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APPRENDRE UNE LANGUE ETRANGERE

1.2.5 Les composantes du modèle retenu

Même s’il est difficile d’examiner les pôles un à un dans la mesure où ils font partie d’un système plus global et que des effets rétroactifs sont en œuvre, nous allons à présent détailler les différents pôles et voir dans quelle mesure ils sont en relation.

1.2.5.1 L’apprenant

Selon notre perspective « constructiviste », l’apprenant est un protagoniste actif dans le processus d’apprentissage. Il serait d’ailleurs plus exact de parler d’ « apprenants » au pluriel. Notre hypothèse est qu’il n’existe pas « un » apprenant, mais « des » apprenants. Nous y reviendrons plus en détail dans le chapitre suivant (2.1), et nous tenterons d’exposer l’aspect multi-dimensionnel de l’apprenant. Toutefois, en partant du principe selon lequel chaque apprenant est différent, nous pouvons déduire qu’il n’existe donc pas un seul type de processus d’apprentissage. Celui-ci est en constante adaptation, en fonction du profil des apprenants. L’enseignant adapte ses pratiques ; les contenus (linguistiques et culturels) sont également ajustés ; les moyens mis en œuvre (et en l’occurrence le recours à la technologie) correspondent aux besoins des apprenants. Nous nous situons clairement ici dans une approche systémique dynamique.

D’autre part, les représentations des apprenants sur les autres composantes de la situation d’apprentissage jouent un rôle important dans la compréhension du système. En effet, leurs perceptions de l’apprentissage d’une langue étrangère en général, de la langue et la culture en particulier, de la technologie dans le milieu scolaire, vont dicter leurs attitudes à l’égard du processus d’apprentissage. Les représentations n’étant pas figées, les attitudes peuvent évoluer.

Enfin, lorsque nous parlons des apprenants, il ne faut pas oublier les pairs qui interviennent dans la situation d’apprentissage : « an individual’s knowledge is described as a personal construction mediated by teachers and peers » (Narcy-Combes dans Bertin & al, 2010 : 128). Les pairs peuvent en effet avoir une influence sur le processus d’apprentissage d’un apprenant : ils peuvent par exemple être

Page | 49 vecteurs motivationnels (notamment à travers l’esprit de compétition – Oxford, 1999), sources d’anxiété (avec le regard des autres – Asselineau, 1999) ou même facilitateurs d’apprentissage (par l’intermédiaire de l’apprentissage par les pairs – Dornyei, 2001).

1.2.5.2 La technologie

La technologie dans le système scolaire peut prendre plusieurs formes. Le chapitre 3 est dévolu à cette thématique. L’objet technique/technologique devient un instrument d’apprentissage dans la mesure où il est intégré dans un système complexe d’interactions : il ne prend un sens instrumental que dans sa relation avec les autres composantes. La technologie se construit autour de l’intention didactique des concepteurs selon leurs conceptions de la langue, de l’apprentissage, du

contexte, du potentiel de la technologie...23 C’est dans ce cadre que le

« détournement d’usage » (Sabiron, 2001 : 107) ou « catachrèse » (Rabardel, 1995 : 99) a lieu. Par conséquent, nous pouvons reprendre la thèse de Bertin et dire qu’il n’existe pas de TICE en tant qu’objets « réels ». Les TICE sont des construits contextualisés, des TIC instrumentalisés. Ils ne reposent pas sur une construction scientifique mais sur une vision institutionnelle. C’est la raison pour laquelle nous utiliserons désormais uniquement le terme TIC.

1.2.5.3 La langue/culture

L'apprentissage d'une langue étrangère implique que nous explicitions notre conception de la langue.

Nous retiendrons tout d’abord le concept unique de langue/culture (dans la même optique que l’appellation « objet » de Legendre). Langue et culture ne sont pas dissociées ; ce sont les deux faces d’une même réalité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est fait aujourd’hui référence à la « didactique des

23 Cette construction est d’ailleurs une nouvelle fois « revisitée » par les usages qu’en font les

Page | 50 langues/cultures » (Puren, 2015), et non plus seulement à la « didactique des langues ».

En effet, pour être compétent dans une langue étrangère, l’apprentissage seul de la langue ne suffit pas : « linguistic competence alone is not enough for learners of a language to be competent in that language » (Narcy-Combes, dans Bertin & al, 2010 : 61). L’apprentissage de la culture de la langue-cible intervient parallèlement. En effet, selon l’hypothèse whorfienne (Whorf, 1956), la langue exprime certes la culture mais est aussi une réflexion de la culture. C’est d’ailleurs cette même idée que reprend le CECRL, le Cadre Européen Commun de Référence pour les langues (ouvrage de fond du Conseil de l’Europe, paru en 2001, qui donne des recommandations aux Etats-membres quant à la politique linguistique) : « le contexte culturel soutient la langue » (2001 : 9). Selon le CECRL, il est important que les apprenants développent la compétence sociolinguistique (très proche de la compétence socio-culturelle) car communiquer ne revient pas uniquement faire des

phrases24. Des traits relatifs à l’usage de la langue sont également à prendre en

considération : les marqueurs de relations sociales, les règles de politesse, les dialectes et accents... Par conséquent, l’apprentissage d’une langue étrangère est un phénomène à la fois linguistique et culturel.

