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APPRENDRE UNE LANGUE ETRANGERE

1.2.4 Le modèle d’ergonomie didactique de Bertin

Bertin (2000) propose une réponse au nouvel environnement créé par l’introduction de la technologie, à travers le modèle d’ergonomie didactique.

Le terme d’ « ergonomie » est traditionnellement utilisé dans le monde du travail. L’ergonomie s’intéresse à la relation entre l’homme et les machines, l’objectif étant d’optimiser les performances du système et améliorer les conditions de l’homme. De la même manière, l’ergonomie didactique se penche sur un processus de transformation : celui de l’individu qui acquiert des savoirs et des savoir-faire. Elle examine les conditions qui permettent une meilleure intégration de la technologie dans un dispositif, dans le but de favoriser et faciliter l’apprentissage :

L’ergonomie didactique est une approche théorique de l’instrumentation technologique de la situation d’apprentissage, visant à l’adéquation entre la technologie, ses utilisateurs et le processus, c’est-à-dire l’objectif recherché (l’acquisition de nouveaux savoirs et

savoir-faire). (Bertin, 2003 : 49)

Toutefois, l’introduction de l’objet dans l’environnement industriel et le milieu scolaire est différente. Dans le premier cas, l’objet est créé pour répondre à des besoins spécifiques, tandis que dans le deuxième cas, l’objet est pré-existant. Cela conduit donc à un décalage entre ce pour quoi il a été créé et ce pour quoi il va être utilisé : « the adequacy between process and artefact is no longer natural » (Bertin & al, 2010 : 15). C’est d’ailleurs l’idée que développe Rabardel à travers son modèle triangulaire des situations d'activités instrumentées (1995).

Page | 44 Selon lui, l’objet technique ne devient instrument pour le sujet qu’à partir du moment où celui-ci lui permet d’effectuer une tâche. Cela revient à dire que l’instrument et l’objet technique ne sont pas équivalents ; l’instrument est en effet une partie de l’objet technique, mais aussi une partie du sujet, qui lui attribue une fonction dans son activité.

Le modèle prend appui sur les principes de l’approche systémique. Les points caractéristiques de cette approche sont : l’existence d’un système, d’interactions entre les composantes de ce système, de rétroactions sur chacune des composantes, ainsi que de frontières entre les différentes composantes. L’idée première est la notion d’évolution, de fluctuation, d’ambigüité ; le processus n’est donc pas chronologiquement linéaire. On s’intéresse donc aux réseaux, aux processus, aux évolutions (Puren, 2015 : 7).

Cette approche s’oppose à la méthode aristotélicienne (communément appelée « approche analytique ») qui consiste à catégoriser le monde et à réduire la complexité à des composantes stables. En effet, depuis une cinquantaine d’années, nous avons changé d’approche :

On est passé […] d’un mode d’appréhension d’une réalité statique, où sont privilégiées les

structures, c’est-à-dire les relations entre les différents éléments d’ensemble considérés

comme cohérents et stables parce que relativement indépendants de leur environnement à un mode d’appréhension d’une réalité dynamique, où sont privilégiés les systèmes, c’est-à-dire les interactions, rétroactions, récursivités et autres flux entre les différents éléments d’ensembles qui sont cohérents, mais en même temps ouverts sur un environnement complexe qui les amène à évoluer pour s’adapter. (Puren, 2015 : 7)

De ce fait, l’approche systémique permet de décrire et de saisir la réalité dans sa complexité. Le terme « complexité » ici n’est pas synonyme de complication. Edgar Morin, le concepteur de la « pensée complexe », en donne une définition : « Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot complexus, "ce qui est tissé ensemble". » (Morin, 1995)

Une chose compliquée est difficile à faire ou à comprendre parce qu’on la rend compliquée ; ce mot a donc un sens plutôt péjoratif. En revanche, une chose complexe est difficile à saisir dans la mesure où elle comporte des éléments différents, imbriqués.

