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Chapitre 4 : Les Français sont-ils malheureux ? La part du jugement

1. Un niveau médiocre de satisfaction

Le développement des travaux fondés sur la satisfaction déclarée a stimulé la mise en place d’instruments de mesure du niveau de satisfaction des individus et des populations depuis plus de trente ans117. Une méthodologie fréquemment utilisée est basée sur le recueil de données subjectives ou déclaratives. Pour ce faire, les formulations les plus courantes sont du type « de manière générale, en ce moment, à quel point êtes-vous satisfait de votre vie ? » ou encore « sur une échelle de 1 à 10, sur quel échelon vous situez-vous en matière de satisfaction ? ». De telles questions sont disponibles au sein d’enquêtes statistiques nationales et internationales et l’on dispose désormais de données comparées sur plusieurs décennies118.

1.1. Des déterminants de la satisfaction communs aux Européens

Les grandes études menées en économie du bonheur, en sociologie, en psychologie ou encore en neurosciences cognitives, dégagent de grandes constantes en matière de déterminants de la satisfaction. Si l’on considère les déterminants sociodémographiques (Graphique n° 17), la « structure de la satisfaction française » est proche de celle de ses voisins européens. Les femmes sont plus heureuses que les hommes, hormis dans les pays en transition, les natifs du pays sont plus heureux que les migrants, les croyants que les non-croyants, ceux qui vivent en famille que les célibataires, les veufs et les divorcés.

116 Toutefois, ces trois registres ne sont peut-être pas totalement séparés. Ainsi, parce qu’ils investissent la valeur « travail » plus que d’autres européens, les Français sont sans doute moins à même de se protéger des tensions inhérentes à cette sphère.

117 L’analyse des données subjectives a fait une première percée dans les années 1970, avec les travaux de Richard Easterlin sur l’utilité « hédonique » de la croissance, où il montrait que depuis l’après-guerre, le score moyen de satisfaction déclarée par la population était resté à peu près constant, malgré une période de croissance économique sans précédent.

118 La mesure du bien-être subjectif selon la satisfaction déclarée offre plusieurs avantages, à savoir d’être homogène et de capturer les facteurs marchands et non marchands. Il existe beaucoup de test de validité de ces données et les mêmes corrélats sont retrouvés partout (l’âge, le revenu, le statut marital, la religion…). Les réponses des enquêtés sont alors interprétées comme une « bonne » approximation du bien-être de l’individu, de son utilité, de son bonheur. Ces donnés, produites depuis l’après-guerre, sont l’objet d’un recueil plus systématique depuis les années 1990 : voir, dans le cas français, les Enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages (EPCV) de l’INSEE, et au niveau européen, l’European Social Survey (ESS), à l’initiative de la Fondation européenne des sciences (cette enquête, qui mesure les valeurs et les attitudes sociales des européens, est reconduite tous les deux ans depuis 2002 dans 32 pays européens, parmi les thèmes abordés, figurent le bien-être subjectif et les différents aspects de la satisfaction individuelle). Le World database of happiness dirigé par Ruut Veenhoven, de l’université Erasmus de Rotterdam, met à disposition ces indicateurs de satisfaction dans la vie pour un large panel de pays depuis 1973 : http://worlddatabaseofhappiness.eur.nl.

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Graphique n° 17 : Les déterminants sociodémographiques de la satisfaction en France et en Europe

-0,25 -0,2 -0,15 -0,1 -0,05 0 0,05 0,1

homme 25-50 ans 51-65 anns né dans pays religieux enfant séparé ou divorcé

veuf jamais marié

Europe France

Lecture : Effets marginaux des variables sur la probabilité de se déclarer très heureux (c’est-à-dire au-dessus de 7 - la médiane - sur une échelle de 0 à 10). Modèle statistique Dprobit. Exemple: être un homme (plutôt qu’une femme) réduit la probabilité de se déclarer très heureux ; être né dans le pays accroît cette probabilité. Catégories résiduelles: Femme, 18-25 ans, né à l’étranger, non religieux, jamais eu d’enfants, marié ou en couple.

Source : Claudia Senik, Données de European Social Survey, vague 3, 2006, population âgée de 18 à 65 ans

Sans surprise, le niveau de revenu et le statut dans l’emploi sont aussi déterminants.

