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Chapitre 5 : La divergence des sentiers psychosociaux

1. Santé mentale et réinvention des rôles féminins et masculins

1.1. Existe-t-il une différenciation genrée de la santé mentale ?

Il est d’usage de dire que les hommes et les femmes présentent des « profils » de santé mentale différents : à l’image de la femme anxieuse et dépressive, s’oppose celle d’un homme capable de comportements violents envers les autres et envers lui-même. Cette divergence se retrouve-t-elle dans les statistiques ?

Comme déjà évoqué dans le chapitre 3, alors que le stress, la détresse psychologique, les idéations suicidaires et les tentatives de suicide sont plus le fait des femmes, les comportements addictifs, violents (Encadré n° 22) et les suicides sont davantage des comportements masculins.

Encadré n° 22 : Genre, violence et santé mentale

Les hommes sont plus généralement exposés à une violence qui se manifeste au sein de l’espace public et qui s’exprime entre hommes, les jeunes hommes de 18 et 24 ans étant les plus violents. Plus de 95 % de la population carcérale est ainsi composée d’hommes, des incarcérations qu’ils paient souvent au prix de leur santé mentale, la prison étant la forme la plus radicale d’exclusion sociale.

Au contraire, la famille constitue le lieu où s’observent les violences les plus fréquentes envers les femmes. Si tous les groupes sociaux sont exposés, les inégalités socio-écono-miques sont cependant des facteurs aggravants, notamment le chômage. Le noyau familial est le lieu où s’apprennent et se reproduisent les rapports sociaux de genre et la domination masculine. Quand celle-ci ne peut s’exprimer dans la vie sociale, elle cherche d’autant plus à se légitimer dans l’espace privé et s’y exerce avec davantage de force. Cette violence conjugale peut être aussi bien physique, morale que sexuelle, les trois se combinant souvent.

Selon l’OMS145, les femmes victimes de violences perdent entre une et quatre années de vie en bonne santé et les violences conjugales sont à l’origine d’un doublement des dépenses totales de santé annuelles chez les femmes, et notamment pour leur santé mentale. Le retentissement des violences physiques ou sexuelles sur la santé psychique des femmes est important tant au niveau du niveau de stress post traumatique, de la consommation de médicaments psychotropes, que des taux et des tentatives de suicide.

Les tâches de prévention et de dépistage des violences conjugales sont rendues d’autant plus difficiles qu’elles sont souvent invisibles, une fois la porte du domicile refermé, et qu’elles font l’objet d’une occultation par les femmes qui les subissent. Cependant, lorsqu’elles en parlent, près d’une fois sur quatre, c’est à leur médecin qu’elles s’adressent, ce qui souligne le rôle préventif primordial de ce dernier. Des formations spécifiques pour ces médecins mais également pour les policiers en charge de recueillir ces difficiles témoignages seraient nécessaires.

Si la détresse psychologique est susceptible d’affecter tout le monde et à tous les âges de la vie, elle touche en premier lieu les femmes, d’après les résultats de différentes enquêtes aux échelles et méthodologies diverses.

145 Le lien entre violence et santé a été portée pour la première fois sur la scène publique lorsque l’Assemblée mondiale de la Santé, réunie à Genève en 1996, a adopté une résolution dans laquelle elle déclarait que la violence constituait l’un des principaux problèmes de santé publique dans le monde.

Ainsi, d’après le Baromètre Santé 2005, il apparaît que tous âges confondus, les hommes obtiennent des scores de qualité de vie mentale146 supérieurs à ceux des femmes et bénéficient d’une meilleure estime d’eux-mêmes. En outre, les femmes perçoivent leur niveau de dépressivité et d’anxiété plus négativement que les hommes (Graphique n° 26)147. Par ailleurs, si l’âge influence de manière importante la perception de la qualité de vie de santé mentale, les écarts existant entre les femmes et les hommes demeurent relativement stables au cours des périodes de la vie (cf. Annexe 1).

Source : Baromètre santé 2005

D’après l’European Social Surveys, à l’inverse des femmes des pays de l’Europe de l’Est, les femmes de l’Europe de l’Ouest se déclarent plus satisfaites que leurs compatriotes masculins. Ce clivage pourrait laisser entendre que l’amélioration des conditions féminines s’accompagne nécessairement d’un bien-être plus important.

Cependant, la réalité se révèle plus complexe (Encadré n° 23), comme l’indique l’infériorité des scores de santé mentale positive148 obtenus par les femmes des sept

146 L’échelle de santé de Duke est un questionnaire de 17 items qui explorent trois dimensions principales : la santé physique, la santé mentale et la santé sociale qui, combinées entre elles, donnent un score de santé générale. En outre, l’échelle fournit des indices pour évaluer l’anxiété, la dépression, l’estime de soi, la douleur, l’incapacité, et la santé perçue. Les scores sont normalisés de 0 à 100, 100 étant le score optimal, hormis pour les scores d’anxiété, de dépression, et d’incapacité pour lesquels un score élevé correspond à une situation dégradée.