Page | 45 Pour comprendre pleinement la réalité, il faut voir les éléments du système dans leur ensemble car « identifier les fils individuellement ne permet jamais de connaître le dessin d’ensemble de la tapisserie » (Morin, 2011 : 152).

Le tableau suivant donne quelques spécificités des deux types de méthode et permet de les contraster (Bertin, 2010 : 2) :

Tableau 4 – Comparaison méthode analytique / méthode systémique

Méthode analytique Approche systémique

Centration sur les éléments Importance des relations et des

interactions entre les éléments Prise en considération de la nature des

interactions

Prise en considération des effets des interactions

Importance donnée au détail Accent mis sur la perception globale

Une seule variable peut changer à la fois.

Des groupes de variables peuvent changer simultanément.

Phénomènes réversibles Phénomènes irréversibles

La validation vient de l’expérimentation à l’intérieur d’une théorie donnée.

La validation vient de la comparaison du modèle avec la réalité.

Les modèles sont précis et détaillés, mais ne sont pas utilisables pour l’action.

Les modèles ne sont assez précis pour représenter la connaissance, mais peuvent être utilisés pour l’action. Efficace avec des interactions linéaires

et limitées

Efficace avec des interactions non-linéaires

Entre l’introduction à l’ergonomie didactique en 2000 et aujourd’hui, la modélisation de Bertin a évolué, et le modèle actuel (2010) est un modèle à 5 pôles, qui permet de définir le processus d’apprentissage d’une langue étrangère dans sa complexité et sa variabilité.

Les trois pôles traditionnels du triangle pédagogique – l’apprenant, l’enseignant et la langue/culture (c’est-à-dire l’objet) – sont conservés. La

Page | 46 composante « contexte », semblable au « milieu » de Legendre, fait son apparition. La différence principale réside dans le fait que le contexte englobe les autres éléments du système alors que dans l’ergonomie didactique, le contexte constitue un pôle. Il y a donc des interactions et des rétroactions y compris sur le contexte (contrairement au cas précédent où le contexte « englobant » est immuable). Enfin, le pôle « technologie » est introduit dans le système.

Page | 47 Même si la technologie est au centre du modèle, l’approche retenue pour la situation d’apprentissage n’est pas technocentrique dans la mesure où elle ne réduit pas la place de l’individu (enseignant/apprenant) en faveur de l’outil. Elle est, selon les termes de Rabardel (1995), « anthropotechnologique », c’est-à-dire qu’elle ne donne la primauté ni à l’individu, ni à la technologie : elle donne un poids équivalent aux deux composantes.

De plus, le modèle relève d’une approche socioconstructiviste de l’apprentissage, ce qui est en phase avec notre posture épistémologique. En effet, c’est au travers des interactions sociales entre les différents acteurs qu’émerge l’activité langagière.

Enfin, le modèle conçoit la situation d’apprentissage sous un angle

dynamique. Cette perspective renvoie à la théorie des systèmes dynamiques22

(TSD), initialement utilisée dans les sciences exactes, mais reprise dans les sciences humaines dans la mesure où elle permet de répondre à la complexité croissante du monde révélée par les observations. Cette théorie participe de l’approche systémique et introduit la dimension de temporalité qui prend en compte la nature évolutive des interactions. Elle est donc en accord avec la pensée complexe de Morin et son principe d’incertitude : « intégrer dans le modèle des paramètres qui ne peuvent être ni figés, ni conçus de manière définitive au moment où celui-ci se construit » (Rivens-Mompean, 2013 : 367). Ainsi, le modèle intègre l’éventualité d’une évolution dans le dispositif.

Cette approche est pertinente pour décrire une situation d’apprentissage comportant l’intervention d’une technologie car la technologie est un élément fluctuant (c’est-à-dire qui est sujet à évolution rapide et qui peut prendre plusieurs formes) :

Technology remains an unstabilised concept because of the variety of forms it can take and the rapid pace of its evolution, which renders reasoned observation a difficult matter. (Bertin, 2011b : 7)

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