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Chapitre 3 : Les Français ont-ils plus de « problèmes » de santé mentale

1. Renouvellement du trouble mental, progression de la détresse psychologique

1.2. La dépressivité : un facteur trois en vingt ans

Bien qu’une fois l’effet de l’âge corrigé des autres variables (pauvreté, chômage, etc.), i.e. toutes choses égales par ailleurs, les risques de dépression augmentent bien avec l’âge, les disparités sociales font qu’aujourd’hui les classes d’âge 56-65 ans et 66-75 ans présentent le moindre risque. La dépression est en effet modulée par des événements de vie qui sont, pour beaucoup d’entre eux, moins fréquents avec l’avance en âge (stress professionnel, mobilités, difficultés financières).

Si par le passé, les personnes de plus de 60 ans étaient les plus vulnérables à la dépression, elles ont été depuis rattrapées et dépassées par d’autres groupes d’âge.

La dépression touche manifestement un public plus jeune. C’est parmi les populations « nouvellement » vulnérables face aux risques sociaux que les risques de dépression ont augmenté en 20 ans. Les personnes âgées en France ont longtemps présenté une situation économique et sociale beaucoup plus défavorable que les autres classes d’âge. Avec la montée en charge des dispositifs de protection sociale et le bénéfice tiré des Trente glorieuses, une génération de baby-boomers a connu un destin plus favorable jusqu’à ce jour. Aujourd’hui, ce sont plutôt les populations « jeunes » qui sont confrontées aux difficultés sociales et économiques et qui doutent de pouvoir connaître un destin aussi favorable que ceux qui les ont précédées. Ces évolutions se reflètent très directement dans les chiffres de prévalence de troubles dépressifs en fonction de l’âge. Enfin, les femmes sont presque deux fois plus touchées, les hommes semblent emprunter d’autres voies d’expression du mal-être, dont les comportements d’addiction.

1.2. La dépressivité : un facteur trois en vingt ans ?

Si on considère la part des personnes qui présentent un sentiment de tristesse, un

« sub-syndromes » ou de la détresse psychologique (i.e. une association d’humeurs de tristesse et d’anxiété), les prévalences sont logiquement beaucoup plus massives.

C’est environ 20 % des Français qui sont atteints par de la « dépressivité ».

Graphique n° 3 : Prévalences des troubles et symptômes dépressifs et du sentiment de tristesse

Source : Baromètre santé 2005

Des études font observer que le nombre de personnes déclarant un état de dépressivité a presque triplé en vingt ou trente ans, pour atteindre une prévalence de presque 30 % de l’échantillon dans certaines régions. Ce phénomène est par exemple visible au niveau de l’Ile-de-France qui a bénéficié d’une étude évolutive sur la question. Elle présente des chiffres particulièrement révélateurs lorsque l’on sait que les personnes résidant dans cette région obtiennent généralement des scores de qualité de vie significativement moins bons qu’ailleurs en France dans le domaine de la santé mentale. Si en 1991, 10,8 % de la population d’Ile-de-France déclarait être sujette à un ou plusieurs symptômes dépressifs synonymes de dépressivité, le taux de prévalence passait à 28,3 % en 2005. Si 8,9 % d’individus répondaient aux symptômes d’un épisode dépressif majeur en 1991, ils n’étaient « que » 11,7 % en 2005, ce qui représente une très faible augmentation en comparaison60.

Sans chercher à banaliser la détresse psychologique, les comparaisons européennes placent la France dans la moyenne de l’expression du phénomène, au même niveau que l’Allemagne. Si l’on considère l’Eurobaromètre 2005 (Enquête MH5), 17 % en moyenne de la population européenne présentait un niveau significatif de détresse psychologique. Trois principaux groupes de pays sont identifiés61 :

– ceux présentant peu de détresse psychologique, à savoir l’Irlande et les pays d’Europe du Nord ;

– ceux dans la moyenne européenne, parmi lesquels la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l’Autriche, le Royaume-Uni, l’Espagne, la République Tchèque, la Slovénie, la Slovaquie et Malte ;

60 Viviane Kovess-Masfety, Xavier Briffault, David Sapinho, “Prevalence, Risk Factors and Use of Health Care in Depression: A Survey in a Large Region of France Between 1991 and 2005”, The Canadian Journal of Psychiatry, vol. 54, n° 10, octobre 2009.

