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APPRENDRE UNE LANGUE ETRANGERE

1.3.1 Définition et théories

Qu’est-ce que la motivation ? La motivation n’est pas un construit de nature simple. Selon Kleinginna & Kleinginna (1981), il en existerait 102 définitions. Essayons toutefois d’en donner une définition générale. Pour Dörnyei (2001 : 15), la motivation se détermine par les trois questions suivantes :

- « why people decide to do something » - « how hard they are going to pursue it »

- « how long they are willing to sustain the activity »

La motivation détermine donc le choix d’une action particulière, puis l’effort et la persistance à la maintenir.

De nombreuses recherches ont été menées à ce sujet, et de nombreuses théories ont ainsi été développées (Fishbein, 1975 ; Gardner, 1985 ; Deci & Ryan, 1985 ; McCombs & Pope, 1994 ; Dornyei, 1994).

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Dans la mesure où notre thèse se place dans une approche cognitiviste26,

nous allons présenter les théories qui sont issues de la psychologie cognitive (celles qui se sont développées à partir des années 1970). Elles mettent l’accent sur les connaissances, les pensées, les réflexions des individus, leur manière d’interpréter l’expérience. De plus, en accord avec notre cadre systémique et dynamique, les théories présentées ci-dessous décrivent la motivation comme un phénomène qui évolue dans le temps (« motivation is dynamically evolving » ; Dornyei & Otto, 1998 : 46), et non comme une caractéristique stable de l’apprenant. En effet, un apprenant n’est pas forcément motivé en permanence, ses efforts ne sont pas constants et sa motivation peut régulièrement fluctuer. Ce sont d’ailleurs ce que Delannoy (2005) appelle « les intermittences de la motivation ».

R.C. Gardner est considéré comme un pionnier dans le travail sur la motivation. Il a défini le concept de motivation selon deux sous-systèmes : la motivation instrumentale et intégrative (1985). La motivation instrumentale renvoie aux bénéfices que peut apporter la maîtrise d’une langue étrangère aux apprenants (par exemple, des possibilités d’embauche plus importantes, un salaire plus élevé, une carrière plus prometteuse…) La perspective est donc ici très pragmatique. La motivation intégrative, quant à elle, concerne plus particulièrement les prédispositions affectives de l’apprenant par rapport à une langue étrangère. Cela détermine s’il accepte d’interagir avec des membres de la communauté étrangère.

Une autre théorie de la motivation est celle qu’ont développée Deci et Ryan (1985) : la théorie de l’auto-détermination. Les auteurs ont établi deux types de motivation, la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque. D’un côté, la motivation extrinsèque concerne des attitudes qui, comme le nom l’indique, sont extérieures à l’individu : l’individu veut obtenir quelque chose en échange de l’activité (par exemple, obtenir des bonnes notes, faire plaisir à ses parents…). Lorsque la contrainte disparaît, l’apprenant perd la motivation. De l’autre côté, avec la motivation intrinsèque (interne à l’individu), les comportements sont faits pour

Page | 57 eux-mêmes. Ainsi, cela signifie que les apprenants agissent par plaisir et par volonté. Toutefois, cette théorie n’est nullement dichotomique : les actions humaines sont placées sur un continuum entre les deux extrêmes, et le curseur se déplace entre ces deux pôles.

amotivation motivation extrinsèque motivation intrinsèque

Figure 14 – Continuum d’autodétermination (d’après Decy & Ryan, 1985) Dans cette théorie, l’amotivation est l’extrémité du continuum la moins déterminée. C’est lorsque les apprenants ne voient pas de relation entre leurs actions et les conséquences de ces actions.

Plus le désir est auto-déterminé et auto-régulé, plus l’individu sera motivé. Plus l’action est contrainte et imposée, plus l’individu s’ennuyera et moins il fera preuve de motivation.

