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Un Etat dirigiste et liberticide

« seconde zone »

C. Les implications pour l’Etat et la société

1) Un Etat dirigiste et liberticide

a) La dichotomie entre les « droits de » et les « droits à » Pour reprendre les termes utilisés par IMBERT, l’on connaît bien les éléments, à présent classiques, qui ont été, jusqu’à peu de temps en arrière, régulièrement avancés aux fins de cimenter la dichotomie censée exister entre les droits civils et les droits sociaux, opposition « devenue si traditionnelle qu’elle en arrive à se présenter comme un postulat : droits libertés ou d’autonomie / droits-créances ou de prestations ; droits de … / droits à … ; Etat gendarme / Etat providence etc. »452. Or, précisément, les fondements mêmes de l’argument de l’Etat dirigiste et liberticide se groupent autour de la prétendue dualité perdurant entre, d’une part, des droits civils et politiques – négatifs, gratuits et d’application immédiate –, tels que requérant de par leur nature intrinsèque453 l’abstention de la part de l’Etat et, d’autre part, des droits sociaux – positifs, coûteux, programmatoires ou hortatoires et d’application progressive –, tels que demandant l’intervention des autorités et la mise en place de plans politiques et de mécanismes aptes à les garantir pleinement454,455. En dépit de

450 WILDHABER, Soziale Grundrechte (1972), 373, rappelait déjà que le minimum d’Etat n’équivalait pas le maximum de liberté et de justice.

451 Cf. HOLMES/ SUNSTEIN, Cost (1999), 39.

452 IMBERT, Pauvres (1995), 99 ; BERENSTEIN, Entwicklung (1978), 40 ; JACOBS Nicolas, Portée (1999), 29 ; OLINGA, Chaîne (1995), 53 & 60 s. ; KOTRANE, Rapport I (2002), § 16 s. ; ROBERTSON Bernard, Reappraisal (1997), 5 ss ; SOMMERMANN, Droits fondamentaux (2000), 356.

453 MACHACEK, Wesen (1991), 46 s. ; MARAUHN, Zugang (2003), 253 s.

454 ABRAMOVICH COSARIN, Denuncia (1998), 141 ; ADDO Michael, Justiciability (1992), 102 ; BOSSUYT, Distinction (1975), 790 ; BUERGENTHAL / KISS, Protection (1991), 30 s. ; CANÇADO TRINDADE, Tendances (1990), 915 & 918 ; DOWELL-JONES, Economic Deficit (2004), 2 ; EIDE, Strategies (1993), 461 ; GONÇALVESCORREIA, Direitos sociais (2004), 314 ; HENKIN, Bill of Rights (1981), 10 ; HIRSCHL, Study (2000), 1071 ; JACOBS Nicolas, Portée (1999), 29 ; MAHON, Réforme (1996), 385 ; MALINVERNI, Ordre juridique (1997), 73 ; MATAS, Rôle (1995), 150 s. ; MATSCHER, Naturrecht (2000), 99 ; NG, Rights (1995), 60 ; PULGAR, Protocole (1999), § 26 ss ; ROMAN, Etat de droit (2012), 18 ; TRUBEK, Third World (1985), 211 ; VIERDAG Egbert W., Legal Nature (1978), 80 ss.

455 MACHACEK, Justitiabilität (1988), 530 s.: « Die Argumentation gegen den Einbau sozialer Grundrechte in die Verfassung knüpft durchwegs an die Statuslehre von Jellinek an : die klassischen Freiheitsrechte seien prinzipiell mit dem status negativus verknüpft, wohingegen soziale

Titre premier : Fondements et mythes fondateurs

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certaines formulations laissant supposer qu’ils seraient d’application directe et qu’ils conféreraient une position subjective aux particuliers, les droits sociaux s’adresseraient en réalité aux seuls Etats et n’accorderaient, dans leur globalité, pas de prétentions individuelles quelconques456. Les rares exceptions seraient confinées aux cas dans lesquels la préexistence d’éléments et de circonstances suffisamment précis autoriserait la « positivation » juridique de créances subjectives et individuelles457, celles-ci ne pouvant justement naître que dans un contexte juridique et économique bien délimité, stable et favorable.

b) L’Etat pantagruélique ou l’Etat sans le sou

Les efforts et moyens qu’un Etat devrait concéder, respectivement engager, afin de mettre en œuvre ces « welfare rights »458, ces droits-providence, se trouvent cependant au centre des préoccupations doctrinales, au cœur de toute la problématique des droits sociaux459. D’une part, nous l’avons vu, les droits sociaux sont supposés s’adresser aux Etats et leur imposer la réalisation de programmes coûteux, complexes et de longue haleine. De là découle en partie la présomption de leur injusticiabilité, de là l’appréciation de leur caractère vague, indéterminé et programmatoire460. De là dérive également la remise en cause radicale de leur juridicité, c’est-à-dire de leur contenu normatif. D’autre part, et toujours selon certains critiques, l’interventionnisme qui est requis de la part de l’Etat aurait pour effet (a) soit de pousser l’Etat à la banqueroute, (b) soit de le forcer à déclarer forfait quant à la pleine réalisation des droits sociaux, (c) soit encore, en cas de moyens suffisants ou dans le but de se procurer les moyens nécessaires, de le contraindre à se transformer en Etat au régime dirigiste, voire dictatorial.