61 Après une régression logistique afin de contrôler l’âge, le genre, le statut marital, professionnel, le niveau d’études ainsi que la résidence (rural/citadin).

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– ceux qui présentent un niveau élevé de détresse psychologique, à savoir les pays de l’Europe du Sud (Italie, Portugal, Grèce), de l’Europe de l’Est (Roumanie, Bulgarie, Pologne, Hongrie, la Croatie) et les Pays Baltes.

Graphique n° 4 : Détresse exprimée par pays au sein de l’UE

0,00 0,50 1,00 1,50 2,00 2,50 3,00 3,50 4,00

FIN DNK SWE N-IRL IRL GBR LUX NLD DEU-E DEU-W FRA MLT BEL ESP SVK SVN CZE AUT PRT HUN ROM EST HRV TUR POL GRC LTU BGR CYP LVA CYP-T ITA

Source : Eugloreh The Report on the Status of Health in the European Union, Eurobaromètre 2005

Si l’on considère d’autres indicateurs plus généraux, dits de « qualité de la vie », les Français présentent en moyenne un bon score de « santé » mentale mais les scores de « dépression » ou d’« anxiété » ne sont pas négligeables62. L’indicateur par score souligne surtout un écart dans le bien-être déclaré entre les femmes et les hommes, les plus jeunes et leurs aînés. Les scores d’« anxiété » et de

« dépression » déclarées sont particulièrement élevés à l’adolescence, entre 15 et 19 ans, pour s’améliorer par la suite.

62 L’échelle de santé de Duke est un questionnaire de 17 items qui explorent trois dimensions princi-pales : la santé physique, la santé mentale et la santé sociale qui, combinées entre elles, donnent un score de santé générale. En outre, l’échelle fournit des indices pour évaluer l’anxiété, la dépression, l’estime de soi, la douleur, l’incapacité, et la santé perçue. Les scores sont normalisés de 0 à 100, 100 étant le score optimal, hormis pour les scores d’anxiété, de dépression, et d’incapacité pour lesquels un score élevé correspond à une situation dégradée.

Graphique n° 5 : Scores de qualité de la vie de Duke parmi les personnes âgées de 12 à 75 ans, suivant le sexe et l’âge.

Lecture : carrés verts : hommes ; ronds bleus : femmes ; carrés gris : ensemble.

Source : scores échelle de Duke ; exploitation Baromètre santé 2005, Inpes

Comment interpréter ces phénomènes ? Le fait que les souffrances psychiques soient aujourd'hui plus facilement dicibles est établi. Les personnes se plaignent plus de leurs symptômes psychiques et les tolèrent moins, ce qui les amènent à demander plus souvent de l'aide psychologique ou médicamenteuse. Plusieurs explications ont été données dont le fait que la souffrance psychique soit devenue socialement la manière la plus licite et audible de se plaindre, alors même que d’autres formes d’expression du mécontentement voire de la conflictualité, surtout si violentes, sont déconsidérées. Un autre fait est que la société sollicite plus que par le passé l’initiative ou la responsabilité de l’individu63. Cette sollicitation de la responsabilité est une chose positive pour certains et négative pour d'autres en fonction de leur position

63 Ehrenberg A., La fatigue d’être soi : dépression et société, Odile Jacob, Paris, 2000.

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sociale, de leur éducation et de leur personnalité, ce qui peut avoir influencé le niveau général de bien-être ressenti et exprimé.