Intrinsic motivation is in evidence whenever students’ natural curiosity and interest energise their learning. When the educational environment provides optimal challenges, rich sources of stimulation, and a context of autonomy, this motivational wellspring in learning is likely to flourish. (Deci & Ryan, 1985 : 245)

Un style d’enseignement trop contraignant peut infléchir la motivation intrinsèque ainsi que l’estime de soi. En revanche, lorsque les apprenants ont la possibilité d’être des acteurs de leur apprentissage, et non pas simplement des spectateurs, ils deviennent plus intéressés, et ils peuvent plus facilement développer un sentiment d’auto-détermination. Selon, H.D. Brown (cité par Dörnyei, 1994 : 276), le contexte scolaire traditionnel, avec l’importance du

professeur, des examens et des notes27, fait plutôt la part belle à la motivation

extrinsèque.

27 Covington considère en effet que les élèves d’aujourd’hui sont obnubilés par les notes : « many

students are grade-driven, not to say "grade-grubbing". » (1999 : 27) --- Continuum d’autodétermination +++

Page | 58 D’autre part, selon la théorie de l’expectation-valence développée par Fishbein (1975), la motivation résulte de deux facteurs : comment un individu perçoit ses chances de réussite pour une tâche donnée (l’expectation) et quelle valeur il attache à un but (la valence). Les deux variables doivent être élevées pour que la motivation apparaisse. Plus les apprenants pensent qu’ils réussiront et plus la valeur qu’ils accordent à la tâche est grande, plus leur degré de motivation sera important.

Dans la théorie de l’orientation des buts, les actions humaines sont déterminées par des objectifs, et ceux-ci sont posés et poursuivis par choix. Déterminer un but encourage les apprenants à développer une attitude positive et cela intensifie leur engagement à une tâche. Un « bon » but doit respecter la « règle des ABCD » établie par McCombs & Pope (1994 : 69) : il doit être réalisable

(achievable), crédible (believable), concevable (conceivable) et désirable (desirable).

Les objectifs fixés doivent paraître accessibles aux yeux des apprenants. Ainsi, cela développera leur sentiment d’efficacité et de confiance en soi. Par conséquent, si un apprenant croit qu’il a les capacités d’accomplir une tâche, il sera plus enclin à s’engager dans celle-ci. Au contraire, si d’autres personnes (en l’occurrence des professeurs) lui fixent des buts sans l’impliquer, il aura tendance à être moins motivé pour travailler.

Enfin, il est intéressant de se pencher sur le contraire de la motivation, à savoir l’amotivation. L’amotivation est à dissocier de la démotivation car cette dernière correspond à un amoindrissement de motivation dû à des forces extérieures (Vandergrift, 2005 : 72). L’amotivation, quant à elle, apparaît quand les apprenants ne perçoivent plus l’intérêt d’une tâche (son but, ainsi que son utilité) or quand ils ont l’impression qu’ils ne pourront pas réussir. Dörnyei qualifie ce sentiment d’impuissance de « learned helplessness » (1994 : 276). Les apprenants se découragent et se résignent. Selon Lieury (2005), ce n’est pas un trait de caractère, mais le résultat de l’apprentissage (ce sont les expériences passées qui peuvent expliquer ce découragement). Cet état conduit à la passivité et cela n’amène pas les apprenants à faire des efforts. De là, résulte un cercle vicieux : ils

Page | 59 perdent confiance en eux, leur estime de soi est menacée, leur sentiment d’efficacité est réduit. D’ailleurs, pour Dörnyei, cette situation est assez répandue au collège et lycée :

The “self”-issues (self-confidence, self-esteem, self-efficacy) are sensitive areas in primary/secondary school learning because students are often in the development age when their self-image is an ongoing flux. (2001 : 87)

Une fois que ces sentiments sont établis, il est très difficile de faire machine arrière et de revenir à de l’enthousiasme, de l’engagement, de la persistance.

Si nous lions notre objet d’étude aux différentes théories, le baladeur MP3 recèlerait une force motivationnelle :

- si les apprenants voient un avantage à l’utiliser (théorie de Gardner) ;

- si son introduction permet aux apprenants une plus grande auto-détermination (théorie de Deci & Ryan) ;

- si les apprenants ont l’impression que leur chance de réussir à maîtriser la langue est plus importante (théorie de Fishbein) ;

- si les objectifs fixés dans les activités intégrant le baladeur sont accessibles (théorie de McCombs & Pope) ;

- s’il contribue à améliorer la confiance en soi des apprenants (théorie de l’amotivation).