147 Les hommes obtiennent des scores de qualité de vie mentale supérieurs de 7,9 points à ceux des femmes et bénéficient d’une meilleure estime d’eux-mêmes (4,4 points de différence). Les femmes perçoivent leur niveau de dépressivité et d’anxiété plus négativement que les hommes, avec des indices plus élevés de 8,0 et de 5,7 points respectivement.

148 La « Short Form Health Survey 12 », utilisée dans cette enquête, est une échelle de qualité de vie générique qui permet d’obtenir deux scores : un score de qualité de vie mentale et un score de qualité de vie physique. Ce questionnaire international permet une autoévaluation de l’état de santé dans ses différentes dimensions (fonctionnement physique, douleurs, santé mentale, vitalité, état de santé générale…) à l’aide de questions du type : « Au cours des 4 dernières semaines, votre état physique ou mental a-t-il gêné vos activités sociales comme des visites aux amis, à la famille, etc ? Pas du tout, un peu… ». L’ensemble de ces scores est normalisé de façon à varier de 0 à 100, 0 indiquant la moins bonne qualité de vie et 100 la meilleure qualité de vie possible.

Centre d’analyse stratégique Novembre 2009

www.strategie.gouv.fr 120

pays étudiés par l’enquête européenne ESEMeD149, avec de surcroît un effet pays significatif puisque les écarts hommes-femmes sont plus importants en France, en Italie et en Espagne, qu’en Allemagne et aux Pays-Bas (Graphique n° 27).

Graphique n° 27 : Scores pondérés de santé mentale obtenus à l’échelle SF-12 dans sept pays européens en fonction du genre

Source : ESEMeD, 2000

Encadré n° 23: Le « Paradox of declining female happiness »

Ce paradoxe, mis en avant par Betsey Stevenson et Justin Wolfers de la Warton School, part d’un double constat : si les conditions de vie féminines se sont améliorées depuis les années 1970 aux États-Unis et plus généralement dans les pays développés, les mesures subjectives du bien-être des femmes ont pourtant diminué tant de manière relative comparées à celles des hommes que de manière absolue. Plusieurs explications de ce paradoxe peuvent être avancées :

- Les femmes souffriraient de la complexité et de la pression croissantes des vies modernes, notamment en matière de conciliation de vie privée et de vie professionnelle : il s’agirait alors d’une exposition différentielle à certains agents stresseurs.

- À cela pourraient s’ajouter des réponses différenciées avec par exemple une augmentation des troubles anxieux et dépressifs particulièrement importante chez les femmes.

- Le changement de statut social de la femme se répercuterait sur leurs attentes en matière de bien-être. Si auparavant leur réponse était dictée par leur degré de satisfaction dans leur foyer familial, aujourd’hui d’autres considérations entreraient en compte, et notamment la réussite professionnelle.

- Les femmes, désormais plus libres et autonomes, répondraient avec une plus grande liberté à ce type d’enquêtes.

- Enfin, les femmes auraient désormais plus tendance qu’auparavant à comparer leur situation à celle des hommes : le constat de la persistance des inégalités pourrait alors être source d’insatisfaction.

L’autonomie obtenue par les femmes leur a offert des opportunités de réalisation, d’expression et donc d’estime de soi mais a pu déstabiliser l’équilibre de satisfaction personnelle qu’elles trouvaient auparavant dans leur vie familiale. Le défi consiste alors à favoriser le passage d’un régime de satisfaction dans l’inégalité à celui d’un bien-être dans l’égalité.

149 L’enquête européenne ESEMeD a été réalisée en 2000 dans sept pays : les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie et la France.

Dans le même ordre d’idée, si les hommes se suicident trois fois plus que les femmes, à l’inverse, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à penser au suicide et à faire des tentatives de suicide : ces dernières sont près de trois fois plus nombreuses à déclarer avoir fait une tentative de suicide dans leur vie (71,9 % sont des femmes et 28,1 % des hommes)150.

Graphique n° 28 : Taux d’idéations, de projets suicidaires et de tentatives de suicide au cours des 12 derniers mois, en fonction du sexe (en %)

3,3

Idéations suicidaires Projets suicidaires Tentatives de suicide

hommes femmes

Source : ESEMeD, 2000

Les chiffres concernant les idéations suicidaires et les tentatives de suicide, bien que variables selon les enquêtes, démontrent tous une tendance marquée à une prédominance des femmes en la matière151. Ce phénomène est resté relativement stable et fait l’objet de plusieurs interprétations dans la littérature152.

1.2. Quelles logiques sociales sous-tendent les inégalités hommes-femmes en