Il n’est pas pertinent de se poser la question de l’innéisme ou non de la langue, car nous parlons ici de langue étrangère (Gaonac'h, 2006). Elle est forcément acquise dans la mesure où il ne s’agit pas de notre langue maternelle. Si le processus de production langagière est génétiquement présent dans notre cerveau (comme l’indique LeDoux, 2003), le développement de la langue est en revanche lié à la subjectivité de l'individu et à ses interactions sociales (dans une perspective constructiviste/socioconstructiviste) :

Language is the place where actual and possible forms of social organizations and their likely social and political consequences are defined and contested. Yet it is also the place where our sense of ourselves, our subjectivity, is constructed. (Norton, cité par Narcy-Combes, dans Bertin & al, 2010 : 59)

24 Dans le CECRL, la compétence de communication est constituée d’une composante linguistique,

Page | 51 Enfin, nous appréhendons l’apprentissage d’une langue étrangère comme un processus se situant dans un contexte plus général – i.e le plurilinguisme. Le plurilinguisme est un concept différent du multilinguisme. Le premier renvoie au fait d’avoir des compétences dans plusieurs langues, tandis que le deuxième fait référence à la coexistence de plusieurs langues au sein d’une communauté (Narcy-Combes, 2010 : 63). Le plurilinguisme est d’ailleurs mis en avant par le CECRL. En effet, lorsqu’un individu apprend plusieurs langues (comme c’est le cas dans le système scolaire français), le processus ne relève pas d’une simple juxtaposition des langues. Il s’agit de considérer une compétence globale nourrie par les expériences

d'apprentissage dans toutes les langues.25 Ainsi, on n’apprend pas l’anglais et

l’allemand – on apprend une langueétrangère.

Nous détaillerons également notre conception d’une langue étrangère ultérieurement, lorsque nous préciserons la méthode d’apprentissage dans laquelle se situe notre enseignement en tant qu’enseignante-chercheur (en 1.4.1).

1.2.5.4 Le contexte

Pour Bertin, il n’existe pas un contexte unique : celui-ci est un « construit social » (2010 : 173), en constante évolution.

En effet, le contexte d’apprentissage est en relation étroite avec les politiques éducatives qui définissent les objectifs de l’apprentissage d’une langue étrangère : les instructions officielles dictent aux enseignants l’approche à suivre et recommandent le développement de certaines pratiques. Mais elles n’en demeurent pas moins qu’une ligne de conduite et les pratiques ne sont pas homogènes :

The actors may pursue different aims from those pursued by innovation policies, or define different objectives from institutional ones. (Bertin & al, 2010 : 172)

Sur le terrain, il existe des différences. Selon l’établissement dans lequel la situation d’apprentissage a lieu, les contraintes matérielles (et notamment les

25 Cette globalisation de l’apprentissage des langues peut se remarquer à travers les termes mêmes

Page | 52 contraintes financières) peuvent ou non être levées. De plus, les politiques d’établissement peuvent ou non faciliter le recours aux TIC. L’investissement des équipes pédagogiques peut également expliquer la présence de disparités dans le niveau d’intégration numérique entre plusieurs établissements.

Enfin, dans la mesure où le contexte est une réalité socialement construite, la valeur que la société attribue aux composantes du système peut influencer le contexte d’apprentissage.

Il existe donc plusieurs niveaux de contexte (Bertin, 2011 : 11) :

• le microcontexte (ou contexte très proche) : les ressources matérielles et

humaines ainsi que les conditions spatio-temporelles (et notamment la salle de classe) – les conditions concrètes de l’apprentissage ;

• le mésocontexte (ou contexte proche) : l’institution – la plateforme entre les

politiques de langues et la mise en œuvre pédagogique ;

• le macrocontexte (ou contexte large, le plus éloigné) : les conditions

sociales, économiques, politiques à un moment donné qui pèsent sur le système éducatif et déterminent les orientations éducatives.

Ces trois contextes déterminent conjointement la situation d’apprentissage. Ils sont liés et interagissent (par exemple le macrocontexte sur le mésocontexte, le mésocontexte sur le microcontexte…).

1.2.5.5 L’enseignant

Le rôle de l’enseignant est multiple : c’est un penseur, un preneur de décisions, un motivateur, un modèle, un médiateur et un entraîneur (Tardif, 1992), un concepteur de cours, un auteur de ressources, un tuteur, un interlocuteur (Narcy-Combes, 2005), un facilitateur d’apprentissage (Rogers, 1972).

