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« seconde zone »

B. L’absence de reconnaissance

Selon certains auteurs, les droits sociaux manqueraient d’assises morales et juridiques suffisamment solides au sein de la communauté internationale de sorte à ne pas pouvoir prétendre à une reconnaissance généralisée. Les raisons alléguées en soutien de cette théorie sont fort variées. Elles vont de la contestation de l’universalité de tous les droits de l'Homme au libre choix des moyens de leur mise en œuvre, tel que conditionnant à son tour la nature de ces droits, en passant par la relativité culturelle de tous les droits sociaux.

Finalement, certains auteurs voudraient déduire de la formulation différente et souvent prima vista édulcorée des instruments conventionnels de protection des droits sociaux, de même que des travaux préparatoires y relatifs, que la nature même de ces droits serait distincte de, voire qualitativement inférieure à celle des droits civils et politiques.

1) L’absence d’universalité

Un critère parfois lu ou entendu en rapport avec les droits sociaux concerne l’absence de reconnaissance universelle à laquelle ceux-ci se verraient confrontés au sein de la communauté internationale430. Il s’agit alors de (a) nier le caractère universel des droits de l’Homme dans leur ensemble, de (b) nier le caractère universel des seuls droits économiques, sociaux ou culturels (ou des droits perçus comme tels…), ou encore (c) de remettre en cause le principe de l’équivalence matérielle, c’est-à-dire qualitative, des droits sociaux par rapport aux droits dits de la « première génération ». Ce, par le biais de la démonstration de la relativité des moyens employés pour leur réalisation. A cet égard, il a souvent été fait référence aux ressources financières considérables et autres moyens que la mise en œuvre des droits sociaux requerrait systématiquement de la part de l’Etat, de même qu’au principe de la réalisation progressive des droits sociaux, notamment consacré à l’art. 2, para. 1er, du Pacte ONU I.

a) La prétendue absence d’universalité de tous les droits de l'Homme

Quant à la première variante, celle de l’absence d’universalité de tous les droits de l'Homme, elle est par définition radicale en ce qu’elle questionne les piliers mêmes du système des droits de l’Homme. D’origine judéo-chrétienne, dont les pensées humaniste et jusnaturaliste ne seraient, en fin de compte, que le prolongement ou l’application automatique des droits de l’Homme à d’autres civilisations aux mœurs et coutumes fondamentalement différentes, par exemple aux cultures asiatiques ou africaines, le système des droits de

430 ARANGO, Philosophie (2001), 44 ; JHABVALA, Context (1984), 158 ; LEARY, Justiciabilité (1995), 126.

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l’Homme se réduirait à de l’impérialisme ou à du néocolonialisme culturel431. Or, si les valeurs propagées par la civilisation occidentale le seraient avant tout par la contrainte, l’exploitation et l’oppression, sans le concours des autres civilisations, il serait évidemment impossible de parler d’acceptation universelle des droits de l'Homme432. Les droits de l’Homme étant relatifs par nature et dépourvus de reconnaissance universelle, il serait d’autant plus difficile, a fortiori, de prétendre à une acceptation universelle de l’une de leurs branches, à savoir des droits économiques, sociaux et culturels.

Dans la mesure où ces arguments s’attachent aux droits de l’Homme en général et où il ne nous incombe pas de « refaire le monde », notre thèse part du postulat de l’universalité des droits de l'Homme433, l’universalité de tous ces droits soulevant une autre question.

b) La prétendue absence d’universalité des droits sociaux Si l’on voulait ensuite suivre la deuxième variante, à savoir celle concernant l’absence de reconnaissance universelle des droits sociaux434, ceux-ci seraient par nature relatifs quant à leur contenu. Ceci tiendrait au fait que la formation et les éléments de ce dernier dépendraient des traditions et des coutumes propres à chaque Etat ou à chaque région spécifique. Dans ce contexte, l’on pourrait reprendre le terme de « tropisme culturel » rencontré dans le cadre de l’OIT. Ce, pour traduire l’altération géoculturelle à laquelle les droits sociaux seraient soumis, qui ébranlerait tout l’édifice de la reconnaissance universelle de ces droits. En effet, si leurs caractéristiques intrinsèques devaient effectivement et fondamentalement changer en fonction du lieu et du climat socio-culturel examinés, l’interprétation, et donc aussi la reconnaissance de ces droits seraient logiquement morcelées en autant de zones socio-culturelles différentes435.

En conséquence, la signification des droits au logement ou à l’éducation varierait substantiellement, c’est-à-dire quant à son essence même, selon que l’on se trouve en Namibie, en France, en Australie, au Cambodge, au Bahreïn ou au Mexique. Qui plus est, la volonté de progressivement établir un tel consensus ferait – ainsi vont les affirmations – entièrement défaut, ce tant au niveau international qu’au niveau domestique436. Ceci serait d’autant plus vrai

431 HINKMANN, Universalität (2000), 189 ; PREIS, Anthropological (1996), 288. Cf. aussi : AMIRMOKRI, Islam (2004), 69 ; INOUE, Discourse (2004), 130 s. ; OSIATYNSKI, Universality (2004), 33 s.

