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« seconde zone »

C. Les implications pour l’Etat et la société

2) Le coût des droits sociaux

La problématique des coûts des droits sociaux peut être perçue en tant que prolongement de la question des prestations positives et du modèle social que les droits sociaux chercheraient à atteindre. En outre, il va sans dire que cet argument rejoint également la thématique de la séparation des pouvoirs dont nous allons traiter474. Une fois de plus, la superposition des différents arguments serait démontrée à satiété.

470 SIMMA / BENNIGSEN, Völkerrecht (1990), 1479-1482.

471 ROBERTSON Bernard, Reappraisal (1997), 6 s.: « At the deepest level it is evident that the thinking underlying the pursuit of economic and social rights is based on a view of society as an organisation designed and directed for specific purposes. This is clearly inimical to a free society which does not itself have any purpose beyond providing a secure framework for individuals to pursue their own purposes (…). To [attempt to] ensure that such aims are achieved, the free society must be replaced to some extent by a directed society in which individuals are compelled to channel at least some proportion of their efforts to the achievement of goals which they have not freely chosen ».

472 ROBERTSON Bernard, Reappraisal (1997), 4. S’il admet l’importance de la croissance économique, le Comité du Pacte ONU I n’en requiert pas moins que l’Etat instaure des filets sociaux de sécurité. Un Etat qui axerait sa politique de respect des droits sociaux sur la seule croissance, perdrait de vue le besoin de protection immédiat des personnes, si bien qu’une telle pratique ne serait pas conforme au Pacte ONU I. Cf. CRAVEN, ICESCR Perspective (1998), 122 s. ; voir aussi : DONNELLY, Human Rights (1998), 26.

473 Un argument relativement voisin de celui en vertu duquel les droits sociaux ne pourraient être réalisés qu’à travers une croissance économique continue dans un pays donné et, de surcroît, que la croissance économique entraînerait leurs réalisation et respect automatiques, consiste en l’assertion suivante : il sied de laisser l’économie, et par là même la réalisation des droits sociaux, se développer librement ; si l’on voulait en effet imposer le plein respect des droits sociaux avant même d’avoir obtenu un essor proportionnel de l’économie, ces droits rendraient l’Etat en question moins compétitif par rapport à la concurrence commerciale étrangère ainsi qu’en vue d’éventuels investissements. Ainsi, les interventions étatiques dans le but de garantir les droits sociaux mineraient la compétitivité d’un Etat. Cf., à ce sujet, ABI-SAAB, Développement (1988), 21, qui rejette cette automaticité du respect : « … le respect de tout droit de l’homme ne peut être soumis à des préalables, ni abrégé ou différé sous prétexte que d’autres droits ne sont pas encore satisfaits » ; ALSTON, Arena (1998), 2. Comme cet aspect fait appel au domaine du commerce international et ne concerne pas directement le sujet de notre étude, il n’en sera pas ou à peine traité par la suite. Pour la démonstration du caractère erroné de cette théorie par rapport aux droits sociaux de l’Homme (à ne pas confondre avec les standards sociaux), cf. CHATTON, Verknüpfung (2005), 52 ss et les références y mentionnées.

474 Voir déjà : WOODS, Paradigm (2003), 766 s.

Titre premier : Fondements et mythes fondateurs

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a) Les droits positifs coûteux

Par nature, les droits civils seraient donc des droits d’abstention, alors que les droits sociaux exhorteraient ou, dans le meilleur des cas, obligeraient l’Etat à adopter des programmes de mise en œuvre, à allouer des prestations et à coordonner les efforts de son administration afin d’assurer une pleine et entière réalisation de ceux-ci475. Il ne faut dès lors qu’un pas supplémentaire pour en déduire que les droits civils et politiques sont, à suivre cette même théorie, gratuits, tandis que les droits sociaux sont essentiellement coûteux476. Or, si les droits sociaux sont des droits positifs et qu’ils requièrent, par conséquent, davantage d’efforts que les droits civils, qui seraient négatifs, les droits négatifs peuvent et doivent être garantis d’abord. Les ressources restantes pourront ainsi être affectées à la réalisation des droits négatifs, dans les limites des ressources disponibles et dans la mesure du possible477.

