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Le cordonnier Simon, gardien et “ instituteur ” de Louis XVII dit Charles Capet

Dans le document VINCENT le dix-septième Louis, Georges PLAS (Page 130-136)

131 Peu avant l'aube du mardi, une berline tirée par quatre magnifiques percherons à la robe gris-clair, s'avance silencieusement dans l'une des allées du jardin de l'ancien couvent des Cordeliers. Ce lieu est occupé maintenant par le club du même nom, que fréquente Simon et dont certains membres ont acquit une réelle célébrité : les Marat, Danton, Chaumette et Desmoulins. L'allée en terre battue a été préférée au pavage de la cour trop bruyant, ce qui aurait pu attirer l'attention. Le chanoine et la veuve attendent déjà et prennent place immédiatement dans le véhicule, alors que les bagages sont chargés dans la vaste malle par le cocher. Hébert qui patientait avec eux, donne quelques consignes à son homme de main puis s'en va vers le logement des Simon. Il s'écoule près d'une demi-heure avant qu'il ne réapparaisse en compagnie de Marie-Jeanne, portant l'enfant ensommeillé et fortement emmitouflé, qui est aussitôt allongé sur une banquette à l'intérieur du véhicule. Antoine suit avec un coffre où sont empilés les linges, effets et jouets de celui qui fut son élève. Le cocher prend place sur la banquette extérieure, alors que le postillon saisit le mord d'un des chevaux de tête pour le guider vers la sortie. Il prend place près de son compagnon dès le portail franchi, puis rabat une épaisse couverture sur leurs jambes. Un fort long périple débute.

Les adieux ont été faits la veille, mais lorsque la berline s'ébranle lentement dans l'aube blafarde de cet épouvantable hiver, la femme Simon se serre contre son mari, ne pouvant retenir ses larmes. L'émotion est également perceptible chez l’homme d’âge mûr, qui tente de se donner une contenance. Hébert quant à lui, regarde soulagé l'attelage disparaître au coin de la rue. Une page se tourne définitivement, aucun de ceux qui ont côtoyé le jeune Louis XVII depuis que la famille royale a été enfermée au Temple, ne le reverra. Pour une majorité d'entre eux, la mort qui fut leur compagne de jeu durant ces années révolutionnaires, leur fait déjà signe. Le « père duchesne » est à mille lieues d'y songer. Au contraire, il savoure le bon déroulement de ses plans et de ceux de son ami Chaumette et pense peut-être que dans un avenir proche, il sera le principal bénéficiaire d'un retour au premier plan de Charles. Laissons-le à ses illusions...

Lorsque Charles se réveille, un timide soleil hivernal monte à l'horizon. Surpris dans un premier temps à la vue de la femme qui lui sourit, il s'interroge, puis les chaos de la route le ramènent à la promenade en calèche promise la veille par Simon. Sans doute est-ce lui qui conduit l'attelage, Marie-Jeanne sera restée à la maison ! Il s'enhardi et s'apprête à déplacer l'un des

132 rideaux qui occultent les fenêtres des portières, provoquant une certaine réticence chez la femme.

 Attention mon enfant, tu vas prendre froid !

 Où est Simon, est-ce lui qui conduit ? Je veux faire pipi et j'ai faim.

 Nous allons nous arrêter bientôt. Peux-tu tenir encore quelque temps ? Charles ne répond pas, mais dévisage l'homme assis en face de lui, resté silencieux jusqu'alors. Pierre-Joseph Brival est un homme de très haute stature, épaules larges, visage buriné et amaigri par les privations, ses yeux bleus expriment douleur et compassion. A cet instant il prie pour l'âme du défunt roi, assassiné il y a un an jour pour jour. Triste anniversaire et malgré tout son bonheur est sans mesure à l'idée de mettre le petit roi à l'abri des turbulences révolutionnaires. Il est impératif que le voyage se fasse sans encombre et que l'enfant y prenne du plaisir. Le pays qu'il va traverser est avant tout le sien, celui que ses ancêtres rois de France ont bâti depuis mille trois cents ans et que des fous avides de pouvoir comme son frère, veulent s'approprier en versant un déluge de sang tout en traitant leurs opposants de criminels. Le destin lui a confié ce petit être dont la vie est si précieuse à Dieu.

 Viens ! Enroule d'abord ton écharpe autour de ta bouche et de ton nez et regarde. Tu es en bonne santé, aussi il te faut la conserver.

