura porté la

tête sur l’échafaud ». « ... si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ? » s’écrie Robespierre. Le principal

défenseur du roi, Malsherbes, y laissera la vie. Tout est écrit d’avance !

Invité à faire connaître son choix à la tribune de l’Assemblée, Jacques Brival député de la Corrèze s’écrie : « Être indulgent envers Louis, ce serait se

rendre complice de ses crimes. La Convention se couvrirait d’infamie si elle ne condamnait pas Louis à la mort ». Il se prononce donc pour la peine de

mort sans le bénéfice du sursis, ce triste 18 janvier 1793, tout comme l’ancien prince-franc-maçon Louis-Philippe d’Orléans dit Philippe-Egalité. « Il était le

seul qui pouvait se permettre de ne pas voter la mort », dira de lui

Robespierre, marquant par cette réflexion son plus vif mépris à l’encontre du personnage. La mort du roi est votée par 387 députés dont 26 se prononcent pour débattre sur un report possible. La détention ou le sursis recueillent 334 voix. Par conséquent, 361 députés se prononcent pour une exécution sans délai, contre 3601. La mort sur le champ a bel et bien été votée à une voix de majorité, lors de cette première séance.

Article premier : La Convention nationale déclare Louis Capet dernier roi des Français, coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d’attentats contre la sûreté générale de l’État.

Article deuxième : La Convention nationale décrète que Louis Capet subira la peine de mort.

« Sire, ils ont voté la mort », ainsi s’exprime l’un des deux

conventionnels délégués pour lui annoncer le verdict. L’abbé Edgeworth, prêtre réfractaire irlandais, est autorisé à accompagner le roi au supplice. Un ultime et déchirant adieu à ses enfants, à la reine, à sa sœur. Une nuit de prière, la messe au petit matin, puis la fin du chemin de croix qui conduit l’agneau au pied de l’échafaud. Une haie silencieuse de quatre-vingt mille hommes armés sur le parcours du condamné, une garde de vingt mille hommes massée place Louis XV, face aux Tuileries. Les mains du condamné sont liées dans le dos, vigoureusement. Le corps est sanglé sur la planche qui bascule. À la chute du

68 lourd couperet, la tête roule dans le panier. Le bourreau s’en saisit par les cheveux pour la brandir en direction du peuple. Mille trois cents ans de monarchie, abattus en cette funeste et pluvieuse matinée du 21 janvier 1793. À cet instant et selon la tradition, son fils Louis-Charles duc de Normandie devient roi de France par la grâce de Dieu, sous le nom de Louis XVII, la continuité prévalant toujours sur le sacre.

Louis XVI1 est décapité place de la Révolution vers 10 heures du matin. Ayant tenté de s’adresser au peuple : « Je meurs innocent des crimes

que l’on m’impute, je pardonne aux auteurs de ma mort et je prie Dieu de leur pardonner comme moi et de ne pas venger sur la nation française le sang que l’on va répandre », ses paroles se perdent dans le roulement des tambours de

la garde. Pressentant l’issue tragique de son procès, il avait rédigé son testament2 le jour de Noël de l’an de grâce mil sept cent quatre-vingt-douze.

Mais il n’est pas suffisant d’avoir décapité le roi de France, il faut aussi flétrir sa mémoire. Hébert peut se réjouir, lui qui s’impatientait dans les colonnes de son « père duchesne » : « Eh vite, qu’elle saute la tête du cocu du

Temple ». Pour sa part, le journal « le thermomètre du jour » relate la mort du

roi et l’accuse de lâcheté au moment de monter à l’échafaud. À tel point que Sanson, le bourreau qui n’a fait que son travail, adresse une lettre au journal le 20 février 1793, afin de « faire connaître l’exacte vérité sur ce qui s’est

passé »3. « Louis XVI déclare qu’il meurt innocent et souhaite que son sang puisse cimenter le bonheur des Français », « Voilà citoyen, ses dernières et véritables paroles ». « Je reste très convaincu qu’il avoit puisé cette fermeté dans les principes de la religion dont personne plus que lui ne paroissoit pénétré ni persuadé ».

1Louis, 16e du nom, est né le 23 août 1754. Il devient roi de France et de Navarre à 20 ans, le 10 mai 1774. Son règne prend véritablement fin après avoir prêté serment à la Constitution, le 14 septembre 1791. Souverain de droit divin pendant