b) A la recherche du sens premier des droits civils

S’apercevant de ce qu’une quantité de droits civils et politiques impliquent également un nombre conséquent d’obligations positives ainsi que, cela va normalement de pair, certains coûts478, ROBERTSON a toutefois préféré nuancer son argumentation et s’éloigner quelque peu des concepts simplistes de ses collègues, souvent ses prédécesseurs dans le temps. Selon cet auteur, le fait que les droits civils et politiques requièrent également des obligations positives ne saurait modifier la nature fondamentalement distincte de ces droits par rapport aux droits de la « deuxième génération ». En effet, ce que ROBERTSON qualifie de droits civils et politiques « positifs » dans le but de les démarquer de leurs homologues civils « négatifs » ne devrait, selon lui, son apparition tardive qu’à la réinterprétation et au pervertissement des textes

« classiques » des droits de l'Homme par les cours, comités et autres organes de contrôle nationaux et internationaux.

En revanche, les droits sociaux « positifs » – identifiés ainsi par rapport aux rares droits sociaux « négatifs » qui figurent traditionnellement dans des

475 Cf. CRANSTON, Supposed (1967), 50 s. ; EIDE, Future Protection (1993), 193 s. ; EIDE, Seuil (1989), 45 ; MAHON, Réforme (1996), 385 ; MATAS, Rôle (1995), 152 ; SOMMERMANN, Droits fondamentaux (2000), 356 ; VASAK, Problèmes (1973), 12.

476 Voir parmi tant d’autres : ANDREASSEN et al., Performance (1988), 336 ; ASHIEKOTEY, Indivisibilité (1999), 48 ; CRANSTON, Supposed (1967), 50 s. ; EIDE / ROSAS, Challenge (2001), 5 ; EIDE, Threshold (1989), 36 ; EIDE, Strategies (1993), 460 s. ; FEINBERG, Nature (1970), 255 ; FOSTER, Programmes (1999), 244 ; GREWE, Avant-propos (2003), 6 ; HUNT, Reclaiming (1996), 54 ; JACOBS Nicolas, Portée (1999), 29 ; LEARY, Justiciabilité (1995), 126 ; LIEBENBERG, Commentary Wet (1997), 164 ; LOW, Food (1993), 448 ; LUCIANI, Diritti sociali (1995), 119 ; MATAS, Rôle (1995), 150 s. ; NIEC, Droits culturels (2000), 288 ; PELLONPÄÄ, ESCR (1993), 858.

477 SHUE, Basic Rights (1996), 37.

478 Voir, p.ex., ALSTON, Strategy (1997), 189 ; ASHIEKOTEY, Indivisibilité (1999), 48 ; BETTEN, EU (1996), 17 ; IMBERT, Pauvres (1995), 100 s. ; KISS, Concept (1993), 552 ; O’REGAN, Introducing (1999), 4 ; TILLEY Alison, Non-Nationals (1998), 2 ; TOEBES, Health (2001), 178 s.

Chapitre second : Les droits sociaux, des droits de « seconde zone »

97 instruments protégeant des droits civils479 – auraient, du point de vue du droit positif, toujours été incorporés dans des instruments consacrant des dispositions programmatoires et non justiciables480. En d’autres termes, l’auteur susmentionné attribue l’extension du champ de protection des droits civils et des obligations y afférentes aux seuls aléas de l’histoire juridique, tout en s’accrochant, en bon puriste, à la nature intrinsèquement distincte de ces droits.

