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LES APPRENANTS

2.2 LES REPRESENTATIONS ET ATTITUDES DES APPRENANTS

2.3.2 La « Net generation »

Le monde dans lequel cette génération vit est caractérisé par l’émergence

d’une mentalité de l’ère numérique (en anglais, information age mindset – Frand,

2000). Pour Frand, cet état d’esprit repose sur plusieurs paradigmes :

- les ordinateurs ne sont pas des technologies ;

- Internet est mieux que la télévision ;

- la réalité n’est plus réelle ;

- faire est plus important que connaître ;

- on apprend comme on joue à la Nintendo (c’est-à-dire qu’on résout les

problèmes par une approche d’essai et erreur) ;

- il faut être multitâche ;

- taper à l’ordinateur est mieux qu’écrire ;

- il est essentiel de rester connecté (« la connectivité ») ;

- une tolérance zéro est observée à l’égard des retards ;

- le consommateur et le créateur sont liés.

Ces enfants appartiennent plus particulièrement à la « Net generation » (Tapscott, 1998b). Selon Prensky (2001a), pendant leur enfance, ils passeront 5000 heures à lire, 10000 heures à jouer aux jeux vidéo et 20000 heures à regarder la télé. Ce sont des individus qui reçoivent les informations rapidement, qui aiment la gratification instantanée et les récompenses fréquentes, qui préfèrent les jeux au travail sérieux et qui sont multi-tâches. Cette génération est d’ailleurs également appelée la « génération M » pour son fonctionnement multitâche (Endrizzi, 2013 : 2).

Prensky part de cet état des lieux pour affirmer que ce nouvel état d’esprit entraîne de nouvelles aptitudes et attitudes chez les apprenants. Ces derniers ne penseraient plus comme avant :

Our students have changed radically. Today’s students are no longer the people our educational system was designed to teach. […] They think and process information fundamentally differently from their predecessors. (Prensky, 2001b : 1)

Il en déduit alors que les techniques pédagogiques traditionnelles ne sont plus adaptées à cette nouvelle génération d’élèves et indique que les « immigrants

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numériques » (digital immigrants54, i.e. les enseignants) sont dans la nécessité de

reconsidérer leurs pratiques pédagogiques afin de réussir à s’adapter au mode de

fonctionnement des « natifs numériques » (digital natives55, i.e. les apprenants) :

The single biggest problem facing education today is our digital immigrant instructors, who speak an outdated language (that of the pre-digital age), are struggling to teach a population that speaks an entirely new language. […] It is highly unlikely that digital natives will go backwards. […] We need to reconsider both our methodology and our content. (Prensky, 2001b : 2-3)

Mais des critiques s’élèvent contre cette conception des apprenants (Bennett & al, 2008 ; Weber & Dixon, 2010 ; Hargittai, 2010 ; Margaryan & al, 2011 ; Pedró, 2012 ; Endrizzi, 2013). Pour Weber & Dixon, il est utopique d’affirmer que tous les enfants baignent dès leur naissance dans les nouvelles technologies : « not all children ‘are born into new technology’. » (2010 : 4) Un fossé numérique persiste entre les classes sociales : « there is a class-based digital divide that is overlooked and possibly growing. » (Weber & Dixon, 2010 : 4). Il existe des variations dans les usages et compétences des membres de la Net Genération (Hargittai, 2010). Ces auteurs minimisent l’importance de la mentalité de l’ère numérique : « it is naive to assume that even for the most “wired” of young people, all life is digital. » (Weber

& Dixon, 2010 : 4)56. Ils rejettent alors l’urgence exposée par Prensky et Tapscott à

changer les pratiques pédagogiques pour s’adapter au nouveau public.