432 GOODHART, Universality (2003), 941 s. ; OSIATYNSKI, Universality (2004), 34.

433 Cf. CHATTON, Universalité (2007), 101 ss. Cf. aussi : BESSON, Effectivité (2011), 56 s.

434 ARANGO, Philosophie (2001), 44, développant son « Nichtuniversalierbarkeitsargument ».

435 MATAS, Rôle (1995), 142 ; WIERUSZEWSKI, Concept (1994), 68 s.: « How can one define the content of an economic right so that it would apply to every human being at every time and place ? The universal common denominator for economic and social human rights can be established only at a very low level ».

436 ALSTON, Strategy (1997), 189 ; GREWE, Avant-propos (2003), 6.

Chapitre second : Les droits sociaux, des droits de « seconde zone »

89 que les ressources à disposition des différentes sociétés et individus fluctuent grandement et qu’il serait donc impossible de garantir un standard homogène et universellement applicable437.

c) La relativité des moyens de mise en œuvre

Pour ce qui est enfin de la troisième variante, une argumentation n’étant bien entendu pas nécessairement exclusive de l’autre438, la relativité des droits sociaux découlerait également de la nature des moyens – matériels, organisationnels, financiers et autres – employés en vue de la mise en œuvre de ces derniers439. En d’autres termes, leur nature foncièrement différente par rapport aux droits de la « première génération » appellerait un choix différencié de moyens pour les mettre en œuvre440. A la faveur d’une interprétation large des termes « par tous les moyens appropriés » stipulés à l’art. 2, para. 1er, du Pacte ONU I, chaque Etat serait en effet libre d’adopter les moyens et les mesures lui paraissant les plus adéquates aux fins de réaliser les droits économiques, sociaux et culturels sur son territoire. A ce titre, l’Etat déciderait donc non seulement en maître absolu des méthodes qui répondent au mieux aux besoins spécifiques au sein de sa société ou de son aire culturelle, mais il pourrait également se rabattre sur la notion de réalisation progressive de manière à souverainement déterminer le temps nécessaire à la mise en œuvre des droits sociaux441. Finalement, la réalisation des droits sociaux serait également et intégralement conditionnée par l’état – ou par la gestion – souvent désastreux voire parfois corrompu des finances publiques d’un pays442, ce dernier pouvant se retrancher derrière la particule « au maximum de ses ressources disponibles » de l’art. 2, para. 1er, du Pacte ONU I443.

Loin d’être inoffensive, la remise en question théorique de l’universalité des droits économiques, sociaux et culturels de l’Homme affaiblit considérablement la mise en œuvre pratique de ces droits, en plus qu’elle s’attaque à leur crédibilité et à leur substance, savoir à la nature même desdits droits de l'Homme…

437 WIERUSZEWSKI, Concept (1994), 68 s.

438 Bien au contraire, les deuxième et troisième variantes sont souvent avancées conjointement.

439 MATAS, Rôle (1995), 141 ; VASAK, Problèmes (1973), 30.

440 Cf. EIDE, Human Rights (2001), 10 ; EIDE, Strategies (1993), 460 s.

441 Cf. ALSTON, International Law (1988), 163 ; MATAS, Rôle (1995), 142.

442 VIERDAG Egbert W., Legal Nature (1978), 81 s.: « As to the content, civil rights can be equally ensured in all countries, rich and poor, while the implementation of social rights must necessarily vary, dependent on the prosperity of each country as well as on the measure of priority given to that goal ».

443 Cf. WIERUSZEWSKI, Concept (1994), 68 s.: « How can one define universal economic human rights in a way that would take into account existing variations in the resources available to different societies and individuals ? What is practicable in relatively affluent societies is quite impossible in poorer ones ». Voir aussi : ALSTON, Strategy (1997), 189 ; GREWE, Avant-propos (2003), 6.

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2) La volonté historique

Un autre argument qui est souvent invoqué à l’encontre des droits sociaux se situe au niveau de l’interprétation historique des deux Pactes des Nations Unies, cet exercice s’étant – plus rarement, il est vrai – également répété à l’égard de l’élaboration de certaines conventions régionales444. Au travers de l’analyse des travaux préparatoires ayant abouti à l’élaboration finale des deux Pactes onusiens, certains auteurs arguent de ce qu’à l’origine déjà, il aurait existé un profond désaccord des Etats membres au sujet de la nature des droits sociaux. Par la suite, ce clivage, qui se nourrit de la plupart des arguments vus précédemment ou encore à découvrir ultérieurement, aurait non seulement conditionné l’adoption de deux conventions au lieu d’une seule, mais également expliqué pour quelle raison n’ont pu être à première vue consacrés que des droits sociaux indéterminés quant à leur nature et peu contraignants quant à leur mécanisme de mise en œuvre445. Autrement dit, la consécration des droits sociaux « dans deux instruments distincts » constituerait « la preuve de leur nature fondamentalement différente, entraînant ainsi une vue hiérarchisée de ceux-ci »446, cette « summa divisio » se répétant sur le plan européen447. Ainsi, les documents historiques qui avaient jadis présidé à l’adoption du Pacte ONU I démontreraient clairement que les dissimilitudes entre les Pactes en termes d’obligations et de formulation précise auraient résulté de choix politiques délibérés, mais que les racines de ces choix ne seraient pas tant arbitraires qu’elles ne découleraient de la considération attentive de la nature profonde de ces droits448. En somme, la communauté internationale serait, en raison de la nature fondamentalement différente de ceux-ci, peu encline à reconnaître les droits sociaux comme équivalents aux droits civils.