c) La qualité et le but des dépenses

En complément à cette approche, ROBERTSON discerne une autre différence dans la qualité des frais imposés à l’Etat. Pour lui, il ne serait nullement indispensable de s’arrêter à la quantité des dépenses gouvernementales, mais bien plus à leur qualité et au type d’action requis de la part de l’Etat, de même qu’aux objectifs poursuivis par ce dernier. En effet, des droits positifs, donc – pour schématiser – en priorité les droits sociaux, requerraient un rationnement et un transfert obligatoire de ressources d’un individu à un autre, soit une redistribution horizontale des richesses par l’intermédiaire de l’Etat481. En revanche, les droits négatifs, soit avant tout les droits civils, se contenteraient de requérir la fourniture par l’Etat de services également disponibles en tous temps et pour tous : par exemple, l’Etat devrait créer les infrastructures judiciaires et pénitentiaires nécessaires afin de pouvoir garantir la réalisation du bien commun qu’est l’ordre public, et pour protéger les droits des tiers à leur intégrité corporelle et à leur propriété482. En d’autres termes, les droits civils et politiques n’exigeraient « aucun effort financier dépassant le minimum nécessaire pour l’existence d’un Etat en tant que tel, l’excuse fondée sur le développement insuffisant de l’économie nationale » ne pouvant, dès lors, pas s’appliquer à ces droits483.

Force est cependant de constater que l’Etat n’établit pas ces institutions et établissements coûteux avec l’intention de protéger les droits de l’Homme des

479 P. ex. : liberté économique et contractuelle, garantie de la propriété privée, liberté syndicale et droit de grève. Voir, pour la liberté contractuelle : SCHÖNLE Herbert, Les fondements constitutionnels de la liberté contractuelle, in : Présence et actualité de la constitution dans l’ordre juridique – Mélanges offerts à la Société suisse des juristes pour son Congrès 1991 à Genève, Bâle / Francfort 1991, 61-81, 61 ss.

480 ROBERTSON Bernard, Reappraisal (1997), 5 ss.

481 HOLMES/ SUNSTEIN, Cost (1999), 229, contrecarrent cet argument en démontrant que tous les droits fondamentaux emportent une redistribution des ressources. Loin de se limiter au financement direct accordé aux plus démunis à partir des sommes versées par les contribuables, la redistribution préside également à l’intervention du registre foncier pour reconnaître les titres de propriété, des pompiers ou de la police pour sauver les biens patrimoniaux des nantis. Voir aussi : HIRSCHL, Study (2000), 1072.

482 Ce que ROBERTSON oublie ici, c’est que l’ordre public est notamment destiné à sauvegarder la vie et l’intégrité des individus, si bien que le caractère onéreux de ces mesures est également lié à la protection des droits de l'Homme, l’ordre public ne constituant pas une valeur per se. Voir : SHUE, Basic Rights (1996), 37.

483 BOSSUYT, Distinction (1975), 788.

Titre premier : Fondements et mythes fondateurs

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condamnés. Il le fait bien davantage dans le but d’exécuter ses tâches primaires de garant de l’ordre et de la sécurité publics. L’Etat se limite ici à poser le cadre, savoir les structures essentielles à son bon fonctionnement, en laissant les particuliers agir à leur guise pour le surplus. A l’opposé, les droits sociaux viseraient le transfert de richesses vers les couches plus exposées et plus vulnérables de la population484 et se distingueraient donc fondamentalement de leurs cousins civils et politiques.

Néanmoins, plus l’Etat effectuerait de transferts et institutionnaliserait un système de péréquation sociale, plus il aurait tendance à transformer de larges proportions de la population en de nouveaux bénéficiaires et pensionnaires de l’Etat. Ainsi, plus grand sera l’effort de redistribution consenti par le gouvernement, plus nombreuses seront les personnes qui dépendront de son intervention pour assurer leur survie, tel que l’auraient jadis démontré les expériences welfaristes soi-disant désastreuses du Président états-unien ROOSEVELT à la suite du krach boursier de 1929 et de la Grande Dépression qui s’ensuivit. Car : « [i]f you control the way a man earns his living, you control everything about him »485.

3) La violation du principe de la séparation des pouvoirs