• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : La divergence des sentiers psychosociaux

1. Santé mentale et réinvention des rôles féminins et masculins

1.2. Quelles logiques sociales sous-tendent les inégalités hommes-femmes en santé

L’utilisation de la notion de « genre » n’est pas neutre puisqu’elle s’attache à montrer que les différences entre les sexes ne sont pas seulement issues de facteurs biologiques, mais aussi et surtout d’une construction sociale et culturelle. Ainsi, à une vision naturaliste, qui a fait l’objet de critiques pour son caractère trop restrictif et simpliste, s’est substituée une interprétation essentiellement axée sur les

150 Les taux sont alors de 25,0 pour 100000 hommes contre 8 ,6 pour 100000 femmes. De plus, pour les 65 ans et plus, la différence est encore plus importante puisque que les taux de suicides masculins sont près de quatre fois plus élevés que ceux féminins (49,9 vs 12,9).

151 Selon l’European Study on Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD), les femmes étaient 16,2 % à avoir eu des idéations suicidaires durant l’année écoulée contre 7,7 % des hommes et 5 % des femmes à avoir tenté de se suicider contre 1 % des hommes). Ces résultats sont plus élevés que ceux retrouvés dans les études sur vie entière, qui établissent que les femmes sont en moyenne entre deux et trois fois plus nombreuses à déclarer avoir fait une tentative de suicide dans leur vie.

152 Deux interprétations de cet écart homme-femme sont le plus souvent avancées. Selon la première, les hommes et les femmes n’ont pas recours aux mêmes méthodes, les hommes utilisant des moyens plus violents (arme à feu, pendaison) que les femmes (médicaments). La deuxième théorie met en avant l’idée que la tentative de suicide est un fait social à part entière. Les tentatives représenteraient plus une demande désespérée de prise en charge d’un malaise devenu insupportable à vivre, que l’intention de se donner la mort. Le suicide et la tentative de suicide seraient deux manières différentes d’exprimer une souffrance ou un mal-être, en fonction du genre.

Centre d’analyse stratégique Novembre 2009

www.strategie.gouv.fr 122

déterminants sociaux dans l’étude de la différenciation genrée de la santé mentale.

Cependant, on assiste ces dernières années à une revalorisation du corps sexué : l’existence de déterminismes biologiques ne serait pas incompatible avec des influences sociales et culturelles.

Alors que le sexe réfère à des caractéristiques biologiques…

Nombreuses sont les théories biologiques pouvant contribuer à expliquer la différenciation genrée en santé mental : la psychobiologie montre l’influence des contraintes biologiques sur les conduites, mais sans en faire une clé explicative unique.

Les données de neuro-imagerie démontrent ainsi des différences chez l’homme et la femme d’activation de l’amygdale et du cortex préfrontal médian, structures responsables du traitement des émotions et de la régulation de la sécrétion d’hormones. Les femmes présenteraient des activités plus importantes de ces régions en réaction à des expressions faciales ou des stimuli négatifs. Ceci pourrait conduire à des biais dans le traitement de l’information en se souvenant davantage des événements négatifs et en ayant plus tendance à ruminer153. D’autres études démontrent des activations cérébrales différentes – aussi bien au niveau des structures que de l’intensité d’activation – entre les hommes et les femmes en situation d’empathie ou de raisonnement moral.

Par ailleurs, l’influence des hormones est souvent avancée pour expliquer les différences entre hommes et femmes, et notamment concernant la violence. Des taux plus élevés de testostérone pourraient être liés à une plus grande agressivité masculine et à un goût plus prononcé pour les comportements à risque en agissant sur le système dopaminergique. La biologie pourrait ainsi contribuer à un basculement inattendu : les valeurs du mâle dominateur et agressif semblent aujourd’hui dépassées au regard de la sociabilité et de l’humanisme féminins.

… le genre renvoie à une construction sociale

La différenciation genrée en santé mentale pourrait s’expliquer par la combinaison de trois processus sociaux.

Premièrement, hommes et femmes seraient tendanciellement exposés à des stresseurs distincts en fonction de leurs rôles sociaux traditionnels, pour les femmes ceux de la ménagère et de la mère, pour les hommes ceux de breadwinner. On parle alors d’exposition différentielle. Des preuves empiriques montrent que les femmes sont plus exposées que les hommes aux conflits, aux problèmes familiaux, aux événements touchant les membres de leurs réseaux sociaux et les morts de proches.

De leur côté, les hommes sont davantage exposés aux échecs personnels, professionnels et à des événements comme la perte de revenu, la maladie physique et la victimisation criminelle.