Il est d’abord penseur dans la mesure où il réfléchit sur les tâches, les stratégies nécessaires, le matériel à mettre à disposition des élèves en fonction des objectifs du programme et des acquis des élèves. Parallèlement, il est preneur de décisions car il ne se contente pas de suivre les instructions à la lettre : il fait des choix quant au contenu d’enseignement. Par conséquent, il dicte la langue et la culture qui sont étudiées, tout en s’appuyant sur les instructions officielles. Il agit

Page | 53 donc en tant que concepteur didactique : il crée des cours et des ressources. L’enseignant est également motivateur : pour soutenir la motivation, il s’attache à montrer la pertinence des activités qu’il a choisies. De plus, étant donné qu’il est un locuteur compétent, l’enseignant est un modèle dont l’élève doit d’inspirer pour s’améliorer. L’enseignant a aussi un rôle de médiateur, plus précisément entre la langue et l’apprenant : il permet à l’élève de percevoir ses difficultés et d’y remédier. En d’autres termes, il facilite le processus d’apprentissage. Cela requiert donc une adaptation constante dans la médiation. Enfin, l’enseignant est entraîneur : il met en place les conditions nécessaires pour que l’élève puisse pratiquer la langue. Cette dimension est en adéquation avec la notion d’étayage vygotskienne : l’apprenant peut aller plus loin grâce à l’aide de l’enseignant.

Tous les enseignants ne se situent pas au même stade à l’égard des technologies. En effet, Rogers (1962) a défini cinq profils dans le processus d’adoption d’une innovation. La courbe de diffusion ci-dessous montre bien les différents profils qui sont en concordance avec les différentes phases du processus : les innovateurs, les adoptants précoces, la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires.

Figure 13 – Courbe d’adoption d’une innovation (Rogers, 1962)

Cet état d’esprit est lié à la « compétence technopédagogique » (Karsenti & Larose, 2001 ; Guichon, 2012b) de l’enseignant, c’est-à-dire sa compétence à utiliser les TIC. En effet, un enseignant qui se sent à l’aise avec les technologies aura tendance à avoir davantage recours aux technologies dans ses activités d’apprentissage qu’un enseignant qui éprouve des difficultés à les utiliser. Guichon (2012b) a d’ailleurs défini un répertoire de compétences techno-pédagogiques :

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- évaluer les apports et les limites des TIC pour l’enseignement des langues ;

- conduire une analyse des besoins ;

- manier les outils de base et savoir résoudre des problèmes techniques ;

- négocier avec les apprenants et les collègues ;

- gérer son temps.

Par conséquent, le positionnement d’un enseignant à l’égard des technologies a une influence sur son enseignement et sur l’utilisation ou non de ces mêmes technologies en classe : « instructor buy-in is a critical factor in determining the success or failure of technology activities in the classroom » (Gilgen, 2005 : 37). Par conséquent, l’enseignant est un élément décisionnel important dans l’intégration de la technologie dans l’apprentissage.

Le modèle à 5 composantes de Bertin met en lumière le tissu complexe de relations avec la présence de nombreuses flèches à double-orientation. Les différents pôles interagissent et ont des répercussions les uns sur les autres, comme nous l’avons montré. Il montre surtout la nécessité de construire chaque composante dans une perspective d’interaction avec les autres (un objet se construit par rapport à des caractéristiques individuelles, mais aussi par rapport aux interactions en cours dans l’ensemble du système et aux effets rétroactifs). C’est d’ailleurs ce qui différencie notre démarche des travaux antérieurs, fondée sur une approche plus analytique. Même si la présente thèse se concentre sur l’attitude et les représentations des apprenants à l’égard du baladeur MP3, et par conséquent, sur la relation apprenant-technologie, il est essentiel de ne pas occulter pour autant les autres relations du système. C’est pourquoi, les autres composantes seront également prises en compte pour sonder l’analyse des représentations et attitudes des apprenants.

La spécificité d’un modèle est qu’ « il ne prescrit aucune vision particulière pour aucun des éléments qui le composent » (Bertin, 2015 : 6). Ainsi, il peut être reconstruit pour chaque contexte ; le modèle d’ergonomie didactique peut donc être utilisé dans le cadre de notre dispositif d’apprentissage.

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1.3 LA MOTIVATION DANS L’APPRENTISSAGE

Comment faire apprendre une langue à celui qui n’en a pas envie ? Comment faire parler celui qui n’en a pas le désir ? La motivation joue un rôle important dans l’apprentissage d’une langue étrangère. En effet, comme l’écrit Dörnyei (1998), même si nous reconnaissons les avantages à apprendre une langue étrangère, nous gardons aussi à l’esprit que ce n’est pas une nécessité :

Motivation provides the primary impetus to initiate learning the L2 and later the driving force to sustain the long and often tedious learning process. (1998 : 117)

De plus, une fois la motivation générée, il est important de la maintenir : « any learning activity can become satiating » (Wlodkowski, 1936 : 144 ; cité par Dornyeï, 2001). C’est ce qu’on appelle généralement la « persistance ».

C’est pourquoi il est intéressant de voir ce qui suscite « le désir de savoir et la décision d’apprendre » (Delannoy, 2005) une langue étrangère chez les apprenants.