Un bon niveau de revenu favorise la satisfaction. En France, comme généralement en Europe, être au chômage plutôt qu’en activité diminue les chances d’être heureux, être salarié plutôt qu’indépendant, en contrat à durée déterminée plutôt qu’en contrat à durée indéterminée. On soulignera toutefois deux constats contre intuitifs : ni le niveau d’éducation (une fois le revenu pris en compte), ni le fait d’avoir des enfants ne sont statistiquement corrélés avec la satisfaction déclarée.

1.2. Les Français moins satisfaits que beaucoup de leurs voisins

Au regard de ces motifs de satisfaction communs, les données des différentes enquêtes sur la satisfaction déclarée confirment un mécontentement relatif des Français. Les données de l’European Social Survey (ESS) vont dans ce sens. Elles confirmeraient que les Français figurent parmi les populations médiocrement satisfaites dans de nombreuses dimensions de leur existence, notamment toutes celles qui touchent à leur revenu et à l’activité économique du pays (voir annexe n° 1).

Graphique n° 18 : Effet de résider dans tel pays plutôt qu’en France sur la probabilité de se déclarer très heureux

Probabilité de se déclarer très heureux (France=0)

-0.1

Lecture : Modèle Dprobit, contrôles : âge, âge au carré, sexe, enfants, log du revenu du ménage, vagues de l’enquête, statut d’emploi et d’indépendant ou employé, années d’éducation, secteur (agriculture, services, industrie. Cluster (pays).

Source : Claudia Senik, CEPREMAP (à paraître), données ESS, vagues 2002, 2004, 2006

Cette relative insatisfaction des Français pourrait s’expliquer par la composition sociodémographique selon les pays. Mais il ne semble que ce ne soit pas le cas. Une analyse statistique « contrôlant » l’effet des variables sociodémographiques permet de révéler l’influence du fait de vivre dans tel ou tel pays plutôt qu’en France sur la probabilité de se déclarer très heureux (i.e. entre 8 et 10)119. Si l’on s’intéresse à la question portant sur le bonheur déclaré120, les scores les plus hauts sont atteints par l’Islande (8,6), puis par le Danemark (8,3), un pays qui arrive régulièrement en tête dans ce type d’enquête. Les moyennes les plus basses sont atteintes par les Bulgares (5,3) et les Ukrainiens (5,8). « Toutes choses égales par ailleurs », le fait de vivre par exemple en Islande (avant la crise) plutôt qu’en France accroît d’environ 30 % la probabilité de se déclarer très heureux, au Danemark d’environ 25 %, etc.

(Graphique n° 18). Seuls huit pays de résidence seraient moins propices au bonheur que la France, parmi lesquels la Russie, la Bulgarie, le Portugal, l’Italie et la Grèce.

Le niveau de « bonheur » déclaré par les Français se situe en bas du classement si l’on considère l’ancienne Europe des 15 et à un rang médian dans l’Europe des 27. Quelle que soit la nature des déterminants, la France se retrouve toujours à une place équivalente, c'est-à-dire loin derrière les pays scandinaves et de l’Europe du Nord, l’Irlande, la Suisse, au même niveau que l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et la

119 Si sur une échelle de 10, les Français se placent moins souvent que la moyenne des pays européens sur les deux échelons les plus élevés, ils délaissent également les échelons les plus bas (de 0 à 3) : la tendance française est plutôt de choisir des échelons médians.

120 À la question « Globalement, à quel point diriez-vous que vous êtes heureux ? », les individus doivent répondre en se situant sur une échelle graduée allant de 0 à 10, où 0 correspond à « extrêmement malheureux » et 10 à « extrêmement heureux ». Peu de gens se déclarent « extrêmement malheureux », et la moyenne obtenue à cette question est de 7.2 sur les trois vagues, avec un écart-type de 1.9.

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Grèce et devant la majorité des pays de l’Europe de l’Est. Ce classement est aussi vérifié pour la satisfaction déclarée, qu’il s’agisse de satisfaction personnelle (liée au travail, au niveau de vie) ou associée à des aspects de la vie collective (le système éducatif, le système politique).