153 De la même façon, une étude qui procède à l’analyse comparative de la colère en fonction du sexe a montré que les femmes étudiantes ont un trait de la colère plus marqué, répriment plus, ruminent plus et tentent plus de réguler leurs émotions que les hommes. Au contraire, les hommes font plus face à la colère par l’extériorisation ou par l’humour que ne le font les femmes. Arendt A., Blaise M., Ceccato C. et Leiner E., Étude de l’impact de la colère sur la santé des étudiants.

Deuxièmement, à cette exposition différenciée, viendrait s’ajouter une vulnérabilité différentielle des sexes. De façon générale, on observe que les femmes et les hommes sont plus vulnérables aux tensions auxquelles ils sont davantage exposés par leur sexe. Par ailleurs, les femmes présentent des niveaux inférieurs d’estime de soi et de maîtrise que les hommes. Or le rôle de l’estime de soi sur la santé mentale est très largement reconnu, notamment dans la littérature sociologique anglo-saxonne, comme facteur essentiel du bien-être et de l’équilibre psychologique des individus. Les femmes seraient alors traditionnellement plus perméables au mal-être.

Troisièmement, les hommes et les femmes produiraient des réponses genrées différentielles dans leur façon d’exprimer leur mal-être. Comme le constatent Jean-Louis Pan Ke Shon et Anne-Sophie Cousteaux dans leur étude « Le mal-être a-t-il un genre ? »154, « chaque genre emprunte tendanciellement des voies différentes pour exprimer son mal-être ». Cela se constaterait moins dans les diverses patho-logies, qui touchent les uns et les autres, que dans la nature même des expressions des tensions. Ainsi, pour certains155, alors que les femmes développeraient des symptômes ou des pathologies, les hommes adopteraient préférentiellement des comportements.

Ce constat est aussi connu sous le terme de l'équivalence fonctionnelle des tensions mentales. Les socialisations différentielles créeraient des structures de l’intériorité distinctes qui seraient à l’origine des réponses genrées différentes aux tensions. Cela s’observe dès l’enfance parmi les jeunes en danger comme à l’âge adulte, ce qui laisse penser que l’acquisition des réponses genrées aux stimuli négatifs se réalise au cours de la socialisation primaire.

Les constructions sociales exercent en effet leur influence sur la santé mentale en facilitant, d’une part, l’émergence de certains facteurs de risque et, d’autre part, en inhibant certains facteurs de protection.

Par exemple, la socialisation masculine tolère, favorise, voire encourage l’agressivité et l’impulsivité, la consommation d’alcool et une plus grande accessibilité aux armes.

En exigeant puissance et invulnérabilité, elle limite ainsi le répertoire émotionnel des hommes à des émotions considérées comme viriles, par exemple la colère. La souffrance des hommes serait alors plus malaisément exprimée et se manifesterait plutôt à travers l’agir, le travail compulsif, le suicide, les abus d’alcool, de drogues, les conduites à risque et la violence et, plus rarement, par la tristesse156.

Quant à l’inhibition des facteurs de protection, la socialisation masculine y joue également un rôle important en contribuant à réduire l’éventail des mécanismes d’adaptation dont les hommes disposent. D’un côté, elle valorise l’autonomie et l’indépendance et de l’autre, elle stigmatise l’expression de la souffrance et la demande d’aide : en situation de détresse, les hommes sont alors coupés des sources potentielles d’aide et se privent d’un soutien qui pourrait s’avérer essentiel.

154 Anne-Sophie Cousteaux et Jean-Louis Pan Ke Shon, « Le mal-être a-t-il un genre ? Suicide, risque suicidaire, dépression et dépendance alcoolique », Revue Française de Sociologie, version septembre 2007, janvier-mars 2008, 49-1.

155 Ehrenberg, 1998 ; Mirowsky et Ross, 1995 ; de Coster, 2005.

156 Symétriquement, il « reviendrait » aux femmes les tentatives de suicide, la dépression, l’anorexie mentale, etc.

Centre d’analyse stratégique Novembre 2009

www.strategie.gouv.fr 124

Cette théorie qui avance l’impact des rôles hommes-femmes au sein de la société sur les différences genrées en termes de troubles mentaux, peut s’appuyer sur deux éléments probants.

Premièrement, certaines études démontrent que la différence hommes-femmes en matière de détresse psychologique est d’autant plus faible dans les pays et les périodes où l’égalité entre les sexes est la plus respectée157.

De plus, en ce qui concerne les troubles de l’addiction, l’usage et les phénomènes d’appropriation des substances psychoactives par les femmes ont tendance à se rapprocher de ceux des hommes en fonction de la convergence des rôles masculins et féminins dans la société. Ainsi, on observe pour les femmes de milieux favorisés une augmentation de la consommation d’alcool et de cannabis, signe d’un alignement de leur comportement sur celui des hommes158.

1.3. Vers une harmonisation des temps de vie et des investissements sociaux ?