Ces différentes hypothèses ne sont en aucun cas divergentes (la perspective de réussite augmente la confiance en soi ; une plus grande auto-détermination peut être dynamisée par la perception de faisabilité de la tâche et de l’utilité que les apprenants retireront à accomplir cette tâche…). Elles serviront à la fois pour construire notre outil de recherche et pour analyser les résultats obtenus.

1.3.2 L’investissement

Toutefois, la motivation n’est pas directement observable : elle n’est que le résultat de l’activité de l’apprenant. Narcy-Combes propose donc un autre concept, en substituant à la motivation la notion d’investissement. Ce concept, développé préalablement par Norton (1995), considère que lorsqu’un individu parle une

Page | 60 langue, il « s’investit » et s’insère dans une identité. Il le fait dans le but d’obtenir davantage de ressources symboliques et matérielles. Il attend alors un retour sur « investissement ».

Contrairement à la motivation, l’investissement peut s’observer et se mesurer :

La motivation, dans son acception classique, n’est observable qu’a posteriori. C’est la

mesure de l’implication, de la satisfaction et de la progression des apprenants qui permet de savoir s’il y a eu motivation. Ce que l’on peut prendre en compte a priori n’est que ce qui est censé assurer cette motivation en s’appuyant sur des données didactiques, ou sur les représentations des apprenants. » (Narcy-Combes, 2005 : 51)

Investment can be measured before a course begins, since it is not directly related to the course. Attitude measurements may show how much a learner is likely to invest in a course and whether this is going to compensate the effects of the difficulties encountered during the course. (Narcy-Combes dans Bertin & al, 2010 : 112)

D’après ces définitions, l’investissement peut tout d’abord se mesurer à travers les images mentales des apprenants, ce qui est directement en lien avec notre sujet d’étude. Ensuite, il peut être observé avant même que le processus d’apprentissage en question ait eu lieu. Ce concept est donc plus pertinent pour notre cadre de recherche dans la mesure où nous nous intéressons dans un premier temps à l’accueil du baladeur MP3 dans la classe en aval, c’est-à-dire avant la mise en place de l’expérimentation.

De plus, le concept d’investissement prend en compte la personnalité multiple des individus (« a complex social identity » ; Norton, 1995 : 17) et leur relation variable à la langue étrangère suivant les situations : « a learner’s investment is subject to variations over time and space, depending on the momentary conditions of identity and power » (Narcy-Combes dans Bertin & al, 2010 : 112). Cette citation met l’accent sur le jeu d’influences qui fait évoluer l’identité d’un apprenant et qui peut donc faire varier son investissement : les désirs de l’apprenant, les pressions sociales de l’institution, des enseignants et des personnes qui l’entourent, l’expérience de son propre processus d’apprentissage… Elle resitue l’individu dans les contextes sociaux et interactionnels où il intervient. Par conséquent, elle considère bien le caractère systémique de la situation d’apprentissage. Cela est clairement en accord avec notre positionnement épistémologique constructiviste/socioconstructiviste (1.1), qui considère la situation

Page | 61 d’apprentissage comme un système non-stable dans lequel toutes les composantes interagissent (1.2), et selon lequel il existe une diversité d’apprenants (1.2).

Par conséquent, nous avons pu voir que ce qui poussait les élèves à apprendre est un construit complexe : « an eclectic, multifaceted construct » (Dörnyei, 1994 : 279). Pour susciter le désir d’apprendre, plusieurs paramètres entrent en ligne de compte et se complètent. Les représentations des apprenants sur lesquelles nous nous pencherons nous permettront d’apporter des indicateurs

observables de leur investissement.

1.4 L’APPRENTISSAGE DES LANGUES ETRANGERES AU LYCEE