Graphique n° 19 : Revenu par habitant (échelle logarithmique) et bonheur moyen auto-déclaré par pays

Source : Heston, Summers et Alten, Penn World tables 2006

Le bonheur déclaré n’est pas qu’une affaire de revenu et fait intervenir d’autres déterminants plus complexes. La place de la France ne s’explique pas entièrement pas son niveau de richesse. Elle n’est pas non plus justifiée par les autres dimensions du développement humain tels que le niveau d’éducation de la population, les inégalités de revenu, l’espérance de vie ou même l’espérance de vie en bonne santé (Jagger et al., 2008), variables pour lesquelles elle obtient un bon score. Les classements en termes de bonheur et de satisfaction déclarés confirment l’idée selon laquelle les Français sont relativement moins satisfaits de leurs conditions d’existence personnelles et collectives que la moyenne des Européens121.

1.3. Pessimisme « social » et optimisme « individuel » à l’égard de l’avenir

En France, l’insatisfaction sur la situation présente coexiste avec un pessimisme sur le devenir collectif. S’agissant de l’avenir de la société, les Français sont plus pessimistes que les autres Européens. Selon l’enquête IPSO-SIG réalisée cet automne 2009, seulement 27 % des Français pensent que « l’avenir de la société est prometteur ».

121 Ces résultats « mitigés » concordent avec ceux obtenus par Ruut Veenhoven qui a constitué une base de données, la World Database of Happiness, où il classe le « bonheur national brut » de 95 pays, grâce à une échelle de 1 à 10121. Le Danemark arrive en tête avec un indice de satisfaction de ses habitants de 8,2, la Tanzanie fermant le ban avec une note de 3,2. Les États-Unis se situent en 17e position (7,4) et la France en 39e (6,5).

Tableau n° 2 : Optimisme des Français sur l’avenir de la société Je pense que l’avenir de la société est prometteur

• Tout à fait d’accord 5

• D’accord 22

S/T D’accord 27

• Pas d’accord 41

• Pas du tout d’accord 19

S/T Pas d’accord 60

• Vous n’avez pas d’opinion tranchée 13 100 Source : Enquête IPSOS-SIG « Les Français et la santé mentale »

Selon une autre source Eurobaromètre de 2006, plus des trois quarts des Français considéraient que la vie de leurs enfants serait plus difficile que la leur (78 % contre 64 % en moyenne européenne). Seuls 8 % d’entre eux considèrent que la vie de leurs enfants sera plus facile que la leur (contre 17 % en moyenne européenne). Les Français étaient parmi les plus pessimistes pour l’avenir des générations futures au sein de l’Union européenne, juste devant l’Allemagne.

Le niveau plus élevé d’optimisme personnel, même s’il reste modéré, marque un écart avec le pessimisme social. S’agissant de leur avenir personnel, les Français se montrent relativement confiants dans les jugements qu’ils portent sur leur avenir.

Selon l’enquête Ipsos « Les Français et la santé mentale », les Français étant 49 % à être « d’accord » et « tout à fait d’accord » et 26 % sans opinion tranchée lorsqu’on leur demande s’ils pensent « leur avenir prometteur ».

Tableau n° 3 : Optimisme des Français sur leur avenir personnel Ensemble

% Je pense que mon avenir est prometteur

• Tout à fait d’accord 9

• D’accord 40

S/T D’accord 49

• Pas d’accord 20

• Pas du tout d’accord 5

S/T Pas d’accord 25

• Vous n’avez pas d’opinion tranchée 26 100 Source : Enquête IPSOS-SIG « Les Français et la santé mentale

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On observe logiquement que les jeunes sont plus nombreux à estimer avoir un avenir prometteur que les adultes (62 % des moins de 35 ans), mais c’est aussi plus le cas des hommes. Les hommes de moins de 35 ans sont les plus optimistes : 68 % d’entre eux pensent que leur avenir est prometteur (50 % en moyenne, 36 % des femmes de plus de 35 ans) ; seulement 7 % des hommes de moins de 35 ans pensent que leur avenir n’est pas prometteur (25 % en moyenne, 35 % des femmes de plus de 35 ans, 29 % des hommes de plus de 35 ans, 19 % des femmes de moins de 35 ans). Les jeunes femmes sont inversement les plus inquiètes : 65 % des femmes de moins de 35 ans s’inquiètent pour leur avenir (45 % en moyenne, 37 % des hommes de moins de 35 ans). L’idée que les femmes présentent une moindre confiance en eux-mêmes est confirmée par d’autres données (voir infra)122.

2. Les spécificités françaises en matière de satisfaction reflètent