Bennett & al s’opposent également à la théorie de Prensky et alimentent le

« débat » (the digital natives’ debate). Dans un premier temps, ils considèrent que

les assertions de Prensky ne sont pas prouvées ; il s’agirait uniquement d’anecdotes et de représentations communes :

These assertions are put forward with limited empirical evidence or supported by anecdotes and appeals to common-sense beliefs. (Bennett & al, 2008 : 777)

C’est également le cas d’Endrizzi qui soutient que ces affirmations renvoient à « une vision stéréotypique et/ou idéal-typique » (Endrizzi, 2013 : 1) et ne sont pas le fruit de recherches empiriques :

Aucune recherche ne permet d’étayer définitivement l’idée que l’exposition aux technologies impacte les processus cognitifs. (Endrizzi, 2013 : 5)

54 Ceux qui ne sont pas nés dans l’ère numérique.

55 Ceux qui sont les natifs de la langue des ordinateurs, des jeux vidéo et d’Internet.

Page | 107 Dans un deuxième temps, Bennett & al remettent en cause une des spécificités majeures de la Net génération : l’aspect multitâche. D’après eux, il ne s’agit pas d’un nouveau phénomène ; les enfants ont toujours été capables de faire plusieurs tâches en même temps (notamment, faire ses devoirs devant la télévision) : « there is no evidence that multitasking is a new phenomenon exclusive to digital natives. » (Bennett & al, 2008 : 779).

Dans un dernier temps, ce genre d’affirmation est généralisant dans la mesure où il ne prend pas en compte les différences cognitives qui peuvent exister entre les individus d’un même groupe d’âge. En effet, soutenir que les apprenants participent tous de ce même état d’esprit reviendrait à dire qu’il n’existe qu’un seul style d’apprentissage caractéristique à une génération. Or, selon la théorie des styles d’apprentissage, les apprenants ont des préférences diverses pour apprendre. Pour Bennett & al, il y aurait autant de variations dans la génération des natifs numériques qu’entre les générations : « It may be that there is as much variation

within the digital native generation as between the generations. » (Bennett & al,

2008 : 779). Endrizzi met aussi l’accent sur l’existence de « divergences intra-générationnelles multiples » (Endrizzi, 2013 : 3). Par conséquent, penser qu’il existe un bloc monolithique est un « déni de complexité » (Endrizzi, 2013 : 4). Cette perception vient d’ailleurs corroborer notre positionnement en 2.1.

Pour conclure, Katz parvient à ménager ces avis divergents : il affirme qu’il existe effectivement une Net generation, mais il reconnaît en même temps la présence de disparités au sein de cette génération : « the Net generation is real, but as it is with all generations, it is not a monolith. » (Katz, 2005 : 8).

Ainsi, l’utilisation d’un terme globalisant comme « apprenants d’aujourd’hui » relève plus de la généralisation que de ce que l’on peut observer sur le terrain.

Il reste toutefois intéressant de se demander dans quelle mesure les élèves que nous allons interroger pour notre travail de recherche correspondent à cette définition de la Net Generation.

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2.4 SYNTHESE

Ce deuxième chapitre portait sur un des cinq pôles du modèle de la situation d’apprentissage : l’apprenant.

Les trois sous-chapitres ont mis en lumière l’idée que les apprenants ne représentent pas une masse homogène d’individus. Chaque apprenant a une expérience qui lui est propre, que ce soit à l’égard de l’apprentissage (sous-chapitre 1) ou à l’égard de la technologie (sous-chapitre 3). De cette expérience individuelle, naissent des représentations et des attitudes qui ne sont pas fixes d’un apprenant à l’autre (sous-chapitre 2).

Il est donc important de parler des « apprenants » au pluriel, et non de « l’apprenant » dans un sens générique.

C’est en partant de ce constat qu’il devient intéressant de se pencher sur les représentations et attitudes des apprenants pour essayer de déterminer les éventuelles différences qui pourraient exister chez les apprenants face à l’introduction du baladeur MP3 en cours d’anglais : l’introduction du baladeur MP3 est-elle synonyme d’adoption par tous les élèves ? C’est la question à laquelle nous essayerons de répondre, après avoir fait un état des lieux de l’objet technologique dans le milieu scolaire.

CHAPITRE 3