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Chapitre premier : Repères historiques

C. La régionalisation des droits sociaux

3) Au niveau africain

a) La Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples Pour ce qui est du système de protection africain, il sied de se référer à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples (ChADHP) du 27 juin 1981. Cette dernière réunit, dans un seul et unique texte et sur un pied d’égalité392, un vaste catalogue de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, combiné avec des droits collectifs des Peuples dits de la

« troisième génération ». Parmi les droits économiques, sociaux et culturels, la Charte prévoit l’interdiction de l’esclavage et de l’exploitation (art. 5), la liberté d’association (art. 10), le droit de propriété (art. 14), le droit de travailler dans des conditions équitables (art. 15), le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mental atteignable (art. 16), le droit à l’éducation (art. 17), ainsi que la protection particulière accordée à la famille, aux femmes et aux enfants, aux personnes âgées et handicapées (art. 18). Grand absent de la Charte africaine, le droit au travail (contrairement au droit à des conditions équitables de travail) a, l’on peut le présumer, inquiété certains chefs d’Etat et de gouvernement africains, lesquels se voyaient déjà, de par une interprétation erronée de ce droit, devoir attribuer un poste de travail à tous leurs citoyens.

b) Autres conventions

Une série d’autres conventions élaborées sous les auspices de l’Union africaine vient compléter le tableau. Parmi les instruments portant de près ou de loin sur les droits sociaux fondamentaux, l’on peut, sans s’y attarder, citer les traités suivants : (a) la Charte culturelle de l’Afrique393 énonce une panoplie d’engagements programmatiques pris par les Etats de l’UA dans le domaine

391 Cf. FLINTERMAN, Protection (1994), 170.

392 Cf. BRAND / VILJOEN, Hard Cases (1998), 5 ; BREMS, Universality (2001), 444 ; FOSTER, Programmes (1999), 243 s. ; HILL, Rights (1992), 19 ; KUMADO, Surveillance (1995), 111 ; M’BAYE, Charte Africaine (1992), 438 ss ; ODINKALU, Analysis (2001), 340 s.

393 Charte culturelle de l’Afrique, du 05/07/1977 (Port Louis, Île Maurice), entrée en vigueur le 19/09/1990.

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de la culture et de l’éducation. Entre autres, les Etats s’obligent à reconnaître la diversité culturelle et l’identité nationale, à développer la culture sur le plan national et interafricain, à promouvoir les langues africaines et à assurer une formation et éducation permanentes.

(b) En juillet 1990, les Etats membres de l’UA, anciennement l’« OUA », adoptèrent la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, laquelle s’inspire de la CDE onusienne et réunit en son sein à la fois des droits civils et des droits sociaux. Parmi les droits économiques, sociaux et culturels figurent le droit au développement (art. 5, para. 2 ChADE), le volumineux droit à l’éducation (art. 11 ChADE), le droit de l’enfant au repos et aux loisirs et son droit de participer librement à la vie culturelle et artistique (art. 12 ChADE) ; le droit des enfants handicapés à des mesures spéciales (art. 13 ChADE), le droit de tout enfant de « jouir du meilleur état de santé physique, mentale et spirituelle possible » (art. 14 ChADE), des dispositions relatives au travail renvoyant aux instruments de l’OIT (art. 15 ChADE) ainsi qu’à la traite des enfants (art. 29 ChADE)394.

(c) Egalement de nature catégorielle, le Protocole à la ChADHP relatif aux droits des femmes contient des droits tant civils que sociaux. Plus détaillé que l’art. 5 e) CEDEF en ce qui a trait à l’interdiction de toute discrimination en matière de droits sociaux, ledit protocole contient tant une disposition propre au droit à l’éducation et à la formation (art. 12 PA/ChADHP-DF) qu’une disposition relative aux droits économiques et à la protection sociale des femmes (art. 13). S’y ajoutent des articles au sujet du droit à la santé et au contrôle des fonctions reproductives (art. 14), des droits à la sécurité alimentaire, à un habitat adéquat, à un environnement culturel positif et à un développement durable (art. 15 à 19), sans compter les dispositions spécifiques visant à protéger les femmes âgées, handicapées ou en situation de détresse (art. 22 à 24).