Grundrechte dem status positivus zuzuordnen seien. Da nach herkömmlicher Auffassung Grundrechte, die den Staat zu Leistungen verpflichten, das bestehende Verfassungssystem weitgehend zerstören » ; voir aussi : NOWAK, Bedeutung (1997), 8 : « Nach dieser zur Zeit der Verabschiedung der beiden Pakte (…) vorherrschenden dualistischen Sichtweise gewährleistet der Pakt [II] jene (…) liberalen Abwehr- und demokratischen Mitwirkungsrechte, d.h. die Freiheit vom Staat und die Freiheit zum Staat im Sinne der Statuslehre Georg Jellineks. Demgegenüber würde der Pakt [I] jene auf der Grundlage sozialistischer Grundrechtstheorie beruhenden Leistungsrechte der zweiten Generation, d.h. die Freiheit durch den Staat im Sinne Jellineks, garantieren » ; VERNIORY, Défense (2005), 102 s. KATROUGALOS, Welfare State (1996), 140 ss, critique cependant qu’il est fait un usage impropre du terme de « status positivus » chez Jellinek pour qualifier les droits sociaux, puisque ledit terme se référait aux prestations provenant de l’administration de services en général. Cf. JELLINEK, System (1905), 70 ss.

456 WINKLER, Grundrechte (1994), 22 : « Die in internationalen Übereinkommen festgelegten wirtschaftlichen und sozialen Rechte sind trotz ihrer teilweise – vordergründigen – Formulierung als individuelle subjektive Ansprüche (z.B. ‘Recht auf soziale Sicherheit’) im wesentlichen Staatenverpflichtungen und keine Individualansprüche ». Voir aussi : MALINVERNI, Ordre juridique (1997), 73.

457 WINKLER, Grundrechte (1994), 23. Cf. aussi : SIMMA / BENNIGSEN, Völkerrecht (1990), 1479 à 1482, qui sont de la conviction que l’Etat ne serait pas à même de garantir les conditions factuelles, surtout économiques, nécessaires à l’efficacité et à l’épanouissement des droits sociaux.

458 TRUBEK, Third World (1985), 211. Voir aussi : KATROUGALOS, Welfare State (1996), 138.

459 TOMANDL, Einbau (1967), 6.

460 Cf. LEARY, Complain (1995), 90 s. ; MAHON, Réforme (1996), 385.

Chapitre second : Les droits sociaux, des droits de « seconde zone »

93 1. Les caisses vides ou la grande désillusion

Les première et deuxième hypothèses se laissent facilement combiner. En effet, soit l’Etat met tout en œuvre pour pleinement réaliser les droits sociaux, dans quel cas il risque de vider ses caisses au vu des prétendues cherté et

« positivité » de ces droits. Soit il évalue l’ensemble des prestations matérielles et financières qui seraient attendues de lui et parvient au constat que leur mise en œuvre serait objectivement impossible, dans quel cas il se résignera à ne garantir que ce qui lui est possible de réaliser461. A la base de ces alternatives se trouvent les considérations suivantes :

a. Biens publics / biens privés

En premier lieu, ROBERTSON affirme, en empruntant des notions appartenant au domaine économique, que les droits négatifs, à savoir les droits civils et politiques, constituent en tant que droits-libertés des biens publics, consommés de manière non rivale, tandis que les droits positifs, à savoir les droits économiques, sociaux et culturels, équivaudraient à des biens privés462. Ceci implique qu’un consommateur supplémentaire ne saurait en bénéficier sans coût additionnel et que, d’une manière ou d’une autre, ces biens devront être rationnés. L’Etat y procédera soit en limitant l’étendue de leur réalisation soit en en restreignant le cercle des bénéficiaires463.

b. Le budget

En deuxième lieu, l’Etat qui souhaiterait, en dépit de cette « réalité », garantir le niveau de protection maximum de l’intégralité des droits sociaux en faveur de l’ensemble des personnes pouvant légitimement y prétendre, se verrait ainsi bien vite confronté à de très graves problèmes budgétaires, voire, d’emblée, à l’impossibilité de délier plus amplement les cordons de sa bourse.

Comme, en effet, la « mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels dépend, dans une large mesure, non pas de la législation, mais de la politique économique et sociale de l’Etat », le « niveau insuffisant de développement économique et le manque de ressources de nombreux pays constituent un sérieux obstacle pour la réalisation de ces droits »464.

461 RIEDEL, Solidarität (2003), 324.

462 Pour le concept économique de droits publics / privés appliqué au droit à l’eau, cf. DUPONT-RACHIELE et al., Eau (2004), 59.

463 ROBERTSON Bernard, Reappraisal (1997), 5 – 8.

464 KARTASHKIN, Droits économiques (1980), 126 s. Voir aussi : FRIBOULET, Economiste (2011), 169 ; KERDOUN, Place (2011), 513 ; STURMA, Poverty (1998), 47 s.: « There is no doubt that the level of realisation of social rights of individuals depends very much on the economic capacity of each State, i.e., on its level of economic and social development » ; VASAK, Problèmes (1973), 30 ; VIERDAG Egbert W., Legal Nature (1978), 83.

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