Charles ne se fait pas prier pour passer la tête par la fenêtre. Son bonnet est enfoncé jusqu'aux oreilles et l'écharpe ne laisse voir que ses magnifiques yeux bleus. La berline a quitté Paris, les chevaux trottent en direction du sud par des routes qui ne sont plus entretenues, mettant le matériel à rude épreuve. La neige recouvre la campagne, les rivières traversées sont entièrement prises par les glaces1. Le froid est si vif que les naseaux des chevaux fument à chaque expiration. L'enfant contemple le paysage et les bêtes d'un œil satisfait et curieux. De toute évidence, cela le change des tristes jardins de l'enclos du Temple. Il ne songe plus à demander que l'on s'arrête, tout à ses observations. D'ailleurs, le relais de poste ne doit plus être très loin. Ils ont pris la route sur le coup de six heures du matin, ils progressent à raison d'une bonne lieue par heure écoulée2 et les relais sont disposés toutes les quatre

1

La rigueur de l'hiver 1793/1794 est exceptionnelle. La Seine restera prise par les

glaces du 25 décembre au 28 janvier. Le pays subira une seconde période de gel intense, de mi-février à fin mars.

133 lieues. Par conséquent ils peuvent atteindre le premier relais vers les dix heures. Le plan d'étapes remis par Jacques à son frère le chanoine, comporte une quarantaine de relais dont la moitié seront des arrêts pour la nuit. Le voyage est donc prévu pour durer une vingtaine de jours.

 Nous n'avançons pas très vite ! N'est-il pas possible de faire presser le pas ?

 Mon enfant, nous pouvons lancer les chevaux au galop et ainsi aller deux fois plus vite. C'est ce que font les diligences avec leurs voyageurs, ou encore les malles-postes, mais alors les chevaux sont remplacés à l'étape de nuit et parfois à celle de jour. Nos chevaux devront faire le voyage aller et même le voyage retour. Nous devons les ménager et ils pourront se reposer la nuit, tout comme nous. D'ailleurs, aimerais-tu voyager de nuit ?

 Non ! Il y a bien trop de brigands. Mais là, je ne vois personne ?

 Alors c'est rassurant. Mais nous sommes arrivés. Nous allons nous arrêter trois bonnes heures et nous repartirons après le repas de midi. Au fait, écoute-moi ! Si quelqu'un te demande ton nom, d'où tu viens ou encore qui tu connais, ne réponds pas. Maintenant va et toi femme accompagne-le.

L'enfant a tôt fait de descendre de la berline et de constater que Simon n'est pas du voyage. Mais les chevaux captent son attention. Le postillon et le cocher sont en train de les dételer tout en leur laissant les harnais. Ils auront droit à une ration d'avoine et pourront boire à volonté. Les postillons sont parfois choisis pour leur petite taille et leur souplesse, car ils doivent chevaucher l'un des chevaux de tête lorsque les attelages sont trop imposants et doivent aller au galop. Ce ne sera pas le cas avec quatre bêtes cheminant au trot, mais il devra les bouchonner, les nourrir à l'étape du soir et s'occuper du harnachement. Le cocher n'est pas un homme engageant. Il s'occupera de la berline et des bagages, mais pour cette mission, il a été choisi avant tout pour assurer la protection des voyageurs. Un soldat sur un champ de bataille ne serait pas mieux armé. A l'étape de jour, la berline est laissée sur place sous la surveillance constante d'au-moins un des deux employés. Une fois Pierre-Joseph descendu de voiture, il est regardé avec étonnement. Une taille pareille de cinq pieds-dix pouces1, comme celle du bon roi Louis, n'est pas chose courante. Il ressemble à son frère tout en étant moins corpulent. Lorsqu'avec le cocher ils pénètrent dans l'auberge, le silence se fait durant quelques instants. Il est vrai que tout en eux invite à la circonspection. Cependant l'agitation de

134 l'enfant détend vite l'atmosphère. Le repas pris, l'équipage s'ébranle sur le coup d'une heure du soir pour effectuer les quatre lieues de l'étape suivante.