V. Synthèse

Après avoir survolé les différentes étapes qui ont conduit à la consécration juridique des droits économiques, sociaux et culturels, et avoir passé en revue les instruments les plus marquants en termes de protection desdits droits, force est de constater que les droits sociaux de l’Homme peuvent se réclamer d’un héritage plus que bicentenaire au niveau national, et – en incluant les

394 Il est intéressant de noter que la ChADE consacre plusieurs dispositions relatives à des coutumes et pratiques courantes en Afrique. Ainsi, l’art. 21 protège les enfants contre les pratiques négatives sociales et culturelles qui sont préjudiciables à la santé ou discriminatoires, dont font assurément partie les mariages d’enfants (para. 2) ou les mutilations sexuelles (non mentionnées). L’article 26, quant à lui, interdit l’apartheid et la discrimination, tandis qu’un disposition traite du sort des enfants réfugiés (art. 23).

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79 organismes qui avaient présidé à la création de l’OIT – plus que centenaire au niveau international. Difficile, dès lors, de maintenir une classification rigide des droits de l’Homme en générations chronologiques, qui plus est aux implications théoriques et pratiques parfois impitoyables395.

L’on assiste, après les premiers soubresauts de l’OIT, c’est-à-dire dans les années d’après-guerre, à une évolution bicéphale du système de protection des droits économiques, sociaux et culturels : pendant que les efforts de l’OIT pour sauvegarder les doits de l’Homme à son lieu de travail et au-delà, s’intensifient continuellement, la nouvelle Organisation des Nations Unies et d’autres Agences spécialisées que l’OIT se découvrent, elles aussi, la volonté de garantir les droits sociaux par le biais d’instruments de caractère plus ou moins contraignant. Les activités de l’OIT engendreront des conventions très souvent techniques, détaillées et sophistiquées, tandis que les activités des secondes constitueront le moteur d’une expansion à la fois du champ de protection et du nombre de droits économiques, sociaux et culturels protégés sur le plan international. Ce mouvement évolutif sera bien vite relayé par les résultats de diverses organisations régionales, telles que l’Organisation des Etats américains, le Conseil de l’Europe ou l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), convertie depuis en Union africaine (UA)396.

Néanmoins, durant des décennies, et malgré la collaboration institutionnelle souvent étroite qui prit place entre l’OIT et le restant de la famille des Nations Unies, l’observateur externe maintint l’impression que les activités de ces deux cercles évolueraient en parallèle, dans deux vases clos sans point de rencontre. Pour mettre un terme à cette vision erronée de l’activité des Nations Unies et faire apparaître l’étroite imbrication et convergence liant les différents acteurs onusiens, il faudra toutefois attendre la proclamation solennelle de la Déclaration de Genève en 1998, où l’OIT se donne à voir comme l’une des principales gardiennes des droits économiques, sociaux et culturels.

Malgré tous ces développements, somme toute encourageants, ces droits de l’Homme sociaux, économiques et culturels ont tendance à pâtir d’un handicap par rapport aux droits dits de la « première génération ». Tant et si

395 Cf. EIDE / ROSAS, Challenge (2001), 4 : « The editors of this volume, however, do not adhere to the notion of ‘generations’. The history of the evolution of human rights at the national level does not make it possible to place the emergence of different human rights into clear-cut stages ».

396 La Déclaration islamique universelle des droits de l’Homme, proclamée par le Conseil islamique en date du 19 septembre 1981, a été délibérément écartée de la présente étude. Son caractère non contraignant et le fait que les droits de l'Homme qui y sont énoncés s’inscrivent dans et découlent des préceptes religieux de l’Islam, notamment de l’interprétation qu’en donne la charia, font obstacle à un emploi scientifique et rationnel. Cf. BREMS, Universality (2001), 254 ss ; KABASAKAL ARAT, Culture (2006), 432 s. ; KOUDE, Intuition (2006), 930 ss, qui traite aussi de la Charte arabe des droits de l’homme, du 15 septembre 1994. Bien que ce dernier instrument adopte une approche laïque et protectrice des droits de l’Homme (sans toutefois prévoir de système de contrôle convaincant), il reste actuellement lettre morte parmi la plupart des pays de la Ligue des Etats arabes, qui tardent à le ratifier.

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bien que, du même coup, les mécanismes destinés à les garantir effectivement s’en trouvent affaiblis et que leur nature même de droits de l’Homme, parfois de droits tout court en arrive à être artificiellement remise en cause397.

397 De façon tautologique, « les différences dans les mécanismes de contrôle (…) sont parfois soulignées pour convaincre les responsables politiques que finalement la ratification de la Charte, avec sa ‘souplesse’ n’a pas à engendrer de ‘craintes’ ! » : BONNECHERE, Droits nationaux (2001), 108, en parlant de la CSE et de la CEDH.