Par la suite, les voyageurs prendront régulièrement la route à huit heures du matin puis à deux heures du soir de façon à ce que les bêtes puissent tenir la même cadence vingt jours d'affilée, sans faiblir. Le soir, les bêtes de trait sont fermées dans les écuries du relais de poste ou de l'auberge, largement approvisionnées en foin. Cependant, tenir un enfant dans un espace aussi réduit que celui d'une berline, aussi confortable soit-elle, n'est pas chose aisée. Deux séances de quatre heures, c'est long. Par conséquent les passagers n'hésitent pas à descendre de voiture pour se dégourdir les jambes en marchant d’un pas vif à côté de l'attelage. Lorsqu'ils sont dépassés par une diligence et son lourd chargement de voyageurs et de bagages, ils s'écartent sur le bas-côté de la route de façon à éviter tout accrochage. C'est toujours très impressionnant de voir passer la diligence tractée par huit chevaux lancés au grand galop, le postillon chevauchant l'animal placé en tête, donnant de la voix et imprimant l'allure. Le cocher, brides en mains étant bien souvent spectateur. Quiconque se trouverait sur leur chemin serait broyé impitoyablement. Les passagers ne sont pas à la fête, chahutés de toute part, projetés les uns sur les autres, effrayés par une telle débauche d'énergie. C'est à ce prix que les distances sont avalées, nuit et jour. Aux relais un nouvel attelage tout harnaché est attelé en quelques instants et le voyage se poursuit. A ce compte, il ne faudra que cinq jours pour acheminer le courrier de Paris à Tulle. Les voyageurs au cœur bien accroché pourront effectuer le déplacement en une dizaine de jours. Quand aux plis urgents, ils peuvent être acheminés en trois jours seulement par des coursiers à cheval. Quelle époque !

Enfin, l'ultime étape de ce voyage interminable est en vue. Les cinq voyageurs ont eu le temps de faire connaissance et le petit Charles a eu tout loisir d'étudier chevaux et matériel. Tout s'est passé sans encombre, l'agitation des provinces est rarement parvenue jusqu'à eux. Ils viennent de passer la nuit à l'auberge du relais d'Uzerche, sur la Vézère. L'attelage peine en gravissant la côte qui de la vallée les conduit sur le plateau en direction du bourg de Seilhac. Le temps s'est radouci depuis une dizaine de jours, ce qui ne rend pas la progression plus facile sur les routes détériorées par des ornières boueuses. Le soleil s'est voilé, mais la neige est toujours là, à perte de vue. Depuis plusieurs jours on n'aperçoit que bois, landes et taillis, à se demander qui peut bien survivre dans ces régions déshéritées des contreforts du Massif central. Pierre-Joseph a pu consacrer l’essentiel de son temps à la prière et à la mise au point

135 du plan de sauvegarde du jeune roi. Son frère Jacques lui a donné toute latitude pour mettre l'enfant à l'abri, lui précisant même qu'il ne souhaitait pas savoir où il serait placé. C'est certainement une bonne chose de ne pas multiplier le nombre de personnes informées de la destination du petit Charles, mais il est à craindre que cela ne s’avère irréaliste. Quant à le faire monter sur le trône de ses ancêtres, on avisera le moment venu, mais beaucoup d’eau risque d’avoir coulé sous les ponts de France et de Navarre.

Pour l'instant, le chanoine a décidé de confier le jeune Charles Capet aux bons soins de la veuve qui s'est occupée de lui au cours de ce périple, mais il ne pourra pas le lui laisser bien longtemps. Trop dangereux ! On peut encore remonter jusqu'à cette femme et même si elle n'a pas été informée de l'identité de l'enfant, les liens ne sont pas coupés pour autant. Une idée a germé dans son esprit, inspirée sans doute d'En-Haut, un début de solution. Le placer dans une famille de paysans plutôt que de bourgeois toujours curieux de tout et qui finiraient par faire parler l'enfant et par voie de conséquence pourraient faire des rapprochements. Il ne faut prendre aucun risque. En cela, mais pour des motifs opposés, il rejoint Chaumette et Hébert qui veulent que le prince « perde jusqu’à l’idée de son rang ». Après avoir fait le tour des communes du département de la Corrèze et plus particulièrement du district de Tulle, l'une d'entre elles s'impose naturellement : Saint-Salvadour. Autant choisir un lieu consacré au Sauveur de l’homme ! Ceci dit, le chanoine ne connaît personne en cette paroisse et préparer la venue de l’enfant ne se conçoit qu'avec quelqu'un sur place. Ne pouvant se mouvoir librement sans susciter curiosité et méfiance, il devra se tourner vers son frère. Le député est bien mieux placé que lui pour faire appel à une personne de confiance habitant ce lieu. Ne correspond-t-il pas avec une multitude de « clubs » implantés sur tout le territoire ? En d’autres temps, le prêtre aurait maîtrisé la situation. Aujourd’hui, c’est à l’homme politique de tenir la population sous sa coupe. Mais le temps presse et dès demain les deux frères devront faire des choix. Pour l'instant, il a été convenu avec le cocher que les deux dernières lieues qui ne sont qu’une longue descente vers la ville de Tulle, se feraient au galop. Charles sera certainement ravi.

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Dans le document VINCENT le dix-septième Louis, Georges PLAS (Page 130-136)